Sainte-Geneviève devenue Le Panthéon

Plan de l'article sur le Panthéon :

  • Introduction
  • Chapitre I ( Nom et aspect du mont Sainte-Geneviève sous les Romains, Première basilique chrétienne, Clovis, Sainte Clotilde, Sainte Geneviève.)
  • Chapitre II ( Esquisse de-la vie de sainte Geneviève.)
  • Chapitre III ( Achèvement de la basilique de Clovis, Thibaut, Gontran, Clotilde y sont inhumés, Apparition et désastres des Normands, Restaurations, par Etienne de Tournai, Philippe-Auguste protège l'église de Sainte-Geneviève.)
  • Chapitre IV ( Chanoines de Sainte-Geneviève, Noms des principaux Abbés, Anecdotes relatives aux Génovéfains.)
  • Chapitre V ( Priviléges de l'abbaye Sainte-Geneviève, Titres, Sceaux, Immunités, Serments des Archevêques de Paris, Amitié entre les Chanoines de la cathédrale et les Génovéfains, Formule de profession et vêtements des Génovéfains, Mitre et Crosse de l'Abbé, Ses droits sur l'Université, Épitaphes de Descartes et d'un Génovéfain.)
  • Chapitre VI ( Corps de sainte Geneviève, Châsses, Processions, Confrérie, Statuts, Ouverture et destruction de la châsse, Corps de sainte Geneviève brûlé en Grève, Tombeau transféré à Saint-Étienne-du-Mont.)
  • Chapitre VII ( Nouvelle basilique Sainte-Geneviève, Vœu de Louis XV, Description architecturale, Style, Ornements, Sculptures, Hauteur, Largeur, Longueur, Accident du Dôme, Sacristie, Salon des Evêques, Crypte, Tombeau de Soufflot, Architectes et Inspecteurs du Monument.)
  • Chapitre VIII ( Église Sainte-Geneviève transformée en Panthéon, Décret de l'Assemblée nationale, On demande à la tribune les honneurs du Panthéon pour Mirabeau et Marat, Tous deux y sont portés en triomphe et bientôt après en sont ignominieusement chassés, Lepelletier de Saint-Fargeau, Ovation avortée de Barra et Viala, Apothéoses de Voltaire et de Rousseau.)
  • Chapitre IX ( Le Panthéon redevient église catholique, Grandes pensées de l'empereur Napoléon, Décret impérial sur le Panthéon, Noms des dignitaires de l'Empire inhumés au Panthéon.)
  • Chapitre X ( Louis XVIII continue l'œuvre de l'empereur Napoléon, Dédicace de Sainte-Geneviève en 1622, Discours de Mgr de Quélen au Roi, Peinture de la coupole, par Gros.)
  • Chapitre XI ( 1830 L'église Sainte-Geneviève redevient Panthéon, Décret de Louis-Philippe sur le Panthéon, Visite de Louis-Philippe, Tables des héros de Juillet, Pendentifs de la coupole, On refait un nouveau fronton, Bas-relief de la façade, Révolution de 1848, Exécution de portes en bronze, Projet de peintures murales, Désastres des journées de juin 1818.)
  • Chapitre XII ( Décrets de Monseigneur le Prince-Président sur le Panthéon, Il est rendu au culte, Ordonnances de Monseigneur l'Archevêque de Paris pour régler les formes du concours et les fonctions des chapelains de Sainte-Geneviève.)

Introduction

La basilique de Sainte-Geneviève est vraiment l'église de France par excellence : ses destinées sont intimement unies à celles de la patrie. Les vicissitudes de celle-ci sont inévitablement ressenties par celle-là : toutes deux naissent en même temps, grandissent ou périclitent ensemble. Un coup d'œil rapide le démontrera clairement,

Clovis, fondateur de la monarchie française, bat dans les plaines de Vouillé les bandes sauvages du Goth Alaric : et aussitôt la basilique qui s'appellera Sainte-Geneviève s'élève comme le trophée de la victoire.

Les indomptables Normands menacent, envahissent la France, en désolent la capitale : et l'église Sainte-Geneviève, enveloppée dans la même catastrophe, est saccagée, brûlée, presque détruite.

Philippe-Auguste, le vainqueur de Bouvines, élève la France à un haut point de gloire, agrandit, embellit Paris : un abbé fameux de Sainte-Geneviève relève de ses ruines la basilique dévastée par les Normands.

Six ou sept siècles d'une prospérité presque constante assurent aux monarques français la jouissance du plus beau trône du monde : pendant ce même laps de temps l'église Sainte-Geneviève fleurit, voit rois, princes, peuples, pèlerins innombrables s'agenouiller pieusement sous ses voûtes séculaires.

La tempête qui devait jeter dans un abîme un roi malheureux commence de souffler sur la France, amoncelle à son horizon des nuages funèbres : soudain l'église Sainte-Geneviève subit l'atteinte des funestes doctrines qui agitent le sol de la patrie, elle est changée en un monument païen, à la glorification de nous ne savons quels héros.

Un grand homme paraît à travers les tourbillons enflammés des combats. Aussi vaste dans ses pensées que sublime dans ses desseins, Napoléon, partout victorieux, rend à la patrie ses autels désolés : l'église Sainte-Geneviève rouvre alors ses portes fermées, reconquiert sa primitive splendeur.

Louis XVIII continue les projets du grand empereur, et de nouveau les concerts sacrés retentissent sous les nefs tutélaires de l'église de la Patronne de Paris.

La Révolution de 1830 s'opère, ramène les triomphes d'un vain philosophisme. Le monarque élu par elle obéissant timidement à cet esprit mauvais, qui devait dix-huit ans plus tard le précipiter du trône, lui élève d'une main une colonne de bronze, lui ouvre de l'autre un temple qu'il enlève par un décret profane à la religion éplorée. Une chute fatidique devait, mais trop tard, apprendre à ce monarque qu'il avait accordé une inconséquente faveur à des doctrines subversives dont il est tombé la première et triste victime.

Les événements se succèdent avec une effrayante rapidité. Des clameurs étranges, inouïes, retentissent aux oreilles des hommes étonnés. Puis, bientôt l'héritier impérial fait en un clin d'oeil poindre à l'horizon de la France un nouvel ordre de pensées.La capitale émue offre encore l'image du combat ; les feux du bivouac fument dans ses rues et sur ses places publiques, et, déjà, Monseigneur le Prince Louis-Napoléon Bonaparte s'empresse de rendre à sainte Geneviève la basilique d'où la philosophie l'avait outrageusement expulsée. Le 6 décembre 1851, un décret proclame que la croix reprendra sa place souveraine à la cime trop longtemps découronnée du monument de Louis XV.

De si nombreux et tragiques événements accomplis dedans et autour d'un édifice dont les murailles splendides dominent de si haut la capitale française, le désignent naturellement à l'attention publique. L'église de Sainte-Geneviève de Paris, unie dès les premiers âges aux péripéties les plus variées de notre puissance, paraît en ces derniers temps s'unir également aux destinées de la religion en France : elle est glorieuse ou affligée, elle s'ouvre ou se ferme selon que le calme ou la tempête se font au sein du catholicisme et de la patrie. Tantôt enlevée, tantôt rendue, tantôt purifiée, tantôt profanée, selon que la religion elle-même subit des insultes ou reçoit des hommages, cette église ne semble-t-elle pas en être la plus étonnante identification ?

Fille du peuple, bergère simple, villageoise modeste, sainte Geneviève devenue la patronne de la plus polie et de la plus brillante cité des siècles modernes, voit son nom et son temple mêlés aux plus grandes gloires, aux plus rudes épreuves de la religion catholique et de la société française.

Le récit de l'histoire de l'église-Panthéon, Sainte-Geneviève, à travers les vicissitudes des âges, depuis Clovis jusqu'à nos jours, ne peut donc manquer d'offrir une peinture intéressante, que nous appellerions presque nationale, puisque ce temple apparaît à toutes les époques de notre existence historique. Je l'ai entrepris avec la confiance d'être agréable à tous ceux qu'une piété solide, un patriotisme sincère attachent aux belles et antiques réminiscences de la France.

Ancienne eglise sainte-genevieve devenue le Pantheon

L'Église de Sainte-Geneviève (Panthéon Français)

Chapitre I

  • Nom et aspect du mont Sainte-Geneviève sous les Romains.
  • Première basilique chrétienne.
  • Clovis.
  • Sainte Clotilde.
  • Sainte Geneviève.

Lutèce encore sauvage mérita de fixer l'attention des gouverneurs romains, à cause sans doute de son heureuse position, au sein d'un magnifique fleuve, dont la navigation facile se reliant à d'autres rivières importantes, telles que l'Yonne, la Marne, l'Oise, ouvrait de larges voies de communication entre les diverses provinces du territoire gaulois. Le mont qui dominait de plus près cette île depuis si fameuse, partagea bientôt avec elle les avantages de l'utile séjour des vainqueurs, qui en apportant les décrets et les lois de Rome, introduisaient aussi les arts, les sciences, la civilisation. Les forêts qui hérissaient sa cime firent place à des plantations de vignes ; la culture, le luxe des jardins embellit ses flancs ; un camp de légionnaires romains se dressa sur son versant occidental, à peu près vers la place actuelle de Saint-Michel ; des arènes, dont les spectacles amusaient si vivement les fils de Romulus, s'élevèrent sur son côté oriental, vers la rue actuelle de Saint-Victor ; des fabriques de tuiles, de briques, de poteries, s'établirent sur son plateau, dont les terrains offraient une argile propice à ces sortes de produits ; un aqueduc, dont la ligne bienfaisante et désormais ineffaçable courant à travers ses vignobles déjà prospères, amena les eaux limpides d'Arcueil aux vasques consulaires du palais des Thermes, dont les somptueuses murailles élevées entre le mont et l'île de Lutèce, étalaient au milieu d'une contrée encore barbare la pompe, la richesse, les jouissances de la ville des Césars.

On croit que ce splendide palais fut construit par Constance Chlore vers la fin du troisième siècle. Julien l'embellit, l'agrandit, en préférait le séjour aux plus beaux sites d'Antioche, ainsi qu'il le déclare en ses,lettres. Il y passa plusieurs quartiers d'hiver ; c'est ce qui explique peut-être comment il a pu passer pour le fondateur de cet édifice, que Fortunat nomme Arx celsa, et le poète Jean de Hauteville Aula regum.

« Ce palais, dit-il, dont les cimes s'élèvent jusqu'aux cieux, tandis que ses fondements atteignent l'empire des morts, se compose d'un principal corps d'habitation dont les ailes s'étendent sur le même alignement, et semblent dans leur déploiement gigantesque embrasser la montagne voisine ».

Dans la portion inférieure du terrain occupé aujourd'hui par la rue Saint-Jacques, un autel érigé à Bacchus, réunissait aux jours de fête les adorateurs de ce dieu. Les bords des deux grandes voies romaines, dont l'une se dirigeait vers Issy, et l'autre vers la rue actuelle Mouffetard, étaient couverts de monuments funèbres, selon l'antique usage de Rome, comme le remarque saint Jean Chrysostome dans un de ses discours. Toutes les villes, toutes les bourgades ont des tombeaux à leur entrée. Plusieurs cercueils de pierre découverts à diverses époques, en différents endroits de la ligne de ces chemins, témoignent de la vérité de cette assertion.

Telle était sous les Romains la physionomie de ce mont, dont l'appellation mons Locutitius, d'une signification assez obscure, paraît avoir emprunté quelques particules au nom même de Lutèce, qui se nommait indifféremment Lutelia ou Lucotetia. La population croissante de Lutèce, le séjour prolongé des gouverneurs romains dans le palais des Thermes, en particulier de Julien, favorisèrent singulièrement la prospérité de cette colline. Les spectacles militaires du camp des légionnaires, les jeux bruyants des arènes et les combats des gladiateurs, les fêtes du palais romain, le faste et la vie luxueuse des officiers et des représentants de Rome, faisaient de ce mont le centre d'un mouvement sans cesse renouvelé et entretenu par l'arrivée ou le passage des légions, comme celles qui, venant des bords du Rhin et se rendant en Perse, proclamèrent Julien, Auguste, pendant leur séjour au camp du mont Locutitius, ou bien encore par les transactions commerciales ; car, dès le quatrième siècle, nous trouvons dans l'île Lutèce une corporation importante de bateliers qui, par la Seine, faisaient une partie du commerce des Gaules.

Mais, des grandeurs plus véritables attendaient cette colline. Un conquérant magnanime devait jeter à son sommet les fondements de l'édifice sacré, où pendant de longs siècles les générations devront venir s'agenouiller près du tombeau de l'illustre bergère de Nanterre. Puis, si, après treize siècles, cet édifice ébranlé menace ruine, à un roi de la race de ce même conquérant appartiendra l'honneur de le remplacer par une construction plus vaste et plus splendide.

Vainqueur des Romains, de Syagrius, dans les plaines de Soissons, comme il l'avait été des colonnes allemandes à Tolbiac, Clovis, comblé de gloire, de richesse, heureux, redouté de ses voisins, avait épousé Clotilde, nièce du roi des Bourguignons, princesse aussi remarquable par sa piété que par son éclatante beauté. Cédant à la douce influence de Clotilde, Clovis encore païen avait adressé plusieurs fois des vœux au Dieu inconnu. Bien lui en était advenu ; il découvrit à Tolbiac qu'on n'invoquait jamais en vain le dieu de la reine Clotilde. Frappé par le prodige de la victoire remportée dans ces plaines mémorables, il voulut, lui aussi, adorer et servir ce Dieu tout-puissant. Ce fut à Reims que saint Remi fit couler les eaux régénératrices sur le front dû fier Sicambre. De ce moment, Clovis se plut à montrer aux yeux de tous la vivacité de sa foi.

Un jour de l'année 506, ce prince suivait avec Clotilde les chemins ombrageux de la maison de campagne qu'il possédait sur le plateau du mont Lucotitius. Rempli alors par les pensées belliqueuses d'une campagne qu'il méditait contre Alaric, maître de la Guienne et du Languedoc, il en discourait avec la reine, lui laissant voir quelques craintes secrètes ; car ses nouveaux ennemis comptaient des cohortes nombreuses, terribles. Clotilde, toujours fidèle à ses hautes inspirations de confiance en Dieu, lui rappela les grâces merveilleuses qu'il en avait précédemment reçues. Les souvenirs de Tolbiac étaient encore si récents, qu'il devenait facile de convaincre le vaillant guerrier de l'efficacité du secours céleste. Mue par une piété particulière envers les glorieux princes des apôtres, saint Pierre, saint Paul, elle lui parla d'une église à ériger en leur honneur sur le plateau même où ils se promenaient. Clovis, dans l'âme duquel la foi chrétienne, aussi bien que la valeur guerrière, produisait de ces élans de fougue généreuse qui ne souffre point de retard, lança sa hache d'armes en avant, s'écriant : « Que l'église des Saints-Apôtres s'élève afin que, Dieu nous secourant, nous revenions victorieux. »

Ces paroles qui peignent si vivement l'âme impétueuse du monarque franc, sont rapportées par un auteur de l'an 720, et citées dans la précieuse chronique manuscrite, attribuée au savant génovéfain Dumoulinet.

Clovis donna immédiatement ses ordres pour la construction de cette église, où il voulut qu'on déployât tout le luxe artistique de son époque. Les premiers fondements en furent posés avant son départ pour les combats, ainsi que l'atteste le moine Rovicon. « Avant de partir pour la guerre, il fit construire, en un style élégant, l'église qu'il avait promis d'élever sous le nom de Saint-Pierre. » Trois portiques majestueux, ornés de riches mosaïques, offraient alternativement aux regards des fidèles les images des prophètes, des patriarches, des apôtres. Les murs intérieurs et extérieurs étaient revêtus de précieuses mosaïques, décoration alors très à la mode. Toutes les parties de la nouvelle basilique témoignaient de la magnificence royale qui en dirigeait les plans. Étienne de Tournai, abbé génovéfain, au douzième siècle, nous l'atteste en ces termes : « Cette église bâtie par l'œuvre et les deniers du roi, était peinte et ornée de mosaïques intérieurement et extérieurement, comme les restes le prouvent encore aujourd'hui. » Clovis l'enrichit d'ornements magnifiques, la combla de richesses, selon l'assertion du moine Rovicon.

Une crypte, conformément à l'usage général de cette époque voisine des souvenirs des Catacombes où les chrétiens naissants devaient cacher leurs œuvres et leurs martyrs, fut pratiquée au-dessous de l'église nouvelle. Cette crypte deviendra un jour célèbre par tout le royaume de France, et les pèlerins y accourront en foule.

La magnanime résolution du roi Clovis produisit les plus heureux effets dans l'âme de ses vaillants compagnons d'armes, qui, comme lui, reçurent le baptême des mains du saint archevêque Remi. Comment ne pas vaincre sous la conduite d'un tel héros, sous les auspices tutélaires du Dieu qui les fit triompher à Tolbiac ? Ce cri parcourut instantanément tous les rangs de l'armée : on se mit en marche avec la plus ferme espérance du succès. Le vœu du chef doublait les forces de ses soldats.

L'attente ne demeura point vaine. Une secrète terreur saisit les ennemis dès les premières rencontres ; les murs d'Angoulême tombent ; un cerf miraculeux indique à l'armée le gué d'une rivière à traverser ; les cohortes barbares émues se confondent, se dispersent ; des milliers de Goths jonchent le champ de bataille ; Alaric lui-même succombe ; Clovis l'immole de sa propre main ; les plaines de Vouillé retentissent des cris de victoire des redoutables Francs.

Clovis, vainqueur, retourne vers sa capitale, s'empresse de visiter les murs naissants de la basilique votive des apôtres, y dépose en trophées l'or, l'argent, les objets précieux, pris dans le camp des Goths vaincus.

Clovis en pressa vivement la construction ; néanmoins, malgré son zèle et son activité, il n'en put voir l'achèvement, la mort l'ayant frappé au mois de novembre de l'an 511. Clotilde, quoique le sanctuaire de l'église fût encore incomplet, y fit inhumer le corps du puissant monarque. L'édifice n'en devint alors que plus cher à cette pieuse reine. Le double sentiment de la religion et de l'affection conjugale l'excita à en pousser les travaux avec une nouvelle activité. Elle eut enfin le bonheur de le compléter entièrement sous les règnes de ses fils, Clotaire, Childebert et Clodomir, comme l'atteste le manuscrit génovéfain.

Les cérémonies de la Dédicace se célébrèrent avec la plus pompeuse magnificence. La reine, les rois, ses fils, y assistèrent dans leurs plus brillants ornements : saint Remi, archevêque de Reims, consacra le temple fondé par la piété et le vœu de Clovis. Ce fut probablement vers cette époque qu'on plaça sur la pierre tombale du roi fondateur l'épitaphe suivante, qu'Aimoin dit être de la composition de saint Remi, et qui nous retrace dans un admirable laconisme les plus beaux faits de la vie héroïque de Clovis :

Dires opum, virtute potens, clarusque triumpho,
Condidit hanc aedem rex Clodovaeus et item
Patritius, magno sublimis fulsit honore.
Plenus amore Dei, contempsit credere mille
Numina quae variis horrent portenta figuris.
Mox purgatus aquis et Christo fonte renatus
Fragrantem gessit infuso chrismate crinem
Exemplumque dedit, sequitur quod plurima turba
Gentilis populi, spretoque errore suorum
Ductorem est cultura deum verumque parentem,
His felix meritis superavit gesta priorum,
Semper consilio, castris, bellisque tremendus,
Hortatu dux ipse bonus ac pectore fortis
Constructas acies fjrmavit in agmine primus.

il convient maintenant d'expliquer comment cette superbe basilique de Clovis, édifiée sous le titre des apôtres Saint-Pierre-Saint-Paul, ne nous est cependant connue aujourd'hui que sous le nom de Sainte-Geneviève.

Le mois de novembre de l'an 511 avait vu le trépas, les funérailles du magnanime vainqueur de Vouillé. Le 3 janvier de l'année suivante vit une autre mort. Sainte Geneviève quitta cette terre d'exil pour s'envoler vers le ciel. En apprenant sa mort, la reine Clotilde s'écria : « J'ai perdu mon ange, ma meilleure amie. » Magnifique éloge sur des lèvres telles que celles de la première reine de France ! Les paroles de Clotilde volèrent de bouche en bouche : elles furent répétées surtout par les affligés que cette sainte consolatrice fortifiait dans leurs peines, par les malades qu'elle guérit de leurs infirmités, par les vierges qu'elle guida par ses pieux et sages conseils. La ville entière s'émut, assista aux obsèques de la Sainte. Les prêtres, revêtus de leurs ornements, les jeunes lévites balançant les encensoirs sacrés, les hommes de la solitude quittant leurs paisibles retraites, des femmes éplorées, de fiers guerriers, des personnes de tout rang entourèrent le cercueil qui renfermait un corps si précieux, le conduisirent avec une pompe inusitée vers cette basilique qui, peu de semaines avant, recevait la dépouille mortelle du premier roi chrétien. La douce Geneviève, l'humble fille du peuple, sans autre sceptre que sa vertu, sans autre couronne que sa piété, partageait ainsi la demeure suprême du grand monarque dans le sanctuaire des saints apôtres.

