Mont Saint-Michel, Histoire et légendes anciennes

La plupart des choses curieuses ou belles ne nous frappent que par comparaison : elles sont au-dessus ou au-dessous de ce qu'on connaît. Le mont Saint-Michel, dès le premier aspect, lointain ou rapproché, produit l'impression d'une chose extraordinaire : on n'a rien vu de semblable. Pour les uns, c'est monstrueux ; pour d'autres, c'est sublime ; pour tous, c'est étrange, c'est une merveille.

Mais cette admiration n'est pas une rapide surprise : cette profonde impression se justifie et se confirme par l'étude ou la contemplation des divers éléments de sa beauté, la grandeur de la scène, la force et la magnificence de l'architecture, la poésie de l'histoire. Puis, lorsqu'il apparaît sous toutes ses faces, comme site, montagne sur les sables ou dans les flots, roi solitaire de la nature, « nature's hermit king ; » comme asile religieux, le « palais des anges», dit le moine chroniqueur qui l'aima tant ; ou comme atelier littéraire, « la ville des livres ; » comme village suspendu aux flancs de la pyramide, « pendula villa » ; comme place de guerre qui garda le drapeau de la France, abattu dans toute la province ; comme un monde monumental, harmonieuse réunion de toutes les formes de l'art chrétien ; comme prison aux cavernes toujours peuplées, ou enfin comme un sublime piédestal pour se rapprocher du ciel, alors on se reconnaît en présence d'un objet, j'allais dire d'un être, qui subjugue l'esprit tout entier.

Cet intérêt que le mont Saint-Michel offre dans ses grands éléments, il ne le perd même pas dans les détails. Avant de parcourir ses monuments, il faut parcourir ses merveilleuses origines. Son histoire plonge ses racines dans la légende ou le vrai poétisé, et le merveilleux l'enveloppe même jusque dans les temps modernes. C'est une épopée naïve racontée encore par fragments par la tradition et fidèlement conservée dans son ensemble dans le cartulaire de l'abbaye. Cette histoire primitive ne peut s'écrire qu'avec la simplicité et le coloris de ses chroniques.

Histoire et légendes anciennes

Au temps où la nation des Francs avait dompté la tête des superbes, sous Childebert, le bienheureux Michel, l'archange, un des sept qui sont toujours debout devant le Seigneur, et qui introduit dans la région de la paix les âmes sauvées, s'offrit à l'adoration sur le mont Gargan (monte di Sant-Angelo). L'archange affectionne les cimes de la terre sur lesquelles il succéda à Jupiter, et presque tous les pics isolés, jadis des monts Jou, sont aujourd'hui des monts Saint-Michel. Quand les nations latines de l'Orient eurent été illuminées par l'archange, il élut, pour le même objet, un lieu dans les contrées occidentales, dans une province déjà prédestinée.

Si bonne n'étoit Normandie Saint Michel n'y seroit mie.

C'était un lieu jadis, dit-on, appelé mont Jou, et alors Tombe ou les Tombes, à cause du rocher voisin qui a gardé ce nom au diminutif, Tombelaine (mons ad duas Tumbas), ou comme disent encore de vieilles poésies de pèlerins espagnols, A las duas Tombas. Émergeant du sein des sables ou des flots, en forme de tombeau, s'élevant à cent cinquante pieds, ceint de trois rivières, le Coesnon, la Sélune et la Sée, il rappelle, dit-on, la forme et les dimensions de l'arche. Distant de trois lieues d'Avranches, le point d'où il faut surtout le contempler, il est placé à la limite de la Normandie et de la Bretagne. Les Bretons prétendent même qu'il a été chez eux, et rappellent avec dépit le déplacement de la rivière qui sert de limite :

Le Coesnon par sa folie A mis le mont en Normandie.

Cette cime solitaire, pyramide du désert ou île de l'océan, était prédestinée à la prière. Par son retrait, la mer deux fois par jour offre une route aux pèlerins de la foi ou de la science. Une tradition antique l'entoure d'une forêt dite de Sciscy ; c'était un bois du littoral ou du fond de la baie, puisque les chroniques le mettent à six milles de l'océan, et établissent que le mont Tombe était dans la mer (inpelago). Un des poètes du monastère au XIIe siècle, en l'appelant la forêt de Quokelunde,

