Château de Forbin (ruines)

On a beaucoup écrit sur les abus de la féodalité, sur la tyrannie des seigneurs, sur les prérogatives de la noblesse. Mais il est un fait sur lequel l'attention des historiens ne s'est peut-être pas assez arrêtée : c'est la constante résistance des vassaux, c'est la lutte persévérante du tiers-état, qui commence au moyen-âge par la révolution communale, se poursuit, sourde et patiente, pendant plusieurs siècles et triomphe enfin, en 1789.

J'ai été surpris, en parcourant les archives d'un grand nombre de communes rurales, de rencontrer partout le même esprit d'indépendance, partout les mêmes efforts pour échapper à la juridiction du seigneur et aux innombrables redevances féodales, encore exigées aux derniers jours de l'ancien régime.

Pris isolément, les vassaux n'étaient rien et ne pouvaient rien ; ils étaient en quelque sorte à la merci du seigneur ; mais quand ils s'entendaient entre-eux, quand le seigneur ne parvenait pas à susciter des divisions dans le conseil communal, ils avaient la force irrésistible de l'association ; alors ils devenaient redoutables ; ils tenaient en échec le pouvoir du seigneur, fut-il comte, marquis ou prince du sang. Ils plaidaient, ils se faisaient écouter du souverain lui-même, et ils obligeaient ainsi les seigneurs à composer avec eux. Si ces moyens ne réussissaient pas ils attendaient patiemment que le hasard de la naissance leur donnât un seigneur débonnaire ou dépensier, pour terminer le différend à prix d'argent et racheter les droits féodaux au moyen d'une somme une fois payée ou d'une rente. C'était-là leur suprême ressource. Malheureusement tous les seigneurs n'étaient pas disposés à céder leurs droits, et il arrivait aussi que les communes n'étaient pas autorisées à faire de trop grands sacrifices pour cet objet, le gouvernement ayant intérêt à ménager la fortune des contribuables, pour assurer la rentrée de l'impôt.

La communauté de Solliès, après avoir plaidé pendant plusieurs siècles contre les sieurs de Forbin, fut sur le point d'acquérir leurs droits utiles et honorifiques, moyennant 230 000 livres, mais le roi ne voulut pas permettre une pareille dépense. Il fallut continuer la lutte, qui avait commencé dès le XVe siècle et qui ne devait finir qu'en 1789.

C'est l'histoire de cette lutte de 400 ans, entre les bourgeois de Solliès et les sieurs de Forbin, que je vais essayer de raconter.

Situation

Solliès est un ancien bourg situé à 13 kilomètres de Toulon, sur le sommet d'une très haute colline.

Au pied de cette colline, dans une plaine magnifique, arrosée par les eaux du Gapeau, sont groupés trois villages : Solliès Pont, Solliès-Farlède, Solliès-Toucas et trente hameaux plus ou moins importants.

Toutes ces agglomérations se sont formées au détriment du vieux Solliès, avec l'appui des sieurs de Forbin, qui favorisaient la désagrégation de l'ancienne communauté, dans le but de l'affaiblir et d'en avoir plus facilement raison. Les Forbin eux mêmes descendirent dans la plaine et s'y établirent vers la fin du XVIe siècle, lorsque l'incendie, allumé par les bourgeois révoltés, eût détruit leur antique castel.

Mais avant d'arriver à cette époque de la lutte, il convient de jeter un regard rétrospectif sur l'histoire de Solliès.

Au commencement du XIe siècle, le castellum et le territoire de Solliès appartenaient, par indivis, au comte de Provence, au vicomte de Marseille et à divers particuliers. Par deux actes, de 1038 et 1044, le comte et le vicomte cédèrent leurs droits à l'abbaye de Saint-Victor, et celle-ci en fit abandon, en 1116, à ses copropriétaires, en échange d'une partie du village de Nans. En l'an 1202, le noble Raymond légua un quart de la seigneurie de Solliès à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, et le surplus du fief fit retour un peu plus tard au domaine des comtes de Provence.

Pendant ces nombreux changements, les habitants de Solliès avaient conquis certaines libertés communales. Ils profitèrent des troubles qui survinrent après la mort de la reine Jeanne, pour se soustraire à l'autorité du bailli royal ; ils s'assemblèrent sans son autorisation, établirent des impôts dont le produit fut affecté à réparer les murs de la ville, et refusèrent de payer les taxes qui leur étaient réclamées par les officiers de la viguerie d'Hyères.

Au lieu de punir les rebelles, ce qui eut été dangereux dans ce moment d'agitation générale, la reine Marie, mère et tutrice de Louis II, préféra leur pardonner. Elle fit plus, elle leur accorda, par une charte du 27 février 1385, le droit d'élire librement et impunément (liberé et impunè), deux syndics et deux conseillers annuels, sous la condition de ne s'assembler qu'en présence et avec l'autorisation du bailli royal. Elle leur accorda, en outre, le droit de tenir une foire annuelle et un marché hebdomadaire ; enfin elle interdit aux officiers de la viguerie d'Hyères, de vexer les habitants de Solliès, sous le prétexte de faire réparer les chemins.

Voilà donc les habitants de Solliès en possession régulière de toutes les immunités municipales. Ils avaient en outre le bonheur, très-envié à cette époque, de ne relever que de l'autorité royale pour les trois quarts de la seigneurie. Mais ils perdirent bientôt ce précieux avantage. Le 27 mars 1394, la reine Marie vendit tous ses droits sur Solliès, à Jean Gonsalve de Morance, moyennant 6000 florins.

Gonsalve de Morance, qui était gouverneur militaire de la ville de Toulon, se fit représenter à Solliès par un bailli. Les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem y avaient déjà un représentant et le viguier d'Hyères pouvait y envoyer des officiers. En sorte que le pauvre bourg fut livré à une foule d'agents secondaires.

Ayant à obéir à tout le monde, les habitants de Solliès résolurent de n'obéir à personne. Le conseil communal résista aux ordres du viguier d'Hyères, protesta contre les abus de pouvoir du représentant des chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem et se mit en hostilité ouverte contre le bailli du sieur de Morance. Ce dernier déclara qu'il n'autoriserait plus aucune réunion du conseil jusqu'à ce que les habitants eussent fait acte de soumission .

Les bourgeois de Solliès ne se soumirent pas et le seigneur, fatigué de leur mauvais vouloir, finit par, abandonner la partie. Il se dessaisit des trois quarts de la Seigneurie, en faveur du comte de Provence, par un acte du 27 septembre 1424.

Sur la demande des Bourgeois de Solliès, le roi Louis II, comte de Provence, prononça la réunion du bourg au domaine royal ; « ce qui avait toujours été, - dit la charte de déclaration, - l'objet de leurs plus ardents désirs ».

Cette réunion semblait devoir être définitive. Elle était une condition essentielle de la cession faite par Gonsalve de Morance ; le roi y avait adhéré solennellement ; les syndics jouissaient des prérogatives réservées aux magistrats des villes royales ; les habitants ne relevaient que du bailli royal, ou plutôt du roi lui-même, et n'avaient plus à craindre les mille tracasseries des agents du seigneur particulier ; enfin, les officiers de la viguerie d'Hyères eux-mêmes, n'avaient plus rien à voir dans le lieu de Solliès, où résidait un représentant direct de Sa Majesté. Quel beau temps ! mais qu'il fut de courte durée !!..

La seigneurie de Solliès était une des plus enviées et, en effet des plus désirables, par la beauté du pays, l'importance du bourg, la valeur des terres et le produit des redevances féodales. Louis de Beauvau, fils du grand sénéchal de Provence, en sollicita la cession et le roi ne sut pas la lui refuser.

Grande fut la consternation dans Solliès, lorsque le viguier d'Hyères vint, muni d'une procuration en règle, signifier aux habitants d'avoir à obéir désormais au seigneur Louis de Beauvau, et à lui payer toutes les redevances féodales auxquelles le bourg était soumis.

On ne pouvait croire à un pareil malheur. Il fut décidé, dans un conseil général, composé de tous les chefs de famille, que les syndics se rendraient sans perte de temps à Aix, pour protester et demander l'annulation de cette vente.

Les députés de Solliès soumirent leur plainte au conseil royal ; ils déclarèrent que cette aliénation ne pouvait être faite sans violer la loi ; qu'elle serait en outre une violation de la foi jurée et ils demandèrent hautement aux juges de casser et annuler l'acte de vente (1er juin 1437).

Les juges, fort embarrassés sans doute, se bornèrent à donner acte aux syndics, de leur énergique protestation.

Les habitants de Solliès s'inclinèrent pour le moment, se réservant de profiter de toutes les occasions, d'employer tous les moyens pour se soustraire insensiblement à l'autorité seigneuriale. Et en effet, ils ne cessèrent pas de tendre vers ce but.

Mais ces essais d'indépendance furent facilement réprimés par Louis de Beauvau, élevé, peu de temps après, aux fonctions de grand sénéchal de Provence. Ce ne fut qu'après lui, que Jean de Beauvau, son frère, sentit assez vivement les résistances de ses vassaux, pour vouloir s'en débarrasser. Il vendit tous ses droits sur Solliès au sieur Palamèdes de Forbin.

Palamèdes de Forbin

Palamèdes de Forbin, président de la Cour des comptes à Aix, avait la réputation d'un homme énergique et rempli d'habileté. II en fit preuve, en effet, en négociant la réunion du comté de Provence à la France.

Les habitants de Solliès comprirent qu'ils avaient affaire à forte partie. Ils ne songèrent qu'à prendre toutes les précautions légales pour garantir leurs droits et immunités. Sur leur demande, le roi René, en ratifiant la cession faite par Jean de Beauvau à Palamèdes de Forbin, confirma « tous les dons, priviléges, franchises, libertés et faveurs, » concédés par lui ou ses prédécesseurs aux habitants de Solliès. 23 janvier 1468 lis prièrent ensuite leur nouveau seigneur de vouloir bien s'engager à respecter les libertés et immunités de la commune. Palamèdes de Forbin y consentit et délégua son frère Jean pour prêter le serment demandé.

Cette cérémonie eut lieu le 20 avril 1469, à Solliès, sur la place du Château, près du portail, et en présence d'un nombre considérable d'habitants. Jean de Forbin, agissant au nom de son frère, promit « aux syndics, conseillers et autres gens de bien représentant la communauté tout entière, de maintenir et observer les privilèges, statuts et libertés de la communauté, et il jura, sur les Saints Evangiles, de n'y contrevenir ni directement ni indirectement ».