Dieu lui réservait encore une plus extraordinaire distinction. Peu de siècles s'écouleront, et le pèlerin attiré par la renommée des miracles opérés au tombeau de Geneviève, ne viendra point à l'église de Saint-Pierre ou Saint-Paul ; il ne saura même plus le nom du fondateur ; il ne cherchera, ne verra que l'église de Sainte-Geneviève. Transformation nominale étonnante ! qu'on doit certainement attribuer à l'éclat des vertus de la sainte bergère, et peut-être aussi à la part active qu'elle prit dans l'édification de la basilique, A peine avait-elle eu connaissance des projets de Clovis, que joignant ses exhortations à celles de Clotilde, elle confirma et assura leur prompte exécution. L'auteur de sa vie semble même insinuer que l'ordre de Clovis découlait surtout des conseils de Geneviève. Le Rituel parisien émet la même opinion, lorsque, racontant que saint Prudentius, évêque de Lutèce au quatrième siècle, avait été inhumé à la cime du mont, il ajoute : « Sur le mont dominant Paris à l'orient, où plus tard Clovis-le-Grand bâtit un temple par le conseil de sainte Geneviève. »

Quoi qu'il en soit, le fait constant est que la basilique de Clovis, édifiée sous le titre des Apôtres, prit conjointement le titre de Sainte-Geneviève dès les premiers siècles de sa fondation. L'abbé de saint Vandrille, Austrégise, mort en 832, lègue une somme d'argent à l'église de Sainte-Geneviève : ad Sanctam-Genovefam. Les Annales de saint Bertin, dont l'auteur vivait en 883, mentionnant les ravages de cette église par les Normands, l'appelle : Basilique de Saint-Pierre-Saint-Paul et Sainte-Geneviève : Basilicam Sancti-Petri-Sancti-Pauli et Sanctae-Genovefae. L'auteur des Gestes des Normands, dans les collections de l'histoire de France, par Duchesne, s'exprime de la même manière : « Ils brûlent la basilique de Saint-Pierre-Saint-Paul, Sainte-Geneviève : Basilicam Sancti-Petri-Sancti-Pauli et Sanctae-Genovefae incendunt. » L'église de Sainte-Geneviève, s'écrie Dudon, abbé de Saint-Quentin, en Vermandois, en 980, a été brûlée par ces méchants : « Ecclesia Sanctae-Genovefae ab istis nefandis combusta est. » Une charte du roi Bobert, en 999, adressée aux chanoines de cette église, les appelle : « Nos bien-aimés du monastère des Apôtres et de Sainte-Geneviève. »

Puis, un autre fait non moins incontestable, c'est que l'appellation primitive et bientôt même la dénomination collective disparurent devant le seul nom de Sainte-Geneviève, sous lequel cette basilique est exclusivement connue depuis déjà un grand nombre de siècles. Cette transformation s'explique assez facilement en présence des innombrables prodiges opérés près du corps de sainte Geneviève. C'est ce que le savant collaborateur de Mabillon, Ruinart, dit positivement dans ses commentaires des écrits de saint Grégoire de Tours : « Cette basilique est maintenant appelée Sainte-Geneviève, parce que la vierge sacrée qui y repose s'est rendue fameuse par de nombreux miracles. »

Le tombeau de Clovis

Chapitre II

  • Esquisse de-la vie de sainte Geneviève.

Le but principal de cet article étant le récit des phases diverses de la basilique de Sainte-Geneviève, nous avons dû anticiper sur les événements pour expliquer la fondation et la transformation nominale du temple qui lui fut bientôt consacré. Il convient maintenant de reporter nos regards en arrière et de remonter au berceau même de cette illustre patronne de Paris et de la France. Une esquisse de sa vie ne peut, il nous semble, être plus convenablement placée que dans un livre consacré à la glorification de son église.

L'empire d'Occident croulait de toutes parts : Honorius ne tenait plus que d'une main faible et débile un pouvoir prêt à s'évanouir. Les Francs belliqueux et pleins d'une sève d'ardente jeunesse, lui arrachaient chaque jour quelques portions des Gaules. En élevant sur le pavois Pharamond, un de leurs chefs les plus vaillants, ces peuples asseyaient plus fortement sur le sol la base de leur puissance en même temps qu'ils abattaient les fondements de la domination romaine. Dieu préparait ainsi l'extirpation plus prompte des antiques superstitions de Rome et l'établissement définitif du christianisme au sein d'une nation qui devait en être un jour le plus ferme défenseur.

Dès ces premiers jours, deux femmes illustres, Clotilde, la nièce de l'orgueilleux roi des Bourguignons ; Geneviève, la fille d'un simple villageois ; nous apparaissent brillantes d'un éclat qui rend plus splendides encore les gloires naissantes de la monarchie française. Geneviève doit ici fixer plus spécialement notre attention. A quelques milles de Lutèce, au milieu de ces vastes plaines qui retentiront plus tard de tant de noms fameux, était un petit village nommé Nanterre. Les habitants s'occupaient de la culture des champs, ou veillaient à la garde des troupeaux. L'un d'eux, Sévère, et sa compagne Géronce jouissaient au hameau d'une réputation honorable, mais qui se serait probablement éteinte au milieu des ormeaux qui l'avaient vu naître, si Dieu ne leur avait donné pour fille la douce et innocente Geneviève. En l'année 422 naquit le modèle et la patronne de la France. Chaque printemps qui ornait la terre de verdure et de fleurs embellissait Geneviève de quelques dons nouveaux. Ni la rose, ni le lis n'épanouissaient plus suaves et plus purs au milieu des plaines de Nanterre, que Geneviève parmi ses jeunes compagnes.

Vers cette époque, l'hérésie de Pélage désolait la Grande-Bretagne. Les fidèles de cette contrée tournèrent leurs regards vers les évêques des Gaules, les suppliant d'envoyer à leur secours des hommes pieux et instruits pour sauver la foi du naufrage. Saint Germain, évêque d'Auxerre, saint Loup, évêque de Troyes, désignés par les prélats, acceptèrent avec joie cette mission difficile et périlleuse. Déjà ils avaient dépassé les murs de Lutèce ; le petit village de Nanterre s'offrait à leur vue. Leur brillante réputation de sainteté les y avait précédés. A leur arrivée, hommes, femmes, enfants, se pressent sur leurs pas, demandant à grands cris leurs bénédictions. Tout à coup saint Germain s'arrête ; une lumière divine l'illumine, lui signale dans la foule une timide jeune fille ; il l'appelle, et d'une voix prophétique annonce au peuple la sainteté future de cette jeune enfant.

Les jours de Geneviève coulaient purs et sereins, partagés entre les pratiques religieuses et les devoirs ordinaires de la vie. Elle conduisait son docile troupeau dans les prairies avoisinant sa demeure, ou sur les pentes verdoyantes de la colline qui s'élève au midi de Nanterre. Depuis, cette colline a vu une croix s'élever à son sommet, où sont venus s'agenouiller d'innombrables pèlerins. C'était là, sur ce tertre verdoyant, que Geneviève paissait ses moutons. La source limpide qui coule le long des flancs de la colline à travers la verdure et les fleurs, lui doit son nom et s'appelle fontaine de sainte Geneviève. Ses eaux, sanctifiées par le contact de la sainte bergère, opérèrent des prodiges ; l'on y vint de bien loin puiser la santé et la vie.

La croix plantée sur la cime du mont nommé depuis Valérien, lieu tant aimé de Geneviève, vit passer bien des générations ; toutes la saluèrent avec respect. Ce fut seulement sous le règne de Louis Philippe, lequel nous verrons plus tard fermer les portes du temple de la patronne de Paris, que s'effaceront du sol, pour faire place à des constructions militaires, le tertre et la croix qui rappelaient le Dieu de Geneviève.

La vie de la sainte bergère s'écoulait pure et sereine comme la source tranquille de sa fontaine. Elle venait d'atteindre sa quinzième année lorsqu'on la présenta à l'évêque de Lutèce pour recevoir le voile mystérieux des vierges. Fortifiées par l'onction de la grâce reçue, les vertus de Geneviève jetèrent un si vif éclat, que les yeux des jaloux en furent promptement offusqués. Les méchants soulevèrent contre elle les plus haineuses passions, essayèrent de salir sa vie innocente par leurs impures calomnies. Geneviève, forte de sa vertu, pleine de confiance en Dieu, ne songeait nullement à se défendre : Dieu prit alors lui-même soin de protéger sa fidèle servante. Ramené dans Lutèce par un voyage imprévu, saint Germain fut instruit des accusations portées contre celle dont, naguère, il avait prédit la sainteté ; mais bientôt convaincu de l'innocence de cette pieuse vierge, il eut la joie de voir sa conviction passer dans l'âme du peuple, auquel sa chaleureuse parole fit promptement voir la vérité.

Peu de temps après cette première épreuve, un événement politique vint une seconde fois changer les esprits, enfanta de nouvelles accusations. Attila, le Hun farouche, enflé d'orgueil par ses sanglants triomphes, s'avance à la tête de ses hordes dévastatrices, déchire les Gaules comme le tigre fait d'une faible proie. Metz, Trêves, Arras, Cambrai, ont essayé une inutile résistance. Semblable aux flots d'un torrent dévastateur, son armée s'avance toujours, brisant, renversant tout sur son irrésistible passage. Auxerre, Langres, Besançon, sont enveloppées et succombent. Lutèce n'échappera pas : déjà le lion rugit de joie en apercevant ses murailles ; les habitants, frappés d'épouvante, tremblent, méditent la fuite. Geneviève, douée de ce mâle courage qui anima jadis Judith et Débora, sort de sa retraite habituelle, s'avance au milieu de ce peuple d'ordinaire si courageux, s'adresse aux plus effrayés, les harangue, les dissuade d'un projet que leur inspire moins la prudence que leur manque de confiance dans la protection céleste. Elle assemble les femmes, les conduit en ce lieu appelé depuis Saint-Jean-le-Rond, près Notre-Dame, prie avec elles le Seigneur de détourner la tempête. Les peureux, indignés de rencontrer cet obstacle inattendu à leurs timides projets, conspirent contre Geneviève, veulent même la livrer à la mort. Le péril la menaçait de près, quand soudain Dieu lui envoie secours et assistance. L'archidiacre d'Auxerre, messager de saint Germain à Paris, accourt, interpelle la foule ameutée, lui montre les présents qu'il apportait à Geneviève de la part de saint Germain, et parvient à dissiper leur colère. Sur ces entrefaites, Dieu voulant venger sa douce servante des injustices de ses concitoyens, écarte les Huns de Lutèce, les jette entre les mains victorieuses du général romain Syagrius, devant les murs d'Orléans. Le peuple entier de Lutèce sauvée proclame alors d'une commune voix la sainteté de sa libératrice ; tous confessent que l'esprit de Dieu l'inspirait, tandis qu'une lâche frayeur les précipitait vers une ruine inévitable.

La renommée de Geneviève grandit. Les prodiges opérés par ses prières la rendent l'objet de la vénération de tous. Les veuves désirent apprendre d'elle à rendre sainte leur douleur ; les vierges la supplient de leur servir de mère. Ce fut vers cette époque qu'elle fonda le monastère connu depuis sous le nom d'Audriettes, et que pressée d'un zèle ardent pour honorer la mémoire de saint Denis, apôtre de Paris, elle fit bâtir une église sous son patronage au village de Chateuil.

Chateuil ! ce nom obscur disparaîtra bientôt devant un autre qui s'unira aux fastes de la monarchie. Une superbe basilique succédera à l'église de Geneviève ; les rois descendront dans ses caveaux, rempliront tous ces lieux de leur gloire et de leur grandeur ; mais quelque éclatantes qu'elles soient, elles ne pourront néanmoins obscurcir ni faire oublier le beau nom de la pieuse villageoise qui jeta la première pierre de l'église Saint-Denis, funèbre rendez-vous de leurs ombres royales.

Notre sainte s'était liée d'une amitié particulière avec la reine Clotilde et Remi, archevêque de Reims. Elle paraissait quelquefois à la cour du roi Clovis, et plusieurs témoignages, soutenus par une tradition constante, prouvent qu'elle jouissait d'assez d'autorité près du fier monarque pour avoir influé sur sa décision d'élever une basilique en l'honneur des apôtres saint Pierre et saint Paul. Ea exhortante, dit le vieux chroniqueur de sa vie ; hortatu sanctae Genovefae, écrit le missel parisien, Clovis érigea cette basilique dont les destinées devaient être si brillantes et qui devait changer le nom de ses premiers patrons en celui de la modeste bergère.

On raconte que, traversant un jour la Seine, un vent impétueux souleva les flots autour de la nacelle qui portait Geneviève. La barque allait sombrer ; Geneviève aussitôt lève les yeux au ciel, le vent s'apaise, le calme revient si vite que personne ne doute que son retour ne soit l'effet miraculeux des prières de la sainte.

Le bruit d'une vertu si extraordinaire se répandit jusque dans les pays les plus éloignés. Du haut de sa colonne, dont il ne descendra jamais, le célèbre Siméon Stylite, qui vivait alors en Orient, demandait de ses nouvelles aux marchands Gaulois qui venaient le visiter.

Geneviève continua ses bonnes œuvres et ses grands exemples jusqu'à l'âge de quatre-vingt-neuf ans. Elle trépassa le 3 janvier 512, peu de semaines après Clovis : son tombeau fut placé à côté de celui de ce prince. Tous deux attiraient également l'attention des peuples. Le premier avait illustré le royaume français par les prodiges d'une valeur indomptée ; la seconde le sanctifia par l'influence bienfaitrice de ses vertus. Celui ci gagnait des victoires sur les ennemis de la France naissante ; celle-là écartait les hordes envahissantes par ses ferventes prières. Tous deux devaient tenir un rang glorieux dans les annales de la patrie, qui s'enorgueillit de trouver à son aurore ces deux astres dont la lumière tutélaire n'a cessé de l'éclairer pendant le cours des siècles.

Procession de la châsse de Sainte-Geneviève

Chapitre III

  • Achèvement de la basilique de Clovis.
  • Thibaut, Gontran, Clotilde y sont inhumés.
  • Apparition et désastres des Normands.
  • Restaurations, par Etienne de Tournai.
  • Philippe-Auguste protège l'église de Sainte-Geneviève.

Les corps de Clovis et de Geneviève ayant tous deux été déposés dans l'enceinte inachevée de la basilique des saints Apôtres, la reine Clotilde, pressée par un sentiment de vive affection pour deux personnes si chères, aussi bien que par cette foi ardente qui lui avait fait inspirer à Clovis le projet d'édifier cette église, en poursuivit avec activité l'achèvement. Le vieux manuscrit de la vie de sainte Geneviève affirme qu'elle la compléta entièrement sous le règne de ses fils Clotaire, Childebert, Clodomir.

Cette basilique, comme celles des cinquième et sixième siècles, se distinguait plus par la richesse de ses décorations que par la grandeur de ses proportions architectoniques. Des colonnes de marbre, selon le témoignage de Grégoire de Tours et d'Étienne de Tournai, abbé de Sainte-Geneviève, des mosaïques, des lambris peints et dorés l'ornaient à l'intérieur : un toit de cuivre, des mosaïques, des fresques revêtaient l'extérieur.

A peine achevée, brillante encore de tout son éclat de nouveauté, cette basilique allait bientôt voir se presser sous ses voûtes, à côté de Clovis, deux autres ombres royales. Dès 526, Thibaut et Gontran, fils de Clodomir, victimes de l'ambition effrénée de leurs oncles, qui convoitaient leur héritage, y sont apportés au milieu des chants funèbres et de tout cet appareil de deuil, décrit par Grégoire de Tours en son histoire des Francs.

Frappée par un coup si cruel, Clotilde, après d'inutiles efforts pour réconcilier ses enfants, Childebert, Clotaire, Clodomir, se retira à Tours près du tombeau de saint Martin, pour y demander à la religion ses consolations et le calme de la solitude. Son cœur cependant demeura constamment attaché à l'église achevée par ses soins. Morte à Tours en 545, au temps de l'évêque Injuriosus, Childebert et Clotaire, selon la dernière volonté de leur mère, la firent rapporter à Lutèce avec grande pompe, et l'inhumèrent dans la basilique des saints Apôtres aux côtés du roi Clovis.

Les grandeurs de la royauté et de la sainteté s'accumulant vite sous ces voûtes nouvelles, leur assuraient pour l'avenir ces hommages empressés, religieux, dont les quatorze siècles de notre histoire nationale nous offrent le magnifique spectacle. Clovis, Clotilde, mais surtout Geneviève, paraissent avoir fixé sur les hauteurs du mont Locutitius les yeux de la nation française pour un temps aussi long que celui pendant lequel cette nation attirera sur elle-même les regards de l'univers.

Les trois premiers siècles de l'existence de la basilique de Clovis demeurèrent exempts de ces vicissitudes auxquelles elle devait être tant exposée. Les chants pieux, les cérémonies sacrées, les visites des pèlerins n'y subirent aucune interruption jusqu'à l'an 857, où apparurent les Normands. Un moment retenues dans les froides régions des presqu'îles Scandinave et cimbrique, ces races guerrières et aventureuses ne rencontrant plus sur leur route ni l'épée ni le génie de Charlemagne, commencèrent, dès l'avènement de Louis-le-Débonnaire au trône de France, à descendre le long des côtes de l'Océan, établissant des stations aux embouchures des principaux fleuves, puis bientôt organisant le pillage au milieu des terres. Rouen, pris dès 843, ouvrit le passage vers Paris. Charles-le-Chauve ne put contenir ces hordes intrépides, qui vinrent l'assiéger jusque dans sa capitale. Tous les environs furent pillés, ravagés, incendiés ; l'église de Sainte-Geneviève se trouvant encore à cette époque hors des murs de Paris, subit la plus affreuse dévastation. Ces farouches assaillants, livrés aux grossières superstitions septentrionales, ne respectèrent ni la paix ni la sainteté de l'abbaye, y pénétrèrent le fer et le feu à la main, enlevèrent les richesses que la piété des fidèles y avait amassées depuis trois siècles. « Le 4 des calendes de janvier de l'an 857, les Normands livrent aux flammes, rapporte notre vieux chroniqueur, la basilique de Saint-Pierre et de Sainte-Geneviève.» Les Annales de saint Bertin nous fournissent un témoignage pareil : « Les hommes du Nord remontant la Seine, dévastent tout librement, attaquent Paris, brûlent la basilique de Saint-Pierre-Saint-Paul. » Dudon, abbé de Saint-Quentin, en Vermandois, s'écrie avec douleur que l'église de Sainte-Geneviève, devenue la proie de ces barbares, a été ravagée et consumée par le feu. Aimoin, religieux de Saint-Germain-des-Prés, raconte les mêmes désastres dans des termes qui ne laissent aucun doute sur les malheurs de l'église Sainte-Geneviève. Toutefois, observons que son corps et sa châsse, emportés furtivement par les Génovéfains, furent à l'abri de toute insulte. Pieusement cachés à Mansy, près de la Ferté-Milon, ils y restèrent jusqu'à ce que, la guerre cessant, ils purent reprendre le chemin de Paris.

La crainte des Normands fit trembler la France jusqu'au moment où le roi Charles-le-Simple acheta la paix de son peuple en donnant à Rollon, leur chef, et la Neustrie et la douce Giselle, sa fille bien aimée. Le mont Locutitius revit alors la châsse de sainte Geneviève ; mais les traces du ravage et de la dévastation avaient si profondément sillonné son sommet, qu'elles ne s'effacèrent qu'après de longues années. En effet, ce ne fut guère qu'en 1178, que le célèbre abbé Étienne de Tournai s'occupa efficacement de la restauration de l'église, qui menaçait ruine de toutes parts, selon qu'il l'écrivait à un de ses amis, évêque en Danemark. « Les murs de notre église brûlés, minés par la vétusté, menacent ruine. »

Cet abbé releva donc les murailles chancelantes ou écroulées, éleva les trois voûtes de la nef, perça de nouvelles fenêtres, bâtit l'abside du sanctuaire, ne conservant de l'ancienne église de Clovis que les gros piliers de la nef et l'arcade dominant le sanctuaire. Il releva également, agrandit, embellit les chapelles, refit les châsses, répara le cloître, le chapitre, le dortoir, le réfectoire. Il dirigea ces immenses réparations avec une admirable activité, et s'applaudit dans une de ses lettres à Guillaume, abbé en Danemark, d'avoir presque terminé les beaux et spacieux bâtiments de son abbaye.

