Hôtel-Dieu ou Hospice


Plan de la notice :

Le grand Hotel-Dieu de Beaune

Préambule

Le grand Hôtel-Dieu de Beaune est, ainsi que la maison de Jacques Cœur, à Bourges, ainsi que le Palais-de-Justice, à Rouen, un de ces précieux bijoux, tombés du riche écrin des artistes du XVe siècle, et demeuré presque intact, parmi les ordures monumentales du XIXe.

Il faut le voir, ce palais des pauvres, avec son luxe royal d'ornementation, ses merveilleux profils, avec tous ces symboles historiques, tous ces sens populaires qui l'assiègent ; il faut le voir, le Grand Hôtel-Dieu de Beaune, avec cette flèche d'un si noble motif, qui lui donne un point de contact avec les petits anges du paradis ; il faut le voir avec cette élégante dentelle qui tremble à son front, comme une couronne sur la tête d'un prince, avec ces incroyables évolutions de meneaux, ces infinies ramifications de bois et de plomb, qui jouent sur ses flancs, comme des enfants de poète avec la harpe de leur père ; délicieuses et frêles découpures que la brise fait foisonner, que l'air du soir fait gémir, et que les siècles n'ébranlent pas !

Trésor des artistes qui, pour les traduire ou les continuer, ne sauraient trop étudier les diverses orthographes de la langue architecturale du moyen-âge, qui ne sauraient trop se recueillir dans sa pensée intime, et s'inspirer de son génie; trésor pour l'historien toujours prêt à s'agenouiller dans un passé ; trésor pour la poésie qui vit de souvenances et de ces ineffables parfums qu'exhale tout ce que l'aile de la religion protège, l'Hôtel-Dieu de Beaune est, sans doute, l'un des édifices les plus curieux du pays de France, et il est glorieux pour une petite cité de troisième ordre, qu'une maison de charité soit sa plus belle demeure.

Tout fils obscur, mais tendre et dévoué, de la Bourgogne que je suis, longtemps j'ai vécu sans connaître le Grand-Hôtel-Dieu de Beaune. Il y a bien peu de monuments significatifs, en France, que je n'aie pas visités en pèlerin, religieux admirateur de l'art de nos pères, et j'ignorais presque la mine féconde que recèle ma terre natale. Ainsi le cœur humain ! rien de ce qui est positif, assis dans l'air qu'il respire, rien de ce qu'il peut voir et toucher chaque jour, sans qu'un voyage mette ou un mystère, ou un peu de lointain, entre la chose et lui, rien de tout cela ne lui plaît. La poésie n'est pas compatible avec les faits présents.

Cependant, il me prit fantaisie, dans l'une de nos plus radieuses matinées, de parcourir le célèbre et magnifique édifice que tant de capitales nous envient. A nul ami des monuments historiques, cette exploration n'était plus facile qu'à moi. Le docteur bard, mon père, l'un des médecins de l'Hôtel-Dieu de Beaune, exerce clans cette maison la légitime influence que donne toujours une longue suite de services rendus ; il voulut bien me servir de cicérone ; et madame la supérieure de l'hospice, que sa haute sagesse et sa capacité remarquable rendent si utile à la charité, daigna favoriser mes études de toute l'efficacité de sa bienveillance, et m'accompagner clans le cours de ma longue et consciencieuse visite. En examinant toutes ces salles si hautes et si belles, si vierges de vandales souillures, je ne pus m'empêcher de murmurer incessamment les mots que la religion faisait naître sur mes lèvres:

MANEBIT
VNA-CHARITAS.

Un journalisme bâtard, a, je crois offert déjà quelque pastiche de l'Hôtel-Dieu de Beaune, barbouillé loin de l'inspiration locale, plus loin encore de ce juste sentiment d'orgueil national, et de ces poétiques convictions qui la vivifient, dans le goût de cette histoire d'Autun, écrite par un militaire qui se trouvait, par hasard, en garnison dans cette cité. Mais, le monument attend encore un artiste pour le décrire et un annaliste pour tracer son histoire. Avec des notes prises sur place, tâchons de préparer à l'un et à l'autre, quelques germes, stériles sous notre souffle, que leur génie fassse bientôt éclore. L'œuvre serait grande et digne. Commençons par résumer les principaux faits historiques qui se groupent autour de l'Hôtel-Dieu de Beaune.