Pendant quelques années le seigneur et les bourgeois de Solliès vécurent dans les meilleurs termes. Ils se ménageaient réciproquement. Il y eut même un moment où la protection de Palamèdes de Forbin, fit obtenir gain de cause à la communauté de Solliès contre le commandeur de Saint-Jean de Jérusalem, co-seigneur, pour un quart, du bourg et du territoire. Le bailli du commandeur avait assigné la communauté devant la cour de Rome pour avoir paiement d'une dette contestée par les habitants. Le roi René, sur la plainte de ces derniers, appuyés par le seigneur Palamèdes de Forbin, cassa cette procédure et interdit aux chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem de distraire les habitants de Solliès de leurs juges ordinaires. 28 mars 1479.

Après la mort du roi René, 10 juillet 1480, et celle de son neveu, Charles III d'Avignon, 11 décembre 1481, la Provence fut réunie à la France. Palamèdes de Forbin, qui avait été l'agent de Louis XI dans cette affaire, fut nommé gouverneur de la nouvelle province. Disgracié en 1483, par le successeur de Louis XI, Palamèdes se retira à Solliès, où sa mauvaise humeur se fit sentir par des abus de pouvoir. Ses vassaux perdant patience, et comprenant du reste que le moment était venu d'entrer en lutte, se révoltèrent contre ses prétentions exagérées et l'amenèrent à composition. Il transigea. Mais, encouragés par le succès de leurs premiers efforts, les vassaux n'exécutèrent pas les clauses du traité, et après divers troubles, M. de Forbin dût consentir à une nouvelle transaction. 7 octobre 1493.

Les griefs des habitants de Solliés étaient ceux-ci: « 1° Le seigneur, disaient-ils, usant d'un droit rigoureux, détient diverses propriétés confisquées par lui sans pitié ni miséricorde, sous prétexte de commise ; 2° il fait plusieurs criées tandis que son droit ne lui en permet qu'une seule par an ; 3° il s'immisce dans l'élection et la nomination des syndics et autres officiers communaux et il ne leur permet pas de régler entre eux leurs propres dépenses, ce qui est une atteinte aux coutumes et libertés de la commune ; 4° il augmente sans cesse ses réserves dans la forêt, au grand préjudice de la communauté et sans y avoir le moindre droit ; 5° enfin, sous prétexte de l'hommage prêté par les habitants, il soulève une foule de procès et veut ensuite leur faire supporter les frais de ces procès provoqués par lui. »

Le seigneur de son côté protestait de ses bonnes intentions, jurant de n'avoir jamais fait et ne vouloir jamais rien faire qui fut contraire au droit et à l'honnêteté. « Dicebat magnifiais ipse nihil in cisdem fecisse, facere de presenti aut in futurum velle facere contra debitum juris et honestatis. »

On ne se fia pas à sa parole et on mit pour condition expresse, qu'en cas de contravention aux articles du traité, il paierait chaque fois une somme de 1000 florins.

II paraît que les habitants s'étaient montrés résolus à la lutte, car le seigneur Palamèdes de Forbin signa, sans hésiter, tous les articles insérés dans l'acte. Or l'un d'eux mettait à sa charge tous les frais de procédure et par les autres on réduisait ses droits et prérogatives à leur plus simple expression.

C'est que les bourgeois de Solliès sentaient bien que dans les premiers temps de la réunion du comté de Provence, et au moment même où le pays était encore agité, les rois de France ne seraient pas disposés à soutenir les seigneurs contre les nouveaux sujets du royaume.

Les archives de Solliès renferment divers documents qui révèlent la protection accordée aux vassaux contre les seigneurs. Ainsi, le 7 février 1526, le comte de Tende, gouverneur de Provence, invite le bailli du sieur de Forbin, qui a donné lieu à des plaintes de la part de ses administrés, à se montrer plus conciliant dans les assemblées du conseil communal.

D'ailleurs les magistrats municipaux veillaient avec zèle au maintien des droits et privilèges de la communauté. Avertis, en 1531, que le seigneur avait fait assigner, par devant son bailli, divers particuliers avec lesquels il était en procès ils signalent le fait au Parlement et demandent justice. Un arrêt intervient, par lequel la Cour, rappelant que nul ne peut être juge en sa propre cause, déclare que le seigneur de Solliès a mal agi, casse la procédure et renvoie le seigneur à se pourvoir par devant le juge royal de la viguerie d'Hyères.

Depuis longtemps le seigneur Palamèdes de Forbin était mort. Son fils, François, faisait de grandes dépenses, il avait de nombreuses dettes. Le moment parut opportun pour obtenir, de ce jeune seigneur, l'abandon d'une partie de ses droits, moyennant une indemnité pécuniaire. Les consuls de Solliès lui offrirent une somme ronde de onze mille cinq cents florins, en échange des terres gastes et des moulins qu'il possédait dans le territoire communal.

Le chiffre était séduisant. Mais François de Forbin avait si mal géré ses affaires qu'on avait dû l'interdire. Il plaida contre sa famille et obtint un arrêt du parlement qui lui permit de vendre sous la seule condition d'y être autorisé par deux de ses plus proches parents.

L'arrêt fut rendu le 28 novembre 1551. Restait à trouver deux parents complaisants. Il paraît que ce ne fut pas chose facile, car la vente n'eut lieu que deux ans après, le 21 juin 1553. Assisté de ses neveux, Antoine du Puget de Glandevès, sieur de Pourrières, et Balthazar de Glandevès, sieur de Montblanc, François de Forbin vendit à la communauté de Solliès, ses pâturages, ses terres gastes et ses moulins à huile.

Ce seigneur mourut le 9 août 1572. Son fils, Palamèdes de Forbin, était un esprit résolu et altier. Il ne pardonna jamais à ses vassaux d'avoir profité de la ruine de son père, pour amoindrir l'importance du fief de Solliès, en rachetant une partie des droits et possessions qui y étaient attachés. La mésintelligence qui existait depuis longtemps entre les habitants du bourg et les Forbin, se changea en haine et se traduisit par des soulèvements et des révoltes sous ce seigneur vindicatif.

La lutte commença par des procès ; elle fut tout d'abord favorable aux bourgeois.

Palamèdes de Forbin, dont le château était situé près du pont, voulut faire rendre la justice chez lui ; il interdit au bailli de se transporter dans la haute ville. Les habitants du vieux Solliès protestèrent et obtinrent, le 2 avril 1582, un arrêt qui condamna le seigneur à laisser le siège de la justice là où il avait toujours été.

Le sieur de Forbin ne se tint pas pour battu. Il fit revivre divers procès et obtint sans doute un meilleur accueil de MM. du Parlement ; car, le 4 mai de l'année suivante, le conseil municipal crut devoir récuser tout président ou conseiller « qui embrassesarait le parti de Palamèdes de Forbin, soy-disant sieur de Solliès. »

Le 17 juillet de la même année (1583), le conseil général de la communauté, composé de 141 chefs de famille, protesta contre la publication qui venait d'être faite au nom du sénéchal d'Hyères, sur la requête du sieur Palamèdes de Forbin, et qui défendait aux habitants de Solliès « de s'assembler en armes pour aller au romarrage de Sainte-Christine et de ne pourter enseignes ni tambour. »

Pendant que cette opposition se manifestait à Solliès, le sieur de Forbin agissait à Paris et gagnait un procès important devant le conseil d'Etat. Le 14 septembre, il met les consuls en demeure de lui payer dans un délai de trois jours, la somme de 4000 écus, que lui attribue l'arrêt du Conseil.

La communauté, un peu abattue par cette condamnation, semble vouloir demeurer en paix avec son seigneur ; mais bientôt les troubles politiques remettent les partis en présence.

La ligue un moment apaisée en Provence, par la mort du comte de Carcès, vient d'éclater de nouveau sous l'impulsion de Hubert de la Garde, seigneur de Vins. Le grand prieur, Henri de Valois, comte d'Angoulème, écrit aux consuls de Solliès de mettre le bourg en état de défense. (29 mars 1585).

Les habitants de Solliès obéissent avec d'autant plus d'empressement aux ordres du gouverneur, que le sieur de Forbin, beau-frère de Hubert de Vins, a embrassé le parti de la Ligue. Ils envahissent son château et y commettent les plus grands excès. Mais, comme toujours, ils payèrent les frais de la guerre. On lie, en effet, dans une délibération du 16 juin de la même année, que des députés ont été envoyés à noble Palamèdes de Forbin, pour régler l'indemnité qui lui est due « à raison des excès com mis tant contre le dit seigneur de Solliès, sa femme, enfants, officiers, que autres durant les troubles derniers, en haine d'iceulx. »

La totalité de la somme réclamée n'avait pu être réunie et le sieur de Forbin, après avoir accepté l'acompte qui lui était apporté, fit saisir les récoltes, les troupeaux et même les meubles d'un grand nombre d'habitants.

Parmi les griefs que les bourgeois de Solliès reprochaient au seigneur, l'un des plus sensibles était le droit qu'il s'arrogeait de nommer seul le capitaine de ville, chargé de veiller à la sûreté du bourg. Ce droit il l'avait toujours eu, mais le grand prieur, gouverneur général de Provence, avait décidé, depuis le commencement des troubles, que le seigneur ne pourrait nommer qu'un des trois candidats élus par la communauté. Or les électeurs s'appliquaient à ne lui présenter que des hommes qui lui étaient particulièrement désagréables.

C'est ce qui eut lieu quelques jours après la saisie dont il vient d'être parlé. Le conseil désigna trois candidats très hostiles au seigneur, et lorsque les consuls, accompagnés du sieur Jean Aiguier, premier conseiller, se rendirent auprès du sieur de Solliès pour le prier de faire un choix, celui-ci répondit nettement qu'il ne nommerait personne et qu'il entendait faire casser et révoquer le privilège dont on abusait. Il y eut un procès devant la cour d'Aix, mais la décision du gouverneur fut maintenue.

D'autres troubles survinrent en 1590, et la haine des habitants contre leur seigneur, se manifesta plus vive que jamais ; ils ravagèrent et incendièrent toutes ses propriétés ; mais Palamèdes de Forbin les réduisit de nouveau à l'obéissance et les obligea à lui payer une somme de 44000 écus : « pour tous les dommages et intérêts soufferts par ledit seigneur, tant en bruslement et coupement d'arbres, que prinse de fruits, brùlement de maisons, pigeonniers, moulins, fours et dommages faits audit seigneur par lesdits particuliers du lieu de Solliès, pendant les présents troubles »

Cependant Palamèdes de Forbin avait abandonné le parti de la ligue et s'était fait nommer,par Henri IV, gouverneur de la ville de Toulon. Son fils servait également le roi et avait dû s'éloigner de Solliès, dans un moment où sa présence aurait été nécessaire pour défendre son propre foyer. Il fit appel aux bons sentiments de la communauté et plusieurs notables lui promirent de veiller à la conservation de son château. Dans la séance du 20 janvier 1596, le premier consul fit connaître au conseil que le consul Florens Gardanne, le conseiller Jacques Laure et le capitaine Mathieu de Montagut avaient promis au sieur de Saint-Cannat « de garder bien honnestement, tant la citadelle que sa maison du pont, et en auraient répondu en ses propres et privés noms, lesquels désireroyent de ce estre relevés. »

On consulte l'assemblée. La majorité accepte la responsabilité de la promesse, mais le capitaine François Albert et les conseillers Jean Albert, Toucas, Geusollen et Fiès, protestent énergiquement.