Philippe-Auguste régnait alors sur la France. Désireux de fortifier et d'embellir Paris, il l'entourait d'une nouvelle ceinture de remparts, qui, dans son vaste circuit, embrassant l'église Sainte-Geneviève, la mit ainsi à l'abri des incursions extérieures, l'unit en même temps d'une manière plus intime à Paris, capitale du beau royaume de France. Étienne de Tournai, reconnaissant des bienfaits de Philippe-Auguste, voulut, par un même hommage public de gratitude, réunir et honorer les glorieux souvenirs du roi fondateur et du monarque protecteur, en érigeant les deux statues de Clovis et de Philippe-Auguste au milieu de ce cloître restauré et embelli par ses soins.

Avec les travaux et les embellissements d'Étienne de Tournai recommencent pour l'église Sainte-Geneviève une nouvelle ère de prospérité. Chose remarquable ! un roi, Philippe-Auguste, bienfaiteur illustre, se rencontre au commencement de cette seconde période, comme un autre roi, Clovis, protecteur non moins magnifique, s'était trouvé au début de la première. Plus de cinq siècles vont s'écouler : l'église Sainte-Geneviève réédifiée demeurera glorieuse entre tous les monuments de la capitale française ; puis, quand le poids des siècles menacera d'écraser les antiques voûtes de la basilique génovéfaine, viendra un troisième roi, Louis XV, qui, reprenant l'œuvre de ses prédécesseurs, élèvera à sainte Geneviève un temple plus somptueux que les deux premiers, tant il est vrai que la Patronne de Paris et de la France doit demeurer toujours unie au trône des monarques français.

Façade de l'ancienne église Ste-Geneviève

Chapitre IV

  • Chanoines de Sainte-Geneviève.
  • Noms des principaux Abbés.
  • Anecdotes relatives aux Génovéfains.

Clovis, non content d'avoir posé les fondements de sa basilique, la dota encore de riches revenus, selon le témoignage de Rovicon, cité au manuscrit génovéfain : « Redditibus et ornamentis sufficienter ampliavit. » Il y établit en outre des ecclésiastiques pour y célébrer régulièrement les offices divins, sur le conseil et par les exhortations de saint Remi, comme l'atteste une charte de Henri Ier, en 1031. « La vénérable communauté des saints Apôtres, fondée par notre prédécesseur Clovis, par l'avis et la persuasion de saint Remi, suit la règle des chanoines. »

Cette citation de la charte de Henri Ier, outre la fondation d'une communauté d'ecclésiastiques par Clovis, prouve encore que ces prêtres étaient chanoines. Les incursions des Normands, les troubles du dixième siècle, ayant introduit parmi eux un coupable relâchement, une réforme devint nécessaire. La venue du pape Eugène III à Paris, en 1145, une lutte scandaleuse survenue entre les officiers pontificaux et les valets de l'abbaye à propos d'un tapis de chœur, l'influence du roi Louis VII, enfin les sages conseils et l'austère génie du célèbre abbé Suger, prouvèrent l'opportunité et concoururent à réaliser cette réforme indispensable parmi les chanoines génovéfains, qui, de séculiers ou libres qu'ils étaient, passèrent sous la règle plus sévère des chanoines réguliers. On nomma un nouvel abbé ; l'on introduisit dans le chapitre douze nouveaux chanoines tirés de l'abbaye Saint-Victor, renommée alors par l'austérité et la science de ses membres. La joie que l'accomplissement de cette réforme causa aux plus hauts personnages du royaume prouve l'importance de l'abbaye Sainte-Geneviève à cette époque. Jean de La Grille, abbé de Saint-Malo, saint Bernard, abbé de Clairvaux, personnage si fameux, écrivirent des lettres de félicitation à l'abbé Suger, qui en avait été le principal négociateur. « Béni soit Dieu, écrit saint Bernard, qui a opéré le salut dans l'église de Sainte-Geneviève : l'ordre et la discipline sont rendus à la maison de Dieu. »

L'abbaye génovéfaine ressentit pendant près de quatre siècles les heureux effets de cette utile réforme. Ses membres acquirent, par toute la France, haut renom de sapience et de vertu. La noblesse de l'extraction, la sainteté de la vie, la profondeur du savoir, l'habileté dans les affaires, la sagesse dans les conseils, se virent souvent réunis dans les abbés de Sainte-Geneviève. Ils devinrent les conseillers des rois, les soutiens de l'Église, les défenseurs de la religion aussi bien que de la patrie.

Un précieux manuscrit généralement attribué au savant Génovéfain Dumoulinet, nous a conservé leurs noms, leurs actes, les principaux traits de leurs vies.

Eugène III, pour signaler sa haute considération envers Eudes, élu abbé en 1148, à l'époque même de la réforme, dota la basilique Sainte-Geneviève des plus magnifiques privilèges, entre autres celui de ne relever que de la juridiction pontificale. Les rois de France ne manifestèrent pas moins d'estime pour cet illustre Génovéfain. Il tint sur les fonts baptismaux, avec la comtesse de Saint-Gilles, Philippe-Auguste.

Herbert, abbé en 1162, mérita d'être appelé par le pape Alexandre III : « Vir probus et doctus et rébus agendis providus ; homme probe, docte, habile aux affaires. » Un des articles des statuts régimentaires de l'abbaye prescrivait que les abbés et prieurs devaient être promus à leur dignité par les suffrages de leurs confrères. Les abbés se renouvelaient par une élection triennale. Voici à propos de l'élection d'un prieur une curieuse anecdote, qui nous montre comment ces bons Génovéfains entendaient qu'on respectât leurs droits d'électeurs. La charge de prieur étant venue à vaquer sous la gestion de Herbert, il crut pouvoir user de sa haute influence pour fausser le résultat de l'élection, en faisant sortir d'un scrutin irrégulier celui qu'il protégeait, au mépris des droits, des usages, des statuts de la communauté. Les chanoines électeurs gardèrent d'abord le silence ; mais lorsque le prétendu prieur, voulant entrer en possession de son office, se présenta au réfectoire pour sonner le timbre, un chanoine lui arrêta le bras, déclarant hautement ne pas le reconnaître comme prieur. Grand fut l'émoi parmi les vénérés confrères. Tous prononcent anathème contre l'intrus. L'affaire s'envenima si fort qu'on dut en référer au pape, qui put seul réussir à concilier les esprits irrités.

Un des plus célèbres abbés de Sainte-Geneviève est sans contredit Étienne, dit de Tournai, parce qu'il passa de l'abbaye au siège épiscopal de Tournai en 1191. On a de lui un recueil de droit canonique, vingt-quatre sermons, près de trois cents épîtres latines fort intéressantes. Innocent III l'appelait jurisperitus. Saint Thomas de Cantorbéry, pendant son exil en France, rechercha son amitié. Le roi Louis-le-Jeune l'estimait tant qu'il le nomma coadjuteur du cardinal d'Albe, légat du pape, envoyé pour combattre les hérésies des Albigeois. Il assista à Reims au sacre de Philippe-Auguste ; à Amiens, au couronnement de la reine Ingelburge. Guillaume, archevêque de Reims, régent de France pendant le voyage de Philippe-Auguste en Terre-Sainte, l'appelait toujours au sein du haut conseil d'administration. Ajoutons que cet abbé restaura, agrandit, embellit l'abbaye et le cloître avec une telle magnificence qu'il pourrait presque en être regardé comme le second fondateur après Clovis.

Robert de La Ferté-Milon, abbé en 1240, mit ses soins à compléter une magnifique châsse de sainte Geneviève commencée par Herbert, un de ses prédécesseurs. L'abbaye possédait alors de bons revenus de provenance territoriale. Voici un relevé de compte qui nous indique approximativement l'importance relative de ses propriétés en différents endroits, vers 1272. Philippe-le-Hardi faisant la guerre contre le comte de Foix, l'abbé de Sainte-Geneviève imposa sur ses sujets la taxe suivante :

  • Auteuil, 100 liv . . . Dranet, 50 sols . . .
  • Bovest, 60 liv . . . Rungis, 30 sols . . .
  • Rosny, 37 liv . . . Choisy, 40 sols . . .
  • Jaussigny, 20 liv . . . Épinay, 30 sols . . .
  • Varnes, 15 liv . . . St-Germain, 26 sols . . .
  • Nanterre, 6 liv . . .

L'abbaye fournit 176 livres à saint Louis pour les armements des croisades : elle offrit aux papes pendant leur séjour à Avignon des sommes considérables. Ainsi nous voyons qu'en 1335, Jean de Borrest, abbé, envoya au pape 134 florins, 200 aux cardinaux, 8 aux officiers de la cour pontificale.

Étienne de La Pierre, abbé en 1380, assista, mitre en tête, avec crosse et anneau d'évêque, aux obsèques de Charles V à Saint-Denis. Il fit présent d'un superbe cheval blanc au roi Charles VI.

Au concile de Pise, François de Nyons, abbé en 1405, joua un grand rôle, y brilla par l'éclat et la profondeur de son érudition. Raoul Maréchal, abbé en 1413, vit sa communauté exposée aux plus graves périls par suite des troubles excités entre le Dauphin et le duc de Bourgogne, dont les partisans connus sous le nom d'Armagnacs et de Bourguignons mettaient alors la France en feu. Raoul dut même vendre les calices, les reliquaires, pour subvenir à la détresse des chanoines. Pierre Caillou, abbé en 1433, dut faire de même à l'époque des désastreuses guerres des Anglais. Il vendit, entre autres objets précieux, sa mitre et la grande croix de l'abbaye pour fournir la taxe imposée par Charles VII.

La gestion de Philippe Langlois, abbé en 1483, se signale par une nouvelle restauration des bâtiments de l'abbaye ravagée par la foudre. Langlois fit quêter avec l'agrément royal par tout le royaume, obtint du Parlement le produit des amendes, et de Sixte IV huit années privilégiées, pendant lesquelles ceux qui donneraient de leurs biens à l'abbaye gagneraient les indulgences plénières. Les collectes atteignirent un si haut chiffre, que l'abbé put refaire la tour de pierre, y placer quatre grosses cloches, et donner à toute l'abbaye un aspect encore plus magnifique qu'aux anciens temps.

Lorsque le Parlement tint conseil sur les moyens à prendre pour la délivrance de François Ier, prisonnier de Charles-Quint, Guillaume Leduc, abbé en 1522, s'y montra plein de dévouement pour la personne de ce grand prince.

Joseph Foulon gouverna la congrégation génovéfaine dans les temps difficiles de la ligue. Il faillit même payer de sa tète son attachement au Béarnais. En 1593, il écrivit à Louis Séguier, doyen de Notre-Dame, une lettre où il lui exprimait sa secrète joie d'apprendre que le roi songeait à se convertir. Le porteur de la lettre le trahit ; au lieu de la remettre au doyen, il la porta au duc de Mayenne. L'abbé fut aussitôt saisi, livré à une commission : on l'élargit cependant quelques jours après. Il se réfugia alors près de Henri IV, assista à son sacre in pontificalibus, rayonnant de la double auréole de la fidélité et de la persécution. Le roi l'entoura de prévenances amicales et le combla d'honneurs.

Le cardinal François de La Rochefoucauld fut le trente-cinquième abbé de Sainte-Geneviève, en 1619. Magnifique et généreux, il exécuta de si vastes ouvrages que le bon Génovéfain, auteur de notre beau manuscrit, se complaît à lui appliquer le mot de l'empereur Auguste, à propos de Rome : « Invenit lateritiam, reliquit marmoream. Il l'a trouvée de terre, et la laissa de marbre. » Il érigea sur le grand autel un tabernacle splendide, garni de marbres précieux, enrichi de pierreries, de lames d'or et d'argent, accompagné de deux reliquaires brillants d'or et de cristal de roche. Il enferma l'enceinte du sanctuaire d'une belle balustrade en marbre, réédifia le tombeau de Clovis, le décorant de divers ornements en marbre. Les embellissements matériels de l'abbaye n'occupèrent pas seuls son attention : Il la fixa également sur les réformes spirituelles que les difficultés des temps avaient insensiblement rendues nécessaires parmi les chanoines de l'ancien ordre régulier, dont l'origine remontait à près de cinq siècles en arrière. Afin de rendre sa réforme plus prompte et plus efficace, il fit venir de Saint-Vincent de Senlis douze religieux, d'une vie austère et très-sainte, qu'il introduisit parmi les anciens, dont il transforma le nom primitif en celui de chanoines réguliers de la Congrégation de France. Charles Faure fut le premier abbé, ou plutôt le supérieur de cette nouvelle communauté réformée. L'illustre cardinal, voulant perpétuer son nom au sein de l'abbaye, lui légua, en mourant, ses livres, ses tableaux, ses reliquaires. Les chanoines, reconnaissants, lui érigèrent dans leur église un superbe mausolée, du prix de 7400 liv. Philippe Buister, sculpteur du roi, l'orna de remarquables bas-reliefs. Entre autres louanges contenues en sa longue épitaphe, on lisait :

Hoc superstitis et aeterni amoris ac observantiae
monimentum tristi religione maerentes
posuerunt abbas et canonici regulares
hujus ecclesiae.

Ce coup d'œil rapide jeté sur les actes des plus illustres abbés génovéfains nous montre à la fois le haut rang qu'ils tenaient parmi les dignitaires de l'Église de France, et l'estime dont les honorèrent toujours les rois, successeurs du monarque, fondateur de leur abbaye. Constamment dévoués et fidèles aux intérêts publics, ils soutinrent, avec un égal désintéressement, ceux de la patrie et de la religion. Les papes les considéraient comme les personnages les plus éminents du royaume et les plus attachés au Saint-Siège. Aussi voyons-nous, en 1173, que, répondant à une supplique du Génovéfain Hugues, le pape Alexandre III s'empressait de lui écrire ces lignes affectueuses : « Nous avons accueilli vos prières d'autant plus facilement que nous connaissons votre dévouement envers l'Église romaine et envers notre personne. Croyez que nous-même nous aimons votre église d'une affection toute spéciale. »

Armoirie de l'abbaye Ste Geneviève

Chapitre V

  • Priviléges de l'abbaye Sainte-Geneviève.
  • Titres.
  • Sceaux.
  • Immunités.
  • Serments des Archevêques de Paris.
  • Amitié entre les Chanoines de la cathédrale et les Génovéfains.
  • Formule de profession et vêtements des Génovéfains.
  • Mitre et Crosse de l'Abbé.
  • Ses droits sur l'Université.
  • Épitaphes de Descartes et d'un Génovéfain.

Fondée par un roi, protégée et enrichie par tous nos rois, visitée par deux papes, gouvernée par des abbés qui étaient les représentants des papes en France, l'abbaye de Sainte-Geneviève dut à ces hautes relations son double titre de royale et papale.

Dès le douzième siècle, son scel porte une effigie royale et l'image de sainte Geneviève avec ces mots : Sigillum sancti Pétri et sancti Pauli et sanctae Genovefae. Vers le treizième siècle, on remplaça l'effigie royale par une fleur de lis surmontée d'une couronne de roi ; puis, lorsque nos rois mirent trois fleurs de lis sur leur écu, l'abbaye fit de même, comme le prouve le scel d'un titre de 1450 sous Charles VII. L'abbé jouissait du droit d'un sceau particulier. Le cachet du prieur portait une main sonnant un timbre, signe de son office dans la communauté.

Louis-le-Gros accorda aux chanoines de Sainte-Geneviève toute franchise à l'égard des juges ordinaires, en sorte qu'ils ne pouvaient être jugés que par leur doyen et le chapitre. Ils ne relevaient, pour le spirituel, que du Saint-Siège. Quand l'archevêque de Paris prenait possession de son siège épiscopal, il devait, avant la cérémonie, faire une visite à l'abbaye et jurer solennellement, la main sur les évangiles, de respecter les privilèges, droits, libertés, exemptions des chanoines et de l'abbaye. Voici la curieuse formule du serment des archevêques :

Ego N... archiepiscopus Parisiensis, juro ad hœc sancta evangelia Deime servaturum jura, libertates, privilégia, exemptiones, immunitates et consuetudines monasterii sanctœ Genovefœ Parisiensis et composiliones habitas inter prœdecessores meos et abbatem et conventum dicti monasterii sanctœ Genovefœ.

Cette formule renfermant des clauses si rigoureuses n'empêcha point toutefois les bons rapports entre l'archevêque et le chapitre de Sainte-Geneviève ; d'amicales relations subsistèrent toujours entre eux. Le chapitre de la cathédrale et les Génovéfains vécurent également dans une étroite intimité. Quand les chanoines de Notre-Dame venaient à l'abbaye, les religieux leur cédaient le côté droit ; quand les Génovéfains allaient à la cathédrale, les chanoines leur rendaient le même honneur. Il existait même entre eux une cérémonie qui est caractéristique : les Génovéfains, à la fête de leur patronne et au mercredi des Rogations, avaient coutume d'inviter les chanoines de la cathédrale. Après la messe, on se rendait au réfectoire, on prononçait un discours latin en l'honneur de la Sainte, puis les Génovéfains offraient aux chanoines, en mémoire sans doute des eulogies envoyées naguère par saint Germain à sainte Geneviève, des gâteaux bénits sur lesquels se voyait empreinte l'image de la patronne. Les vieux titres appellent ces gâteaux echaudati, oblatae galetae.

Voici une des plus anciennes formules de la profession des chanoines de Sainte-Geneviève :

Ego frater N... clericus, stabilitatem corporis mei ecclesiœ beatœ Genovefœ promitlo coram Deo et sanctis reliquiis ejusdem ecclesiœ, in presentiâ domini nostri prœlati et cœterorum fratrum, et emendalionem morum meorum prœcipue in caslitate et in communione et in obedientiâ secundum gratiam mihi à Deo collatam et facultatem virium mearum.

« Moi, frère N..., clerc, je promets à l'église de Sainte-Geneviève, en présence de Dieu et des saintes reliques, devant notre seigneur prélat et les autres frères, la stabilité de mon corps, l'amena dément de mes mœurs, surtout sous le rapport de la chasteté, de la communion, de l'obéissance, selon la grâce que Dieu m'a conférée et selon le degré de mes forces. »

D'après le trente-deuxième chapitre de leurs constitutions, les chanoines portaient une robe de laine blanche ou de peaux, descendant à une palme de terre ; ils avaient par-dessus un surplis, tant dedans que dehors l'église, dont les manches larges et longues leur permettaient de passer aisément leurs mains ou de les replier sur leur poitrine. Les officiers portaient hors de l'église un rochet à manches étroites, surmonté d'une chape d'étoffe noire avec un capuchon. En hiver ils avaient une pelisse au-dessus du surplis pour les garantir du froid. Ils portaient des chapes au chœur, aussi bien en été qu'en hiver ; quand ils allaient au travail, ils se revêtaient de tuniques de lin, appelées depuis rochets. Ils se servaient également de chaperons d'étoffes et quelquefois de fourrures.

L'abbé de Sainte-Geneviève portait bague, mitre, crosse épiscopales, jouissait de la même juridiction dans le territoire de l'abbaye que les évêques en leur diocèse. Ses sujets ne reconnaissaient point d'autre puissance ecclésiastique que celle de leur abbé, leur seigneur spirituel et temporel. Le droit des insignes épiscopaux fut concédé par le pape Alexandre en ces termes : « Tibi tuisque successoribus usum mitrœ, annuli ac aliorum insiqnium pontificalium auctoritate prœsentium duximus concedendum. » Les mitres des abbés génovéfains étaient souvent d'un très-haut prix. Une d'elles fut engagée pour cent saluts d'or en 1436, lors des guerres des Anglais ; une autre, garnie de perles fines de la plus belle eau, se vendit fort chèrement en 1560, pour aider aux réparations de l'église. On en voyait encore en 1687, une autre à fond de perles, enrichie de pierreries. L'anneau portait pour chaton un gros saphir bleu garni de diamants rubis : il servit plus tard à orner la châsse de sainte Geneviève.

L'abbé possédait encore un droit considérable sur le corps de l'université, dont il portait le titre de chancelier, avec charge de surveiller l'enseignement, les doctrines, les mœurs des régents et maîtres. Choppin, en son livre de la police ecclésiastique, rapporte que l'abbé génovéfain était en France comme le vicaire et vice-gérant du pape, chargé de la haute surveillance des abbayes et chapitres relevant immédiatement du Saint-Siège. Nous transcrivons ici la formule de licence universitaire par laquelle l'abbé créait les maîtres ès-arts.

Nos, cancellarius sanctœ Genovefœ et universitalis Pa/isiensis, auctoritate apostolorum Pétri et Pauli, do vobis licentiam legendi, regendi, disputandi et determinandi cœterosque actus scholasticos seu magistrales exercendi in facultate artium Parisiis et ubique terrarum in nomine Patris et Filii et Spiritûs sancti.