Ce monument est l'œuvre de la plus brillante ère de l'école nationale d'architecture, il est contemporain de Saint-Nizier de Lyon. L'établissement, qui date de MCCCCXLIII, eut pour fondateur Nicolas Rolin, chancelier des états souverains de Bourgogne, sous le règne d'un de nos plus excellents et plus regrettables princes, Philippe-le-Bon. Dès l'année 1441, ce favori, après avoir acquis un vaste emplacement contigu aux halles du duc (propè hallas ducis), obtint du pape Eugène IV une bulle qui sanctionnait l'érection du futur hospice, et l'affranchissait de toute juridiction épiscopale et métropolitaine. Plus tard, les souverains pontifes Nicolas V, Calixte III et Pie II, augmentèrent encore cette large immunité ou la confirmèrent, et la noble maison, tout-à-fait indépendante des évêques d'Autun et des archevêques-primats de Lyon, ne relevant directement que du Saint-Siège, arriva jusqu'à la révolution française, et au concordat de 1801, qui supprimèrent tous les privilèges ecclésiastiques de la vieille France, sans que sa constitution et son droit eussent subi la plus légère atteinte. Un des écrivains qui se sont occupés de l'histoire de là ville de Beaune, fait observer qu'à la concession d'une si rare prérogative, l'autorité du roi de France et l'autorité du duc de Bourgogne furent, en tous points, étrangères : la puissance papale avait prononcé en souveraine dans cet octroi. Cependant avec un peu d'attention, il sera facile de s'apercevoir que cette exorbitante immunité tournait entièrement au profit du protecteur laïque, héritier du fondateur, qui, avec son droit héréditaire de patronage, recevait plein et entier pouvoir de nommer et instituer maître, recteur et receveur, maîtresse, confesseurs et chapelains de son hôpital, de les destituer et déposer collectivement ou individuellement, selon son bon plaisir, etc.

Il y a bien loin de ces idées à celles que nos mœurs caressent aujourd'hui ; et sans doute, le désir d'encourager les fondations par un immense terrain cédé aux vanités humaines, servit de mobile à la volonté pontificale. Le dernier patron auquel la maîtresse du Grand-Hôtel-Dieu, ait prêté serment d'obéissance, est le maréchal de Clermont-Tonnerre, issu par les femmes, de l'héritière des Rolin. Il ne fallut rien moins que le rude choc de la révolution qui, en détruisant tant d'abus, a causé tant de souffrances, pour empêcher tout à coup le dernier maréchal du nom de Clermont, d'exercer paisiblement son droit de nommer le confesseur ou beau-père, et les chapelains de l'hospice.

Le chancelier de Bourgogne, cet homme si riche en savoir-faire, ce bourgeois parvenu qui improvisa le courtisan avec tant d'adresse, ce légiste si érudit et en même temps si disert, ce robin si servilement dévoué au prince, si calomnié par ses jaloux, pour cette colossale fortune presque aussi fabuleuse que celle du piémontais, feu le comte de Boigne, Nicolas Rolin, enfin, ne se montra pas très-généreux dans la première dotation qu'il constitua à l'hôtel-Dieu de Beaune. Si ce n'était point dépasser les limites que nous avons posées à ce travail, l'occasion serait belle ici, de faire intervenir la figure historique de ce chancelier qui, sans doute, eut des qualités précieuses, qui fut affable et accessible pour tous, puisque le populaire de la duché de Bourgogne pleura amèrement sa mort.

