Château et donjon de Gaston Phoebus

La fondation de Mauvezin se perd dans cette obscurité du moyen-âge où l'homme, livré tout entier aux prouesses de la force brutale, élevait et détruisait châteaux et dynasties sans prendre soin de laisser la date de ses établissements ou de ses désastres.

Quelques traités de paix, quelques récits de guerre renferment le nom de Mauvezin, dès le commencement du XIe siècle, et son architecture prouve assez qu'il ne remonte pas au-delà de cette époque. Son style massif, sa lourdeur cyclopéenne digne des fortifications primitives de la féodalité, doivent nous faire chercher son fondateur parmi les premiers seigneurs du Bigorre, et le faire considérer comme une des forteresses types qui furent construites en pierre, à la place des campements de terre et de bois dont nous avons donné la description en parlant du comté d'Astarac.

Dans le vaste quadrilatère de Mauvezin, contemporain des tours de Montaner et de Lourdes, tout est empreint de ce caractère exclusivement belliqueux et barbare, approprié aux repaires inexpugnables des dominateurs du XIe siècle. Renfermés dans leur donjon, comme les vautours sur leurs rochers, ces hommes, constamment en guerre, étaient peu soucieux de procurer à leur corps robuste et endurci les commodités intérieures d'une existence facile ; l'épée au poing, et à cheval, ils préféraient chercher au loin des bêtes fauves à poursuivre, des voyageurs et des populations à rançonner. Si nous remontons à ces temps reculés, où les capitaines de routiers entraient dans leur repaire par une fenêtre élevée comme le grand-duc pénètre dans son trou, le castel de Mauvezin ne nous offrira pas une seule pierre, pas un seul ornement sur lesquels l'art et l'industrie aient essayé de sculpter une pensée bienveillante ou gracieuse.

Quand on aperçoit la forteresse, on se croit transporté devant celle de Montaner, tant l'ensemble et les détails des deux constructions présentent de points de ressemblance. Le donjon carré, quoique moins colossal, construit en petit appareil, et non en brique, offre le même cachet d'antiquité; la même saillie au centre de la courtine la plus facilement attaquable. Le colosse battu par la tempête qu'il brava si longtemps, s'est vu découronné de sa toiture, et n'a conservé que le cachot souterrain et voûte où gémirent tant de victimes. C'est à peine si l'on aperçoit la trace du plancher de la salle d'armes supérieure, où les chevaliers faisaient prouesses d'escrime, récits d'aventures et de galanterie. La salle à coucher qui la surmontait, et dans laquelle les compagnons s'étendaient sur leurs lits de camp, à demi armés, roulés dans une simple couverture, a partagé le sort du plancher inférieur. Il n'est pas jusqu'aux fenêtres qui n'aient été privées de leurs encadrements, comme pour nous dérober un moyen précieux de dissiper le vague qui règne sur l'origine de la forteresse. La seule lucarne que son extrême hauteur a préservée de cette destruction est de forme carrée et garnie de barres de fer. Cependant, malgré des mutilations réitérées qui enlevèrent à l'édifice la majeure partie de son caractère, nous n'hésitons pas à lui donner pour date le XIIe ou le XIIIe siècle. Il faut remarquer, en effet, que si l'enceinte des murailles forme un carré long, au lieu d'imiter la circonférence des châteaux de Montaner et de Gisors, elle n'en est pas moins consolidée par des contreforts extérieurs de deux mètres de saillie; les parapets conduisent dans la tour par deux portes d'accès, seul moyen de pénétrer dans ce refuge inexpugnable; l'intérieur de la cour, enfin, ne présente qu'une citerne centrale, construite en pierre de taille. Comme on ne distingue aucun débris de bâtiments logeables, il est évident que la garnison habitait sous des abris provisoires en forme de hangar, pendant que le chef logeait dans les salles hautes du donjon.

Par quelle issue pénétrait-on à cette époque dans l'enceinte de Mauvezin ? Une ouverture informe, pratiquée dans la courtine, au sud du donjon, semblerait indiquer qu'on y accédait à l'aide d'une échelle, et il ne serait pas impossible que la porte principale, ouverte un mètre au dessous, et munie d'un pont-levis, eût été pratiquée à l'époque de Gaston Phébus (XIVe siècle). Nous devons ajouter, dans tous les cas, que cette porte fût réparée et complétée par cette illustre vicomte, restaurateur de tant de châteaux forts; l'écu des armes de Béarn et de Foix, incrusté dans la pierre, comme à Montâner, l'inscription "Fébus mé fé" (Fébus me fit) semblable à celle du donjon de Pau, ne permettent pas de le mettre en doute.