Quoiqu'il en fut, la majorité s'était prononcée pour la conciliation et il y eut une sorte de trêve entre les deux partis. La communauté avait d'ailleurs à s'occuper des finances qui étaient extrêmement obérées ; en 1600, elle ne devait pas moins de 400000 écus !

Un arrêt du parlement avait ordonné aux communautés d'acquitter toutes leurs dettes dans un délai de 4 ans. Après avoir vainement essayé de divers moyens, le conseil municipal de Solliès prit une résolution extrême. Il décida, le 5 novembre 1600, que les dettes de la commune seraient réparties sur tous les particuliers, en proportion de leurs biens. Chaque quartier devait payer 5000 écus. L'exacteur ou percepteur était déclaré responsable du recouvrement, et là où il n'y aurait ni meubles ni fruits, il devait faire vendre le fond. Si les revenus perçus n'étaient pas suffisants pour couvrir la dette entière, les consuls feraient vendre un certain nombre de maisons.

Vit-on jamais une commune réduite à une pareille extrémité !

Et comme si la situation n'était pas assez critique, le seigneur de Solliès vint y ajouter le poids de ses constantes revendications. Il demanda à être payé des droits de passage et d'avérage dont la communauté se croyait exonérée depuis longtemps. Mais comment trouver de l'argent pour intenter un procès dans ces tristes circonstances. On s'adresse à Madame Jeanne de Vins, femme du seigneur de Forbin, et grâce à sa bienveillante intervention une transaction fut immédiatement signée.

La paix ménagée par la dame de Forbin, fut respectée de part et d'autre pendant quelques années. Le pays s'était d'ailleurs entièrement soumis à Henri IV et la Provence semblait revivre sous son gouvernement paternel. La communauté de Solliès profita de cet apaisement pour mettre un peu d'ordre dans ses affaires. On la voit s'occuper de ses intérêts avec plus de soin que jamais et se créer de bonnes relations par des cadeaux. Le conseil offre un sanglier à M. de Forbin de Saint-Cannat, nommé procureur du pays, et une biche à M. le Prévot de Pignans, son frère, à l'occasion de sa première messe. On vote un présent de fruits et d'eau de nafre pour la princesse de Nevers, qui est attendue à Toulon.

En 1619 les procès recommencèrent. Le seigneur de Solliès, dont le château était situé près du Pont, prit fait et cause pour les habitants de ce hameau qui demandaient l'établissement d'un banc de boucherie et l'érection de leur chapelle en paroisse. Il y eut procès, la plaine triompha de la haute ville ; ce qui, tout en créant des partisans au sieur de Forbin, le mit en état d'hostilité avec la communauté du vieux bourg.

Il fallut près de 10 ans pour calmer les habitants de la haute ville. L'évêque de Toulon, qui était le frère du seigneur de Solliés,vint passer quelques jours auprès de lui et négocia la paix. Les notables de Solliès-Ville (on commençait à appeler ainsi la ville haute) consentirent à se rendre chez le sieur de Forbin pour présenter leurs hommages a son frère, le seigneur évêque, et selon l'usage, ils apportèrent des présents. Mai 1628 .

Cependant le seigneur de Solliès, messire Gaspard de Forbin, conseiller du roi en ses conseils, gouverneur pour Sa majesté de la ville de Toulon, ne se fiait pas trop aux bons sentiments de ses vassaux. On en trouve la preuve dans son testament solennel reçu trois ans après, le Ier avril 1631, par M. Deidier, notaire à Toulon. Sa pensée constante. en dictant ce testament, est d'empêcher l’amoindrissement de sa maison, parce qu'il comprend qu'elle est en péril. Il signale à son héritier les dangers de la situation. « Estant le dessain du dit testateur, principalement que sa maison demeure la plus entière et plus forte que sera possible, afin qu'elle puisse résister à ceulx qui l'ataqueront injustement et que ses successeurs ayent plus de moyen de servir le roy et le public que si elle estait dissipée et affaiblie par ses a partages : l'exortant, priant et conjurant de ne dissiper jamais sa terre et seigneurie de Solliès, soit en la partageant entre ses anffans, ou en aliénant quelque portion d'icelle, mais à la concserver unie, tant les terres de son domaine que les droits seigneuriaux et mesme les droits de lods, moulins, fours, regalles, hommages, censes, etc. advertissant tous ses descendants qui seront seigneurs de la dicte terre que son expériance, par le discours de feu son père et par les mémoires de ses prédéccesseurs, il apprins pour chose très assurée que les habitants de sa dicte terre de Solliès, ont toujours esté contraires en sa maison, laquelle ils ont taché de ravaler le plus qu'ils ont pu, la tenant continuellement en procès et se liant avec ses ennemis pour avoir plus de moyen de luy nuyre. La démolition de basctimens qui paraist encores et les arrests qu'ils ont heu contre les dits habitants en divers parlements sont aussi des témoi gnages de ce qu'il dict touchant leur mauvaise volonté. Tellement que s'ils avaient quelque seigneur faibles ils le fouleraient aux pieds ; disant le dict sieur testateur que cest avertissement & serait bon en autre lieu, mais qu'il l'a oulu mettre icy pour fere voir à ses successeurs que c'est avec raison qu'il leur deffand de dissiper les biens de sa maison et particulièrement cealay de sa dicte terre de Solliès ; les habitants de laquelle ils doivent treter favorablement comme ledict sieur testateur a toujours faict, sans leur donner aulcun subject de se plaindre ; mais au contraire en les protégeant contre toutes sortes de pressions et leur fesant rendre bonne justice ».

Ce testament définit parfaitement la situation : il dit combien de part et d'autre la lutte était vive et persévérante. On comprend par les précautions et les recommandations du testateur, qu'il est obligé de compter avec ses adversaires. Il veut sa maison forte et unie pour qu'elle puisse résister ; il ne veut pas que ses héritiers se laissent arracher la moindre prérogative, ni qu'ils abandonnent à prix d'argent la moindre parcelle de la terre de Solliès. Il leur recommande cependant de ne point maltraiter les habitants et de leur faire rendre bonne justice.

Gaspard de Forbin voulut donner lui-même l'exemple de la conciliation ; il se rapprocha de ses vassaux, et quant il mourut deux ans après, le 3 décembre 1633, la communauté tout entière assista à ses funérailles.

Très reconnaissant de cette manifestation et persuadé d'ailleurs que l'on a plus facilement raison d'une population ardente et susceptible, par la bienveillance et les bonnes manières que par les menaces et les mesures violentes. Bernard de Forbin se montra plus accessible que son père et rendit même des services à la communauté. On lui en sut un gré infini. Dès ce jour les cadeaux et les compliments remplacèrent les procès.

Le motif de tous ces présents est ici évident. Les habitants de Solliès désiraient se soustraire à la charge très-lourde du logement des troupes. C'était la grande plaie du moment. Les compagnies envoyées en garnison dans les villes et dans les plus petits villages, s'y comportaient un peu comme en pays conquis. Elles y faisaient en outre de grandes dépenses dont la commune n'obtenait pas toujours le remboursement. De là, mille sollicitations. Il arrivait aussi qu'au moyen de quelques présents bien placés, on parvenait à faire choisir un autre lieu pour le campement des troupes.

Bernard de Forbin, seigneur de Solliès, de Saint-Cannat et de Saint-Remy, marquis de Mont-à-Musson, gouverneur de la ville et des Torts de Toulon, était un personnage influent. Il avait de grandes relations en Provence et à Paris. Son appui était donc profitable à la communauté de Solliès. Aussi, quand il mourut, ce fut un deuil pour la population tout entière. Ses funérailles furent célébrées avec une grande pompe.

Son fils aîné, Henri de Forbin, ne lui survécut que quelques années. Le second, Jean de Forbin, qui fut colonel du régiment de Provence, se montra tout d'abord favorable aux intérêts de ses vassaux. II leur vint en aide bien souvent dans la grande question des logements militaires, mais il leur emprunta de l'argent et il eut le tort de faire revivre quelques procès que l'on croyait éteints.

Dans les premiers temps, avant l'emprunt dont nous parlerons bientôt, l'union était parfaite. Le 19 février 1657, le conseil communal vote un magnifique présent pour le seigneur Jean de Forbin, qui vient de se marier a Paris.

Ce mariage s'était effectué en Janvier. On peut en lire le contrat dans les registres des insinuations déposés à la préfecture du Var ; il y occupe 70 pages. L'époux, messire Jean de Forbin, chevalier, marquis de Solliès, fils aîné de feu messire Bernard.

Le 1er mai suivant, les nouveaux époux se rendent en Provence ; ils annoncent l'intention de passer la saison d'été à Solliès. La communauté se met en frais pour les bien accueillir.

« Il a esté représenté par le sieur premier consul, que le seigneur Marquis de Solliès doit arriver avec Madame sa femme, et attendu les grandes obligations que la communauté y a, requiert l'assemblée dellibérer si on luy fera un présent à leur arrivée. Sur quoy tous ensemblement ont dellibéré de leur faire un présent et commis le conseil moderne de leur faire tel et ainsi qu'ils aviseront, avec pouvoir d'emprunter pour ce subject s'ils n'en ont pas. » 1er mai 1657

On emprunte 40 livres pour faire ce présent. Mais, ce n'est pas tout : le marquis a besoin d'argent et il profite des bonnes dispositions du conseil pour s'en faire prêter.

La bourse commune (c'est ainsi qu'on appelait la caisse municipale), la bourse commune était vide. On sera obligé d'emprunter pour être agréable au Marquis ; mais comme les habitants ont à se louer de la protection de leur seigneur, ils n'hésitent pas à voter l'emprunt.