L'histoire du magnifique asile des douleurs corporelles, qui nous occupe, a cela de commun avec l'histoire de presque tous les hôpitaux, qu'elle offre un noyau de fondation auquel une foule de dotations postérieures viennent se rallier. Placé d'abord sous l'invocation de St-Antoine par Nicolas Rolin, notre hospice passa ensuite sous celle de St-Jean-Baptiste, par l'influence du cardinal Rolin, fils du chancelier, lequel ajouta beaucoup aux largesses de son père ; et ce ne fut qu'au commencement du XVIIe siècle, que la maison adopta irrévocablement pour sa fête, la solemnité de la Pentecôte, après que l'ancien hôpital du Saint-Esprit lui eût été uni. Alors, l'Hôtel-Dieu de Beaune devint le siège de cette confrérie du Saint-Esprit sur le registre de laquelle on voit les signatures apposées en 1658, de Louis XIV, du duc d'Orléans, de la reine-mère Anne d'Autriche, et de toute la cour. Il y avait, dans cet hospice, un usage que la révolution a fait disparaître ; chaque année, au jour de la fête patronale de Pentecôte, on prêchait un sermon latin.

Les biens d'une vaste léproserie fondée par le duc de Bourgogne Eudes III, furent encore réunis à l'hôpital Rolin. La liste de ses bienfaiteurs serait longue et fertile en noms propres qui n'ont une signification que dans la localité. Je citerai pourtant, Hugues et Louis Béthauld, François Brunel de Montforand.

Cette maison est desservie par l'institut de pieuses filles connues sous le nom d'hospitalières qui, à l'origine de l'établissement, tirées vraisemblablemeut des Flandres, suivent la règle et portent le costume des béguines de Malines. La régularité, le zèle et la propreté proverbiale qui distinguèrent, dès le principe, et distinguent encore l'Hôtel-Dieu de Beaune ; cette tendre sollicitude, cette vigilance maternelle, tous ces reflets des mœurs de cette Italie du nord qu'on appelle la Belgique, rendirent l'institution aussi célèbre que le monument qui l'abrite est intéressant, et plusieurs villes s'empressèrent de demander à notre cité des hospitalières pour réformer ou établir leurs hôpitaux.

A propos de l'Hôtel-Dieu de Beaune, rappellerai-je les mots si connus de Louis XI ? « Il était bien juste que celui qui avait fait tant de pauvres durant sa vie, leur préparât un asile avant de mourir. » Ce que j'ai dit de l'histoire de cette maison, relativement aux couches successives de fortune matérielle qui grossirent son patrimoine fondamental, s'applique à l'édifice. Le monument qui, selon un auteur du XVIe siècle, ressent plutôt un château royal que le logis des pauvres, est loin d'être tout d'une pièce. Les XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles et l'époque actuelle, se sont plu à l'embellir ou à l'augmenter ; ainsi, il est peuplé de dates.

Il y a deux choses dans une église, l'ame et le corps, le culte et le vaisseau : ainsi d'un hôpital ; il se compose d'une institution et d'un édifice. Nous vous avons entretenu succinctement de l'institution et des moyens de vie que de pieuses libéralités lui donnèrent; passons au monument.

Description architecturale

L'ordonnance générale du Grand-Hôtel-Dieu de Beaune est d'un majestueux aspect ! Cependant, tant de profils varient sa structure, tant de détails accentués, mais complexes et capricieux, modifient les zones diverses qui composent l'ensemble monumental; tant de délicieux accessoires, tant de groupes partiels impriment un caractère particulier à chaque portion des lignes mères de l'édifice, qu'il en résulte pour le spectateur une impression confuse, difficile à vaincre, plus difficile encore à traduire dans une monographie. Cette maison ne peut vraiment être expliquée et comprise qu'à l'aide d'une illustration. De tous ces pinacles rangés vers les combles, pas un ne se ressemble complètement, pas un n'est égal à son voisin par les dimensions et le système de décoration, bien que le galbe soit analogue.