Il ne faut pas l'ignorer, d'ailleurs ! les premiers châteaux féodaux furent une imitation plus ou moins perfectionnée des oppida romaines; celles-ci prenaient presque toujours la forme carrée et renfermaient un castellum (ou château fort), adossé à une partie du rampart, et destiné à servir de dernier refuge à la garnison. Conformément à ces principes militaires, les enceintes de tous les châteaux des Pyrénées, à l'exception de celle de Montaner, adoptèrent, autant que les localités le permirent, la forme quadrangulaire, et le donjon s'éleva au centre de la courtine la plus exposée. Ce ne fut qu'au XIVe et au XVe siècles qu'on le construisit à quelque distance des murailles, de manière à l'isoler par un chemin de ronde intérieur. Ceux de Beaucens, de Lourdes, de St-Béat et de Montespan appartiennent à cette seconde classe.

Nous devons faire observer aussi que le château de Mauvezin ne fut pas, du moins au XIIe siècle, la forteresse d'un simple vassal; il eut toujours le titre de château comtal, comme ceux de Lourdes, d'Orthez et de Montaner. Les comtes de Bigorre ou les vicomtes de Béarn y entretenaient un capitaine avec sa compagnie, afin de surveiller cette partie de la frontière. Or, les hommes de guerre de cette époque ne se faisaient pas remarquer par la justice des procédés, et la sévérité de la discipline; aussi, le souvenir d'un repaire de pillards, de mauvais voisins ; tour à tour, Gascons, Anglais et Bigordans, a-t-il survécu à la forteresse à demi détruite. Quand le castel n'a plus été le refuge de ces hommes au cœur de fer, la légende l'a peuplé de sorciers et de revenants; elle y a placé le sabbat des hantaoumos; les contes infernaux ont remplacé ou, pour mieux dire, complété les chroniques féodales; et le castel, doublement maudit, a vu l'habitant du bourg se venger de ces terreurs séculaires en venant saper ses épaisses murailles, et dérober ses matériaux. Mais négligeons les traditions vulgaires, et revenons à l'histoire.

Quels furent les événements principaux, les siéges les plus mémorables dont ces remparts furent les témoins?

Esquivat, comte de Bigorre, menacé par Gaston de Béarn, veut se mettre sous le patronage du roi d'Angleterre, Henri III; la protection de ce prince vindicatif, irrésolu, ne peut intimider le vicomte de Béarn. Gaston envahit le comté de Bigorre; plusieurs seigneurs embrassent son parti; d'autres demeurent fidèles à Esquivat, notamment les habitants de Tarbes, de Maubourguet et de Mauvezin. Cependant, Esquivat, pressé vigoureusement par son ennemi, fit donation de ses domaines à Simon de Monfort, son parent; mais Roger, comte de Foix, appelé à juger le différend, ménagea une transaction à la suite de laquelle Esquivat dut donner plusieurs otages à Gaston; Mauvezin figura parmi les châteaux cédés en cette circonstance ... On était en 1254. Le comte de Foix, qui ne voulait pas perdre ses peines, paya, lui-même, ses vacations d'arbitre, en accordant sa fille au comte de Bigorre, après avait hypothéqué sa dot de 25000 sols, et son douaire de 20000, donné par son mari, sur le château qui nous occupe.

Peu de temps après, le faible Esquivat sanctionnait la donation faîte imprudemment à son oncle, Simon de Monfort, en s'obligeant à lui remettre cette forteresse et celle de Lourdes. Il espérait que sa parenté le mettrait à l'abri de l'accomplissement de cette condition onéreuse; mais la générosité triomphe rarement des exigences de l'ambition; et le grand oncle se hâta de prendre possession des garanties promises par son neveu.