« Nous, chancelier de Sainte-Geneviève et de l'Université de Paris, par l'autorité des apôtres Pierre et Paul, nous vous donnons licence de lire, de régir, de disputer, de décider et d'exercer tous autres actes de professeur et de maître dans la Faculté des arts de Paris et par tout l'univers, au nom du Père, du Fils, du Saint-Esprit. »

La juridiction de l'abbé génovéfain s'exerçait sur un nombre très-considérable d'élèves qui, pendant tout le moyen âge, accouraient à Paris de toutes les parties du monde, malgré les dangers, les obstacles, les dépenses des voyages en ces siècles éloignés.

tombeau de Ste Geneviève

Chapitre VI

  • Corps de sainte Geneviève.
  • Châsses.
  • Processions.
  • Confrérie.
  • Statuts.
  • Ouverture et destruction de la châsse.
  • Corps de sainte Geneviève brûlé en Grève.
  • Tombeau transféré à Saint-Étienne-du-Mont.

Sainte Geneviève ayant été inhumée, comme nous l'avons observé précédemment, dans l'église de Clovis, les habitants de Lutèce s'empressèrent d'entourer son tombeau de tous les honneurs rendus aux saints. Ils y élevèrent d'abord un oratoire en bois, où on voyait sans cesse brûler des cierges et des lampes entretenus par la piété. L'historien de sa vie rapporte qu'une de ces lampes devint miraculeuse, car l'huile ne s'en épuisa jamais, quoique nombre de fidèles en emportassent chez eux quelques gouttes pour s'en servir comme d'un remède infaillible contre les maladies les plus désespérées.

Les miracles se multipliant autour du tombeau de Geneviève, le peuple voulut bientôt voir son corps enfermé dans une châsse portative, afin de pouvoir le porter processionnellement par leurs rues et leurs places publiques, aux jours des fêtes ou des calamités publiques. Vers 635, saint Éloi, orfèvre alors fameux, s'offrit pour la construction de cette châsse, qu'il décora de rinceaux d'or et d'argent, comme l'attestent Grégoire de Tours et saint Ouen en la vie de saint Éloi. Les ornements et les pierreries de cette belle châsse l'eussent rendu, sans nul doute, la proie des Normands ; mais les Génovéfains avaient eu soin de la cacher en lieu sûr, comme ce qu'ils possédaient de plus précieux. Après la retraite des Normands ils la rapportèrent dans leur abbaye, où elle ne cessa, depuis ce temps jusqu'en 1793, d'être l'objet de la vénération des peuples. Elle dominait le grand autel et reposait sur quatre colonnes de jaspe et sur les ailes de quatre chérubins.

Jamais la ville de Paris n'implora vainement celle qui reposait en cette châsse. Parmi les premières et plus signalées faveurs qu'elle en obtint, on doit surtout citer la guérison de cette terrible maladie dite des Ardents, parce qu'elle consumait d'un feu secret les entrailles de ses victimes. Elle exerçait de si affreux ravages dans la capitale, sous le règne de Louis-le-Gros, vers 1129, qu’Étienne, évêque de Paris, ordonna des prières publiques et fit porter solennellement la châsse de sainte Geneviève à la cathédrale. A peine en eut-elle franchi le seuil sacré, que tous les malades sentirent soudainement les ardeurs du mal s'éteindre. Frappé par un tel prodige, le peuple reconnaissant la puissante intervention de sa patronne, glorifia hautement sainte Geneviève. Le pape Innocent II, qui vint en France l'année suivante, après avoir constaté l'authenticité du miracle, ordonna qu'on en célébrerait tous les ans la fête commémorative, le 26 du mois de novembre. Puis, pour en perpétuer plus ostensiblement encore le précieux souvenir, on bâtit une petite église sous le titre de Sainte-Geneviève-des-Ardents.

Depuis cette époque, la coutume s'établit de porter processionnellement la châsse de sainte Geneviève pendant les calamités publiques. Si une inondation dévastatrice menaçait Paris, comme au temps de Philippe-Auguste ou de saint Louis ; si un prince du sang ou le monarque lui-même languissait dans les douleurs d'une cruelle maladie ; si les campagnes, desséchées par des chaleurs intolérables, refusaient de donner au peuple son pain quotidien, on invoquait aussitôt le secours de Geneviève. La grâce demandée ne se faisait pas longtemps attendre. Les eaux émues se retiraient, la mort désarmée s'éloignait de ses victimes menacées, les fléaux anéantis disparaissaient, le ciel s'ouvrait ou se fermait au gré de la douce patronne de Paris.

Toutefois, afin qu'on ne déplaçât point sans de graves motifs la châsse de la Sainte, on entoura sa descente des plus solennelles formalités. Le roi seul, sur la supplique de l'archevêque, pouvait donner l'ordre de la sortir de son sanctuaire. Le parlement enregistrait l'ordre royal, promulguait un arrêt d'autorisation, et alors les religieux, après de longues prières préparatoires, un jeûne, la communion, descendaient la châsse, que les hallebardiers du Châtelet devaient accompagner et garder pendant tout le temps des cérémonies. On la promenait dans les rues de la ville, à travers les flots pressés de la population respectueuse et recueillie. Le manuscrit génovéfain de Dumoulinet rapporte plus de soixante circonstances considérables dans lesquelles on fit des processions solennelles avec la châsse de sainte Geneviève.

Par suite de ces déplacements multipliés, il advint que la châsse, œuvre de saint Éloi, se trouva rompue et endommagée en différents endroits. Herbert, abbé, en 1230, entreprit de la réparer, amassa pour cet objet beaucoup de pierreries et d'argent. Une mort soudaine l'empêcha de réaliser son projet, que son successeur, Robert de la Ferté-Milon, eut la gloire d'exécuter vers 1240. L'orfèvre Bonnard construisit la nouvelle châsse, où l'on employa quatre-vingt-treize marcs d'argent et sept marcs et demi d'or. Bonnard reçut deux cents livres pour son travail et la fourniture de quelques pierreries. Parmi les hauts personnages qui contribuèrent par leurs dons à la fabrication de cette nouvelle châsse, on remarque Robert de Courtenay, Hugues d'Athis, grand panetier de France, Nicolas de Roye, évêque de Noyon, Guillaume de Sainte-Marie, évêque d'Avranches.

La forme de cette châsse offrait l'image d'une petite cathédrale gothique, ornée de sveltes colonnettes, d'ogives élégantes. Le cardinal de La Rochefoucauld, en 1620, y fit faire quelques réparations et embellissements par l'orfèvre Nicolle. Marie de Médicis et Marie Elisabeth d'Orléans, reine douairière d'Espagne, offrirent pour l'ornement de la châsse, l'une un bouquet d'or et de diamants, la seconde une couronne de diamants.

Revêtus de leurs surplis et de leurs chapes, les chanoines de l'abbaye eurent seuls, d'abord, le droit de porter la châsse vénérée dans les processions. Plus tard, les fidèles qui, en 1412, avaient fondé une confrérie en l'honneur de sainte Geneviève, sollicitèrent et obtinrent ce pieux privilège en 1525 ; seulement quatre Génovéfains continuèrent de soutenir par honneur les quatre bâtons du brancard.

Organisée selon les formes usitées à cette époque, la confrérie de Sainte-Geneviève reçut des statuts réguliers en 1517, renouvelés en 1564 et imprimés en 1625. Elle se composait des plus gros bourgeois de Paris au nombre de quarante, dont seize porteurs en titre et vingt-quatre attendants, qui, à leur entrée dans la confrérie, donnaient deux livres de cire blanche pour le cierge brûlant devant l'image de leur patronne. Quand ils devaient porter la châsse, les règlements les obligeaient à se confesser, à communier ; ils marchaient pieds nus et tête nue, portant grande aube de toile blanche et un long chapelet blanc à leur ceinture.

Dans le volume n° 5473, au cabinet national des estampes, nous avons retrouvé, au centre d'un encadrement orné d'arabesques et de figurines, le texte intéressant des privilèges accordés à cette confrérie par Clément VIII. On lit en tète de cette vieille gravure :

SANCTA GENOVEFA, ORA PRO NOBIS.

« Pardons et indulgences pour les seize porteurs de la châsse de madame sainte Geneviève et des vingt-quatre attendants, tous confrères.

« Notre saint Père le pape Clément VIII, ayant entendu l'humble supplication et requeste à lui faicte de la part des seize porteurs de la châsse de madame sainte Geneviève et vingt-quatre attendants, de ce que depuis que les rois françois auroient receu la foy chrestienne, les citoyens et habitants de Paris auraient eu icelle vierge en singulière vénération et eu recours aux prières d'icelle en tous périls de guerres, pestes, famines, chertés, inondations d'eaux et autres dangiers, et non sans évidens miracles, obtenu d'estre exaucés en leurs prières par la souveraine grâce et miséricorde de Dieu : et les dévotions qui sont faictes et continuées en l'église et en l'honneur d'icelle sainte vierge, désirant les dicts confrères et tous autres fidèles chrétiens, estre d'autant plus invitez à telles et autres œuvres de piété et à ce que la dicte chapelle et autel de la confrairie d'iceux soit d'autant plus fréquentés, qu'en ce fesant ils s'entendront estre refectionnés de quelque don spécial de grâce se confiant tn la miséricorde de Dieu.

  1. « Auroit donné et élargi plénière rémission et indulgence de tous péchés à ceux qui, pénitens et confessés, entreront en la dicte confrairie, si le jour de leur réception ils reçoivent le saint sacrement de l'Eucharistie.
  2. « Plénière rémission et indulgence à iceux confrères pour tousjours, qui, vrais pénitens et repeuz de la sacrée communion, visiteront dévotement la chapelle et l'autel auxquels ont de coustume iceux confrères faire célébrer le divin service de la feste de sainte Geneviève, le troisième jour de janvier, depuis les premières vêpres jusqu'aux secondes à soleil couché, fesant en iceluy lieu dévotes prières à Dieu pour l'exaltation du Saint-Siége apostolique et foy catholique, extirpation des hérésies et conservation de la paix entre les princes chrétiens.
  3. Aux dicts confrères, qui, estant en l'article de la mort, de cœur invoqueront le sacré nom de Jésus, si de bouche ils ne peuvent, plénière rémission et indulgence de leurs péchés.

« Davantage, nostre dict sainct Père, ouvrant les trésors de l'Église, auroit miséricordieusement en Nostre-Seigneur relasché à iceux confrères soixante jours de pénitences à eux enjointes ou autrement par eux dues par chacune des fois qu'ès jours de solemnités d'icelle sainte Geneviève, sçavoir de son natal et de son obiit, translation, miracle des Ardents, faisant au dict lieu pareilles prières et le jour que la dicte châsse sera portée par eux en procession où ils seront présens en ordre et habit de confrères.

« Semblablement, nostre dict sainct Père estant deuement informé des œuvres pieuses, esquelles journellement s'exercent iceux confrères, afin que par quelque grâce spéciale les y inciter et d'autant plus augmenter leur dévotion, a octroyé à iceux confrères, pour toutes les fois que les dicts confrères seront présents aux offices divins ou congrégations faictes par l'heureuse direction de leur confrairie, ou accompagneront le très-saint sacrement, quand il sera porté à aucun malade, ou estant légitimement empêchez, au son de la cloche, le genouil fléchi, réciteront le Pater pour le malade, ou accompagneront le corps d'un confrère en la sépulture, ou visiteront et consoleront iceux en leurs maladies, ou qui en charité récite teront par cinq fois l'Oraison dominicale et la Salutation angélique devant le crucifix, en l'honneur des cinq plaies de Nostre-Seigneur pour les défuncts confrères, soixante jours de vrai pardon comme amplement appert par la signature de nostre sainct Père en date de l'an premier de son pontificat. »

Le cardinal de La Rochefoucauld contresigna ces divers articles le 20 décembre 1621, en accordant la libre jouissance à tous les membres de la confrérie.

La même tempête emporta et la châsse bénie et la pieuse société dont elle était le centre. Déjà les plus saintes victimes avaient été immolées ; prêtres, évêques, princes, avaient rougi de leur sang le hideux échafaud de 1793 ; Louis XVI lui-même venait d'en gravir les degrés sanglants. Forts de l'impunité de leurs crimes, avides de sang et d'or, les monstres sortis de la fange de cette terrible révolution pillèrent nos palais et nos temples. La châsse de sainte Geneviève, qui passait pour la plus magnifique de la capitale, ne pouvait échapper à leur rapacité. Naguère, on l'avait pu soustraire aux mains impies des barbares du Nord, mais comment la sauver de ces nouveaux barbares nés au sein même de la patrie en deuil ?

Sans respect du passé ni de l'avenir, ils se précipitent dans la vieille basilique génovéfaine, dont les voûtes, qui depuis tant de siècles ne répétaient que les sons pieux des hymnes sacrés, frémissent aux cris des blasphémateurs. La châsse sainte est arrachée, violée, ouverte au milieu des sarcasmes ignobles des agents du terrorisme.

Nous donnons ici le texte du procès-verbal, autant pour certifier à tous que le corps de sainte Geneviève reposait bien réellement dans cette châsse, que pour flétrir d'une juste réprobation l'acte criminel de ces hommes qui osèrent le constater en des termes aussi insolents que ridicules.

Extrait du Procès-Verbal de l'ouverture de la châsse de sainte Geneviève.

« Après nous être transportés dans un bâtiment situé à la Monnaie, et avoir reconnu que les scellés apposés sur la porte de la chambre, où était enfermée la châsse de sainte Geneviève, étaient sains et entiers ; examen fait de ladite châsse, les susnommés ont reconnu que l'opinion publique avait été grandement trompée sur le prix exagéré auquel on a porté la châsse, dont la majeure partie des pierreries sont fausses. Les diamants, les perles fines et fausses ont été estimées, ainsi que les parties d'or et d'argent, 23830 livres. Nous avons trouvé dans cette châsse une caisse en forme de tombeau, couverte et collée en peau de mouton blanc, et garnie de bandes de fer dans toutes ses parties, de deux pieds neuf pouces de longueur et de quinze pouces de hauteur ; ladite caisse contenue avec du coton, sur lequel nous avons trouvé une petite bourse en soie cramoisie, ayant d'un côté un aigle à double tête, et de l'autre deux aigles avec une fleur de lis au milieu, brodés en or ; dans la bourse un petit morceau de voile de soie enveloppait une espèce de terre. Dans le cercueil, il s'est trouvé deux petites bannières en peau jaune ; dans une des extrémités un paquet de toile blanche attaché avec un lacet de fil ; dans ce paquet, vingt-quatre autres petits paquets, les uns de toile, d'autres de peau, et plusieurs bourses de peau de différentes couleurs ; une fiole lacrymatoire bouchée avec du chiffon, et contenant un peu de liqueur brunâtre desséchée ; une bande de parchemin sur laquelle est écrit : « Una pars casulae sancti Pétri principis Apostolorum, et plusieurs autres inscriptions sur partchemin, que nous n'avons pu déchiffrer. Ces « vingt-quatre paquets en contenaient beaucoup d'autres plus petits, renfermant de petites parties de terre qu'il n'est pas possible de décrire. Un de ces paquets, en forme de bourse, contient une tête en émail noir de la grosseur d'une petite noix et d'une figure hideuse, dans laquelle est un papier contenant une partie d'ossements. Un autre paquet de toile blanche gommée, contenait les ossements d'un cadavre, et une tête sur laquelle il y avait plusieurs dépôts de sélénite ou plâtre cristallisé. Nous n'y avons pas trouvé les os du bassin. Nous avons aussi trouvé une bande de parchemin portant ces mots : Hic jacet humatum corpus sanctae Genovefae. Plus un stylet de cuivre en forme de pelle d'un côté et pointu de l'autre.

Cette scène hideuse de profanation se termina aux éclats de rire de la cohorte sacrilège. Les profanateurs s'approprièrent l'or, l'argent, les pierreries que la piété des peuples accumulait depuis tant de siècles autour de cette châsse vénérée. Mais, ne pouvant tirer nul argent de ces ossements sacrés qui sauvèrent tant de fois la France, ils les rejettent avec dédain. « Le feu seul, disent ces hommes incrédules et athées, pourra nous débarrasser de ces inutiles débris de cadavre. » Ils les traînent alors par les mêmes rues de Paris où on les porta jadis avec tant de respect. La foule muette les contemple avec stupéfaction. Un bûcher se dresse sur la place de Grève : la flamme paraît, et bientôt il ne reste plus de la châsse et du corps de sainte Geneviève qu'une poignée de cendres, que ces pervers dispersent avec une soupçonneuse et jalouse impiété. Insensés ! qui ne voyaient pas qu'en détruisant les restes de la Patronne de Paris et de la France, ils retiraient à eux un appui et une égide dans les jours de la douleur ou du péril ; à la patrie, sa sauvegarde la plus sûre aux époques des désastres et des calamités.

Ces impies furent toutefois trompés dans leurs néfastes espérances. Ils n'avaient pas tout détruit. Les jours du terrorisme passés, la piété des fidèles, qui n'oublia jamais la douce Geneviève, se reporta vers son sanctuaire dévasté, pénétra dans la chapelle souterraine, cherchant si parmi les décombres elle ne découvrirait pas quelques restes précieux de la Patronne de Paris. Son tombeau fut trouvé presque intact ; mais afin de constater d'une manière solennelle et indubitable aux yeux des peuples l'authenticité des recherches, Monseigneur de Belloy, archevêque de Paris, députa, en 1803, de Malaret, son vicaire-général, pour présider aux travaux provoqués à ce sujet par de Voisins, curé de Saint-Étienne-du-Mont, qui, désirant rétablir et ranimer la dévotion envers sainte Geneviève, avait sollicité l'autorisation de transférer son tombeau en l'église paroissiale de Saint-Étienne.

On découvrit d'abord au milieu de la chapelle souterraine quatre pilastres en pierre, décorés de moulures, et au-dessous une voûte en arête. Entre ces quatre pilastres se trouvait une estrade composée de deux marches, régnant d'un pilastre à l'autre, et, au milieu de cette estrade, un tombeau en forme de piédestal quadrangulaire décoré d'une base et d'une corniche qui fut trouvée, brisée, confondue avec les décombres. Au-dessus de cette assise, on découvrit une grande pierre dont une portion fracturée gisait au bas du sépulcre. On en fit dégager les côtés et la surface. On reconnut alors que cette pierre, garnie jadis de rebords, ne pouvait être que le fond d'un tombeau, tel qu'on les creusait pour les personnes de haut rang aux cinquième et sixième siècles de notre ère. Les bords usés de cette pierre portaient des traces multipliées d'outils tranchants, qui paraissaient indiquer que la piété des pèlerins avait essayé d'enlever quelques fragments de cette tombe miraculeuse.

Claude Rousselet, ancien abbé de Sainte-Geneviève ; Bastion, ancien supérieur de l'abbaye ; de Montmartin, ancien chanoine régulier ; Viallon, bibliothécaire de l'abbaye, et plusieurs autres chanoines génovéfains, attestèrent unanimement que cette urne avait été de tout temps regardée parmi eux comme le véritable tombeau de sainte Geneviève. On dressa procès-verbal de ces découvertes et des dépositions de témoins aussi respectables ; puis, sur l'autorisation de Monseigneur de Belloy, on transféra solennellement à Saint-Étienne-du-Mont le tombeau de sainte Geneviève, où, de nos jours encore, de pieux et innombrables pèlerins viennent avec confiance prier le Dieu de la douce bergère de Nanterre.

Nous dirons, en son lieu, comment le roi Louis XVIII, rendant le Panthéon au culte de sainte Geneviève, parvint à recouvrer quelques parcelles de son corps vénéré. Les efforts révolutionnaires n'avaient pu tout détruire. La place de Grève vit, il est vrai, consumer dans des flammes impies la châsse et la plus noble portion du corps de notre grande Sainte ; mais, comme l'atteste le procès verbal même des profanateurs de la châsse, il y y manquait quelques parcelles de ce corps protecteur de la France. Dieu l'avait ainsi disposé de loin par une paternelle prévoyance, afin que ces parcelles, échappant à l'impiété, pussent un jour reparaître solennellement au milieu de la capitale française.

plan de Soufflot

Chapitre VII

  • Nouvelle basilique Sainte-Geneviève.
  • Vœu de Louis XV.
  • Description architecturale.
  • Style.
  • Ornements.
  • Sculptures.
  • Hauteur.
  • Largeur.
  • Longueur.
  • Accident du Dôme.
  • Sacristie.
  • Salon des Evêques.
  • Crypte.
  • Tombeau de Soufflot.
  • Architectes et Inspecteurs du Monument.