Un grand corps de bâtiment occupé intérieurement par la chapelle, par le réfectoire, le salon où se tient la supérieure, le dortoir, terminé par un toît d'un motif prodigieusement aigu, vêtu d'ardoises, forment sur la rue les différentes constructions qui composent l'Hôtel-Dieu. La porte de ce bâtiment est ogivale, à voussure, elle présente, dans son tympan, une table de marbre noir récemment ajustée, portant cette inscription en lettres imitées des caractères du XVe siècle:

HOSTEL-DIEV
MCCCC XLIII

et elle est abritée par un vaste dais en pendentifs du galbe le plus pittoresque. A la voûte du comble, règne une frise évidée à jour, véritable dentelle de plomb, d'un élégant effet, interrompue dans sa continuité par la base de la svelte aiguille servant de clocher. J'ai vu détruire un auvent d'un style curieux qui contribuait à rendre remarquable cette facade extérieure, malheureusement pauvre en ornementation, et dont la maconnerie lisse, faîte de moellons de grand appareil, n'est accidentée que par une série de fenêtres dont l'arc en tiers-point termine bien le cintre, mais que nuls compartiments ou meneaux ouvragés ne divisent, par le grand dais dont j'ai parlé, par quelques ouvertures de grenier qui sont autant de remarquables édicules, par plusieurs petites fenêtres carrées, à merveilleux grillage, percées sur cette partie de la façade qui ne correspond point à la chapelle. Le défaut de symétrie dans la disposition des fenêtres, et dans le caractère de cette façade que la porte principale, n'étant point placée au centre du bâtiment et se trouvant sous le clocher, partage en deux parties inégales, ce défaut de régularité, dis-je, n'est compensé ici que par de rares beautés de détail. Les venteaux, la grille hérissée de pointes servant de guichet, le marteau de la grande porte ogivale, datent de la fondation, et offrent le cachet artiel de l'époque.

Mais, franchissez ce premier logis, et pénétrez dans la cour intérieure. Là se montre avec toute sa verve d'imagination, cette sorte d'épopée monumentale qu'on appelle l'Hôtel-Dieu de Beaune, formulée, sans doute, par ces artistes flamands dont nos ducs se plurent à encourager le génie, et qu'ils aimaient tant à coloniser dans les régions méridionales de leurs vastes domaines. On peut dire qu'il y a coup de théâtre pour le spectateur. Ici se développe avec toute sa poésie, ce type du XVe siècle, qui était si châtié et si correct dans ses profils, si harmonique dans ses lignes, malgré l'apparente bizarrerie des uns et des autres. Cette cour présente un carré long formé par le corps de bâtiment consacré au culte, et par ces constructions d'un jet si attachant, si original, si varié, qu'il nous serait presque impossible de les décrire méthodiquement. Deux promenoirs superposés régnant à l'extérieur, soutenus par des colonnettes taillées à vive arête, des combles d'une immense ampleur, couverts de tuiles vernisees, une foule de pinacles saillants d'une intention ferme, se dressant avec une incroyable grâce, et ressemblant à de colossales fenêtres de grenier, voilà ce qui révèle cette large entente du pittoresque, qui distinguait les artistes du moyen âge. Dans cette cour, on se croirait transporté sur les rives de la Dyle et de l'Escaut, tant l'esprit architectural des provinces Belges, an XVe siècle, respire dans les pages monumentales déroulées sous les yeux. Le nord n'a rien inventé de plus aigu, de plus élancé que nos pinacles, et c'est chose piquante de les voir en une contrée plus intimement pénétrée par l'élément romain que les Flandres, dans une contrée où par suite des influences climatériques, les lignes horizontales commencent à prédominer sur les lignes verticales. Ces pinacles ou pignons sont divisés par des piédroits, et l'espace compris entre les piédroits, donne des ouvertures cintrées par l'ogive tréflée ou trilohée. Leur portion pleine est formée d'un torchis dont plusieurs pièces de hois disposées en X sont le squelette. La contexture, l'agencement de ces pignons sont curieux ; ils sont chargés d'ornements tels que dentelures, gargouilles, écussons portés par des petits anges aux ailes aiguës, têtes diverses, couronnes, soleils, girouettes, têtes de chou frisé. Sur les comhles, s'étage un peuple de lucarnes à cintre trilobe, ou en croix, qui résument les pinacles et offrent, comme eux, une innombrable quantité de girouettes de fer d'un prodigieux travail. Tous ces ouvrages sont de bois recouvert de plomb. La France possède des monuments du XVe siècle, faits de pierre, aussi remarquables que notre hôpital ; mais je ne crois pas qu'elle ait un édifice où l'œuvre de bois beaucoup plus étendue que l'œuvre de pierre, caractérise d'une manière somptueuse la plus opulente période de l'architecture indigène. Si, de la pensée générale née, je le répète, dans ces têtes flamandes du moyen-âge, si dévouées à la gloire, nous descendons aux détails, que de figures naïves emprisonnées dans leur chemise de plomb, que de rinceaux habilement fouillés, que de fines et osées découpures, que de reliefs pleins de hardiesse et de mordant, nous trouverons dans ce beau monument. Je reviens au dais en pendentif qui décore la grande porte extérieure. Il est à trois pinacles, tous les trois à deux eaux, couronné à l'extra-dos de ses combles, par une frise de plomb, ciselée, pour ainsi parler, à jour, plus délicieusement ouvragée encore que la dentelle du grand toit. Plusieurs têtes de chou frisé courent sur les arêtes des pignons, et la voûte de ce charmant édicule est à nervures croisées. Dans une restauration récente, on a eu le soin de faire revivre la décoration primitive; la voûte est peinte azur et semée d'étoiles d'or ; les retombées des pendentifs offrent, à leur extrémité, des écussons où l'on remarque les armes de la maison, la devise :

