Abbaye Notre-Dame-de-Jouarre

Si des environs de Meaux nous portons nos regards sur tout l'arrondissement, nous apercevons d'abord l'abbaye royale de Notre-Dame de Jouarre, fille de celle de Notre-Dame de Faremoutiers. La fondation de cette célèbre communauté est due a Adon, trésorier du roi Clotaire II et frère de saint Ouen, évêque de Rouen. Ce saint personnage, ayant quitté les honneurs et les dangers de la cour, s'était retiré sur une montagne, non loin du confluent du petit Morin avec la Marne, et bientôt, touchés de son exemple, plusieurs membres de sa famille étaient venus se joindre a lui :c'étaient, d'une part, le vénérable Agilbert, depuis évêque de Paris, saint Ebrégésile, depuis évêque de Al eaux : d'autre part, sainte Telchilde et sainte Aguilberte; et ainsi s'était établi, comme à Faremoutiers, un double monastère sous la discipline de saint Colomban. La communauté d'hommes dura peu; mais, en compensation, celle des femmes devint illustre. Sainte-Telchilde, qui avait été formée par sainte Fare,en fut la première abbesse ; et, sous son habile direction, il s'y forma aussi grand nombre de saintes religieuses, entre lesquelles brillèrent du plus pur éclat la première abbesse de Chelles, sainte Berthilde, et la première abbesse de Notre-Dame de Soissons, la vénérable Éthérie. L'amour de la sainte vierge était comme l'âme de cette communauté naissante, et ne fit que s'y maintenir et s'y développer avec le progrès des siècles. Une des plus célèbres abbesses, Jeanne de Bourbon, fit consacrer l'église abbatiale à Marie, sous le vocable de l'Assomption, plaça dans le cloître l'image de la sainte Vierge, établit le Rosaire, fonda des messes de la Présentation de Notre-Dame et du Rosaire. Sa piété filiale envers Marie ne resta point sans récompense; car elle mourut a Jouarre en odeur de sainteté. Pendant les quatre jours que son corps demeura exposé, son visage parut plus beau, plus vermeil le dernier jour, que lorsqu'elle était vivante, et son corps n'exhala qu'une odeur embaumée (Tiré d'anciens manuscrits de l'abbaye).

Jeanne de Lorraine, qui lui succéda, une de ces femmes rares, également admirables aux regards du monde et de la religion, estimée une grande sainte par le cardinal de Richelieu, qui l'appelait la reine des abbesses, avait pour Marie une dévotion non moins remarquable. En toutes ses peines, elle avait recours a la sainte Vierge; elle l'honorait et l'aimait avec une piété vraiment filiale, lui recommandant sa maison et toutes ses affaires, conseillant à toutes ses filles de la prendre pour mère et d'implorer son assistance en tous leurs besoins.

Pénétrée d'une particulière dévotion aux mystères de l'Incarnation et de l'Annonciation, elle tenait à honorer toutes les heures que Jésus-Christ avait passées dans le sein de Marie; et, pour cela, elle disait tous les jours vingt-quatre Ave, Maria, depuis la fête de l'Annonciation jusqu'à Noël.' Un jour, on vint lui annoncer qu'une de ses religieuses était en proie a des douleurs extrêmes qui la mettaient dans un péril imminent de mort. Surprise des choses extraordinaires qu'on lui racontait, elle se rend, à l'heure même, auprès de la malade; et, après y être demeurée longtemps, sans craindre de gagner le mal qu'on croyait contagieux, touchée de tant de souffrances, elle forme trois voeux : le premier, de faire brûler à Notre-Dame de Liesse un cierge de neuf livres devant le Saint Sacrement, en souvenir des neuf mois que Jésus-Christ a passés dans le sein de la sainte Vierge, et d'y faire dire cinq messes, selon le nombre des lettres qui composent le nom sacré de Marie; le second en l'honneur de sainte Hélène, le troisième en l'honneur de sainte Berthe, et aussitôt la malade est guérie.