« 4 Juin 1657. Auquel conseil le sieur consul a présenté que le Marquis de Solliès a requis la communauté de luy vouloir prester la somme de mil huit cent quarante-huit livres, qu'il promet rendre dans 4 mois, requérant l'assemblée vouloir considérer les bienfaits qu'on a reçus de luy au moyen de l'exemption des gens de guerre et autres, de quoy on ne doit point estre ingrat en luy reffuzant sa demande. »

« Sur quoy, tous unanimement et sans contradiction, ont dellibéré que la dicte somme de 1848 livres sera empruntée à Jehan Garnier, marchand de la ville de Thollon, et de suite prestée au Seigneur Marquis » .

Le marquis et la marquise viennent à Solliès. On brûle de la poudre. Toute la bourgeoisie se livre à une bravade éblouissante. C'est une journée mémorable.

L'année suivante le seigneur marquis est sans doute absent et ne peut empêcher l'envoi de 4 compagnies qui sont campées à Solliès. La communauté emprunte 80,000 livres, paie la dépense de ces militaires et fait ensuite des réclamations. Un député est envoyé à M. le duc de Mercœur à Aix, pour le prier de ménager ce pauvre bourg accablé de dettes.

Voici une autre occasion de grande dépense, mais aussi de grand honneur pour Solliès. Louis XIV est annoncé, il vient de Marseille, se rendant à Notre-Dame de Grâces avec la reine Mère et une cour très nombreuse. Le 6 février 1660, le jeune roi fait son entrée à Solliès, où il passe la nuit. Il est reçu au château du marquis de Solliès. Sa cour est logée partie au Pont, partie dans la ville. Toutes les maisons sont remplies de gentilshommes, d'officiers et de serviteurs.

La cour était ainsi composée :

Le roi, la reine mère et le duc d'Anjou, il n'est point parlé du cardinal dans les archives de la commune.

Le maréchal duc de Villeroy, le maréchal du Plessis, le duc de Noirmoutier, le comte de Soisson, les marquis d'Allais, de Châteauneuf, de Monclar, et de Luy ; MM. d'Artagnan et de Comminge.

Le premier gentilhomme de la chambre, les gentilshommes ordinaires, les pages, MM. de la garde-robe, le capitaine des gardes françaises et le capitaine des gardes suisses ; les aumôniers et confesseurs du roi et de la reine ; les dames d'honneur de la reine, les médecins et chirurgiens, les chambellans, les contrôleurs généraux et particuliers, les pâtissiers, fruitiers, officiers de bouche, panetiers, échansons du roi et de la reine ; les valets de pied, les porteurs, les écuyers, les barbiers, le pourvoyeurs ; puis MM. de la langue espagnole, les petits violons du roi, etc., etc.

On a conservé la liste de ces personnages, « logés avec leur trains et leurs chevaux » chez les habitants. Le nombre en est si considérable qu'il est à supposer que toutes les maisons furent occupées.

Le roi ne passa que la nuit à Solliès. Le lendemain toute la cour prit le chemin de Brignoles, laissant un profond souvenir de son séjour. Ce fut pendant bien longtemps le sujet de toutes les conversations, chacun voulut avoir donné l'hospitalité aux plus illustres personnages. On régla ensuite la dépense qui s'éleva à une forte somme ; car il avait fallu réparer les chemins, préparer des vivres pour ce monde, installer des écuries pour les chevaux et acheter du fourrage. On en avait fait une telle provision qu'il fallut en revendre une certaine quantité. La commune perdit une centaine de livres dans cette opération.

C'était la moindre des choses. La commune dépensait six fois autant en cadeaux pour éviter les logements militaires, et en procès en procès avec le seigneur, le prieur, le fournisseur, les receveurs, les contribuables, le trésorier du pays, la Province, avec Hyères, Belgencier, Montrieux, enfin avec le bailli et avec les propres conseillers de la communauté.

L'histoire de ces procès serait un sujet d'étude fort intéressant. Bien souvent, il ne s'agissait que de faire rentrer certaines créances, mais il y avait aussi les procès de juridiction, les protestations contre les envahissements du pouvoir seigneurial. D'autrefois les bourgeois étaient les demandeurs, ils plaidaient afin d'arriver à une transaction par laquelle ils finissaient toujours par acquérir, moyennant finances, ou même par conquérir, par le seul fait du procès, les plus utiles privilèges, les plus réelles libertés.

Quand le roi vint à Solliès, à peine terminait-on la procédure faite contre divers habitants, qui avaient établi une confrérie sans autorisation. Après son départ, et lorsque la liquidation de la dépense eut été à peu près réglée, vingt autres procès surgirent et occupèrent l'activité des consuls.

Ce fut d'abord la construction du clocher de Solliès-Pont qui donna lieu à une vive contestation entre la ville et son redoutable faubourg du Pont, qui menaçait d'attirer toute la population de la commune mère.

Les habitants de Solliès ne voyant pas cette construction avec plaisir, ne voulaient en rien contribuer à la dépense ; aussi eurent-ils recours à toutes les objections imaginables. Les prêtres de la paroisse du vieux Solliès vinrent à leur secours et déclarèrent, dans un certificat, que jusqu'alors les habitants des trente deux hameaux (pas un de moins) qui dépendaient de la commune avaient toujours payé eux-mêmes les frais du culte, et qu'il ne paraissait pas opportun de déroger à ce principe.

Il y eut procès, et comme il fallut en définitive contribuer à la dépense, on trouva piquant de faire payer une partie des frais aux protestants. « Sommation au sieur Asquier et à divers autres particuliers professant la religion réformée qui ne veulent pas payer l'imposition pour l'édifice du clocher ni de l'horloge. » Le plus gros procès de la commune et peut-être l'un des plus longs que plaideurs aient jamais soutenus, venait de remettre en présence les intérêts des habitants et ceux du seigneur. Il s'agissait de la propriété du bois de Mourrière.

Ce procès qui durait depuis 40 ans déjà, avait été repris, en 1663, et devait se continuer encore pendant 50 ou 60 ans, ce qui donne le chiffre de 100 ans, un siècle !

La question avait été jugée plusieurs fois comme on le pense bien ; mais avec un peu de bonne volonté, il est toujours facile de rallumer les contestations et de reprendre une instance en sous œuvre. C'était le fait des anciens procureurs, qui vivaient très largement, eux et leur famille des bénéfices de deux ou trois bons procès bien nourris. Celui-ci mérite une mention particulière. En 1624, les consuls avaient invité le sieur de Forbin, seigneur de Solliès à payer les arrérages des tailles imposées sur les biens roturiers qu'il possédait.

Payer quelque chose à des vassaux parut exorbitant au sieur Gaspard de Forbin, seigneur de Solliès, Saint-Cannat, Saint-Remy, marquis de Pont-à-Mousson, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, gouverneur de Toulon, conseiller du roi en ses conseils d'Etat et de guerres, maréchal de camp, etc., etc. Il soumit le cas à son procureur, qui lui suggéra la bonne pensée de réclamer, de son côté, des dommages intérêts pour des coupes de bois que les consuls avaient fait faire dans la forêt communale de Mourrière, forêt qui devait nécessairement lui appartenir puisqu'il était le seigneur du lieu.

La cour des comptes ne partagea pas cette manière de voir ; elle le débouta de ses prétentions, par un arrêt du 20 juin 1626.

Il y eut une trêve de 15 ans ; mais, en 1641, la communauté ayant voulu mettre en vente une partie de la forêt pour payer des dettes, le sieur Bernard de Forbin, fils du précédent, inspiré sans doute par le même procureur, s'opposa à cette aliénation, se disant, comme son père, propriétaire du bois de Mourrière.

L'intendant de Provence, M. de Vantorte, rendit, le 24 avril 1643, un jugement par lequel il accorda aux habitants de Solliès « la faculté de couper le bois mort, et leur défendit de toucher aux arbres vifs. » Les deux parties formèrent opposition contre le jugement qui ne tranchait pas la question de propriété. L'affaire fut portée au conseil privé du roi, où elle fut nourrie par des productions successives et entretenue par des hommes de loi pendant 20 ans. C'était devenu une question d'influence. Les consuls envoyèrent quelques cadeaux, mais le marquis avait des amis. Le conseil rendit, le 31 août 1663, un arrêt qui condamna les consuls par « fortclusion. »

La communauté ne se tint pas pour battue. Elle demanda à faire juger l'affaire par des arbitres ; ce qui lui fut accordé. Mais l'arbitrage n'eut pas d'effet. Il fallut encore aller à Paris. Le même conseil rendit, le 7 janvier 1671, un arrêt confirmatif, qui fut ensuite rétracté sur la requête présentée au roi par les consuls (1er février 1671).

Enfin le 16 août 1672, le conseil privé donna gain de cause aux consuls. Il adjugea la directe au roi, la propriété à la commune et n'accorda au sieur de Solliès que la faculté de prendre du bois pour son usage, comme premier habitant, et le débouta du surplus de ses prétentions. Mais le sieur de Solliès se pourvut en cassation, et le procès se perpétua.

Pendant toutes ces procédures les relations entre le seigneur et les habitants n'étaient pas toujours très-faciles. Aussi les consuls, de leur côté, évitaient-ils de se trouver en présence du seigneur ou de ses représentants.

Dans le courant de l'année 1672, Charles Senès, bailli du sieur de Solliès, vint à mourir. La marquise de Solliès, en l'absence de son mari, et en vertu d'une procuration générale, nomma pour remplacer le défunt, un avocat de Toulon, M. Charles Cordeil.

Cet avocat venait souvent à Solliès, mais sa résidence habituelle, son domicile était à Toulon. Or, les consuls choisissaient précisément les jours où il ne venait pas à Solliès pour assembler le conseil et délibérer en toute liberté. Charles Cordeil protesta en vain. On continua à agir avec la même indépendance. Il fallut que le Parlement intervint. Il délégua d'abord M. Jean-Baptiste Chautard, conseiller du roi, juge royal à Toulon, pour assister aux réunions du conseil. Les séances suivantes eurent lieu en présence de Jacques d'Antrechaus, juge de Solliès ; un jour, Charles Cordeil essaya de s'y présenter, mais il y fut sans doute mal accueilli, car il n'y reparut plus. Pendant longtemps le bailli du commandeur de Beaulieu assiste seul aux délibérations ; le sieur de Forbin n'y est plus représenté.

Le bailli du commandeur lui-même s'abstenait quelquefois d'assister aux réunions. Il n'était pas présent à la séance du 27 décembre 1672, pendant laquelle on s'occupa des divers procès que la commune avait à soutenir contre le marquis de Forbin. Il fut décidé dans cette réunion, que l'on porterait toutes ces affaires au conseil privé du roi, attendu que ledit seigneur de Forbin avait plusieurs parents à la cour d'Aix, et qu'il n'était pas possible d'obtenir justice de ce Parlement.