Ainsi que nous l'avons fait remarquer en un précédent endroit de cet article, il était réservé au roi très-chrétien de réédifier la basilique fondée par le premier roi chrétien en l'honneur de sainte Geneviève. Les noms de Clovis et de Louis XV devaient, à treize siècles de distance, se réunir dans l'édification de l'église de la patronne de leur capitale.

Louis XV, quoique jeune, avait par sa bonté, son courage, ses succès, mérité de recevoir de la France le nom de bien-aimé. Courtrai, Menin, Ypres, tombées entre ses mains, semblaient lui présager autant de gloire qu'à son illustre aïeul, lorsqu'une fièvre violente l'arrêta au milieu de ses triomphes. La nouvelle de la maladie du roi jeta la consternation dans Paris : on commença aussitôt des prières publiques ; les églises ne fermaient ni jour ni nuit : la basilique de Sainte-Geneviève était encombrée par une foule innombrable de fidèles demandant à Dieu la guérison du roi par l'intercession de la puissante protectrice de leur cité. Dieu entendit leurs prières, exauça leur vœu. En péril de mort le 14 août, Louis XV se trouva subitement mieux le lendemain.

Tout le peuple de Paris regarda cette guérison comme un miracle dû à la sainte bergère. Louis XV en demeura lui-même convaincu, et pour lui en témoigner sa reconnaissance, il fit vœu d'élever en son honneur un monument magnifique, qui attestât aux âges futurs, et le prodige et sa gratitude.

Les travaux commencèrent en 1757. On employa sept années entières pour niveler et consolider le terrain, qui, comme nous l'avons déjà observé, ayant servi de briquerie, était criblé de puits, dont quelques-uns avaient une profondeur de vingt-cinq mètres. Après ces premières opérations qui remédiaient à toutes ces excavations, on égalisa le fond sur lequel on posa quatre assises de libages à bain de mortier. La première pierre des piliers du dôme fut posée en septembre 1764 par Louis XV, au milieu de la pompe d'une brillante cérémonie où tous les hauts dignitaires de la cour et du royaume réunis purent concevoir ce que serait le futur édifice, par une construction provisoire en bois, offrant un modèle à peu près complet de ses proportions.

Nous empruntons à J. Rondelet, architecte de l'État, ami de l'auteur de la nouvelle basilique, la description architecturale de ce majestueux monument.

Plusieurs architectes concoururent pour donner les plans du nouvel édifice ; mais le dessin de Soufflot prévalut par la hardiesse et la beauté de sa disposition, qui n'avait rien de commun avec celle que la routine adoptait depuis plusieurs siècles.

La forme générale du plan de cet édifice est une croix grecque, composée de quatre nefs se réunissant à un dôme central. Dans le premier plan de l'auteur, les quatre nefs étaient égales, d'où il résultait, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, une symétrie, une régularité parfaites : il fut obligé de déroger à cette première disposition par des motifs de convenance relatifs au culte, en allongeant la nef d'entrée et celle du fond par des parties en arcade qui ne s'accordent point parfaitement avec le genre à colonnes adopté pour les nefs. La forme extérieure subit aussi une altération par l'addition des deux tours dont il dut flanquer la nef du fond. Le premier plan de Soufflot avait eu le grand tort de vouloir édifier une église sans tours où reposer les cloches, indispensables accessoires d'une basilique.

Au reste, cet édifice, en l'état où il se trouve, est sans contredit un des plus beaux et des plus hardis qui aient été construits depuis la renaissance des arts. Considéré comme temple, il est du genre de ceux que les Grecs appelaient prostyle, à cause du porche ou pronaos, qui décore la principale entrée. Ce porche est une espèce d'hexastyle, parce que la face en est composée de six colonnes également espacées sur la même ligne ; mais il en diffère à cause des deux colonnes en arrière-corps placées aux extrémités. Ces colonnes sont d'ordre corinthien, au nombre de vingt-deux, dont dix-huit isolées et quatre se reliant aux murailles générales. Le diamètre des colonnes mesure 5 pieds 6 pouces, la hauteur 58 pieds 3 pouces, compris base et chapiteau. Les cannelures de leurs fûts sont de l'espèce appelées rudentées. L'entrecolonnement qui mesure moins de trois diamètres est du genre de ceux appelés par les Grecs diastyle. Ces colonnes supportent un vaste tympan comprenant une longueur de près de 100 pieds.

L'intérieur du porche se divise en trois parties : celle du milieu comprend trois encolonnements ; elle a 55 pieds 10 pouces de longueur, pris du devant des plinthes des bases des colonnes, sur 33 pieds 9 pouces de largeur depuis le plinthe inférieur des bases des colonnes jusqu'au devant du socle du mur du fond. La principale porte d'entrée forme avant corps sur le mur du fond, et est décorée d'un chambranle à moulures ornementées et d'une corniche à denticules soutenue par deux grandes consoles.

Au-dessus du porche central s'étend une large voûte en berceau de 58 pieds 6 pouces de diamètre, formée d'arcs doubleaux, ornée de cartels et de doubles postes qui répondent à l'aplomb des colonnes. Dans ses flancs s'ouvrent deux grandes lunettes formant tribunes avec balustrades.

Les deux parties extrêmes du porche forment le péristyle des deux portes latérales. Le plafond de ces petits porches est carré, renfermé par les architraves des colonnes, soutenu par une voussure décorée de grandes feuilles d'ornement.

La longueur totale du porche, prise des faces extérieures des plinthes des colonnes extrêmes, compte 121 pieds ; sa largeur, depuis la face extérieure des plinthes des colonnes frontales jusqu'au mur du fond, est de 41 pieds. Un immense perron conduit à ce majestueux portail, qui annonce dignement le plus bel édifice religieux de la capitale. Le tympan du fronton, exécuté par Coustou, représentait primitivement une croix rayonnante au milieu de nuages et d'anges adorateurs. Le grand bas-relief dominant la porte centrale, sculpté par Bovet, rappelait sainte Geneviève distribuant du pain aux pauvres dans un temps de famine. Le bas-relief de l'arrière-corps, à droite, ciselé par Julien, montrait sainte Geneviève guérissant les yeux de sa mère ; celui de l'arrière-corps de gauche, par Dupré, offrait sainte Geneviève recevant une médaille des mains de saint Germain. Les deux bas-reliefs des deux porches inférieurs, l'un par Houdon, l'autre par Boizot, représentaient saint Pierre recevant les clefs du ciel, saint Paul prêchant dans l'aréopage d'Athènes.

La nef d'entrée, telle que nous la voyons aujourd'hui, se compose de deux parties : la première formant un vestibule intérieur, diffère du style des quatre nefs qui se réunissent au dôme et présente la disposition en arcades de presque toutes les églises modernes bâties avant Soufflot. Il semble que cet habile architecte ait voulu mettre en parallèle deux genres si différents. On a pratiqué au-dessus de ces arcades trois tribunes, dont l'une est réservée pour l'orgue. La voûte de cette première partie de la nef présente une calotte ovale, soutenue par quatre pendentifs dans lesquels Bovet sculpta des concerts d'anges avec des devises tirées des psaumes. Dans la nef, qui s'étend de cette arcade au dôme, se dressent douze belles colonnes isolées formant péristyle le long des murs, où quatorze colonnes engagées les répètent. Toutes sont cannelées et espacées de 14 pieds de milieu en milieu, avec un diamètre de 3 pieds 6 pouces, de manière que leur entrecolonnement mesurant trois diamètres, rappelle le genre appelé diastyle.

La hauteur des colonnes est de 37 pieds 8 pouces, compris base et chapiteau, ce qui fait 10 diamètres 5/7, proportion beaucoup plus svelte que celle que l'on a coutume de donner aux colonnes de cet ordre, qui mesurent ordinairement 10 diamètres. L'entablement couronnant ces colonnes du côté de la nef et se prolongeant autour de la partie du vestibule, n'a que la cinquième partie de la hauteur de la colonne. Soufflot divisa les parties de son entablement en cinq, dont il donna deux pour la corniche, une et demie pour la frise, autant pour l'architrave. Les moulures en sont taillées d'ornement ; des feuilles d'acanthe et des canaux ornent le dessous du larmier ; des festons formés par des rinceaux et des enroulements découpés en feuilles enrichissent la frise.

Les proportions du grand ordre du porche, ainsi que des ordres qui décorent l'intérieur et l'extérieur du dôme, sont les mêmes que celles que nous venons de détailler, tant pour les colonnes que pour l'entablement.

Les plafonds renfoncés des péristyles qui règnent le long des murs sont tous carrés et formés par les architraves qui réunissent les colonnes ; leurs compartiments offrent alternativement un cadre rond et un losange. Les milieux représentaient des sujets religieux analogues à la première destination de l'édifice.

Au-dessus de l'entablement régnant autour de la partie centrale, est un acrotère de 6 pieds 1/2 formant balustrade au droit de chaque entrecolonnement. Parmi les colonnes isolées décorant cette nef, on en remarque quatre placées en avant des autres, soutenant les angles saillants des tribunes pratiquées au-dessus. Quatre voûtes circulaires réunissent ces parties saillantes. Chacune de ces voûtes renferme un espace carré dans lequel se trouve inscrite une voûte en calotte, soutenue par quatre pendentifs se raccordant avec les voûtes ; dans leur partie inférieure sont pratiquées des lunettes formant l'ouverture des tribunes.

La disposition de la nef septentrionale ou de gauche, en entrant, est telle que devaient être les trois autres d'après la première idée de Soufflot. Le fond est terminé par un péristyle semblable à ceux qui régnent le long des murs latéraux. A l'extrémité s'ouvrent des portes de sortie ; mais comme le sol en est beaucoup plus élevé que celui du sol extérieur, on a dû placer à l'extérieur des perrons à plusieurs marches. Entre chacune de ces portes et le péristyle du fond, on a pratiqué des escaliers de communication aux tribunes et aux galeries de l'entablement. La forme des voûtes, les décorations architectoniques et sculpturales sont parfaitement semblables à celles de la nef d'entrée. Seulement, à cause du péristyle du fond, le nombre des colonnes isolées est de quatorze, celui des colonnes engagées de dix-huit.

La nef méridionale ou de droite en entrant, ressemble exactement à celle que nous venons de décrire.

La nef du sanctuaire se distingue par une arcade et une abside destinée pour l'autel principal.

Afin de donner plus d'unité et plus d'intérêt aux sculptures des quatre nefs, Soufflot consacra chacune d'elles à un objet particulier. L'Ancien Testament devait dérouler ses magnifiques pages dans la nef d'entrée. Déjà Moïse, Aaron, Josué, David, y avaient été exécutés par les artistes Julien, Dupré, Bovet. L'Église grecque rayonnait de toutes ses gloires dans la nef septentrionale : quatre de ses plus fameux docteurs, saint Athanase, saint Basile, saint Jean Chrysostome, saint Grégoire de Nazianze, sculptés par Julien et Dejoux, en ornaient les splendides murailles. Les petits bas-reliefs des ovales représentaient différents traits de leur vie. Le Labarum de Constantin flottait au centre de la voûte. La nef méridionale était réservée aux docteurs et aux principaux faits de l'Église latine. Les modèles déjà coulés en plâtre demeurèrent inexécutés, ainsi que les bas-reliefs de la nef du sanctuaire.

Le dôme, point de réunion des quatre nefs, s'élève dans les airs avec une merveilleuse hardiesse, soutenu par quatre piliers triangulaires, dont les angles étaient primitivement décorés par des colonnes engagées, correspondantes à celles des péristyles courant autour des nefs. A l'intérieur du dôme, ces piliers forment quatre pans coupés, décorés de pilastres de même ordre et de même hauteur que les colonnes des nefs, avec l'entablement et l'acrotère au-dessus. Ces piliers sont réunis par quatre grands arcs, prenant leur naissance à 13 pouces au-dessous de l'acrotère, et par quatre pendentifs élevés au-dessus des faces intérieures, qui rachètent par le haut la forme circulaire du dôme, ta largeur des arcades, prise entre les pilastres, est de 43 pieds 2 pouces, la hauteur de 69 pieds 4 pouces. Un entablement circulaire, avec corniche ornée de modillons, de moulures, couronne les arcades et les pendentifs, Le diamètre du dôme, pris à l'endroit de la frise qui est unie, compte 62 pieds.

La partie intérieure du dôme, au-dessus de l'entablement, présente le bel ordre de seize colonnes corinthiennes, également espacées, élevées sur un stylobate posant sur l'entablement des pendentifs, d'une hauteur de 33 pieds 1 pouce 9 lignes, d'un diamètre de 3 pieds 4 pouces. Seize croisées, garnies de vitraux montés sur fer, occupent les entrecolonnements ; les quatre situées au-dessus des piliers du dôme sont feintes. Mais, afin de conserver la beauté de la perspective, on les a garnies de glaces, qui perpétuent l'illusion du coup d'oeil. La portion inférieure de chaque entrecolonnement au-dessous des croisées, forme des tribunes ou balcons auxquels le stylobate sert d'appui, et où l'on arrive par une galerie circulaire pratiquée dans la hauteur du stylobate supportant la colonnade extérieure.

Au-dessus de l'entablement des seize colonnes de l'intérieur du dôme, existe un grand socle d'où s'élève la première coupole, décorée par six caissons octogones avec rosaces variées, percée en son centre par un grand œil de 29 pieds 5 pouces de diamètre. Les caissons se rejoignent à cet œil par une riche bordure de branches de laurier. Il règne au-dessus un appui terminé par une corniche à moulures ornementées. Le diamètre de cette première coupole, pris au droit de sa naissance, compte 62 pieds 8 pouces ; sa hauteur, 178 pieds depuis le pavé jusqu'au bord inférieur de son œil central.

Au travers de l'ouverture de cette première coupole, on aperçoit le sommet d'une seconde, élevée de 209 pieds au-dessus du niveau du pavé. Cette voûte intermédiaire naît au-dessous du sol de la plate-forme qui règne au dedans des croisées de l'attique. Son diamètre intérieur, à cet endroit, compte 65 pieds 8 pouces ; sa hauteur jusque sous la clef 47 pieds. Afin d'éclairer sa partie intérieure, sur laquelle devait être peinte une apothéose dans un ciel lumineux, Soufflot ouvrit, dans sa partie inférieure, un rang de larges croisées cintrées, visibles seulement à l'extérieur.

Une troisième coupole recouvre ces deux premières, et se termine par une petite tour circulaire, percée de fenêtres, entourée d'un balcon en fer, d'où l'on découvre le plus vaste et le plus splendide panorama. De larges feuilles de plomb garnissent sa partie extérieure, divisée en seize côtes saillantes. Le sol du balcon qui termine le galbe de cette superbe coupole, domine de 223 pieds celui du perron de l'entrée principale.

Sur le stylobate rond, mesurant 103 pieds de diamètre, qui court à l'extérieur du dôme, s'élèvent trente-deux belles colonnes corinthiennes, couronnées par un entablement à balustrade. Chaque colonne mesure 3 pieds 4 pouces de diamètre et 34 pieds de hauteur. L'ensemble de la colonnade est divisé en quatre parties égales par des massifs avant-corps, répondant aux quatre piliers du dôme, où l'on a pratiqué des escaliers tournants pour arriver à la cime de la coupole.

L'appareil architectonique de ces trois coupoles posées dans un si parfait et si harmonieux équilibre, se prêtant l'une à l'autre une force réciproque, est un chef-d'œuvre de hardiesse. Mais si Soufflot a la gloire d'avoir conçu le plan de ce magnifique travail, Rondelet, son ami et successeur, a celle de l'avoir exécuté avec une rare intelligence des dessins du créateur du monument. On estime le poids entier de la coupole et du dôme à 10865954 kilogrammes, masse colossale qu'on oserait à peine soupçonner, en contemplant la légèreté, l'élégance des murs et des colonnes qui la supportent.

Au milieu de nos éloges, nous ne devons pas toutefois omettre de signaler un grave accident qui se manifesta dans les piliers du dôme du temps même de Soufflot. Quand Michel-Ange conçut le projet hardi de jeter dans les airs, selon sa propre expression, le vieux Panthéon de Rome, il établit des piliers énormes, recommandant expressément, par une note consignée dans les archives de Saint-Pierre, de n'en jamais diminuer la masse, de peur d'ébranler sa gigantesque coupole. Bernini ayant essayé, cent ans après, au mépris des prescriptions prophétiques de son devancier, de creuser dans ces quatre massifs les chapelles dites des Reliques, il s'opéra un ébranlement dans les voûtes du dôme, dont une d'elles atteste encore aujourd'hui par une large lézarde la justesse des prévisions de Michel-Ange. Soufflot, voulant élever au sein de la capitale française un nouveau Saint-Pierre de Rome, parut ne point tenir compte de l'expérience de Bernini, et donna aux piliers de son dôme une maigreur qui leur fut fatale.

En effet, alors que le dôme n'avait pas encore atteint la moitié de sa hauteur, un adroit et perspicace tailleur de pierres, M. Dufeux, considérant un jour les différentes parties du dôme naissant, découvrit çà et là des gerçures qui lui firent soupçonner un tassement. Soufflot averti, reconnut, sur les indications de son habile ouvrier, les funestes effets du tassement causé par la coupe particulière des pierres, qui, afin d'obtenir un joint imperceptible à l'extérieur, avaient été évidées dans leur partie intérieure, en sorte que le poids des couches supérieures les affaissait d'une manière nuisible à la solidité du monument. A cette vue, Soufflot effrayé, s'adressa à lui-même la parole : « Soufflot, dit-il, Soufflot, tu es perdu. » Puis, il demeura contemplateur muet et agité de ce néfaste événement, qui empoisonna la fin de sa vie. Grandes rumeurs alors dans Paris : chacun de blâmer, de critiquer, de chercher les moyens d'étayer le dôme. Plusieurs, n'en trouvant point de possibles à réaliser, proposaient tout simplement de le détruire. C'est alors que Rondelet, à travers des difficultés sans nombre, avec les précautions les plus ingénieuses, un discernement profond et un succès complet, parvint à consolider les quatre piliers triangulaires du dôme en superposant sur les colonnes engagées de leurs angles de larges pilastres qui arrêtèrent les effets du tassement, et rendirent désormais impérissable l'œuvre de Soufflot.

Quoi qu'il en soit de cet accident, on ne peut nier que tout l'édifice ne porte la sublime empreinte du beau génie de son auteur. Colonnes, arcades, voûtes, piliers, ornements, tout respire cette grâce d'unité grandiose qui émeut l'âme et l'élève vers le ciel avec ce dôme bâti par la foi chrétienne. Les chiffres exacts des dimensions de l'église de Sainte-Geneviève achèveront de donner au lecteur une idée complète du travail de Soufflot.

  • Hauteur totale, 83 mètres ;
  • longueur de la porte d'entrée au fond, 94 mètres ;
  • longueur entre les extrémités des nefs latérales, 80 mètres ;
  • largeur des nefs, 30 mètres.

Disons maintenant un mot de la sacristie, du salon des évêques et de la crypte. La sacristie et le salon des évêques, placés à droite et à gauche du sanctuaire, au-dessous des clochers projetés par Soufflot, sont de belles et larges salles éclairées par deux croisées. La première est encore en ce moment garnie des boiseries de chêne à panneaux de citronnier qui y furent établies sous la Restauration. Sa splendide enceinte, son calorifère en bronze doré, recouvert d'une table de marbre, ses armoires et ses casiers vides, son parquet encore à demi brillant, sont prêts à recevoir immédiatement les ministres et les ornements du culte chrétien. Le salon des évêques est pavé en marbre, à compartiments de diverses couleurs. Quatre niches, séparées par des pilastres en marbre de Languedoc, attendent les statues de quelques docteurs de l'Église. Une horloge, sortie des ateliers du célèbre Wagner, domine sa porte d'entrée. Il est couronné par un dôme à rosaces, ayant à son centre une figure emblématique, écrivant ces mots que les révolutions n'ont point effacé : Histoire de sainte Geneviève.

La crypte constitue à elle seule une véritable église, digne de celle qui la recouvre. Des colonnes toscanes accouplées et sans base la décorent en même temps qu'elles supportent les fondements de l'église supérieure. Les murailles environnantes présentent de gros piliers carrés répondant aux colonnes supérieures. Le soin le plus minutieux a présidé à la construction de cette crypte, destinée à porter la pesante masse de l'édifice extérieur. Abaissée de 18 pieds au-dessous du sol de la nef supérieure, elle est éclairée de droite et de gauche par des vitraux semi-circulaires. On remarque sur la plupart des murs des différents caveaux un écusson contenant l'anagramme de Christus passus, accompagné de l'alpha et l'oméga grecs. Un grand perron à deux escaliers, construit à l'extrémité orientale de l'édifice, mène le visiteur à cette église souterraine, qui l'étonne autant par sa grandeur que par son inébranlable solidité.