Cette sainte abbesse substitua l'habit noir, comme plus modeste et plus humble, a l'habit blanc des chanoinesses de Fontevrault, qui avait été apporté à Jouarre par Madeleine d'Orléans; et par son ordre, ce changement eut lieu le jour de la Purification, en 1627; tant elle tenait à ce que tout se fit dans sa maison sous les auspices de Marie.

L'amour du Saint-Sacrement se confondait dans son cœur avec l'amour de la sainte Vierge, et ces deux amours croissaient l'un par l'autre comme deux flammes qui se rapprochent. Trouvant l'église abbatiale trop peu digne du dieu qui l'habitait, et de la Vierge qui en était la patronne titulaire, elle conçut le dessein de la faire reconstruire en partie. Bientôt on mit la main a l’œuvre; et pendant qu'on bâtissait, elle fit réciter chaque jour, après l'oraison du matin, le Salve, Regina et le Sub tuum pour appeler sur les travaux les bénédictions de Marie. Ses vœux furent remplis; et l'église de Jouarre devint un des plus magnifiques sanctuaires dédiés en France a la sainte Vierge. Elle fit de plus sculpter des stalles du plus beau travail, exécuter pour l'exposition du Saint-Sacrement un ostensoir estimé dix mille écus, et établir, derrière le chœur des religieuses, un second autel de Marie, riche de dorures et d'ornementation.

Jeanne de Lorraine ne jouit pas longtemps de sa belle église; elle l'avait commencée en 1629, elle la fit bénir en 1638, et l'année même elle fut frappée d'une maladie mortelle. Lorsque la communauté apprit qu'elle était en danger, ce furent des pleurs, des cris, des lamentations extraordinaires: on exposa le Saint-Sacrement, et les unes allaient se prosterner aux pieds de Jésus-Christ en lui disant : « Mon Dieu, rendez-nous notre digne abbesse! » les autres allaient se jeter devant la sainte Vierge en criant: « O vous qu'elle a tant aimée, sauvez-la et obtenez sa guérison! » Tant de prières ne furent point exaucées; le fruit était mûr pour le ciel, Dieu le cueillit (Extrait des manuscrits de l'abbaye).

Marie-Marguerite de la Trémouille, qui lui succéda, avait reçu au baptême le nom de Marie comme un présage de la dévotion qu'elle devait avoir à la sainte Vierge et de la protection qu'elle en devait recevoir dans ses fonctions. D'abord abbesse de Notre-Dame du Lys, puis de Notre-Dame de Jouarre, cette illustre servante de Marie vécut comme une sainte et mourut de même.

Henriette de Lorraine, qui fut aussi abbesse de Jouarre, établit qu'il se dirait une messe de la sainte Vierge tous les samedis de l'année où la liturgie le permet. Non moins zélée pour le culte de Marie, une autre abbesse, Anne-Marguerite de Rohan-Soubise, plaça une sainte Vierge dans le cloître, afin d'y tenir toujours présente a l'esprit des religieuses la pensée de Marie

Charlotte de Rohan, sa sœur, qui fut abbesse après elle, fit bénir cette statue au milieu des plus beaux chants du Magnificat et du Salve, Regina, accompagnés du clavecin, et dota l'église Notre-Dame d'un magnifique maître-autel dont une note manuscrite nous rapporte le devis : « Sera taille en pierre de liais, y est-il dit, les deux chiffres de l'Ave, Maria, fleuronnés avec des branches de lys. Sera fait en ronde-bosse le groupe de l'Assomption de la sainte Vierge accompagné d'anges adolescents, d'enfants et de chérubins, le tout gisant sur un nuage modelé et travaillé artistement d'une matière composée, approchant du stuc pour l'éclat et la dureté ». Digne émule des abbesses qui l'avaient précédée, Henriette de Montmorin ne commençait rien d'important ou n'en décidait l'exécution que les samedis ou les fêtes de la sainte Vierge. C'était dans ces jours qu'elle espérait les bonnes inspirations de la sainte Vierge; et elle se trouva toujours bien de cette pratique : la sainte Vierge ne lui fit jamais défaut. Le jour de l'Assomption, elle se sentit inspirée de faire approprier une autre salle pour servir de réfectoire a la communauté; et quand, le lendemain, les ouvriers se mirent à l’œuvre, ils découvrirent avec effroi trois poutres pourries qui ne tenaient presque plus et auraient, dans un temps très rapproché, écrasé la communauté. Dans un autre endroit de l'abbaye, était une petite chambre où les sœurs allaient très-souvent; elle conçut, un samedi, le dessein de la réparer; et au premier coup de marteau que donnèrent les ouvriers, le plancher tomba d'une seule pièce.