SEVLE

de la veuve du chancelier Rolin, et son chiffre uni à celui de son époux, dans un monogramme qui se compose d'un G et d'une N:

GVIGONE DE SALINS
NICOLAS ROLIN

Les armes de l'Hôtel-Dieu consistent en trois clefs et une tour d'or sur champ mi-partie d'azur et de gueules.

La pensée monumentale de la cour intérieure est modifiée dans son unité de type, par une construction plus moderne élevée, à la fin du XVIIe siècle, par un des pieux bienfaiteurs de l'hospice. Derrière les bâtiments que le moyen-âge a érigés, se trouvent d'autres bâtiments vastes et utiles, d'une date assez récente, des jardins fort admirés du populaire, à cause de leurs arbustes taillés d'une manière significative, dont je ne m'occuperai pas. Tout notre examen doit se recueillir dans l'ouvrage de ce XVe siècle si intelligent, si malin, si caustique même, si habile à parler aux yeux par l'art. J'ai oui dire que Rolin avait d'abord eu le projet de fonder Son hôpital à Autun ; mais je n'affirme point le fait.

Ce qu'il y a de plus important à l'intérieur de l'édifice, le voici. D'abord la grande salle qui, par suite de cette alliance touchante de la charité avec le culte et la prière, si habituelle autrefois, sert ensemble de chapelle et d'asile aux malades. Les murs de cette salle sont nuds; mais ses beautés consistaient dans une voûte ogivale en bois, peinte azur et or, soutenue par des pièces de chataigner verticales et transversales, et dans des verrières peintes qui ont disparu. Que l'on se représente cette immense salle avec les tableaux transparents de ses fenêtres, avec cette voûte carénée si riche d'éclat, avec tous ces effets de polychromie et de jour indécis qui la caractérisaient, et l'on comprendra la maison de Rolin. Deux roses et une large ouverture ogivale accidentée par des ramures de pierre, du genre flamboyant, (comme dit Auguste Leprévost), occupaient le fond de cette salle qui figure un carré long. Mais l'on a ruiné cet aspect si noble et si religieux, en adoptant un plancher plat, à la naissance de la voûte ogivale qui est venue cacher ses pleurs d'or dans un grenier. Ce vandalisme motivé par la philantropie, excusable, sans doute, puisqu'il a été consommé dans l'intérêt des malades, que l'air froid d'un local si élevé fatiguait, n'en est pas moins fort triste pour les amis de l'art, dont les rangs, chaque jour, se grossissent. Des magnificences de la voûte, plus rien ne reste qu'une suite de modillons ouvragés, qu'une série de têtes vivement sculptées, régnant à la naissance de l'arc ogival, comme une irise en ronde-bosse ; et les grandes poutres d'écartement, coupées dans le goût du moyen-âbe, (XVe siècle) qui servent aujourd'hui de points d'appui au plancher. Tout ce monde muet de figures disposées en gargouilles, mérite un examen attentif ; dans ces visages grimaçants, grotesques, est tout un vieil essai national de caricature et de persifflage. Je l'ai dit ailleurs, l'architecture fut, au moyen-âge, la forme poétique, critique, historique, philosophique, etc. Il faut maintenant monter dans un grenier, pour comprendre toute l'étendue des pertes : c'est là que l'on retrouve, avec