Prieuré

Un de nos amis se met un jour, avec sa famille, en route pour Taluyers, dans le dessein d'y contempler « le cloître de l'abbaye », par le soleil couchant - ainsi que le lui avait montré un beau lavis à la sépia, dans l'album d'un camarade.

La troupe fait le tour du village, accordant un coup d’œil aux tronçons du vieux rempart et à une maison forte d'assez bon aspect ; admirant, comme elle le mérite, la belle tour romane de l'église, le chœur et la coupole ; plongeant, par le portail entr'ouvert, un regard satisfait sur les bâtiments du prieuré dont une partie est affectée au presbytère. Mais d'abbaye, de cloître, point. On prend alors le parti de s'informer dans une des boutiques de la place.

La maîtresse du lieu est d'abord embarrassée, prétendant qu'elle ne connaît pas d'abbaye à Taluyers. Puis, se ravisant : « Il y a bien un couvent, si c'est cela que vous appelez une abbayre. Ce doit être cela, » répondent en choeur les chercheurs. Et, partant aussitôt dans la direction indiquée, ils se trouvent devant le château seigneurial, bonne maison bourgeoise, occupée par des soeurs de Saint-Charles.

Décidément, c'était à donner sa langue aux chats. La caravane reprend le chemin de Lyon, et c'est seulement, en entrant à la station de Saint-Laurent-d'Agny, que le chef de l'expédition s'explique sa déconvenue. En effet, il lui revient alors par un de ces retours lumineux dont le ciel se plaît à nous éclairer après nous avoir laissés longtemps patauger que l'aquarelle devait représenter non Taluyers en Lyonnais, mais Talloire en Savoie !

Si déçu qu'ait été notre ami, vous avez pu vous apercevoir qu'il n'avait pas encore été trop malheureux dans sa visite. L'église est des plus intéressantes et le prieuré, quoique fort maltraité, offre un précieux spécimen de l'architecture du moyen âge.

A la veille de l'an mille, une noble dame avait donné à Odilon, abbé de Cluny, plusieurs fonds de terre, sis à Taluyers, pour y établir un prieuré. Une autre version veut que la donation émane de Rodolphe le Fainéant, roi de Bourgogne, et reporte le fait à l'an 1022. Le choeur de l'église et le clocher remontent, sinon à cette période de fondation, au moins au XII^e siècle ; la nef a été reconstruite vers 1730. Quant aux bâtiments d'habitation, encore existants, ils sont du XIV^e siècle.

Taluyers possédait un hôpital pour les pauvres passants. Cet établissement fut réuni, ainsi que ceux de Brignais et de l'Arbresle, au grand Hôtel-Dieu de Lyon, le 13 juillet 1696, mais le bâtiment subsiste sur une place qui porte encore le nom de l'Hôpital.

Il y avait aussi une chapelle de Sainte-Maxime, maintenant désaffectée, dont les origines restent assez mystérieuses. Un sarcophage gallo-romain est adossé à la muraille. Faut-il voir un rapport entre la présence de ce tombeau et le vocable de la chapelle ? Le monument, de forme circulaire, pourrait bien être du XI^e siècle.

L'église s'est dessaisie, de plusieurs objets précieux, dont l'un, au moins, n'est pas perdu pour la curiosité publique. C'est un cippe antique dont le dessus avait été Creusé à usage de bénitier et qui figure à présent au musée lapidaire de Lyon. L'inscription nous apprend que le monument fut dédié par Restiola « à la mémoire éternelle de Cassia, sa mère très affectionnée ».

Un autre objet, d'un genre infiniment plus rare, était un rétable en bois sculpté du XI^e siècle, dit-on, mais plus probablement du XIII^e ou XIV^e qui a été vendu à un brocanteur, pour la somme de soixante francs ! Même sort a été réservé à une de ces armatures appelées, dans nos campagnes, du nom de jubé, et qui, traversant d'un côté du choeur à l'autre, supportent un crucifix. Celle-ci était, par exception, en cuivre. Elle a été donnée pour une somme qui ne représentait pas la moitié de la valeur vénale du métal.

La paroisse de Taluyers figure au nombre de celles qui sont appelées à bénéficier de la fondation d'Etienne Mazard, mort en 1736. Mazard était marchand chapelier à Lyon. Il a laissé, comme on sait, une somme de 150.000 livres à l'hospice de la Charité, dont la rente est affectée à la constitution de trente-trois dots, en faveur d'autant de jeunes filles pauvres. Trente-deux des bénéficiaires les mazardes, comme on les appelle doivent appartenir aux anciennes paroisses de Lyon, et une à celle de Taluyers. Le privilège de porter la croix, clans le défilé processionnel qui accompagne la cérémonie, appartient à la mazarde de Taluyers.

Source :

• Titre : Aux environs de Lyon
• Auteur : Bleton, Auguste (1834-1911)
• Éditeur : Dizain et Richard (Lyon)
• Date d'édition : 1892