Fontaine de Carpeaux

Cette fontaine, construite en 1874, a été conçue par Gabriel Davioud (1824-1881) et réalisée avec la collaboration :

• d'Emmanuel Frémiet (socle),
• Jean Baptiste Carpeaux (groupe sculpté),
• Pierre Legrain (globe)
• et Louis Vuillemot (guirlandes du piédestal).

Les Quatre Parties du Monde soutenant la Sphère, Groupe destiné à la fontaine du Luxembourg. Ce groupe, commandé par la Préfecture de la Seine et qui avait d'abord été désigné par Carpeaux sous le nom des Quatre Points cardinaux, ne fut exposé en plâtre, de grandeur définitive, qu'au Salon de 1872, et placé en bronze dans l'avenue de l'Observatoire, à Paris, qu'au mois d'août 1874.

Critique de la fontaine et de Carpeaux par Jules Claretie

J'aime moins les Quatre Parties du monde soutenant la sphère, groupe qui orne une fontaine du Luxembourg. C'est encore la danse, et une danse forcenée, qu'exécutent, à l'ombre de la sphère qu'elles soutiennent de leurs bras maigres, les quatre femmes de Carpeaux, placées ainsi sous les signes du Zodiaque et représentant les quatre parties du monde. Il semble que ce soient là les mêmes femmes que celles du groupe de l'Opéra, mais vieillies par une débauche nouvelle, et qui continuent leur quadrille échevelé.

L'Asie est représentée par une Chinoise, l'Amérique par une femme couronnée de plumes, comme la Méloé des Incas de Marmontel, l'Afrique par une négresse aux épaules à demi couvertes par une peau de bête, l'Europe par une fille hystérique aux longs cheveux dénoués et flottants. Ces maigreurs malsaines, ces flancs épuisés, ces mines allongées et creusées se tortillent dans une ronde bizarre et cependant entraînante.

La Fontaine des Quatre-Parties-du-Monde, ou Fontaine de l’Observatoire

Les peausseries de l'Africaine semblent clapoter au vent comme des torchons mouillés. On se demande par quelle exagération de la frénésie et de la nervosité, Carpeaux a pu sculpter ainsi cette danse de Saint-Guy, et l'on a hâte de revenir, pour retrouver le maître, à quelque autre œuvre, au moindre de ses bustes, celui de M. Gérôme, par exemple. Voici du moins un chef-d'œuvre. La physionomie naigre, énergique et résolue, la tête en quelque sorte orientale du peintre, est rendue par Carpeaux avec un art prodigieux. C'est la vie même, cette fois, et ce buste vaut tous ceux que le sculpteur a signés autrement. Les cheveux en coup de vent, la moustache rude, l'œil profond, M. Gérôme apparaît, avec ses traits creusés et son air à la fois sympathique et dur. Le cou, qui semble un peu trop arraché du corps, à cause des déchirures voulues du bronze, a la courbe superbe d'un antique. Ce buste, en vérité, est un morceau de maître. C'est encore à Donatello que je songe en le regardant.

D'autres critiques ont été moins sévères que moi pour les femmes nues de la fontaine du Luxembourg. « Le même mouvement caractérise ce groupe, dit M, Armand Silvestre, en le comparant au groupe de l'Opéra, la même morbidesse dans les chairs qu'un souffle violent semble flageller. Là est vraiment l'originalité de Carpeaux, qui, à ce point de vue, peut être comparé à Rubens. C'est que devant son œuvre, on ne saurait penser au vers admirable de Victor Hugo : Chair de la femme ! argile idéale ! ô merveille !

La matière n'est pas divinisée par lui, mais traitée avec un sentiment réaliste d'une intensité effrayante et presque capiteuse.

On sait que, sous l'empire, raconte justement l'écrivain que je viens de citer, peintres et sculpteurs célèbres déjà faisaient partie de ces réceptions officielles, consistant en un séjour de quinze jours à Fontainebleau. Le temps était strictement réglé, et les séries se succédaient avec une inflexible régularité.

Carpeaux faisait partie d'un de ces groupes, et son intention était de profiter de l'occurrence pour faire un buste de impératrice Eugénie.

Par un caprice qui ne fait point honneur à ses goûts artistiques, celle-ci resista absolument de se prêter au désir du sculpteur. Carpeaux ne fut pas ému de cette résistance, et lorsque la série d'initiés dont il faisait partie eut épuisé le temps de son séjour, ses hôtes furent tout à fait étonnés de le voir rester parmi eux et mêler obstinément à leur vie familière.

Leur surprise fut plus grande encore, lorsqu'on découvrit dans la chambre de l'artiste tous les meubles déchiquetés, pour en faire des ébauchoirs, et une masse considérable de terre glaise tranquillement installée sur une magnifique commode Louis XVI.

Il ne restait plus qu'à céder pour sauver le reste du mobilier. »

Cette anecdote, absolument authentique, donne un curieux renseignement sur la nature volontaire de Carpeaux.

J'ai dit que Carpeaux tenait du soldat ; il tenait aussi de l'ouvrier. Tout sa vie il avait travaillé pour vivre. Et c'est au moment où la gloire assurait forcément sa prospérité qu'il fut atteint de la maladie cruelle, du cancer qui l'emporta. Ce mal datait du mois de mars 1873.

C'est à cette époque qu'on lui fit la première opération de la pierre. Peu de temps après le cancer se déclara, et la vie de Carpeaux devint celle d'un supplicié. Il réalisait le Dante non-seulement dans son œuvre, mais dans sa vie.

Source : J.-B. Carpeaux, 1827-1875 par Jules Claretie 1875.