la voûte cintrée en tiers-point, les deux roses veuves de leurs meneaux, et l'arc ogival de la grande fenêtre où les compartiments munis de verres coloriés ont survécu. La partie inférieure de cette fenêtre, scindée par l'ignoble plancher, est invisible dans la chapelle, murée qu'elle est par une gloire rayonnante placée derrière l'autel. Dans le réfectoire et le salon de la supérieure, existent deux tableaux assez précieux, dont l'un représente la Pentecôte, et l'autre le Jugement de J.-C., où chaque juge se montre tenant son vote à la main, écrit sur un rouleau, et où les anachronismes ne manquent pas. Mais le plus ineffable trésor, en ce genre, de la maison, c'est le grand tableau à volets, du jugement dernier, naguère signalé par la presse aux prêtres de l'art national. Ce livre sublime n'étant pas signé, ou le monogramme du peintre ayant peut-être disparu, sous le pinceau d'un barbare restaurateur, on ne sait s'il faut attribuer ce chef-d'œuvre à Jean de Bruges. Ce qu'il y a de certain, c'est que ces pages sont dans sa manière, qu'elles sont d'un prix incalculable, et que plusieurs rapprochements historiques justifieraient, au besoin, sans l'établir, l'opinion qui les classe parmi les écrits du glorieux inventeur de la peinture à l'huile. Quelques objets servant au culte, parmi lesquels un encensoir de la renaissance ; la sacristie attenant à la chapelle, la ferrure du puits, le dieu de pitié, posé dans une niche, à la grande salle ; plusieurs choses d'ameublement comme bahuts du XVe siècle, fauteuils et tables du XVIe et du XVIIe, tapisseries d'Aubusson, autres tapisseries contemporaines de Guigone de Salins, offrant sa chérie devise : seule, méritent d'être vus. La salle Saint-Hugues est entièrement vêtue, plafond et murailles, de peintures fort remarquées, dont le coloris mystique révèle l'école flamande, datant, ainsi que le tableau du réfectoire, de MDCXLI ; et la salle du bureau, avec son mobilier postérieur à la fondation, il est vrai, ses pavés vernissés, au chiffre de Guigone, offre le portrait de trois de nos ducs de la branche des Valois.

Histoire et évolution

L'Hôtel-Dieu de Beaune est, sans doute, un des monumens français du moyen âge, les mieux conservés ; néanmoins la révolution et le mauvais goût n'ont pu l'épargner entièrement. Ainsi, la sépulture de cette pieuse Guigone de Salins, seconde femme du chancelier du duché de Bourgogne, inhumée en 1470, sous une tombe de cuivre sur laquelle elle était représentée en habit de veuve, à côté de Nicolas Rolin vêtu en chevalier, armé de toutes pièces, a été violée et détruite. Ainsi, les loges destinées aux religieuses hospitalières, dans la chapelle, qui étaient dans le style du XVe siècle, ont cédé leur place à une cloture insignifiante. Ainsi, nos verrières peintes ont été remplacées par le triste verre incolore. Ainsi, un badigeon à l'ocre jaune précipité au lait de chaux, est venu voiler, sur les murs, la patine du temps. Pourtant, disons le haut, dans ce badigeonnage, opération fort récente, on a eu le bon esprit de respecter les pinacles, ou mieux de les vêtir d'une couleur grise qui s'harmonise avec eux.