Depuis ses bases les plus profondes jusqu'à ses cimes les plus hautaines, le monument de Soufflot justifie bien par sa grandeur et sa majesté la pompeuse dédicace de Dumont, professeur d'architecture, éditant, en 1781, une gravure qu'il dédiait aux mânes de Soufflot :

Inclytis J. G. Soufflot regii architecti manibus,
bunc aère incisum divae Genovefae templi prospectum,
certum invidiœ tormentum,
perenne amoris monumentum,
Gallis ad œinulationeiu incitamentum,
exteris ad admirationem invitameutum,
dicat mœrens, consecratque
olim addictus
Dumont, architectonices professor.

Né en Bourgogne en 1714, le célèbre architecte de la basilique que nous venons de décrire, Soufflot, après avoir parcouru l'Asie-Mineure et l'Italie, vint à Lyon, où il construisit plusieurs monuments remarquables. Élu membre de l'Académie de Paris, il devint contrôleur des bâtiments royaux, donna le plan de Sainte-Geneviève en 1757, dont il dirigea la construction jusqu'à la naissance du dôme. Son œuvre, vraiment admirable, lui suscita néanmoins de nombreuses contradictions qui empoisonnèrent ses derniers jours. Mort en 1780, les Génovéfains reconnaissants érigèrent, dans les caveaux de leur ancienne abbaye, un mausolée à leur illustre architecte, dont le dôme de la nouvelle basilique, l'École de Droit, une rue magnifique s'ouvrant sur les jardins du Luxembourg, transmettront ce nom glorieux à la plus lointaine postérité. Son corps fut transféré des caveaux de la vieille église de Sainte-Geneviève, en 1829, dans l'église nouvelle souterraine. Inscription :

Ici est le corps de messire Jacques-Germain Soufflot, chevalier de l'Ordre du roi, architecte de Sa Majesté et de la nouvelle église de Sainte-Geneviève, intendant général des bâtiments du roi, honoraire associé libre de l'Académie royale de peinture et de sculpture, contrôleur général des bâtiments de la ville de Lyon, membre de son Académie, de celles de Rome, de Marseille, etc. Décédé le 29 août 1780.

Rondelet, ami et compatriote de Soufflot, mit le comble à sa gloire en y associant la sienne par l'exécution aussi prompte que savante de la double colonnade et de la triple coupole qui couronne si élégamment la basilique. Rondelet, mort en octobre 1829, mériterait aussi, sans nul doute, d'être transféré dans les caveaux du monument, à l'achèvement duquel il a si activement et si habilement contribué.

Le fils de Soufflot reçut le titre d'architecte du Panthéon au 7 germinal an IV. Par suite du décès de Soufflot fils, Rondelet, dont nous venons de mentionner les grands travaux, fut nommé architecte du Panthéon le 13 floréal an IX. Ayant été nommé, en 1812, inspecteur général au conseil des bâtiments civils, son fils lui succéda dans la direction des travaux de Sainte-Geneviève avec le titre d'inspecteur, lorsqu'en 1813, Baltard fut nommé architecte en titre. Baltard éleva la lanterne du dôme, et construisit ces nombreuses portes de chêne, à panneaux carrés enrichis de moulures, qui décorent les différentes entrées de la basilique. Nommé architecte du Panthéon en 1832, Destouches s'occupa du dallage extérieur de l'édifice, de la grille qui le protège, et des portes de bronze de la façade principale.

L'architecte actuel, nommé en 1850, est M. Constant-Dufeux, membre de la Légion-d'Honneur, un des plus savants professeurs de notre École des Beaux-Arts. Il a déjà signalé sa direction par l'exécution des magnifiques portes latérales, dont nous donnerons plus loin la description complète.

Parmi les inspecteurs du monument à diverses époques, nous avons surtout remarqué le nom de Boucault, qui, pendant les vingt-huit années de son inspection, déploya le plus grand zèle dans les travaux d'achèvement du Panthéon. L'inspecteur actuel, M. Sonnet, montre une activité et une intelligence rares dans la surveillance des différents travaux de l'édifice. Nous lui devons un témoignage spécial de reconnaissance, car il s'est empressé, avec bienveillance, de nous fournir tous les documents que nous lui avons demandés relativement à notre histoire. Nous avons vu avec bonheur qu'il avait rangé chez lui, avec un soin minutieux, dans des cartons numérotés, les différentes pièces concernant le monument. C'est un excellent commencement d'archives génovéfaines modernes.

Le pantéon au XIXe

Chapitre VIII

  • Église Sainte-Geneviève transformée en Panthéon.
  • Décret de l'Assemblée nationale.
  • On demande à la tribune les honneurs du Panthéon pour Mirabeau et Marat.
  • Tous deux y sont portés en triomphe et bientôt après en sont ignominieusement chassés.
  • Lepelletier de Saint-Fargeau.
  • Ovation avortée de Barra et Viala.
  • Apothéoses de Voltaire et de Rousseau.

Un temple auguste, immense, s'élève dans la ville reine :
Édifice digne d'elle et de la vierge patronne.
Mais, ô piété trop tardive, tu prépares de vains honneurs !
Ces temps ne sont point dignes de tes hautes entreprises.
Avant que tu aies élevé à Dieu un temple dans cette capitale,
L'impiété chassera Dieu de ses temples et de la cité.

Telles étaient les paroles prophétiques qu'un poète de l'époque de Louis XV fit retentir sous les voûtes naissantes de la nouvelle basilique de Sainte-Geneviève. Ces lignes fatidiques écrites en présence de murailles blanches et fraîches de nouveauté, d'un dôme commençant à peine à se dresser dans les airs, passèrent peut-être alors inaperçues ; mais pour nous qui les lisons après un demi-siècle remué par tant de révolutions, elles résonnent à nos oreilles comme le cri douloureux des victimes d'un prochain naufrage, auxquelles des signes terribles, indubitables, ont révélé le péril au milieu des mers dangereuses où elles se trouvent engagées. L'impiété excitée, entretenue, favorisée par les innombrables et sinistres écrits d'une philosophie perfide, étendant sur la France ses voiles sombres, grondant sourdement dans un lointain qui se rapprochait chaque jour d'une manière effrayante, découvrait à l'œil le moins clairvoyant ses funestes et prochains triomphes. La tempête, en effet, s'est levée prompte, formidable ; le cri de l'anathème a percé le nuage qui l'enveloppait ; les foudres du philosophisme ont sillonné et noirci les murs encore brillants d'un premier éclat de la basilique de Louis XV ; elle était à peine achevée, et déjà Dieu et Geneviève en avaient été ignominieusement expulsés par l'impiété triomphante.

La première idée de la transformation de la nouvelle église de Sainte-Geneviève en Panthéon pour les grands hommes, naquit en 1791, au sein du Directoire du département de Paris, le lendemain de la mort de cet orateur fameux, dont l'incontestable éloquence échauffa tant de têtes, déprava tant d'imaginations. Sans doute. la pensée d'honorer les hommes illustres par leur génie, leur courage, leurs belles actions, est juste et louable ; l'Église catholique elle-même s'empresse de célébrer les louanges des vrais héros. Nous ne blâmons donc point la pensée du Directoire ; mais ce que nous ne pouvons laisser sans flétrissure, c'est qu'il ait arraché à la religion un édifice qui lui était consacré, pour y faire entrer pêle-mêle de vrais ou de faux grands hommes, pour y déposer les cendres de ceux qui, pendant leur vie, l'insultèrent, essayèrent de la salir par leurs perfides écrits. Les mots pompeux de gloire, de patrie, de courage, d'héroïsme, ne pourront jamais légitimer cette indigne profanation.

Les faits qui s'accomplirent dans l'enceinte profanée de Sainte-Geneviève sont de véritables drames auxquels nous voulons laisser leur couleur locale, en mettant sous les regards du lecteur le texte original des discours qui ont amené ou accompagné cette étrange transformation.

On était en avril 1791 : Mirabeau venait de mourir ; tous les esprits se préoccupaient des honneurs à rendre à sa grande ombre, selon le style du temps : c'est alors que Pastoret, procureur-syndic du département, se présente à la barre de l'Assemblée nationale, et d'une voix émue s'écrie :

« Messieurs, huit jours sont à peine écoulés depuis qu'assis au milieu de vous, Mirabeau y présentait, avec son énergique éloquence, les moyens de régénérer la tranquillité publique, et déjà Mirabeau n'est plus …. Au milieu des justes regrets causés par une mort qui, dans ce moment, peut être regardée comme une calamité publique, le seul moyen de distraire sa pensée est de chercher dans ce malheur même une grande leçon pour la postérité. Plusieurs peuples anciens renfermaient dans des monuments séparés leurs prêtres et leurs a héros. Cette espèce de culte qu'ils rendaient à la piété, au courage, rendons-le aujourd'hui à l'amour constant du bonheur et de la liberté des hommes : que le temple de la religion devienne le temple de la patrie ; que la tombe d'un grand homme devienne l'autel de la liberté. On sait qu'une nation voisine recueille religieusement dans un de ses temples les cendres des citoyens dont la mémoire est consacrée par la reconnaissance publique. Pourquoi la France n'adopterait elle pas ce sublime exemple ? Pourquoi leurs funérailles ne deviendraient-elles pas une dépense nationale ? Mais ce vœu, nous ne pouvons que l'exprimer, c'est à nos représentants à lui donner un caractère auguste. Hâtons-nous donc de le leur présenter, et qu'un décret solennel apprenne à l'univers que la France consacre enfin aux amis a du peuple, ces monuments réservés autrefois aux hasards de la naissance et des combats.

« Le Directoire du département propose donc à l'Assemblée nationale de décréter :

« 1° Que le nouvel édifice Sainte-Geneviève soit destiné à recevoir les cendres des grands hommes à dater de l'époque de notre liberté ; 2° que l'Assemblée nationale seule puisse juger à quels hommes cet honneur sera décerné ; 3° que Honoré Riquetti Mirabeau en est jugé digne ; 4° que les exceptions qui pourront avoir lieu pour quelques grands hommes avant la Révolution, tels que Descartes, Voltaire, Rousseau, ne puissent être faites que par l'Assemblée nationale ; 5° que le Directoire du département de Paris soit chargé de faire mettre promptement l'édifice Sainte-Geneviève en état de remplir sa nouvelle destination, et fasse graver au-dessus du fronton ces mots : Aux grands hommes la patrie reconnaissante. »

De bruyants applaudissements accueillirent cette proposition insolite. Robespierre se leva, dit qu'il regardait l'exposé et le projet de Pastorel comme intimement liés aux intérêts de la liberté et de la patrie. Barnave parla dans le même sens, et sur les conclusions de ces deux orateurs, l'Assemblée nationale décréta que Mirabeau méritait les honneurs dus aux grands hommes, puis renvoya à une commission spéciale l'examen de la proposition du Directoire et des mesures à prendre pour disposer l'église Sainte-Geneviève en Panthéon national. Quatremère-Quincy publia dans le Moniteur du 13 avril 1791, un long article où il s'appliquait à résoudre les nombreuses objections qui s'élevaient de toutes parts contre cette absurde transformation. Il rédigea de plus, par ordre du Gouvernement, un mémoire détaillé sur les changements qu'il convenait d'opérer dans l'église Sainte-Geneviève pour l'adaptera sa nouvelle destination.

On varia d'abord sur la dénomination qu'on lui donnerait. L'appellerait-on Portique des grands hommes, Basilique nationale, Cénotaphe, Mausolée, Panthéon ? Après quelques débats, cette dernière appellation prévalut, et de cette époque, on ne connut plus la basilique de Louis XV que sous le nom de Panthéon français.

« En un moment,disait Quatremère-Quincy dans l'emphatique et inepte verbiage qui caractérise ces temps de démence, en un moment où tout doit contribuer à renforcer dans l'âme des citoyens toutes les sensations que l'enthousiasme de la liberté fait puiser dans l'amour de la patrie...., il est heureux qu'il puisse enfin s'ouvrir, ce temple que la philosophie peut s'applaudir d'avoir deux fois élevé par la conquête qu'elle en a faite sur la superstition. » Ces paroles, qui se lisent en tête du mémoire de Quincy, font assez soupçonner dans quel esprit il conçut le plan des travaux qui devaient mutiler la basilique chrétienne.

Afin de lui retirer tout d'abord sa physionomie religieuse, il proposa d'abattre les deux campaniles carrés qui décoraient le chevet du temple, et de remplacer la croix rayonnante du dôme par la statue symbolique de la Renommée embouchant sa trompette pour publier les hauts faits des héros. Il fit ensuite détruire les sculptures à peine achevées du fronton, représentant une gloire en rayons environnée de petits anges, et les bas-reliefs du péristyle rappelant les principaux traits de la vie de sainte Geneviève. Des sujets profanes succédèrent aux emblèmes sacrés. Moitte sculpta, dès 1791, dans le tympan du fronton, une vaste composition symbolique figurant un autel chargé de couronnes, devant lequel paradait la Patrie en longue toge antique, escortée des génies de la Vertu et de la Raison. Sous le péristyle, Boichet sculpta dans le bas-relief du centre, la scène dramatique de la déclaration des droits de l'homme, où les déesses mystérieuses de la Nature, de la Liberté et de l'Égalité se donnaient la main, tandis qu'au-dessus d'elles un génie ailé proclamait le réveil de la France. Lesueur, Roland, Chaudet, Fortin, sculptèrent les quatre autres bas-reliefs du péristyle, représentant : l'un, l'institution du jury ; l'autre, l'instruction publique ; celui-ci, l'empire de la loi ; celui-là, le guerrier mourant pour la patrie sur le champ de bataille. Cinq grandes statues symboliques, placées entre les colonnes du péristyle, devaient compléter ces compositions païennes.

La statue de la Liberté, haute de 14 pieds, exécutée par le sculpteur Lorta, était terminée le 25 thermidor de l'an II, comme l'atteste une note de Soufflot fils. Le statuaire Dejoux, en exécution des arrêtés du Directoire du département, des 24 novembre et 17 décembre 1792, modela la grande statue de la Renommée, destinée au couronnement du dôme. Il demanda 52000 livres pour ses frais. Cette statue, haute de 28 pieds, devait être coulée en bronze.

Les quatre nefs subirent aussi les empreintes novatrices du génie révolutionnaire. On consacra la première à la philosophie, la seconde aux vertus patriotiques, les deux autres aux sciences, aux arts. Les quatre pendentifs du dôme furent adjugés, au prix de 17000 livres, aux sculpteurs Dupasquier, Auger, Ramey, Bacari,qui devaient y représenter les divers génies des Sciences, des Arts, de la Vertu, de la Philosophie. Les peintures de la coupole couronnaient ces chimériques créations par l'Apothéose du Génie et de la Vertu.

Les corps des grands hommes devaient être déposés dans les caveaux, tandis que leurs statues ou leurs bustes de marbre décoreraient le pourtour du monument, devenu leur tombeau. De là cette autre idée de Quincy, à l'égard de la suppression des croisées latérales, qui, répandant des flots trop multipliés de lumière dans l'intérieur de l'édifice, lui paraissaient peu en rapport avec un mausolée funèbre. Les croisées supprimées, les murailles du Panthéon ne présentèrent plus que ces vastes surfaces nues que nous voyons aujourd'hui.

Quatremère voulant donner à ses œuvres toute la perfection possible, proposa de dresser des statues allégoriques sur chacune des trente-deux colonnes qui courent à l'extérieur du dôme, d'entourer le monument par un mur d'enceinte avec des galeries funéraires où l'on érigerait des tombeaux à ceux qui, comme les triomphateurs antiques, n'auraient mérité que les honneurs d'un demi-triomphe.

De ces divers plans de décoration proposés par l'agent du gouvernement en 1791, plusieurs s'exécutèrent, les autres restèrent à l'état de projet, car la révolution roulait avec une si effrayante rapidité, qu'elle renversait le lendemain ce qu'elle avait conçu ou édifié la veille.

Cependant, Mirabeau, selon le décret de l'Assemblée nationale, avait été transporté au Panthéon au milieu des acclamations populaires, des chants patriotiques, des salves de l'artillerie. En le déposant solennellement dans les caveaux du mausolée national, le peuple semblait avoir promis à Mirabeau un repos durable, une demeure suprême, inaccessible aux orages des passions humaines. Espérance éphémère ! A peine quelques mois seront-ils écoulés, que ce même peuple ne respectera pas plus l'idole qu'il encense aujourd'hui, qu'il ne respectait le temple auguste où il la transporta en triomphe.

La révolution avançait toujours ; ni le torrent dans ses débordements vagabonds et destructeurs, ni la foudre dans ses éclats soudains et terribles, n'offrirent jamais au monde épouvanté le spectacle de tant de vicissitudes et de ruines. Idées, projets, décrets, se pressent, s'entrechoquent : le trône et l'autel s'écroulent dans la même catastrophe.

Semblable à ces monstres hideux qui n'apparaissent qu'au milieu des tempêtes, un homme aux traits livides, Marat lève alors sa tête menaçante au-dessus de la société française, bouleversée de fond en comble. Charlotte Corday s'arme d'un poignard et l'immole. Le peuple, dont il s'appelait le protecteur et l'ami, s'émeut, s'indigne ; la Convention s'agite ; les sections demandent vengeance. Le peintre David. dans un tableau effrayant d'expression hideuse et de féroce ressemblance, retrace les traits de l'ami du peuple. On l'expose partout avec cette néfaste inscription : Sancte Jésus ! sancte Marat ! Robespierre prononce son éloge ; le peuple lui érige des autels. Tant d'honneurs ne satisfaisaient point encore l'enthousiasme populaire. Le Panthéon seul pouvait compléter les hommages à rendre au héros. C'est alors, 24 brumaire 1794, que David, le fougueux artiste, parait à la tribune, et s'écrie : « Marat, du fond de ton tombeau tes cendres se réjouiront ; tu ne regretteras plus ta dépouille mortelle, car le peuple couronnant tes travaux, te portera dans ses bras au Panthéon. Citoyens, lorsque les tyrans, lorsque l'erreur égaraient l'opinion, on porta Mirabeau au Panthéon. Aujourd'hui, les vertus, les efforts du peuple ont détruit le prestige. La vérité se montre : devant elle la gloire de l'ami des rois se dissipe comme une ombre. Que le vice, l'imposture fuient du Panthéon : le peuple y appelle celui qui ne le trompa jamais. Je vote pour Marat les honneurs du Panthéon français. » Des applaudissements frénétiques répondirent aux accents enflammés de David. Le député Romme appuya sa motion ; puis, comme Granet demandait que Mirabeau fût mis hors du Panthéon pour faire place à Marat, Laloi, président de l'Assemblée, s'écria : « Marat ne doit remplacer personne. » La Convention décréta immédiatement : « Les honneurs du Panthéon français seront décernés à Marat, l'ami et le représentant du peuple. »

Toutefois, à cause des orageuses préoccupations politiques qui survinrent, ce décret ne reçut point une exécution immédiate. La translation de Marat au Panthéon n'eut lieu qu'à la tin de septembre 1794, deux mois après la chute de Robespierre, au 9 thermidor. Le Moniteur raconte ainsi cette cérémonie.

« Les obsèques de Marat ont été célébrées au milieu des cris répétés de : Vive la République ! Les sociétés populaires, les autorités constituées, les élèves de l'École de Mars précédaient le char qui portait les restes de Marat. Quatorze drapeaux destinés à nos quatorze armées flottaient sur le char. Le président a fait un discours analogue à la fête, en annonçant le succès de nos armes devant Maëstricht. Le cortège est arrivé au Panthéon à trois heures ; puis, au moment où l'on descendait du char le cercueil qui contenait ses cendres, on rejetait du temple des grands hommes. par une porte latérale, les restes impurs du royaliste Mirabeau. »

Trois ans et demi de repos dans les caveaux du Panthéon, voici quelle fut la courte durée de la faveur de ce célèbre orateur. Attendons : bientôt cet homme ignoble qui le remplace aujourd'hui en sera aussi à son tour ignominieusement expulsé, non pas après trois ans, mais seulement après quelques mois de séjour dans un monument que son cadavre n'eût jamais dû souiller.

Le 24 brumaire (14 nov.) 1794, un journaliste triomphant de la ruine du club des Jacobins, rappela que, dans un temps où chacun faisait des projets de constitution, Marat en avait aussi publié un dans lequel il soutenait que le gouvernement monarchique convenait seul à la France. On cria aussitôt : « A bas Marat, c'est un royaliste ! » A ce cri, qui était pour les uns une raison, pour les autres un prétexte, on abattit les bustes de Marat, on brûla son mannequin au milieu de la cour même des Jacobins dispersés et vaincus ; la Convention enleva, du lieu de ses séances, son portrait par David, et expulsa ses restes du Panthéon. Le peuple indigné les précipita dans un égout.