Dunt grant bruit est par le munde,

c'est-à-dire terre des coques ou voisine des coques, suppose les grèves, ce désert dont la coque est la manne, à peu près dans l'état actuel. Il y a même sur ces temps et sur cette forêt une légende purement populaire qui ne manque ni de poésie ni de grandeur. Alors que la forêt de Sciscy était peuplée d'ascètes, Satan, déguisé en solitaire, s'y rendit pour surprendre leurs âmes. Mais l'archange du mont Tombe accourt pour défendre les hommes de Dieu. Il se trouve face à face avec Satan, qui, reconnu et provoqué, accepte la lutte avec son ancien vainqueur, et convient avec lui que toutes ces âmes seront à celui qui bâtira le plus bel édifice dans l'espace d'une nuit. Satan élève le monastère que l'on voit encore aujourd'hui, et saint Michel bâtit sur Tombelaine un palais de cristal. Le démon se reconnaît vaincu par cette merveille qui étincelle aux premiers feux du jour ; mais l'archange, feignant de consoler sa défaite, lui propose d'échanger leurs palais. Satan accepte avec joie, mais c'est pour assister à l'affaissement progressif, sous les rayons du soleil, de ce palais de glace dont le flot de la mer vint balayer les derniers débris. Cette légende est complétée par une autre qui semble vouloir expliquer les mouvements apparents de cet édifice « au péril de la mer, » battu par les vents et les orages, et dont les tours et les tourelles semblent osciller au souffle de la tempête.

Dans un village de la côte se remarque un bloc de granit qu'on appelle la Pilière. Lorsque le démon voulut jeter les fondements de son palais sur le mont Tombe, il alla dans la forêt de Saint-Sever, alors remplie de ces menhirs de l'idolâtrie, dont il reste encore un spécimen étonnant. Satan en prit trois pour former les pierres angulaires, et, en jetant deux dans un sac, il en chargea ses épaules, puis saisissant l'autre avec ses griffes, il s'achemina vers son but ; mais, arrivé à la Pilière, il ne put porter plus loin la pierre qu'il tenait à la main et la laissa là, où elle s'enfonça dans le sol. On voit encore les sillons que sa griffe y creusa. Posé uniquement sur ces deux fondements, le mont Saint-Michel est resté chancelant sur sa base, et il n'est pas rare de le voir trembler et osciller comme un vaisseau battu par l'ouragan.

Une autre légende ou miracle est racontée, avec les dimensions d'un poème, dans un manuscrit de l'abbaye, et abrégée dans une version du XVe siècle : c'est celle du Bouclier et de l'Épée : « Eu ceste église sont deux enseignes comme de bataille, lescu ennobly de signe de la croix et lespée en manière de glayve.... Oultre lAngleterre en Ebernie, où regnoit un roi nommé Elga, avoit un serpent orgueilleux.... Levesque ordonna d'aller essaier à chasser le dit serpent.... Les clercs portoient les croix banières vers la beste qui estoit grande comme le faite dune montaigne.... Ils assaillirent faisant très grands cris.... Adoncques il demeurait immobile comme celui qui jà esloit mort.... Et ils trouvèrent auprès un escu et une espée.... Mons Saint Michiel apparut à levesque et lui dist qu'il avoit tué la beste.... Tu evesque de Dieu envoie ces enseignes au mont qui est consacre en noustre nom. Il envoya quatre de son territoire et ils entendirent parler de mont de Gargane et se mirent en la voie, mais ils labouroient en vain, et ne pouvoient venir où ils tendoient, et a minait sapparut une grand clarté et ils entendirent : Vous avez à aller au mont Saint-Michel que on appelle mont Tombe.... Et ils y offrirent lescu et lespée. »

Les cénobites de ce lieu bâtirent deux oratoires, à saint Etienne et à saint Symphorien. Ils existaient encore au XIIe siècle ; mais il ne reste plus de vestiges du premier : la fontaine Saint-Symphorien, « si guérissable aux yeux, » qui coule au travers de la grève, est l'unique souvenir du second. Ces moines étaient nourris par Dieu même. Un prêtre d'une villa voisine, nommée Austriac, aussitôt qu'une colonne de fumée s'élevait du mont Tombe, chargeait un âne « de mets préparés avec prédilection, » et, précédé d'un guide invisible, l'animal allait par des sentiers sauvages. Mais un jour un loup mangea l'âne et soudain il se chargea lui-même des bagages et ne cessa depuis de remplir son service.

Cependant la mer, « cette perturbatrice des royaumes, dont les îles sont les filles, » comme dit l'Écriture, dans l'année 709 envahit la forêt et la réunit à la grève ...

Source : Itinéraire descriptif et historique du voyageur dans le mont Saint-Michel par Édouard Le Héricher 1857.

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies

photo : Pascal-Jean Rebillat photographies