On aperçoit, dans la chapelle deux inscriptions en l'honneur de bienfaiteurs, qui ne présentent rien de curieux. Cette chapelle a subi, naguère, une restauration trés-supportable, puisque le vaisseau, avant que l'on n'entreprît cette restauration, avait perdu, d'ailleurs, son caractère architectonique. Le peintre décorateur était homme d'avenir et de talent, et il l'a prouvé en beaucoup de points, notamment au porche d'entrée où il a rappelé par de bonnes grisailles, l'orthographe monumentale. Ce décorateur est mort à la fleur de l'âge, et la ville de Beaune ne l'a point remplacé.

L'Hôtel-Dieu de Beaune, ce noble mineur, ce riche orphelin du chancelier de Bourgogne, constitue l'un des plus opulens hôpitaux du royaume, l'un des plus admirable, par l'ordre et la tenue, la régularité et la discipline qui y régnent. Il contient sept salles dont une, celle placée sous le vocable de Saint-Louis, plus particulièrement affectée aux militaires, 114 lits fixes, sans compter les nombreuses couches supplémentaires et flottantes, ce qui porte à 140, à-peu-près, le chiffre des malades journellement traités dans la maison. Tout l'intérieur de l'Hôtel-Dieu, depuis la pharmacie et la cuisine, jusqu'au réfectoire, est incroyable de propreté : tout y est luisant, frotté comme les ameublements hollandais; et ces habitudes de soin sont évidemment une tradition flamande, qui s'est perpétuée dans l'hospice, avec l'usage de la vaisselle d'étain. Parmi ses domaines, figurent des vignes situées dans les plus célèbres climats de la côte de Beaune, produisant un vin fort recherché du commerce. Au spirituel, cet établissement est dirigé par deux chapelains ; au temporel, il est régi par une commission administrative choisie entre les plus honorables citoyens de la ville et par la maîtresse. Le service médical de cette importante maison est confié à deux docteurs en médecine, et le service chirurgical à deux docteurs en chirurgie, tous nommés par l'autorité supérieure, sur la présentation du bureau.

Il y aurait une touchante et douce légende à faire naître en cet hospice ; il y aurait une tendre, poétique élégie à soupirer sur la tombe brisée de Guigone de Salins, car les harpes actuelles trouveraient-là tout ce qui porte inspiration et harmonie.

En ce siècle de sacerdoces et d'apostolats artistes, je voudrais qu'une des salles inoccupées de notre hôpital-modèle, devînt un véritable musée historique où tout ce qui reste de l'ameublement de la fondation, serait recueilli, où le sublime tableau du Jugement dernier serait religieusement gardé, où les amis du passé pourraient venir se livrer à tout le charme des contemplatious rétrospectives. Je voudrais qu'un sentiment élevé des convenances artielles présidât, désormais, à toutes les restaurations dont la demeure pourra être l'objet ; que, puisque le peu d'importance d'une ville de 12,000 âmes ne permet pas qu'un architecte habile et instruit, y fixé jamais sa tente, on n'hésitât pas, quand des réparations seront nécessaires, à recourir aux incontestables lumières artistes de Lyon, notre métropole. Je voudrais que cet illustre enfant de la charité du chancelier de Bourgogne, fût aujourd'hui comme un sanctuaire respecté de l'architecture et de l'ornementation du XVe siècle. Au nom de l'art national à qui il faut conserver des points de départ et des types, au nom de l'art national qui trouve maintenant presque partout culte et sympathies, j'ose réclamer une haute sollicitude pour ce monument qui, chaque jour, plus connu, plus étudié, mieux compris, devient plus renommé, et attire l'attention des visiteurs intelligents et des savans voyageurs. La première restauration à entreprendre, serait celle d'effacer le badigeon jaune et de le remplacer par un ton gris, de replacer des verrières de couleur dans les grandes fenêtres ogivales ; puis il faudrait, par l'érection d'une nouvelle salle, suppléer à la grande salle-chapelle, et en livrant le vaisseau à l'exercice du culte exclusivement, rappeler sa voûte primitive et sa magnifique ornementation d'autrefois ; puis encore, rendre leurs significations sculptées ou peintes, à tous les écus, à toutes les inscriptions, à toutes les légendes, à tous les monogrammes épars sur les flancs du somptueux manoir.