Une semblable décision est prise le 16 avril 1673, à l'égard de Gaspard de Forbin, prieur de Solliès, frère du marquis.

Les sieurs de Forbin répondent à ces démarches en faisant payer par les consuls les frais de déplacement du juge Chautard, qui avait été délégué par la Cour d'Aix pour présider le conseil. Puis, ils suscitent des dissentiments entre les habitants du Pont et ceux du vieux Solliès ; ce qui ne leur est pas bien difficile, car, ils ont toujours favorisé le développement du nouveau centre de population qui s'est créé près de leur château, et ils ont eu souvent l'occasion de prendre le fait et cause des habitants du Pont dans leurs discussions avec les habitants de la haute ville.

Cette mésintelligence éclata avec plus de force, au moment où les sieurs de Forbin crurent avoir à se plaindre des consuls du vieux Solliès. C'était l'époque de la fête de Ste-Christine. Les habitants du Pont voulurent la célébrer à part, faire une procession en dehors de celle du bourg et cela concurremment,le même jour, et malgré les protestations des consuls. II y eut des troubles, des coups échangés, des blessures et même un meurtre. Quelques jours après le conseil vote la dépense des poursuites à exercer contre un laquais de Madame la marquise et le nommé Jean Masse, accusés d'avoir assassiné Honoré Chabert.

Pendant ces agitations, ces querelles, ces procès, la communauté cherche à se créer des protecteurs. Le 5 juin, le conseil vote une somme de 400 livres, pour offrir un cadeau à M. le comte de Grignan, et des présents à Madame la gouvernante.

Plus tard, le conseil s'apercevant sans doute que malgré ses largesses, les grands de la terre ne s'occupaient pas assez des intérêts de la communauté, résolut de s'adresser à Dieu. Une somme de 90 livres est remise aux prêtres de la paroisse, pour célébrer une messe chaque jour en l'honneur du Saint-Esprit, « pour la conservation des droits de la communauté. »

Gaspard de Forbin, prieur de Solliès, ne tarda pas à entrer en arrangement avec les consuls. L'évêque de Toulon, de passage dans le bourg, fut choisi pour arbitre ; il fit terminer le procès qui durait depuis longtemps, entre le prieur et ses administrés. Il s'agissait de la propriété des ornements de l'église. Il fut convenu que le prieur les conserverait, moyennant le paiement annuel de cent livres.

Cette transaction fut signée le 16 octobre 1678. Le mois suivant, les consuls, dans l'espoir d'en finir également avec le marquis de Solliès, frère du prieur, firent dire 40 messes en l'honneur du Saint-Esprit, « pour la conservation (sic) des procès contre le marquis. »

Pendant les années suivantes la communauté est continuellement en procès. Tantôt c'est le marquis de Solliès qui essaie encore de faire rendre la justice dans son château du Pont, alors que divers arrêts l'ont condamné à envoyer ses juges au vieux Solliès. Un autre jour, c'est Madame de Forbin, qui a fait démolir de son autorité privée, un des murs du moulin à huile, appartenant à la communauté. Puis l'éternelle question des droits de lods, et enfin la lutte du village du Pont contre la commune mère. Ici le seigneur de Forbin intervient pour semer la division ; il appuie les habitants de la plaine. La haute ville, constamment obligée de transiger, comprend qu'elle doit se résigner à voir grandir ses faubourgs. C'est le sort ordinaire de la vieillesse de céder le pas à la jeunesse.

On arrive d'ailleurs à une époque où la vente des charges municipales par le roi, et les impositions énormes qu'elle nécessitera vont ruiner les finances de la communauté et occuper tous les esprits. Il n'y aura plus possibilité de songer à autre chose qu'à payer des contributions, à nourrir la population pendant les disettes et à trouver de l'argent et toujours de l'argent pour racheter les emplois municipaux que l'on mettra en vente successivement.

Le 31 mai 1693, il est donné lecture au Conseil de l'édit du roi, du mois d'août 1692, qui suspend les fonctions consulaires jusqu'à ce que les offices de Maire et d'assesseurs qu'il vient de créer soient achetés. L'assemblée vote à l'unanimité un emprunt de 6270 livres, pour faire cette acquisition,qui doit maintenir les habitants dans le précieux privilège de nommer eux-mêmes leurs magistrats.

La communauté éprouve le besoin de se rapprocher de son seigneur, afin d'être appuyée dans les circonstances actuelles. C'est toujours ainsi qu'elle a agi. Elle a eu recours au gouverneur de la Province quand elle a été trop tracassée par le seigneur de Solliès ou quand elle a voulu acquérir un peu plus d'indépendance ; mais elle a su se faire un allié du marquis de Solliès quand elle s'est trouvée dans l'obligation de lutter contre le gouverneur et de faire entendre ses doléances aux ministres ou au roi lui-même.

C'est le cas aujourd'hui. Aussi profite-t-on de ce que le sieur François-Auguste de Forbin, colonel du régiment de Provence, revient de l'armée, pour lui offrir les compliments de la communauté et lui demander sa protection. « A esté proposé par la sieur Tollon, premier consul, que le sieur marquis de Solliès serait arrivé en la ville d'Aix, et que comme nouveau seigneur, estant revenu de l'armée, il trouverait fort à propos qu'on envoyat quelque personne au dit Aîx, pour aller complimenter ledit marquis et lui demander sa protection et la paix de tous les habitants. Sur quoy le Conseil a député le sieur Tollon, consul, avec trois des apparans du lieu pour aller à Aix au proche dudit seigneur marquis et pour les causes contenues en la proposition ci-dessus. » 7 juillet 1694.

A la suite de cette démarche les habitants de Solliès et le sieur de Forbin vécurent en bonne harmonie. Les procès furent même délaissés. Les consuls font connaître les causes de cette abstention dans un mémoire qui fut imprimé vingt ans après, à la reprise des hostilités. « Les poursuites, dit l'auteur du mémoire, ont été reprises après un silence de vingt ans. Dans un si long intervalle, la direction des affaires de la communauté a été confiée à diverses personnes, dont plusieurs étaient dans les intérêts de Monsieur de Solliès, et d'autres assez négligentes pour laisser égarer les papiers. »

Le 6 octobre 1715, le Conseil vote un présent de cent Louis d'or, valant 1400 livres, à offrir à M. le marquis de Solliès, à l'occasion de son mariage avec Mademoiselle de Maliverne, publie le même jour.

Le pouvoir et l'influence du marquis grandissent tous les jours. Cependant le sentiment d'indépendance, toujours très-vif chez les habitants du vieux Solliès, ne s'est pas complètement éteint dans le cœur des habitants du Pont. Ils ont pu rechercher la protection du sieur de Forbin, qui a favorisé leur établissement prés de son château ; mais ils comprennent qu'ils sont allés trop loin dans cette voie, et ils s'unissent étroitement entre eux afin de résister aux envahissements du seigneur.

Ainsi, le 10 décembre 1720, dans une séance du Conseil général, à laquelle assistaient les notables du Pont comme ceux de la haute ville, le consul Mazan n'hésite pas à blâmer le marquis de Forbin, et cela dans une circonstance où il aurait fallu le louer de sa sollicitude pour la santé de ses vassaux. « Dans les premiers jours du mois, - dit-il, - on a craint que la peste fut à Toulon, mais il n'en est rien ; cependant, jusqu'à aujourd'hui le seigneur marquis a ordonné de suspendre le commerce avec la ville de Toulon. Or la population de Solliés se compose en grande partie de travailleurs, muletiers, qui sont aux abois et en état de mourir de faim faute de travail et de ne pouvoir communiquer avec Toulon pour vendre leurs denrées ; aussi ne font-ils pas difficulté de dire qu'ils aiment mieux désobéir que mourir de faim, et sont en estat de se soulever et secouer le joug de l'obéissance. »

Il y a une réaction évidente dans les esprits. On regrette que l'administration précédente ait consenti à céder au marquis de Solliès la belle forêt de Morrière. Le Conseil révoque la délibération qui a été prise à ce sujet,

« Davantage a esté délibéré qu'après que la ville d'Aix sera délivrée du mal contagieux, la communauté fera consulter à trois avocats, les moyens et droits qu'elle peut avoir de se pourvoir en requête, sur l'arrêt rendu par nos seigneurs de Grenoble le 14 mai dernier, obtenu à la poursuite de M. le marquis de Solliès, au sujet du demi lod par lui demandé sur la forêt de Morrière. En conséquence le Conseil a révoqué et révoque la délibération du 25 juillet dernier, portant qu'en paiement de la somme de 32000 livres à laquelle les demi lods et indemnités sont réglés, il sera abandonné ladite forêt de Morrière au dit seigneur marquis. » 16 mars 1721.

Cette résolution produisit une certaine sensation et lorsqu'on vit que le Conseil était bien disposé à rompre avec le seigneur marquis, les plaintes se firent jour. Chacun révéla les tracasseries dont il était l'objet de la part du seigneur ou de ses agents. Huit jours après Je conseil fut saisi de ces plaintes par le 1er consul, qui proposa d'y faire droit en prenant le fait et cause des habitants « inquiétés, molestés et chagrinés » par ledit sieur marquis de Solliès. L'exposé du 1er consul est un véritable réquisitoire contre le seigneur.

« Auquel conseil a esté exposé, par le sieur consul, que l'on voit depuis longtemps que les personnes du lieu les mieux intentionnées pour défendre les intérêts de la communauté, sur les procès que le marquis de Solliès leur intente ou sur ceux que la dicte communauté est en droit de lui faire, se voyent souvent chagrinées, inquiétées, molestées par le dict seigneur marquis ; non seulement par des procès qu'il leur intente en particulier, mais encore par des menasses qui pourraient tendre à des voies de fait, sur tout en ce malheureux temps de contagion, ou ledict sieur de Solliès rend son commandement si despotique qu'on l'a vu sensiblement insulter les plus honnestes gens du lieu et même les consulaires, nonobstant qu'aucun n'a provoqué en rien, ni s'est tiré des bornes du devoir, tant à conserver la santé du lieu, qu'à lui rendre l'obéissance requise. Il serait à propos que la dicte communauté prit le fait et cause et défenses tant en général qu'en particulier, de ceux qui pourraient avoir le malheur de tomber sous son indignation.