Étranges vicissitudes ! Mirabeau entre triomphalement au Panthéon et en est honteusement rejeté. Marat reçoit les mêmes honneurs et subit les mêmes affronts. Le Panthéon, témoin de ces scènes si diverses, ne compte que peu d'années d'existence, et déjà ses murailles ont vu les plus tragiques épisodes de l'instabilité de la faveur populaire.

Lepelletier de Saint-Fargeau, assassiné chez un restaurateur du Palais-Royal, par un ancien garde-du-corps, pour avoir voté la mort de Louis XVI, fut aussi transporté au Panthéon, le 24 janvier 1793. Les dépenses des cérémonies s'élevèrent à près de 1000 liv. Son frère y prononça son éloge funèbre.

Dans un article du décret qui transformait Sainte-Geneviève en Panthéon, l'Assemblée nationale statua que nul ne pourrait en recevoir les honneurs que dix ans après sa mort, afin de laisser à l'opinion refroidie le temps et les moyens de juger plus sainement ses mérites. Prévoyance inutile en des jours d'entraînement et de commotions ! Les exceptions se seraient multipliées sans nombre, si le bon sens public n'avait enfin flétri ces fêtes prétendues héroïques. Nous en avons un singulier exemple dans les projets avortés, relatifs à deux grands hommes encore imberbes, Barra et Viala. Le premier, à peine âgé de treize ans, ayant été sommé de crier : Vive le Roi ! était mort en pressant sur son cœur la cocarde tricolore au cri de la république. Le second, plus jeune encore, avait trouvé la mort en essayant de couper la corde d'un bac amenant des royalistes en France, David, dans l'exaltation de sa fougueuse imagination, prétendit leur faire rendre les honneurs du Panthéon. Il remplit la séance du 23 juillet 1794, par un long panégyrique des deux jeunes patriotes. Leur héroïsme l'enflamme, le reporte vers les souvenirs des hommes qu'ils jugent les plus glorieux dans les fastes révolutionnaires. Il s'adresse d'un ton presque sibyllin aux ombres de Marat, de Lepelletier, de Challier, de Bayle, de Beauvais, auxquels il compare les jeunes Barra et Viala. La Convention, émue par ses tirades théâtrales, vota sur-le-champ les honneurs sollicités pour les deux héros.

On s'occupa aussitôt des préparatifs de la fête. Le 7 thermidor, le Conseil général de la commune de Paris organisa la marche du cortège. Les images des deux jeunes patriotes devaient être portées en tète des colonnes. Pendant la marche vers le Panthéon, on devait exécuter des symphonies funèbres composées par Méhul. Une batterie de canons, placée vers la place de l'Estrapade, saluerait par ses salves nombreuses l'entrée de Barra et Viala dans le Temple de la Gloire.

Cette fête allait se célébrer le 10 thermidor ; mais la catastrophe du 9 préoccupa si vivement les esprits, que dans la séance permanente du 9 au 10 thermidor, Billaud-Varennes en demanda l'ajournement.

« Il n'y a pas de doute, dit-il à la tribune, que la fête projetée était une mesure insidieuse pour envelopper la Convention et les comités, sous prétexte de faire manœuvrer devant la Convention les jeunes gens du camp, auxquels on avait remis quinze pièces de canon. Je ne veux pas élever de nuage sur le patriotisme des jeunes gens, ni sur la vertu du peuple, mais je crois qu'il ne doit pas y avoir de fête demain. Ce dont nous devons nous occuper, c'est d'anéantir les scélérats ; nous irons au Panthéon avec plus d'enthousiasme quand nous aurons purgé la terre. » La Convention décréta donc l'ajournement de la fête ; puis, le règne du terrorisme cessant, on revint peu à peu à des idées plus saines, et les ridicules projets de la fête de Barra et Viala furent oubliés.

Deux écrivains philosophes avaient contribué, par leurs ouvrages, à propager en France les doctrines qui, en préparant les triomphes de la révolution, renversèrent le trône et l'autel. Voltaire et Rousseau possédaient d'incontestables droits aux honneurs du temple que la révolution ouvrait à ses élus. Elle ne les oublia point. Dès 1791, Voltaire y prit place ; Rousseau l'y suivit en 1794. Il était tout naturel que Voltaire, le mortel ennemi de la religion, franchît le premier le seuil du temple arraché par l'impiété à la religion en deuil.

Dès que l'Assemblée nationale eut décrété que le corps du philosophe de Ferney serait transféré triomphalement au Panthéon, l'athéisme se hâta de préparer les fêtes de l'ovation de son héros. Un immense cortège où figurèrent les corps de l'État, des chœurs de jeunes filles, accompagnait le char antique, sur lequel reposait le sarcophage, caché sous les couronnes de chêne et de laurier. Sur ses côtés, on lisait : « Il vengea Calas, Labarre, Sirven et Montbailly. Poète, historien, philosophe, il a fait prendre un grand essor à l'esprit humain, et nous a préparés à devenir libres. » Puis, ces deux vers sortis de la propre plume du héros :

Si l'homme a des tyrans, il doit les détrôner ;
Et si l'homme est né libre, il doit se gouverner.

Ce char traîné par douze chevaux, quatre de front, suivit la ligne des boulevards au milieu d'une foule pressée. Parvenu devant le grand Opéra, il s'arrêta pour y recevoir les hommages et les couronnes des acteurs de ce théâtre. Reprenant sa marche à travers la place de Louis XV et le Pont-Royal, il la suspendit de nouveau sur le quai où mourut Voltaire, et qui depuis a pris son nom. Il atteignit enfin la place du Panthéon, dont les portes s'ouvrirent au philosophe impie, sceptique, athée, qui venait remplacer sous les voûtes profanées de la basilique chrétienne, la candide Geneviève.

La religion désolée contempla tristement, sans pouvoir l'empêcher, cette hideuse profanation. Une royauté faible et tremblante dans son palais y put lire un présage de ruine pour elle. La pente était rapide, la chute inévitable. L'année 1791 allait s'éteindre, et déjà 1793 se dressait dans ces ombres naissantes, qui devaient couvrir la France de tant de ruines et de sang.

Le corps de Rousseau, enlevé à l'île des Peupliers, à Ermenonville, fut conduit à Paris avec la même pompe que celui de Voltaire, et descendit à ses côtés, dans les caveaux du Panthéon, le 15 octobre 1794. Étrange rapprochement ! le triomphe de Voltaire précéda, celui de Rousseau suivit, à une distance de temps à peu près égale, la ruine du trône de Clovis, fondateur de cette basilique, où ils usurpaient des places imméritées. Tous deux, coryphées des mêmes doctrines subversives, voyaient leurs statues érigées sur les mêmes ruines, tandis que Clovis et Geneviève voyaient les leurs honteusement brisées.

L'apothéose de Rousseau attira les habitants des pays qui l'avaient vu naître, et où il aimait à vivre. Genève, Franciade, Groslay, envoyèrent leurs représentants à Paris. On forma, sur un des bassins du Jardin national, une sorte d'île entourée de saules, rappelant Ermenonville. On y déposa l'urne de Rousseau, qui y reçut les hommages du peuple jusqu'à l'heure du départ pour le Panthéon. Quand les salves de l'artillerie en donnèrent le signal, le cortège se mit en marche, et des chœurs de vieillards, d'enfants, de mères de famille, de représentants, entonnèrent les strophes composées pour la fête par Marie-Joseph Chénier, représentant du peuple. Cambacérès, comme président de la Convention nationale, occupait la place principale dans l'immense cortège ; et lorsque la statue et l'urne du philosophe eurent pénétré dans le Panthéon, il adressa au peuple un discours plein de fausses doctrines et de vagues déclamations sur les mérites de celui qu'il appelle, moraliste profond, apôtre de la liberté, précurseur de la délivrance de l'humanité : « Ce jour solennel, s'écrie-t-il, ces honneurs, cette apothéose, ce concours de tout un peuple, cette pompe triomphale, tout annonce que la Convention nationale veut acquitter à la fois envers le philosophe de la nature, et la dette des Français et la reconnaissance de l'humanité. »

Les échos de la basilique de la patronne de Paris répétèrent avec stupeur un semblable panégyrique : elle avait été bâtie pour entendre d'autres doctrines, pour montrer aux peuples d'autres exemples.

Vue intérieure

Chapitre IX

  • Le Panthéon redevient église catholique.
  • Grandes pensées de l'empereur Napoléon.
  • Décret impérial sur le Panthéon.
  • Noms des dignitaires de l'Empire inhumés au Panthéon.

Née, disions-nous au commencement de cet article, avec les premières et glorieuses années de la monarchie française, la basilique de Sainte-Geneviève semble destinée à suivre invariablement les mêmes fortunes. Les événements poussent irrésistiblement vers cette conclusion. De toutes parts les preuves s'en accumulent.

Quand Dieu eut marqué le terme de ce vertige qui précipitait les esprits de ruines en ruines, de profanations en profanations, il appela de son nom un de ces grands hommes qu'il jette dans la balance des destinées des nations, quand il lui plaît de rétablir leur équilibre brisé. Génie gigantesque, tel que Dieu seul les peut montrer au monde, Napoléon Bonaparte parut pour remplir l'étonnante mission que lui assigna la sagesse divine. Doué d'une indomptable valeur, tout cède à ses exploits ; son intelligence supérieure domine ses égaux, confond et abat ceux qui se croyaient au-dessus de lui. Il étonne, subjugue par son seul regard quiconque l'approche. Son action est si vive, si prompte, si sûre, qu'on ne peut jamais la traverser. Seul, sous la main de Dieu, il devient la terreur de tous nos ennemis, la gloire de nos armes.

Comme l'aigle qu'on voit toujours, soit qu'il vole au milieu des airs, soit qu'il se pose sur le haut de quelque rocher, porter de tous côtés des regards perçants et tomber si sûrement sur sa proie qu'elle ne peut éviter ses ongles, non plus que ses yeux : aussi vifs étaient les regards, aussi impétueuse l'attaque, aussi fortes et inévitables étaient les mains de Napoléon. Dieu, sans doute, en avait ainsi ordonné pour le salut de la France.

Après avoir conquis parmi nous une autorité souveraine, moins peut-être par la force des événements conduits par son génie que par le prestige d'une gloire sans égale, il résolut de réorganiser la société bouleversée par de lamentables et trop longues commotions. Il sentit, dès le début de ce grand ouvrage, qu'il lui fallait une base ; il la choisit dans la religion. « La religion, » se faisait-il dire par son ministre des cultes, Portalis, dans un rapport du 19 février 1806, « la religion seule comble l'espace infini qui sépare le ciel et la terre. » Puis, faisant sans doute allusion à ces apothéoses ineptes et ridicules qui déifiaient des idoles, telles que Mirabeau ou Marat, Voltaire ou Rousseau, le ministre ajoutait : « La religion seule imprime aux cérémonies nationales et civiles, quelles qu'elles soient, cette gravité imposante, ce caractère touchant, qui commandent le recueillement, le respect ; elle lie les actions passagères de l'homme à cet ordre de choses éternel, source unique de toutes les consolations, but unique de toutes les espérances. »

De si hautes et magnanimes pensées, qu'on découvre à chaque pas dans la vie de l'Empereur, lui inspirèrent la résolution de rouvrir les temples fermés et de rendre à Dieu ses sanctuaires désolés. La basilique de Sainte-Geneviève, qui a toujours le privilège, après les tempêtes, d'attirer spécialement l'attention des chefs de l'État, fixa aussi la sienne. Il la visita, la contempla de cet œil profond qui n'appartenait qu'à lui, puis, quelques jours après, de Champagny, ministre de l'intérieur, lui adressait par ses ordres le rapport suivant, 19 février 1806 :

« Sire, dans le cours des désordres qui ont accompagné nos troubles civils, deux grands monuments publics ont offert un spectacle qui a affligé les amis des arts et les âmes religieuses.

« L'église Sainte-Geneviève, le plus beau de tous les temples de la capitale, ce temple qui, placé au sommet du mont consacré à un culte tutélaire, couronnait si noblement l'ensemble des chefs d'oeuvre qui décorent cette cité, et annonçait de loin à l'étranger le règne auguste de la religion sur cette population immense, enlevé au vœu de la piété, au moment même où elle allait en jouir, consacré ensuite à une autre destination, laissé enfin désert, sans emploi, sans but, semble s'étonner lui-même d'un tel abandon : la froide Curiosité, en visitant son enceinte, s'étonne de rencontrer déjà, dans un monument à peine achevé, la solitude des ruines ; le génie des arts, qui épuisa sur lui toute la richesse de ses conceptions, s'afflige de le trouver sans caractère, je dirai presque sans âme et sans vie. La religion, voyant ses espérances trompées, détourne ses regards d'un monument dont la majesté ne peut être dignement remplie que par le culte du Très-Haut, et qui s'élevait comme le juste hommage rendu à Dieu par le génie des hommes. »

Puis, après avoir raconté les désastres de Saint-Denis et ce que l'Empereur a fait pour le réparer, Champagny ajoute en parlant du Panthéon : « Votre Majesté vient de le visiter, et déjà votre pensée seule a ranimé et presque recréé ce monument. Votre génie réparateur lui rendra sa dignité primitive, effacera les derniers vestiges que l'esprit de destruction y laissa de son terrible passage. »

L'Empereur décréta immédiatement la réouverture de la basilique de Clovis. Il décida également qu'on lui restituerait les anciens tombeaux que la tourmente révolutionnaire en avait enlevés pour les placer au musée des Beaux-Arts. C'était à leur sujet que Champagny disait dans le même rapport : « Le génie des beaux-arts, qui accueillit naguère ces monuments funèbres pour les sauver, gémit de les voir déposés dans une enceinte où tout leur est étranger, où semble éteinte la pensée qui les éleva, où rien ne les explique, où, devenus stériles et a muets, ils ne transmettent qu'une impression incertaine à l'âme du spectateur.

« Votre Majesté a voulu rendre à la religion les mausolées que la religion fonda, leur rendre à eux-mêmes leur caractère primitif, les rétablir dans leur harmonie naturelle avec tous les souvenirs qu'ils doivent consacrer ; et, sans les dérober à l'admiration publique, associer leur présence aux cérémonies funèbres et au spectacle du culte divin. Ainsi, un voile religieux s'étendant sur eux, deviendra pour eux une sorte de décoration ; ils décoreront eux-mêmes un temple majestueux, les a arts retrouveront à leur vue le même enthousiasme qui en inspira la création.

« Telle est, Sire, la nouvelle destination que vous avez marquée au Panthéon. Votre Majesté a voulu qu'il soit le temple de la religion et celui de la reconnaissance, dont le vœu réuni, en s'élevant vers le ciel, lui demande d'acquitter la dette contractée sur la terre envers ceux qui auront bien servi la patrie et le prince Grande conception, qui accomplit ainsi dans une même consécration, les vœux du patriotisme, de la morale et des beaux-arts. »

Voici le décret qui régularisa définitivement la nouvelle transformation du Panthéon en église catholique.

Décret Impérial du 20 février 1806

  1. L'église Sainte-Geneviève sera terminée et rendue au culte, conformément à l'intention de son fondateur, sous l'invocation de sainte Geneviève, patronne de Paris.
  2. Elle conservera la destination qui lui avait été donnée par l'Assemblée constituante, et sera consacrée à la sépulture des grands dignitaires, des grands officiers de l'Empire et de la Couronne, des sénateurs, des grands officiers de la Légion d'Honneur ; et, en vertu de nos décrets spéciaux, des citoyens qui, dans la carrière des armes, de l'administration, des lettres, auront rendu d'éminents services à la patrie. Leurs corps embaumés seront inhumés dans l'église.
  3. Les tombeaux déposés au musée des monuments français seront transportés dans cette église pour y être rangés par ordre de siècles.
  4. Le chapitre métropolitain de Notre-Dame, augmenté de six membres, sera chargé de desservir l'église Sainte-Geneviève. La garde de cette église sera spécialement confiée à un archiprêtre choisi parmi les chanoines.
  5. Il y sera officié solennellement le 3 janvier, fête de sainte-Geneviève ; le 15 août, fête de saint Napoléon et anniversaire du Concordat ; le jour des Morts et le premier dimanche de décembre, anniversaire du couronnement et de la bataille d'Austerlitz, et toutes les fois qu'il y aura lieu à des inhumations en vertu du présent décret, aucune autre fonction religieuse ne pourra être exercée dans ladite église qu'en vertu de notre approbation.

Ce beau décret fit tressaillir les murs de la majestueuse basilique ; son dôme hardi rayonna d'espérance ; la croix allait remonter à sa cime découronnée par l'impiété. On employa même de larges sommes, pendant l'époque impériale, pour la restauration de ce beau monument. Voici quelques-uns des chiffres des travaux de ce temps ; le total en est assez significatif :

  • En 1806 ... 274736 fr.
  • En 1807 … 404935 fr.
  • En 1808 … 379080 fr.
  • En 1809 … 146344 fr.
  • En 1810 … 88091 fr.
  • En 1810 (mariage de l'Empereur) … 25081 fr.
  • En 1811 … 207693 fr.
  • En 1811 (naissance et baptême du roi de Rome) … 10612 fr.
  • En 1812 … 503880 fr.
  • En 1813 … 137714 fr.
  • En 1814 … 44525 fr.
  • En 1815 … 42350 fr.

Rondelet, le 4 juillet 1812, proposait au Directeur des travaux publics les quatre sujets suivants à exécuter en bas-reliefs pris dans la masse, pour les pendentifs du dôme :

  1. Le rétablissement du culte catholique par Sa Majesté l'Empereur.
  2. La dédicace de l'ancienne église Sainte-Geneviève par Clovis.
  3. Le vœu de Louis XV pour la construction de la nouvelle.
  4. Sa restauration et son achèvement par l'Empereur, avec une inscription en bronze doré dans la frise de l'entablement qui couronne les pendentifs du dôme, comme à Saint-Pierre de Rome.

Néanmoins, à cause sans doute des immenses et graves préoccupations politiques qui assiégèrent constamment le trône impérial, les magnifiques décrets de Napoléon demeurèrent presque imparfaits. Ni les fêtes commémoratives de ce pacte solennel qui rouvrit les églises catholiques, ni celles de cette bataille fameuse où son génie brilla de tant d'éclat sous les feux du soleil d'Austerlitz, ni même celles de sa naissance, ne se célébrèrent dans l'enceinte du Panthéon, quoiqu'il fût rendu au culte chrétien. D'illustres morts descendirent seulement dans ses caveaux, qui les couvrent de leurs ombres religieuses. Voici leurs noms, leurs qualités, leurs titres, tels que nous les avons recueillis sur leurs pierres funéraires.