Fidèle à saisir tous les moyens de porter ses religieuses à un grand amour de la Mère de Dieu, la première fois qu'on se servit d'une cuisine neuve qu'elle avait fait bâtir, elle porta de ses propres mains de l'ancienne cuisine a la nouvelle la statue de la sainte Vierge; elle la tenait dévotement entre deux sœurs portant chacune un cierge, et toute la communauté chantait comme d'une seule voix la belle hymne qui commence par ces mots : Ave, maris stella. De même, lorsqu'on dut passer de l'ancien réfectoire dans le nouveau, elle y fit porter avec le crucifix la statue de la sainte Vierge et celle de saint Jean, en se plaçant sous ces glorieux patronages par les chants de : 0 Crux, ave, du Sub tuum, de l'Inviolata avec l'antienne de saint Jean; et la mère prieure y ajouta l'oraison Concede.

A la cérémonie de vêture, elle conduisait la postulante, aussitôt après son entrée solennelle dans le cloître, a l'autel de la sainte Vierge, pour qu'elle s'y offrît tout entière a la Mère de Dieu. La veille de l'Annonciation, après complies, elle faisait chanter la prose de la sainte Vierge, et dès qu'on la commençait, on sonnait toutes les cloches; six novices, un flambeau a la main, et les deux premières sacristines, en habit de cérémonie, venaient au chœur, marchant fort modestement, d'un pas égal, et s'y tenaient debout jusqu'au verset De lacu, où elles s'en retournaient dans le même ordre.

Aussi l'abbaye de Jouarre était-elle fondée a dire ces douces paroles que nous lisons dans un de ses manuscrits: « Nous honorons a jamais la sainte Mère de Dieu; nous lui rendons cet hommage avec le plus grand plaisir du monde, afin que, comme elle a permis que ceux qui récitaient avec fidélité le saint Rosaire terrassassent les ennemis terrestres, elle nous accorde et nous obtienne les grâces nécessaires pour vaincre ces ennemis, qui, retenus dans d'obscurs cachots, nous l'ont une guerre continuelle ».

Le sceau de l'abbaye était en rapport avec sa piété filiale pour Marie. En 1316, c'était l'image de la sainte Vierge tenant l'Enfant Jésus, et sur le revers du sceau une fleur de lys entourée de cette légende : f Flos Filius ejus. Dans la suite, l'abbaye choisit pour son sceau le mystère de l'Assomption, qui était d'ailleurs sa fête patronale; et ce sceau, haut de 85 millimètres sur une largeur de 67, est un des plus beaux types du genre. Autour règne une élégante torsade, et la partie supérieure du champ représente Marie qui s'élève sur les nuages, les mains jointes, un voile sur la tête et ses vêtements amplement drapés. Deux Anges, élevés aussi sur des nuages, tiennent une couronne de fleurs au-dessus de, sa tête, et deux autres, placés plus bas, semblent aider sa marche vers le ciel. La partie inférieure contient un bel écusson écartelé au 1er et au 4e de Lorraine, au 2e de Clèves et au 3e de Bourgogne moderne, encadré dans une cordelière présentant un double nœud à chacun des angles, un nœud simple vers le milieu, et, derrière l'écusson, une crosse est placée en pal avec sa volute tournée a gauche; le tout est supporté par deux larges palmes qui se croisent.