Que les amis de l'architecture chrétienne se réjouissent : cette maison du Grand-Hôtel-Dieu de Beaune a de vastes ressources pécuniaires, elle est dans une ère de progrès ; les améliorations s'y réalisent aussi profitables à la charité, au but de l'institution, qu'utiles à l'archéologie. La pensée dirigeante de l'établissement n'oublie pas qu'en ces jours où l'individualisme social tue tout esprit de conservation, l'art n'est plus possible qu'avec les églises et les monumens nés sous l'haleine parfumée de la religion. A la France, à la province de Bourgogne, à la ville de Beaune, elle gardera pure de barbarismes et de souillures, cette admirable page monumentale, ce Louvre des pauvres, et elle n'aliénera pas les trésors précieux qu'il possède.

On l'a vu, dans le cours de cette rapide esquisse, le bois et le plomb sont la chair de l'édifice, et, c'est là ce qui le fait à peu près unique, sui generis, de par le pays de France.

La cité de Beaune si bien partagée en hospices, puisqu'indépendamment du Grand-Hôtel-Dieu, elle possède encore le vaste hospice de la Charité, la cité de Beaune doit se féliciter de ses destins. Malgré la déchéance de sa vieille capitalité politique, dans le duché de Bourgogne, elle possède un monument type, tout comme à Saint-Nizier de Lyon, où l'art aussi fraternise avec le catholicisme et se réjouit avec lui. De tous les édifices ruinés qu'elle pleure, il lui reste assez pour offrir encore une histoire presque complète de l'art, depuis la période byzantine, jusqu'au XVIIIe siècle.

Cette ville est une des cités bourguignonnes qui résista avec le plus d'énergie au perfide Louis XI. Elle se battit courageusement pour les droits de sa légitime souveraine, la délicieuse et tendre Marie de Bourgogne, héritière unique des états de Charles-le-Téméraire, laquelle eut dans le roi de France un jaloux si puissant, et porta une tête trop frêle pour la large couronne qu'elle devait ceindre. Beaune avait et possède encore beaucoup de ces vénérables maisons du XVe siècle et de la renaissance, de bois et de pierres, qui enfont une ville significative et pittoresque. Si, chaque jour, l'invasion toujours croissante de ces vaniteuses boutiques, qui mendient, sur la rue, les regards du passant, s'agenouillent devant lui, en jetant à ses yeux charlatanismes et séductions, arrache quelque feuille de son histoire lapidaire au vieux Beaune, espérons que le Grand-Hôtel-Dieu nous restera avec son nerveux symbolisme et ses millésimes. L'église ! Il faut que l'église et tout ce qui émane d'elle, tout ce qui fleurit à son ombre, soient les seuls lieux de la terre où rien ne change.

Chorey (canton sud de Beaune),avril 1837.
Chev. Joseph BARD (de là Côte-d'Or).

Source : L'art en province: histoire, littérature, voyages 1837.

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 25065
  • item : Hôtel-Dieu ou Hospice
  • Localisation :
    • Bourgogne
    • Côte-d'Or
    • Beaune
  • Code INSEE commune : 21054
  • Code postal de la commune : 21200
  • Ordre dans la liste : 47
  • Nom commun de la construction : 3 dénomiations sont utilisées pour définir cette construction :
    • hospice
    • hôtel
    • hôtel-dieu
  • Etat :
    • L'état actuel de cette construction ne nous est pas connue.

Dates et époques

  • Périodes de construction : 3 différentes époques marquent l'histoire du lieu.
    • 15e siècle
    • 17e siècle
    • 18e siècle
  • Date de protection : 1862 : classé MH
  • Date de versement : 1993/11/26

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • non communiqué
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Interêt de l'oeuvre : 18 04 1914 (J.O.)
  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :
    • Notre base de données ne comprend aucun élément particulier qui fasse l'objet d'une protection.
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • Cette construction a été affectée a l'usage de : musée

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : propriété de la commune 1992
  • Détails : Hôtel-Dieu ou Hospice : classement par liste de 1862
  • Référence Mérimée : PA00112112

photo : perrine

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