Sur quoi, l'assemblée a unanimement délibéré, qu'à l'égard de tous ceux des habitants qui pourraient estre inquiété ou molestés ou chagrinés, pour le bien et avantage du public, par M. le marquis de Solliès, soit par procés ou par lettre de Cachet qu'il pourrait surprendre des puissances, surtout dans ce temps où la communauté est à la veille de faire l'élection consulaire, ou par toute autre manière dont le dit seigneur de Solliès pourrait se prévaloir pour leur faire de la peine, par quelle voye que ce puisse estre, la communauté prendra leur fait et cause et défendra leur droit soit en général ou en particulier, et fera les frais et dépenses, et les garantira de tout ce qu'ils pourront souffrir à la forme du règlement de la communauté. »

Les choses prenaient une tournure inquiétante pour les partisans du marquis ; ils voyaient que toute la population lui était hostile, puisque le conseil agissait avec cette fermeté au moment même des élections, et désirait s'en prévaloir auprès des électeurs. Un des membres du conseil, le nommé Delor, essaya d'un moyen d'intimidation, pour enlever a la résolution qui venait d'être prise la force que lui donnait l'unanimité des votes. Il dit qu'au lieu de faire passer de mains en mains les ballottes exprimant le vote des conseillers, il était plus convenable et plus régulier de remettre chacun directement sa ballotte, afin que le viguier put voir très exactement la volonté de tous. Le moyen n'eut qu'un demi succès. Le viguier ordonna de soumettre la délibération à un nouveau tour de scrutin, prescrivant à chacun « de mettre sa balotte à son tour et à son rang suivant le règlement. » C'est ce que l'on fit ; mais la majorité, sinon l'unanimité, maintint le premier vote.

Il paraît que le marquis de Solliès s'émut vivement de cette délibération et qu'il en comprit toute la portée. Ses partisans agirent avec une telle ardeur, pendant les élections, qu'ils parvinrent à se faire élire et à former la majorité du conseil.

Mais une fois au pouvoir, les amis du marquis furent un moment embarrassés pour faire révoquer la gênante délibération du 24 mars. Ils invoquèrent le moyen si connu des économies. Un conseil nouveau doit toujours faire des économies.

En conséquence, dans sa première réunion, qui eut lieu le Ier mai 1721, Joseph Laure, 1er consul élu, fit la motion suivante:

« Le sieur Laure a représenté qu'il était mémoratif que le 24 du mois de mars dernier, il fut pris une délibération portant que la communauté prendrait le fait et cause de tous ceux qui seraient inquiétés par M. le, marquis de Solliès, commandant en ce lieu, et que depuis il a fait attention que la communauté se trouve engagée à tant de dépenses indispensables, attendu la contagion, qu'il n'est pas à propos qu'elle aille s'engager dans des affaires de cette nature, lui paraissant par les dites raisons qu'il serait à propos de révoquer la dite délibération, requérant le conseil d'y délibérer.

Sur quoi, le conseil, par les réflexions susdites et pour d'autres considérations, a unanimement révoqué comme il révoque la susdite délibération du 24 mars dernier, déclarant qu'il n'entend s'en servir ni l'exécuter ».

Si, comme le dit la devise gravée sur la porte de l'hôtel de ville de Toulon, l'union fait la force, il n'est pas moins vrai que la désunion est une cause d'affaiblissement. La commune de Solliès en fournil la preuve. Sous l'influence de la rivalité que le marquis de Forbin avait habilement suscitée entre la haute ville et la plaine, le sentiment municipal s'était énervé dans le cœur des habitants de Solliès. Aussi furent-ils impuissants,quand ils voulurent essayer de lutter contre leur seigneur, qui du reste s'était fait une forte situation, en obtenant pendant la peste le titre de commandant de Solliès. Le marquis en profita pour rançonner ses vassaux et leur faire payer tous les frais du prodigieux procès, que ses procureurs alimentaient avec tant de succès, depuis prés d'un siècle, La poire était mûre, le seigneur et ses agents la cueillirent.

Le 27 juin 1723, le conseil général est assemblé dans la maison-de-ville de Solliès-Pont par devant M. Claude Guibaud, bailli et lieutenant de juge de M. le marquis de Solliès, « autorisant le présent conseil. » Les consuls font connaître que les sieurs Sénès, Gensollen et Dollioules, députés par le conseil pour tâcher de parvenir à un accommodement avec M. le marquis de Solliès, au sujet du procès des Morrières « qui dure depuis plus de quatre-vingts années » ont obtenu trois propositions, parmi lesquelles la communauté choisira la meilleure, savoir : compter immédiatement 45,000 livres au sieur de Solliès, s'engager à lui en payer 50,000 en huit ans, ou lui abandonner la forêt des Morrières.

Le conseille n'hésite pas, il accepte la seconde proposition. Il s'engage au nom de la communauté à payer au marquis 50,000 livres en 8 ans, plus les dépens qui s'élèvent à 1,500 livres et qui devront être acquittés dans un an.

Et pour ne point laisser échapper une si bonne occasion de ruiner la communauté, on s'empresse de donner aux sieurs Sénés, Gensollen et Dollioules, la mission de signer l'acte de transaction, qui est en effet passé le 1er juillet suivant, par M. Daix, notaire royal à Solliès, lequel était en même temps second consul.

L'affaire fut donc conclue à la satisfaction générale du seigneur, de ses procureurs et du notaire consul.

Quant à la communauté elle-même, elle n'eut qu'un procès de moins, mais elle s'enrichit d'une dette de 50000 livres, et la discorde s'était si bien introduite dans son sein qu'il n'était plus possible de s'entendre. Les trois paroisses ou sections de commune agissaient isolément, contractaient des dettes et se querellaient amèrement, quand il fallait répartir entre elles le produit des impositions communales.

Cependant les procès ne marchaient pas avec la même activité depuis quelque temps ; l'esprit public languissait et les procureurs se lamentaient. Mais cela ne pouvait durer ainsi. On fit agir celui des conseillers qui par la nature de ses fonctions pouvait le mieux compatir au malaise général des agents d'affaires.

Le notaire Jean-Baptiste Toucas fut prié d'interpeller le conseil à cet égard.

Et le 5 mai 1737 « le dit sieur Jean-Baptiste Toucas, notaire royal, représente au conseil qu'il lui est venu en notice que la communauté a divers procès par devant M. le lieutenant de Toulon et par devant nos seigneurs de la souveraine cour du Parlement qui sont négligés depuis longtemps, par la négligence, sauf respect, de leurs administrateurs, notamment celui qu'elle a avec le marquis de ce lieu, à raison de la réduction de la mouture ; qui est des plus importants que la cour ait jamais eus, surtout parce qu'il tend au soulagement des pauvres habitants. »

On voit que « ce pauvre peuple » n'est pas oublié, et que si on veut des procès, c'est pour son plus grand avantage. Le résultat fut en effet des plus heureux pour lui ; nous verrons que la communauté fut condamnée a payer 20000 livres au marquis de Forbin, ce qui motiva une augmentation de l'emprunt.

Le 10 juin, le 1er consul, M. Delor, prend sa revanche. On l'a devancé pour le procès de la mouture, aujourd'hui, il signale un autre procès non moins important contre le seigneur de Solliès.

Il rappelle qu'en l'année 1731 « Il fut dressé une consultation par maîtres Pascal et Silvecanne au sujet des prétentions que la communauté pourrait avoir contre le sieur de Forbin, en conséquence de laquelle il fut délibéré, le 20 octobre audit temps, de poursuivre le remboursement du contingent dû par ledit seigneur clans la contribution payée aux ennemis de l'Etat, lors du siège de Toulon. »

Dans la réunion suivante, le même consul s'empresse d'annoncer que le marquis de Solliès a lancé une assignation contre les fermiers de la communauté, au sujet de la franebise qu'il prétend avoir sur les droits du piquet.

Mais ce n'est pas tout. Il y a une contestation entre le marquis et les syndics des eaux d'arrosage. Le 1er consul propose, et le conseil adopte à l'unanimité, de prendre le fait et cause des syndics et de plaider contre « le magnifique seigneur du lieu. »

Cette avalanche de procès commence à effrayer le seigneur de Solliès. Il écrit de sa main à M. l'avocat André Rigouard, pour lui manifester son intention de terminer, par un arbitrage amiable toutes les contestations qu'il peut avoir avec la communauté.

« Que la volonté de Dieu soit faite, écrit-il, j'espère qu'il m'aidera, n'ayant rien à me reprocher sur leur compte ; bien loin de là, ayant toujours été occupé du soin de leur faire plaisir. Si ces messieurs veulent, à cette heure que MM. les avocats ne font rien, nous en prendrons de plus habiles qui finiront toutes nos affaires. S'ils ne le veulent, que la volonté de Dieu soit faite. »

Le conseil répond par la délibération suivante, qui n'est pas moins affectueuse : « Sur quoy, le présent conseil, charmé de finir toute contestation avec M. le marquis de Solliès, désirant de vivre en bonne intelligence avec son seigneur, délibère et charge M. Aude Rigouard, avocat, d'écrire à mon dit marquis, de donner pouvoir à telle personne qu'il trouvera à propos, pour convenir d'arbitres et approuver la délibération qui sera prise par la commune à ce sujet. »

Le 15 septembre, le 1er consul fait connaître que le marquis de Solliès, qui est depuis quelque temps à son château, a demandé plusieurs fois de finir les procès par une transaction amiable et qu'il convient de nommer des arbitres. M. Delor est invité par le conseil à choisir lui-même les arbitres et à les proposer au marquis.

Mais il paraît que l'on ne put s'entendre tout d'abord. Le fait est que le procès sur la franchise est perdu et que, le 13 octobre, le trésorier est invité à payer 220 livres pour les dépens mis à la charge de la communauté.

A cette époque, la communauté de Solliès craignait moins le seigneur marquis, que les agents du fisc.

Cependant on ne négligeait pas le procès ou plutôt les procès du seigneur de Solliès. Le 26 octobre, le conseil délibère de le mettre en demeure de désigner des experts ; on ira jusqu'au roi s'il s'y refuse.

Le consul Gensollen se rend à Aix, avec le juge, M. Rigouard, et apprend de la bouche même du seigneur de Solliès, qu'il désire régler tous ses procès amiablement. Le seigneur désigne l'avocat Pazery pour s'entendre à ce sujet avec M. Pascal, avocat de la communauté.

A son retour à Solliès, le consul Gensollen fait part de celte bonne nouvelle au conseil communal, qui approuve tout ce qu'il a fait. (8 février 1739).

Après divers pourparlers, des arbitres sont choisis de part et d'autre. Le marquis de Solliès désigne M. le premier président du Parlement, M. le président de Réguse père, et M. de Ripert procureur général. La communauté désigne, de son côté, M. de Lestang Parade, conseiller au Parlement, M. de Monval, conseiller aux Comptes. et M. d'Antoine, conseiller au Parlement. (26 avril 1739.)

Le 14 août de l'année suivante, le conseil général, sur la proposition du consul Bouffler, sanctionne le projet de transaction qui lui est soumis.