Bientôt Philippe-le-Bel, profitant des dissensions du Bigorre, dont Constance de Béarn, la vicomtesse de Turenne, Mathilde de Thiet, Guilhaume de Teisons et Mate, comtesse d'Armagnac, se disputaient la possession, revendiqua le comté, et le fit saisir par Jean de Long-Perrier, lieutenant d'Eustache de Beaumarchais, qui arbora la bannière de France sur les châteaux de Vic, de Tarbes, de Bagnères et de Mauvezin. Cependant le roi de France, dont la vie agitée mettait les finances en grand appauvissement, se vit obligé de céder ce castel au vicomte de Castelbon, oncle de Phébus, vicomte de Bigorre, en nantissement d'une misérable somme de 500 livres C'est à partir de cette date que Mauvezin, mis en relief par cette affaire d'usure, joue un rôle historique assez important, grâce à la désastreuse domination des Anglais, dans le midi ... Sa forte position lui assurait naturellement une part active dans cette lutte des deux nationalités. Tour à tour pris et repris, il servit de but aux efforts les plus héroïques, de théâtre aux exploits les plus sanglants.

Enlevé au vicomte de Castelbon par les Anglais, dès les premiers temps de leur invasion, il fut le premier de ceux que le duc d'Anjou attaqua vigoureusement dans son expédition du Bigorre. Le duc ayant confié à Duguesclin le soin de faire le siège de Lourdes, se réserva l'honneur d'attaquer en personne le château de Mauvezin, défendu pour le compte des Anglais par le brave capitaine Raymond de l'Épée. Le duc d'Anjou, comprenant qu'il ne pouvait emporter la place d'emblée, assit son camp sur les bords de l'Arros, près des arbres séculaires qui ombrageaient de gras pâturages, et laissa ses chevaliers, impatients de se mesurer avec les Anglais, faire, comme dit Froissard : "escarmouches et faits d'armes aux barrières du castel, courses et envahies, apperties et beaux coups de lances". Garcis Duchâtel, un de ses capitaines, poussa ses prouesses jusqu'au fort de Trigalet, situé au sud-ouest de Mauvezin. Cinq assauts consécutifs ne purent ébranler ni ses murailles, ni la résolution de l'intrépide Bastol de Mauléon, chevalier gascon, qui les gardait au nom du seigneur de Labarthe.

Malgré la détresse à laquelle la garnison était réduite, Garcis eut quelque peine à faire consentir Bastol, à accepter une capitulation honorable. Ce dernier finit, cependant, par rendre le château à condition qu'on laisserait ses troupes se retirer avec armes et bagages au château de Castelcueiller, sur les frontières du Languedoc. Mais en pardonnant aux hommes d'armes, on ne renonça pas à se venger du château de Trigalet ; ce complice de Mauvezin fut livré aux habitants du canton, qui s'empressèrent de le détruire de fond en comble.

Malgré cet échec du parti anglais, Raymond de l'Épée aurait continué à défendre les imprenables murailles de Mauvezin, si, au dire de Froissard, « la douce eau ne leur eût failli » les Français s'étant emparés d'un puits extérieur qui alimentait la place ; les horreurs de la soif tourmentèrent la garnison sous un ciel embrasé. Il fallut songer à poser les armes. Raymond de l'épée obtint un sauf-conduit pour se rendre dans le camp du duc; et ce dernier eut la générosité de lui permettre d'emporter tout ce que ses compagnons pourraient placer sur eux et sur leurs bêtes de somme. Raymond, en véritable chef de compagnie franche, ne voulait rien perdre de ce qu'il avait gagné honorablement, l'épée à la main, en affrontant les plus grands dangers. Or, le mot honorablement pouvait se traduire en cette circonstance, par celui de violemment, à l'aide de touts les massacres, rapines, incendies, trahisons, seul droit de la guerre de cette époque; et pour ne pas laisser mettre en doute la nature de sa bravoure intéressée, Raymond s'attacha immédiatement au duc d'Anjou, et continua sous les fleurs de lys françaises le pillage qu'il avait longtemps exercé sous le léopard anglais.

C'était un moyen fort ordinaire, alors, de dérober par St-Georges ce qu'on n'avait pas achevé de prendre par St-Denis, et de remplir jusqu'à la gorge les deux poches de la besace

Cependant, le duc d'Anjou ne voulut pas confier la garde du château à celui dont la conversion lui paraissait un peu brusque ; il en remit la garde au chevalier bigordan Chicar de Lupériëre; en enleva la propriété au vicomte de Castelbon, afin de le punir de son attachement au parti anglais, et la transmit, selon Froissard, au vicomte de Béarn, et d'après les archives du château de Foix au comte d'Armagnac.