Telle était la célèbre abbaye qu'a renversée la révolution de 1792. Au milieu des ruines de l'ancienne église abbatiale, la clef de voûte du grand portail du nord porte encore le chiffre de Marie très-bien conservé, qui semble dire à tous que Marie protège ces ruines et qu'elle appelle la restauration du magnifique sanctuaire dédié a sa glorieuse Assomption. En effet, seule de toutes les grandes abbayes de filles qui florissaient autrefois dans le diocèse de Meaux et même dans toute la France, Jouarre est de nouveau sortie de ses ruines. Après un espace de près de cinquante ans, les dames bénédictines de la congrégation du Saint-Coeur de Marie vinrent reprendre possession de l'ancien monastère, le 8 septembre 1837. En arrivant, elles ne jouissaient que d'un seul pavillon des bâtiments claustraux. Peu à peu, a force de sacrifices, elles ont pu acquérir tout ce qui était encore debout, avec les ruines de l'église et de l'ancien chapitre; de sorte qu'aujourd'hui la montagne, séjour de sainte Telchilde et de sainte Aguilberte, retentit encore des cantiques sacrés des vierges, filles de Marie immaculée. La règle de saint Benoît prépare encore de nouvelles générations de saintes, et les nouvelles religieuses, rivalisant avec leurs devancières, feront de Jouarre un sanctuaire d'amour et de dévouement pour l'auguste Mère de Dieu.

Source : Notre-Dame de France, ou, Histoire du culte de la Sainte Vierge en France par André Jean Marie Hamon 1861.

photo pour Abbaye Notre-Dame-de-Jouarre

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 125567
  • item : Abbaye Notre-Dame-de-Jouarre
  • Localisation :
    • Ile-de-France
    • Seine-et-Marne
    • Jouarre
  • Adresse :
    • 6 rue Montmorin
    • rue de la Tour-de-l'Abbaye
    • rue de l'Abbaye
  • Code INSEE commune : 77238
  • Code postal de la commune : 77640
  • Ordre dans la liste : 1
  • Nom commun de la construction :
    • La dénomination principale pour cette construction est : abbaye
  • Etat :
    • L'état actuel de cette construction ne nous est pas connue.

Dates et époques

  • Périodes de construction : 2 différentes époques marquent l'histoire du lieu.
    • 12e siècle
    • 18e siècle
  • Enquête : 1992
  • Dates de protection :
    • 1840 : classé MH
    • 1980/05/19 : classé MH
    • 1998/09/09 : inscrit MH
  • Date de versement : 1993/06/24

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice : 2 formes de décor sont présentes :
    • décor stuqué
    • sculpture
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Interêt de l'oeuvre : Crypte : 18 04 1914 (J.O.) . Inscription 23 02 1953 (façades et toitures de certains bâtiments) (arrêté) annulée.
  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :
    • Notre base de données ne comprend aucun élément particulier qui fasse l'objet d'une protection.
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • Cette construction a été affectée a l'usage de : couvent

Autre

  • Divers : 2 informations diverses sont disponibles :
    • propriété d'une association
    • propriété d'une personne privée 1992
  • Photo : 40290842be42424d4cf834aa696c0051.jpg
  • Détail :
    • Crypte : classement par liste de 1840 - Tour-clocher
    • première travée de la nef de l'ancienne église
    • restes du cloître
    • aire de l'ancien cloître avec les vestiges qu'il peut renfermer
    • les côtés ouest et sud du cloître (cad. AE 271 à 275, 315, 316) : classement par arrêté du 19 mai 1980 - Ensemble de l'abbaye, y compris ses sols (cad. AE 206 à 214, 269, 270, 273, 276, 333, 334) : inscription par arrêté du 9 septembre 1998
  • Référence Mérimée : PA00087037

photo : Lumière du matin

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photo : webmaster

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