« Surquoy le conseil, approuvant et ratifiant la proposition ci-dessus, donne pouvoir aux sieurs consuls d'offrir à mon dît seigneur le marquis, la somme de 45000 livres, moyennant quoy les parties se départiront de tous les procès, prétentions et différends qu'elles ont eus jusqu'à aujourd'hui, et cependant le présent conseil consent que mon, dit seigneur de Solliès jouisse, sa vie durant de la mouture sur le pied de 16, et qu'après, son décès elle sera réduite au 25 comme elle était auparavant, moyennant quoy les 45000 livres ne seront payées qu'après le décès du seigneur marquis et à ses héritiers. »

Le marquis de Solliès ne voulut réduire le droit de mouture : qu'au 20, au lieu du 25 que demandait la commune.

Trois ans après, au mois de mai 1743, Louis Palamèdes de Forbin mourait sans postérité mâle, et la seigneurie de Solliès passait dans la famille des Porcellets.

famille des Porcellets

Jean de Forbin, père de Louis Palamèdes, avait prévu le cas où son fils mourrait sans héritier direct, et lui avait substitué Elisabeth de Forbin, mariée, à Françoise-Louis des Porcellets, seigneur de Maillane, dont elle n'avait eu qu'une fille, nommée Françoise des Porcellets, qui avait elle-même épousé son cousin Paul-Joseph des Porcellets, marquis de Maillane, baron de Darboux, seigneur de Saint-Paul, de Courtezon, etc., etc.

Paul-Joseph des Porcellets, et peu de temps après, son fils, Armand-René des Porcellets, héritèrent de la seigneurie de Solliès. Cependant ce ne fut pas sans difficulté ; car les Forbin de la Barben essayèrent de faire annuler la substitution. Mais, par arrêt du 5 avril 1748, Armand-René des Porcellets fut déclaré héritier de la substitution portée dans le testament de Jean de Forbin.

Dès le 15 avril de cette même année, le conseil communal, informé du résultat de la procédure pendante entre les deux prétendants, délibère qu'il y a lieu d'aller complimenter M. des Porcellets, qui ayant gagné son procès contre le marquis de Forbin doit être salué seigneur de Solliès.

Le marquis des Porcellets vit en très-bonne intelligence avec les habitants de Solliès. Il s'occupe personnellement des affaires, et signe sur le registre des délibérations pour approuver le choix du capitaine de ville.

Pendant que ces bonnes relations s'établissaient entre la commune de Solliès et son nouveau seigneur, la branche des Forbin de la Barben s'était mise en instance pour faire casser l'arrêt du 5 avril 1748 et rentrer en possession de sa seigneurie. Le 6 novembre 1763, Anne, Gaspard, Palamèdes de Forbin de Pimoisson, héritier testamentaire de M. Louis, Palamèdes de Forbin, marquis de Solliès, fit signifier à la communauté un arrêt du Parlement, intervenu entre lui et le marquis des Porcellets, au sujet de la directe universelle.

Le marquis des Porcellets comprenant sans doute que la terre et seigneurie de Solliès pourrait bien lui échapper, eut la pensée de compliquer la question, en cédant ses droits féodaux à la communauté, qui était toujours prête à faire les plus grands sacrifices pour conquérir son indépendance.

L'affaire fut soumise au conseil général, le 8 mai 1768, par M. Joseph Pey, maire 1er consul, qui s'exprima avec toute la solennité que comporte l'importance de la question. Je transcris son discours.

« Le conseil général n'ignore point, dit-il, les offres avantageuses que M. le marquis de Porcellets, seigneur de ce lieu, par un effet de sa bonté, a bien voulu faire à la communauté de lui vendre ses droits seigneuriaux, consistant principalement en la haute, moyenne, basse justice, et autres quelconques, ensemble les fonds de terre qui lui appartiennent, sur l'estimation qui en sera faite par amis communs et sans frais. Lesdits maire-consul, conseillers et principaux habitants de la communauté, adhérant à une proposition si utile et si avantageuse au service du roi, au bien de la province et de la communauté, ont eu l'honneur d'adresser un placet à M. le comte de Saint-Florentin, ministre et secrétaire d'Etat, pour supplier sa grandeur de vouloir leur obtenir de Sa Majesté, les lettres patentes nécessaires.

Je n'ai pas besoin, Messieurs, ajoute le maire 1er consul, de vous faire un long étalage des avantages que le roy, la Province et la communauté retireront de cette acquisition ; vous le sentez déjà par vous-mêmes et vous savez que ce pays est situé sous un beau ciel, que nous y jouissons d'un air salubre, qu'il est traversé du nord au midi, par une rivière qui arrose une vaste et agréable campagne, abondante en sources fécondes, qui font aller des angins, dont on pourrait se servir pour les multiplier, qui baignent et fertilisent de magnifiques coteaux et qui n'ont rien de commun avec les eaux de la rivière ; que c'est ici le chemin royal qui mène en Italie, à deux lieues de Toulon et à portée des plus grandes villes de la Provence, comme Aix, Marseille et Arles, susceptible d'un grand et facile commerce, principalement par ses vins, huiles, soies, savons et autres effets et fruits très-propres pour un commerce avec l'étranger dont nous sommes voisins ; vous sentez encore, Messieurs, combien il vous serait utile et profitable de parvenir à l'extinction des droits seigneuriaux, par l'augmentation que vous feriez du prix de vos terres, par une plus grande population que la liberté procurerait, attirant un plus grand nombre d'habitants par l'accroissement de l'industrie.

En conséquence dudit placet, M. de Saint-Florentin a l'honneur d'écrire aux sieurs maire et consuls une lettre de Versailles en date du 27 avril dernier par laquelle il demande de lui indiquer les moyens que nous pourrons employer pour parvenir à cette acquisition ; c'est le sujet pour lequel il a convoqué le présent conseil général pour délibérer.

Sur laquelle proposition, le conseil général approuvant et ratifiant tout ce que, par les consuls, a été précédemment fait à ce sujet, a unanimement délibéré et chargé les maire et consuls de faire savoir, en réponse à sa grandeur Mgr le comte de Saint-Florentin, que la communauté désire de faire l'acquisition des droits seigneuriaux et autres effets appartenant à M. le marquis de Porcellets, seigneur de ce lieu, sous le bon plaisir et avec la permission et agrément de Sa Majesté ; qu'elle sera eu état de se libérer facilement et en peu de temps, par un piquet déjà établi depuis plusieurs années qui produit annuellement 27050 livres, par un dixième de tous les fruits et par d'autres petites sommes de la communauté. »

Hélas! cette acquisition qui devait mettre fin aux vexations du seigneur et de laquelle les habitants de Solliès se promettaient de si grands avantages ne s'effectua pas. Le marquis des Porcellets fut bientôt dépossédé de la seigneurie de Solliès, par son compétiteur le marquis de Forbin-la-Barben. Un arrêt de la cour d'Aix,du 30 juin 1763, avait condamné M. des Porcellets à lui payer une somme de 169326 livres et comme ce dernier n'avait pu s'acquitter, le château et la seigneurie avait été mis en vente aux enchères publiques, et, le 13 juin 1778, le marquis de Forbin-la-Barben s'en rendit adjudicataire au prix total de 239136 livres.

La communauté laissa échapper cette magnifique occasion de conquérir son indépendance. Il est vrai que la somme était très élevée et que sagement on avait dû s'opposer à un pareil sacrifice, dans un moment surtout où les finances communales étaient très-obérées.

Les habitants de Solliès prirent hardiment leur parti, et résolurent de gagner les bonnes grâces du nouveau seigneur, en lui souhaitant une bienvenue cordiale.

« Le conseil pense qu'on ne saurait mieux marquer à M. le marquis de Forbin, le sincère plaisir et la vraie satisfaction qu'il a de lui voir réunir la totalité des droits du fief de Solliès, que par un vif empressement d'en consigner le monument dans les registres publics de la communauté ; à l'effet de quoi il a été unanimement délibéré que le verbal de mise en possession serait enregistré sur tout son contenu à la suite du présent conseil.... et ledit seigneur de Forbin sera supplié de vouloir bien accorder sa protection et sa bienveillance à ses vassaux de Solliès, qui ne cessent de faire les vœux les plus ardents pour la conservation de ses jours, ainsi que de ceux de Madame de Forbin et leur chère famille !.... »

Ce langage s'explique quand on réfléchit que le conseil se tient aujourd'hui à Solliès-Pont, et que les habitants du Pont ont toujours cherché la protection du seigneur, afin d'être secondés dans leur désir d'attirer à eux toute la communauté. C'est ce qui ne tarda pas à arriver. Il ne restait au vieux bourg que le privilège des élections et ce privilège lui fut bientôt enlevé. On décide, le 5 décembre 1779, que les élections auront lieu au Pont ; « attendu que le bourg du Pont est le centre de ceux qui composent la communauté. »

Les villages de la plaine se développent au détriment du vieux Solliès qui n'est déjà plus qu'un monceau de ruines. L'église de la Farlède, récemment érigée en paroisse, obtient, le 7 mai 1780, la construction d'un clocher à 4 cloches à l'instar des trois autres paroisses.

Mais une fois en possession de tout le pouvoir administratif, le bourg du Pont commence à faire de l'opposition au seigneur marquis dont il n'a plus besoin.

La délibération suivante, prise au Pont le 18 novembre 1781, en est un témoignage.

« M. le maire dit: qu'il peut arriver qu'il soit nécessaire de mettre en délibération des affaires sur lesquelles la présence officiers des seigneurs gênât la liberté des suffrages, parce qu'elles

pourraient les regarder directement ou indirectement Sur quoi, le conseil a unanimement délibéré et donné pouvoir au maire et consul de présenter une requête à la souveraine cour du Parlement, pour obtenir la subrogation d'un commissaire ou d'un juge royal le plus prochain, pour pouvoir autoriser les assemblées dans tous les cas où les officiers des seigneurs seraient suspects. »

Le moment n'est pas éloigné où la révolution changera toutes choses. En attendant, les impôts deviennent tous les jours plus lourds et il faut y pourvoir. En 1787, le chiffre des dépenses annuelles excède de 30000 livres la somme des revenus. Pour l'acquittement de cet excédant, « le maire pense qu'il est nécessaire de faire une imposition suffisante sur la taille, sous peine contre ceux qui sont d'avis d'une imposition insuffisante, d'être poursuivis en leur propre et privé nom à par fournir ce qui se trouvera manquer, solidairement, l'un pour l'autre, sans espoir de rejet sur la communauté, et mille livres d'amende et de plus grande. »

C'est toujours la même formule, qui laisse le choix aux délibérants d'approuver ou d'être ruinés.