Le Bigorre et le château de Mauvezin n'avaient pas épuisé les péripéties de ces changements de maître. Séquestrés par Philippe-le-Bel, ils furent rendus à Gaston de Foix par Charles VII, vers 1425, en récompense de l'empressement que le valeureux chevalier avait mis à venir à Issoudun, aux ordres du roi de France, commander l'armée destinée à combattre les Anglais. Ce n'était pas d'ailleurs la seule place que le comte possédât dans cette contrée; Froissard nous dit « qu'emmy landesbourg, sied le chatel de Lannemezan qui est au comte de Foix; » mais tout a disparu depuis bien des années; l'emplacement seul est assez facile à reconnaître. La petite chapelle romane de Lannemezan dont nous avons déjà parlé s'élevait à cinquante pas au levant du pont-levis.

Plus tard, lorsque la maison de Béarn se trouva confondue avec celle de Navarre, le château de Mauvezin fut occupé par le capitaine de Sus (1584). Le fougueux huguenot part de là pour faire sa honteuse expédition de St-Bertrand. La trahison, le pillage, la cruauté marchent à sa suite. Il s'empare de la capitale du Comminge par la ruse et le mensonge; il extorque aux habitants une écrasante contribution et rapporte à Mauvezin le produit de son pillage.

Cinq ans plus tard, les religionnaires sortent encore de Mauvezin, et dirigent une nouvelle attaque contre St-Bertrand. Ils y pénètrent par la trahison, exercent le massacre et la déprédation sur une plus vaste échelle, et retournent à Mauvezin se partager le fruit d'un brigandage teint du sang des prêtres et des bourgeois.

Après cette dernière expédition, la redoutable forteresse disparaît de la scène, et son nom, tombé dans l'oubli, n'est plus prononcé.

A quoi faut-il attribuer ce silence ? Au progrès de la domination française qui s'appuya sur les abbayes et sur les communes, afin de porter le dernier coup au morcellement féodal.

La monarchie et l'église, liguées contre la féodalité et les sectes religieuses, achevèrent sous Henri IV et Louis XIII de détruire l'influence des châtellenies ; elles y substituèrent celle des villes, véritables centres des nouvelles, franchises administratives et politiques.

Tous les anciens boulevarts d'un despotisme barbare, pris successivement par les armées des premiers Bourbons, furent livrés aux paysans et aux bourgeois qui les traitèrent comme ils avaient traité celui de Trigalet. Les plus respectés furent privés de garnisons et devinrent le domaine des orfraies, des renards et des chauves-souris Tel fut le châtiment du donjon de Mauvezin; nous nous félicitons qu'il ait été conservé comme un témoignage frappant de la violence et de la grossièreté des mœurs de l'élément germanique.

Source : Voyage archéologique et historique dans l'ancien comté de Bigorre Par Justin Édouard M. Cénac-Moncaut en 1856.

photo pour Château et donjon de Gaston Phoebus

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 105934
  • item : Château et donjon de Gaston Phoebus
  • Localisation :
    • Midi-Pyrénées
    • Hautes-Pyrénées
    • Mauvezin
  • Code INSEE commune : 65306
  • Code postal de la commune : 65130
  • Ordre dans la liste : 1
  • Nom commun de la construction : 3 dénomiations sont utilisées pour définir cette construction :
    • château
    • fort
    • château fort
  • Etat :
    • L'état actuel de cette construction ne nous est pas connue.

Dates et époques

  • Périodes de construction : 3 différentes époques marquent l'histoire du lieu.
    • 13e siècle
    • 14e siècle
    • 15e siècle
  • Date de protection : 1941/12/22 : inscrit MH

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • non communiqué
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :
    • Un élément répertorié fait l'objet d'une protection : donjon
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • non communiqué

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : propriété d'une société privée château et donjon de gaston phoebus type inscription par arrêté du 22 décembre 1941 1992
  • Photo : af8e0a9739ccac7ac7a7bc2fb788ebb2.jpg
  • Référence Mérimée : PA00095398

photo : Monique c

photo : Monique c