Les impôts sont compris pour 54000 livres sur la somme des dépenses, s'élevant à 62000 livres.

Viennent ensuite les préludes de la Révolution. Le 14 avril 1788, le conseil enregistre une lettre circulaire, adressée le 29 mars, par M. le baron de Breteuil à M. de Latour, intendant de Provence, ayant pour objet de mettre en garde les communautés contre les fausses assertions soutenues dans une lettre des députés du Tiers-Etat, du 1er février, relatives aux intentions du roi et qui sont de nature à jeter l'alarme et à semer la discorde dans les esprits.

Le 22 février 1789, assemblée des chefs de famille, 1° pour élire un député à l'assemblée de la viguerie; 2° pour dresser le cahier des instructions et doléances particulières, relativement aux intérêts du royaume en général et de la province en particulier. Le député élu se rendra à l'assemblée de la viguerie d'Hyères. pour y concourir à la nomination d'un ou de plusieurs représentants à l'assemblée générale des communautés ou Tiers État de la province.

Cette délibération qui ouvre la porte aux événements de la Révolution, ressemble sans doute à beaucoup d'autres. Cependant elle mérite d'être consignée in extenso, dans cette étude sur la lutte de la bourgeoisie contre les abus féodaux.

« M. le maire a dit: Messieurs,

En conformité des ordres de Sa Majesté, je vous ai assemblés pour élire un député à l'assemblée de la viguerie, et pour dresser de cahier d'instructions et doléances particulières, qui peuvent intéresser la communauté.

M. le maire a ajouté: a Messieurs,

La nation, courbée sous le poids de ses maux, ne pouvait prévoir, dans sa douleur profonde, quel en serait le terme, lorsqu'un roi-citoyen s'est proposé de la régénérer. L'émule de Charlemagne, s'élevant au dessus du vulgaire des rois, a trouvé dans la nation elle-même ses propres ressources ; ses vertus l'ont garanti des vaines craintes, et il a appelé son peuple pour concourir à ce grand œuvre.

Puissions-nous mériter une confiance qui présage notre bonheur, puissions-nous former un vœu capable d'élever la nation à ce haut degré de prospérité et de gloire auquel elle a droit de prétendre. Que le bien public soit notre objet et notre règle, que les lois seules de la raison et de l'équité exercent ici leur empire ; que leurs réclamations pour le Tiers soient enfin écoutées ; c'est de son influence dans la nation, que va dépendre la prospérité publique, la nature l'a fait naître l'égal des autres ordres, ses services lui donnent droit au premier rang.

Oui, Messieurs, c'est le Tiers qui porte le fardeau de la société, c'est lui qui donne à la religion ces pasteurs respectables qui la prêchent au peuple, qui la font chérir par leurs vertus ; c'est lui qui compose ses armées, qui défend la patrie, sans espoir de récompense ; c'est lui qui tire du sein de la terre ces moissons qui nourrissent l'homme, qui embellit l'Etat du fruit de ses connaissances et de son industrie, qui l'enrichit des trésors de l'univers ; enfin c'est lui qui forme le vingt-quatre vingt-cinquième de la nation ; sans lui la nation ne saurait-être, lui seul formerait sous les lois du monarque bienfaisant qui nous gouverne, une nation heureuse et florissante.

Sur la proposition ci-dessus, les délibérants, pénétrés de respect et d'amour pour le roi, et de vénération pour les personnes vertueuses qui entourent son trône, ont arrêté unanimement et par acclamation de faire demander par leurs représentants aux Etats généraux :

  • 1° Que ses délibérations soient prises en commun pour les trois ordres et les suffrages comptés par têtes.
  • 2° Qu'il soit formé une constitution où les droits de la couronne, ceux de la nation, soient respectés et établis d'une manière invariable.
  • 3° Que le code civil et criminel soit réformé, que les tribunaux inutiles et onéreux soient supprimés, que les charges de magistrature cessent d'être vénales, que leur valeur en soit payée par les justiciables quand elles vaqueront ; que les tribunaux de justice jugeant en dernier ressort soient organisés de manière que le Tiers y soit en nombre égal, et y ait la même influence que les deux autres, que les juridictions seigneuriales soient royales.
  • 4° Que le tiers partage avec le second ordre les bénéfices et dignités ecclésiastiques, les emplois civils et militaires, sans que ces dits emplois puissent conférer la noblesse à ceux qui en seront revêtus.
  • 5e Que Sa Majesté soit très-humblement suppliée de ne plus accorder des lettres de noblesse.
  • 6° Que les communes soumises à des droits féodaux aient la faculté de se libérer, vérification et estimation faites de ces droits.
  • 7° Que les impositions mises et à mettre soient réparties d'une manière égale sur tous les sujets de la monarchie.
  • 8° Que le prix du sel soit rendu uniforme dans tout le royaume.
  • 9° Que tous les droits qui gênent la circulation des denrées, marchandises et le commerce, dans l'intérieur du royaume, soient abolis, et que les bureaux des traites soient placés aux frontières.

Comme il importe pour la prospérité de cette province que les Etats qui l'administrent soient bien organisés, les délibérants demandent encore:

  • 1° Que les Etats de Provence soient formés sur le modèle de ceux du Dauphiné, avec cette différence cependant que le président n'étant éligible que dans les deux premiers ordres, le Tiers ait seul la faculté de l'élire.
  • 2° Que le Tiers choisisse ses représentants aux États généraux et provinciaux dans des assemblées, desquelles seront exclus les nobles.
  • 3° Que les assemblées du Tiers puissent choisir leurs députés dans telles communes de la province ou district qu'elles trouveront bon.
  • 4° Qu'il soit permis aux communes d'avoir un syndic, lequel aura entrée aux États.
  • 5° Que les comptes de la province soient imprimés tous les ans et qu'un exemplaire en soit envoyé à chaque communauté.
  • 6° Que la répartition des secours que le roi accorde aux pays et celle de l'imposition de 15 livres par feu affectée à la haute Provence soient faites dans le sein des États et par eux arrêtées.
  • 7° La désunion de la procure du pays du consulat de la ville d'Aix.
  • 8° L'égalité des voix par l'ordre du Tiers contre celle des deux premiers ordres, tant dans les Etats que dans la commission intermédiaire.

La communauté assurée de l'attachement respectueux que le Tiers-État a pour le roi, et de la disposition où il est, de lui faire en tout temps l'hommage et le sacrifice de sa fortune et de verser pour lui et son auguste famille jusqu'à la dernière goutte de son sang, a déclaré qu'elle adhère toujours aux demandes faites, à faire dans la circonstance présente par les autres communes du royaume ; qu'elle autorise son représentant aux assemblées du Tiers à se réunir aux autres députés pour former en commun un cahier de demandes, plaintes et doléances sans qu'il soit permis cependant d'omettre aucune des demandes ci dessus.

L'assemblée charge expressément les maire-consuls d'adresser un extrait de la présente délibération, rendue publique par la voie de l'impression, à Monsieur, comte de Provence, à M. le garde des sceaux, à M. Necker, ministre d'Etat, à M. de Villedeuil, à M. le maréchal Pinde de Beauvau, gouverneur de la province, avec des très-humbles supplications de vouloir bien l'appuyer de leurs puissantes protections et aux diverses vigueries et communautés.

De plus, l'assemblée charge MM. les maire-consuls d'en envoyer un extrait à M. l'avocat Bouche et de lui témoigner ses sentiments d'estime et de reconnaissance,que le bon usage qu'il a fait de ses talents en plaidant la cause de la nation ont inspiré à la communauté et à chacun de ses membres en particulier.

Ainsi proposé, résolu et délibéré ; ce sont, tous les chefs de famille sachant écrire, soussignés.

Victor Doilieules, maire, Joseph Sénès, consul, etc., etc. 22 février 1789.

Le 22 mars 1789, ont été nommés députés: Doilieules, maire, Joseph Gerfroit, médecin, Jean-François Gensollen, avocat, Joseph Sénès, négociant, François Lieutaud, bourgeois, Toucas-Piorre Guidon, négociant, Augustin Aiguier, Vincent Guiol, ménagers et Joseph Rey, maître bourrelier. »

Le 7 juin 1789, il avait été pris une délibération relative au sieur de Forbin, marquis de Solliès. Elle était très-élogieuse pour le seigneur du lieu, si on en juge par la conclusion qui seule a été respectée : « Sur laquelle proposition, le conseil applaudissant de son cœur aux sentiments de générosité et de grandeur d'âme de M. le marquis de Forbin, a unanimement délibéré de ne rien statuer dans le moment présent sur l'indemnité au sujet de la mouture. »

L'exposé des motifs a été biffé de manière à ne pouvoir être lu. conformément à la décision suivante, consignée en marge du registre, le 24 août 1792 :

« Aujourd'hui, 24 août 1792, l'an IV de la liberté, le conseil général de cette commune s'étant assemblé, plusieurs citoyens de cette ville se sont présentés et ont demandé lecture de la délibération ci-contre, laquelle ayant été faite et ayant été reconnu que dans l'exposé on pouvait présumer des injures contre quelques citoyens de cette ville, et cette délibération n'influant absolument en rien sur les affaires de la commune, il a été unanimement délibéré, après avoir oui sur ce le procureur de la commune, que ledit exposé sera biffé, rayé, pour qu'il ne paraisse rien du contenu, en désavouant, de la manière la plus formelle, l'adulation prodiguée au sieur Forbin, et qu'il n'a jamais méritée. »

Tel fut le dernier mot de ce long conflit qui avait duré 398 ans, de 1394 à 1792.

Octave Teissier

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 136599
  • item : Château de Forbin (ruines)
  • Localisation :
    • Provence-Alpes-Côte d'Azur
    • Var
    • Solliès-Ville
  • Lieu dit : la Montjoie
  • Code INSEE commune : 83132
  • Code postal de la commune : 83210
  • Ordre dans la liste : 1
  • Nom commun de la construction :
    • La dénomination principale pour cette construction est : château
  • Etat :
    • Etat courrant du monument : vestiges (suceptible à changement)

Dates et époques

  • Périodes de construction :
    • Nous n'avons aucune informlation sur les périodes de constructions de cet édifice.
  • Date de protection : 1920/06/22 : classé MH
  • Date de versement : 1993/06/04

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • non communiqué
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :
    • Notre base de données ne comprend aucun élément particulier qui fasse l'objet d'une protection.
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • non communiqué

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : propriété de la commune 1992
  • Détails : Château de Forbin (ruines) : classement par arrêté du 22 juin 1920
  • Référence Mérimée : PA00081744

photo : joel.herbez

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