Noms des Grands Dignitaires de l'époque impériale inhumes an Panthéon

Premier Caveau à droite
  1. François-Denis Tronchet, membre du Sénat, grand officier de la Légion-d'Honneur, titulaire de la Sénatorerie d'Amiens. Né à Paris, département de la Seine, le 23 mars 1726, et décédé à Paris, le 10 mars 1806.
  2. Claude Petiet, ministre de la guerre, conseiller d'État, membre du Sénat conservateur, grand officier de la Légion d'Honneur. Né à Chatillon-sur-Seine, département de la Côte-d'Or, le 9 février 1759, et mort à Paris, le 25 mai 1806.
  3. Jean-Baptiste Béviere, fut membre de l'Assemblée constituante, notaire et maire à Paris, membre du Sénat et de la Légion-d'Honneur. Né à Paris, département de la Seine, le 20 octobre 1723, et mort à Paris, le 12 mars 1807.
  4. Louis-Joseph-Charles-Amable D'albert De Luynes, l'un des membres du Sénat conservateur, commandant de la Légion-d'Honneur. Né à Paris, le 4 novembre 1748, et mort à Paris, le 12 mai 1807.
  5. Jean-Étienne Portalis, ministre des cultes, grand dignitaire de la Légion-d'Honneur, membre de l'Institut de France. Né à Beaussel, département du Var, le 1er avril 1746, et mort à Paris, le 23 août 1807.
  6. Louis-Pierre-Pantaléon Resmer, membre du Sénat conservateur, commandant de la Légion-d'Honneur. Naquit à Paris, le 23 novembre 1752 ; mourut en cette ville, le 13 octobre 1807.
  7. Antoine-César Choiseul-Praslin, membre du Sénat conservateur, commandant de la Légion-d'Honneur. Né à Paris, le 6 avril 1756 ; décédé à Paris, le 28 janvier 1808.
  8. Cœur de Jean-Pierre-Firmin Malher, grand officier de la Légion-d'Honneur, général de division, chevalier de l'ordre du Lion de Bavière. Né à Paris, le 29 juin 1761 ; mort à l'armée d'Espagne, le 13 mars 1808.
  9. Pierre-Jean-Georges Cabanis, membre du Sénat conservateur et de l'Institut de France, commandant de la Légion d'Honneur. Né à Salagnat, département de la Corrèze, le 5 juin 1757 ; décédé le 6 mai 1808.
  10. François-Barthelemy Béguignot, ancien général de division, sénateur, l'un des commandants de la Légion-d'Honneur et comte de l'Empire. Né à Paris, le 22 janvier 1757j décédé à Paris, le 28 septembre 1808.
  11. Gabriel-Louis De Caulaincourt, sénateur, membre delà Légion-d'Honneur et comte de l'Empire. Né à Léchelle, département de l'Aisne, le 15 novembre 1740 ; décédé à Paris, le 28 octobre 1808.
  12. Cœur de Jérôme-Louis-François-Joseph, comte Duraçzo. sénateur. Né à Gênes, département de Gênes, le 20 mai 1739 ; mort à Gênes, le 21 janvier 1809.
  13. Jean-Baptiste Papin, comte de Saint-Christau, membre du Sénat conservateur. Né à Aire, département des Landes, le 10 novembre 1756 ; décédé à Paris, le 3 février 1809.
Troisième Caveau à droite
  1. Joseph-Marie Vien, sénateur, comte de l'Empire, commandant de la Légion-d'Honneur, membre de l'Institut, professeur-recteur des Écoles spéciales des Beaux-Arts. Né à Montpellier, département de l'Hérault, le 17juin 1716 ; décédé à Paris, le 27 mars 1809.
  2. Pierre-Garnier Delaboissière, sénateur, comte de l'Empire, général de division, grand-officier de la Légion d'Honneur, chambellan de Sa Majesté l'Empereur et Roi. Né à Chassier, département de la Charente, le 10 mars 1754 ; décédé à Paris, le 13 avril 1809.
  3. Louis-Joseph-Vincent Leblond De Saint-hilaire, général de division, grand officier de la Légion-d'Honneur. Né à Ribemont, département de l'Aisne, le 4 septembre 1766 ; mort au champ d'honneur à la bataille d'Essling, le 22 mai 1809.
Premier Caveau du corridor à gauche.
  1. A la mémoire du maréchal duc de Montebello. Né le 2 avril 1769, à Lectoure, département du Gers ; mort glorieusement aux champs d'Essling, le 22 mai 1809.
Troisième Caveau à droite
  1. Cœur de Justin-Bonaventure Morard De Galles, sénateur, comte de l'Empire. Né à Goncelin, département de l'Isère, le 30 mars 1741 ; mort le 23 juillet 1809.
  2. Cœur de Pierre Sers, sénateur, comte de l'Empire. Né à Hégades, département du Tarn, le 10 mai 1746 ; mort le 16 septembre 1809.
  3. Emmanuel Crétet, comte de Champmol, commandant de la Légion-d'Honneur, ministre de l'Intérieur et ministre d'État. Né à Pont-de-Bonvoisin, département du Mont-Blanc, le 11 janvier 1747 ; décédé à Paris, le 28 novembre 1809.
  4. Jean-Baptiste Caprara, cardinal, archevêque de Milan. Né à Bologne, le 29 mai 1733 ; décédé à Paris, où il résidait en qualité de légat à latere, le 21 juin 1810.
  5. Charles-Pierre-Claret De Fleurieu, comte de l'Empire, sénateur, conseiller d'État à vie, gouverneur du palais des Tuileries et du Louvre, grand officier de la Légion-d'Honneur et membre de l'Institut. Né à Lyon, le 3 juillet 1738 ; mort à Paris, le 18 août 1810.
Quatrième Caveau à droite
  1. Cœur d'Alexandre-Antoine-Hureau De Sénarmont, général de division, inspecteur général d'artillerie, baron de l'Empire, commandant de la Légion-d'Honneur, chevalier de la Couronne de Fer. Né à Strasbourg, département du Bas-Rhin, le 21 avril 1769 ; tué devant Cadix, le 26 octobre 1810.
Troisième Caveau à droite
  1. Jean-Baptiste Treilhard, ministre d'État, président de la section de législation du Conseil d'État, comte de l'Empire, grand officier de la Légion-d'Honneur, chevalier de la Couronne de Fer, membre du Comité de consultation de la Légion d'Honneur, et du Comité pour les affaires contentieuses de la maison de l'Empereur. Né à Brives, département de la Corrèze, le 2 janvier 1742 ; décédé à Paris, le 1er décembre 1810.
  2. Nicolas-Marie Songis, premier inspecteur général du corps impérial d'artillerie, grand officier de l'Empire, grand aigle de la Légion-d'Honneur, grand-croix de l'ordre du Lion de Bavière, commandeur de l'ordre de la Couronne de Fer. Né à Troyes, département de l'Aube, le 23 avril 1761 ; mort à Paris, le 27 décembre 1810.
  3. Hippolyte-Antoine-Vincent Maréri, cardinal, évêque de Sabine. Né à Réaté, le 13 février 1738 ; mort à Paris, le 12 mars 1811.
  4. Charles Erskine, cardinal, diacre de Sainte-Marie dans le Portique. Né à Rome, d'un père écossais, le 13 février 1743 ; mort à Paris, le 20 mars 1811.
Quatrième Caveau à droite
  1. Le comte Ordener, sénateur, commandant de la Légion-d'Honneur, commandant de la Couronne de Fer, gouverneur du palais impérial de Compiègne. Né à Saint-Avose, département de la Moselle, le 2 septembre 4755 ; mort à Compiègne, le 30 août 1814.
Troisième Caveau à droite
  1. Louis-Antoine de Bougainville, comte de l'Empire, vice-amiral, grand officier de la Légion-d'Honneur, membre de l'Institut de France et du bureau des longitudes. Né à Paris, département de la Seine, le 11 novembre 1729 ; mort à Paris, le 1er septembre 1811.
Quatrième Caveau à droite
  1. François Le Paige Dorsenne, comte de l'Empire, général de division, chambellan de Sa Majesté l'Empereur et Roi, colonel-commandant des grenadiers à pied de la garde impériale, grand officier de la Légion d'Honneur, chevalier de l'ordre de la Couronne de Fer et de celui du Mérite militaire de Bavière. Né à Ardres, département du Pas-de-Calais, le 30 avril 1773 ; décédé à Paris, le 24 juillet 1812.
  2. Joseph-Louis Lagrange, sénateur, comte de l'Empire, grand officier de la Légion-d'Honneur, grand-croix de l'ordre impérial de la Réunion, membre de l'Institut et du Bureau des longitudes. Né à Turin, département du Pô, le 25 janvier 1736 ; décédé à Paris, le 10 avril 1813.
  3. Ignace Jacqueminot, comte de Ham, membre du Sénat conservateur, titulaire de la Sénatorerie du Nord, l'un des commandants de la Légion-d'Honneur. Né à Naïves, département de la Meuse, le iet février 1754 ; décédé à Paris, le 13 juin 1813.
  4. Hyacinthe-Hugues-Timoléon de Cossé, comte de Brissac, ancien maréchal des camps et armées du roi, sénateur, officier de la Légion-d'Honneur, chambellan de Son Altesse Impériale Madame, mère de l'Empereur, grand-croix de l'ordre de Saint-Hubert de Bavière. Né à Paris, le 8 novembre 1746 ; décédé le 19 juin 1813.
  5. François-Marie-Joseph-Justin de Viry, comte de l'Empire, sénateur, chambellan de S. M. l'Empereur et Roi, grand officier de la Légion-d'Honneur, grand-croix de l'ordre impérial de la Réunion. Né à Viry, département du Léman, le 1er novembre 1737 ; décédé à Paris, le 23 octobre 1813.
  6. Jean Rousseau, comte de l'Empire, sénateur, l'un des commandants de la Légion-d'Honneur. Né à Vitry, département de la Marne, le 13 mars 1738 ; décédé à Paris, le 3 novembre 1813.
  7. Jean-Nicolas Demeunier, sénateur, comte de l'Empire, grand officier de la Légion-d'Honneur, titulaire de la Sénatorerie de Toulouse. Né à Nozeroi, département du Jura, le 15 mars 1751, et décédé à Paris, le 7 février 1844.
  8. Claude-Ambroise Régnier, duc de Massa, grand-officier, grand-cordon de la Légion-d'Honneur. Né à Blamont, département de la Meurthe. Agé de 67 ans et demi. Décédé à Paris, le 25 juin 1814.
  9. Claude-Juste-Alexandre Legiiand, comte et pair de France, lieutenant-général des armées du roi, grand-cordon de la Légion-d'Honneur, chevalier de Saint-Louis, grand croix de l'ordre militaire de Charles-Frédéric de Bade. Né à Saint-Just, département de l'Oise, en 1762 ; décédé à Paris, le 9 janvier 1815.
  10. Jean-Antoine-Marie Thévenard, vice-amiral, comte et pair de France, grand-officier de la Légion-d'Honneur, commandeur de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis. Né à Saint-Malo, le 7 décembre 1733 ; décédé le 9 février 1815.

Caveau où sont les Protestants

Deuxième Caveau à droite
  1. Jean-Frédéric Perregaux, membre du Sénat conservateur, commandant de la Légion-d'Honneur. Né à Neuchâtel, en Suisse, le 4 septembre 1744 ; décédé à Paris, le 17 février 1808.
  2. S. E. Jean-Guillaume, comte de Wimer, vice-amiral, grand-officier de l'Empire, inspecteur général des côtes de la mer du Nord, officier de la Légion-d'Honneur, grand croix de l'ordre impérial de la Réunion, décoré de Tordre royal de l'Aigle-d'Or de Wurtemberg. Né à Campen, département des Bouches-de-1'Yssel, le 23 mars 1761 ; mort à Paris, le 2 juin 1812.
  3. Jean-Louis-Ebenezer Reynier, comte de l'Empire, général de l'Empire, général en chef, grand-officier de la Légion-d'Honneur, grand'-croix de l'ordre de la Réunion, grand dignitaire de l'ordre des Deux-Siciles et de celui de Saint-Henry de Saxe. Né à Lausanne, le 14 janvier 1771 ; décédé à Paris, le 27 février 1814.
  4. Frédéric-Henri Walter, comte et lieutenant-général, colonel des grenadiers à cheval de la garde impériale, grand cordon de la Légion-d'Honneur, commandant de la Couronne-de-Fer. Né à Obernbeim, département du Bas-Rhin, le 20 août 1761 ; mort à son quartier-général à Cassel, département de la Sarre, le 24 novembre 1813.

Chapitre X

  • Louis XVIII continue l'œuvre de l'empereur Napoléon.
  • Dédicace de Sainte-Geneviève en 1622.
  • Discours de Mgr de Quélen au Roi.
  • Peinture de la coupole, par Gros.

D. 0. M.
Sub invocatione Stae Genovefae
Lud. XV dicavit, Lud. XVIII restituit.

Au Dieu très-bon, très-grand, Sous l'invocation de Ste Geneviève, Louis XV dédia, Louis XVIII restitua.

Cette nouvelle inscription se lisait au frontispice de la basilique Sainte-Geneviève aux premiers jours de l'année 1822. La pompeuse mais païenne et usurpatrice inscription votée par l'Assemblée constituante avait disparu ; les sculptures profanes du péristyle et du fronton avaient été détruites ; la croix, ce signe sublime du salut du monde régénéré et de la réconciliation du ciel avec la terre, brillait de nouveau sur le dôme de la basilique purifiée. Louis XVIII, fils de la race antique de Clovis et de saint Louis, ayant recouvré le trône de ses ancêtres, voulait aussi que Geneviève, protectrice de Paris et de la France, récupéra son sanctuaire.

La lettre qu'il écrivit à cette occasion à Mgr de Quélen, archevêque de Paris, atteste hautement les sentiments qui l'animaient et le guidaient dans ce projet.

« Monsieur l'Archevêque de Paris, j'ai ordonné que la nouvelle église, fondée en l'honneur de sainte-Geneviève par mon aïeul Louis XV, fût mise à votre disposition, pour que vous ayez à la consacrer à l'exercice du culte divin, sous l'invocation de cette sainte. Voulant, à l'exemple de mes prédécesseurs, donner un témoignage public de ma dévotion envers la patronne de ma bonne ville de Paris, et attirer par l'intercession de cette puissante protectrice de ma capitale, les faveurs de Dieu sur ma famille et sur moi, je vous fais cette lettre pour vous dire que, le 3 du mois de janvier prochain, vous fassiez faire à cette intention des prières et des supplications solennelles en cette église, et que vous ayez à y inviter la Cour royale, le corps municipal et les autres corps constitués. Sur ce, je prie Dieu, Monsieur l'Archevêque, qu'il vous ait en sa sainte garde. »

Signé LOUIS.

Paris, 26 décembre 1821.

Mgr de Quélen, s'empressant d'obtempérer aux vœux de Louis XVIII, visita la basilique, réorganisa son ameublement sacré ; puis, le 30 décembre 1821, publia un mandement sur la réouverture de l'église de Sainte-Geneviève, annonçant à la France et à la capitale cette heureuse transformation.

Le 3 janvier 1822, leurs Altesses Royales, le duc et la duchesse d’Angoulême, des pairs, des députés, les conseillers municipaux de Paris, le préfet de la Seine, le préfet de Police, des délégués de la Cour royale, des généraux et officiers de tous grades, se rendirent à l'École de Droit, où les reçurent M. Delvincourt, doyen de la Faculté, et M. Cochin, maire du douzième arrondissement, où sa longue et sage administration a laissé des souvenirs chers et honorés. Monseigneur l'Archevêque de Paris, à l'heure marquée pour les cérémonies, sortit processionnellement de l'École de Droit pour se rendre à la basilique, dont une foule compacte entourait les abords et remplissait l'enceinte. A ses côtés, marchaient l'abbé de Rauzan, supérieur des missionnaires chargés de desservir provisoirement la basilique, le nonce du pape, les archevêques d'Arles et de Besançon, les évêques de Meaux, de Mende.

La pompe des décorations du temple était digne de la patronne de la capitale française. Un autel magnifique s'élevait au fond du sanctuaire. Des places réservées pour les princes garnissaient le côté droit du chœur. Sur la gauche étaient disposés des gradins et un double rang de banquettes pour les membres du chapitre métropolitain et les dignitaires du clergé. Des banquettes, tapissées de riche velours, destinées aux autorités civiles et militaires, occupaient le milieu du chœur. Des tabourets isolés, réservés pour les missionnaires, étaient placés non loin de la tribune des princes. De magnifiques tapisseries des Gobelins décoraient les murailles ; des tentures en velours cramoisi, enrichies de crépines d'or, recouvraient les boiseries provisoires du chœur.

Au fond du sanctuaire, sur des rideaux rouges galonnés en or, se dessinaient une croix, le chiffre de Marie et de Geneviève, triple union de signes libérateurs, qui faisaient naître dans les cœurs les sentiments d'une indicible espérance et d'une douce allégresse. Une musique suave, le chant des cantiques, mille flambeaux étincelants, la fumée de l'encens, le recueillement des fidèles, et surtout tant de souvenirs de pompes si diverses et si étranges, dont ces murs avaient été les témoins aux jours des calamités de la patrie, tout se réunissait pour rendre à la fois solennelle et touchante cette dédicace où rivalisait la magnificence des princes de l'Église et des princes de la terre.

Avant la célébration des saints mystères, l'archevêque, suivi de Leurs Altesses Royales et des autres invités, descendit dans les caveaux de la basilique, où l'on avait, la veille de la fête, déposé provisoirement quelques reliques de sainte Geneviève, reliques précieuses qui avaient heureusement échappé aux désastres de la révolution de 1793. M. de Quélen lut alors le procès-verbal constatant l'authenticité, la réception de ces reliques. L'acte notarié en fut signé par les princes, les pairs, les députés, M. Cochin, maire de l'arrondissement. Ces préliminaires terminés, on transporta processionnellement à l'extérieur du temple les reliques de la sainte, à travers les flots pressés des fidèles. On les rapporta ensuite au milieu du chœur, où elles demeurèrent exposées pendant la cérémonie du 3 janvier et toute la neuvaine suivante. Le procès-verbal concernant les reliques de sainte Geneviève fut rédigé, le 3 janvier 1822, en présence de Mgr de Quélen, archevêque de Paris, de ses grands-vicaires, et de plusieurs ecclésiastiques de distinction, entre autres M. Desjardins, archidiacre de Sainte-Geneviève, et de M. Rauzan, supérieur des missions de France.

Mgr de Quélen constata qu'après de nombreuses recherches, il avait enfin été assez heureux de recouvrer différentes reliques de la patronne de Paris :

  1. un ossement droit d'environ quatre pouces de longueur, extrait d'un reliquaire de l'église de Sainte-Geneviève-des-Bois, au diocèse d'Orléans, apporté à Paris par l'abbé Tonnellier, commis à cet effet par l'évêque d'Orléans,
  2. un ossement courbe d'environ deux pouces, extrait d'un reliquaire de l'église de Saint-Roch de Paris ;
  3. une portion d'ossement renfermée dans un petit reliquaire du couvent des Dames Carmélites ;
  4. un ossement de onze lignes de long, extrait d'un reliquaire de Verneuil, au diocèse d'Amiens ;
  5. un ossement d'environ vingt lignes de long, enlevé par un pieux fidèle de la châsse de sainte Geneviève de Paris, à l'époque de sa spoliation ;
  6. un médaillon, formé d'une pâte, portant d'un côté l'effigie de saint Denis, et de l'autre cette inscription : Reliques de saints et du sépulcre de sainte Geneviève ;
  7. des parcelles de sainte Geneviève ;
  8. une petite portion d'os scellée du sceau du cardinal Caprara.

Le tout bien reconnu fut revêtu du scel de l'archevêque de Paris. La messe solennelle fut alors célébrée par Mgr de Quélen, tandis que les assistants émus glorifiaient Dieu, qui, après tant de tempêtes et de scandales, leur rendait la majestueuse basilique de leur patronne.

Le 4 janvier, le dôme fut illuminé avec une richesse et un éclat qui rappelèrent les plus splendides illuminations du dôme de Saint-Pierre de Rome. Les offices ne cessèrent en aucun jour de la neuvaine. Les prélats, les prédicateurs les plus distingués se faisaient un bonheur de monter dans la chaire si simple du nouveau temple pour proclamer les vertus de l'humble bergère. Chaque moment du jour amenait près des reliques vénérées de nouveaux suppliants. Les élèves des collèges assistèrent alternativement aux messes de dix heures du matin : des offices spéciaux et des prédications particulières réunissaient les ouvriers de cinq à sept heures du matin, et de six à huit heures du soir. Les membres de la Famille royale, les princesses surtout, y vinrent fréquemment. Ce fut dans une de ces visites pieuses, le 9 janvier, que la duchesse de Bourbon, saisie d'un froid subit dans la basilique, mourut l'après-midi à l'École de Droit.

On se demandait alors, comme on se demande encore aujourd'hui : Que fera-t-on des cendres de Voltaire et de Rousseau ? Il paraît certain, d'après les témoignages de nos archives, que leurs cendres avaient été reléguées dans le caveau du péristyle, où elles demeurèrent jusqu'en 1830. Les années amenaient ainsi de justes réparations. Les sinistres vestiges des apothéoses révolutionnaires s'effaçaient, faisant place aux invincibles et saintes inspirations de la foi.

Voici de quelle manière se célébra la fête de sainte Geneviève en janvier 1823. La veille, premières vêpres solennelles, descente de la châsse contenant les reliques de sainte Geneviève. L'archevêque de Paris officia solennellement le 3 janvier ; l'évêque de Troyes prononça le panégyrique. Le corps des charbonniers de Paris offrit une grande croix en argent à sainte Geneviève. Les jours suivants, des évêques officièrent pontificalement : le 4, l'archevêque d'Arles ; le 5, l'évêque du Mans ; le 6, l'évêque d'Hermopolis ; le 7, l'évêque d'Ély, vicaire apostolique de Londres ; le 8, l'évêque de Cybistra ; le 9, l'abbé Desjardins ; le 10, l'abbé de Rauzan, supérieur des missionnaires de France ; le 11, l'évêque de Troyes. Aux vêpres, les missionnaires prononçaient chaque jour un sermon. Le dernier jour de la neuvaine, on fit une procession solennelle des reliques de sainte Geneviève.

Le 8 janvier 1825, le Roi, accompagné du Dauphin, de la Dauphine, de la duchesse de Berry, allant faire ses dévotions à sainte Geneviève, Monseigneur de Quélen le reçut à la porte de la basilique et lui adressa le discours suivant :

« Sire, le sceptre de Marie et la houlette de Geneviève, voilà deux grands appuis de votre France et de votre capitale. Le clergé de Paris ne cesse de réclamer la protection de la reine des cieux et l'intercession de la vierge de Nanterre pour un monarque auguste et chéri. Daigne, Votre Majesté, en agréant l'hommage de nos respects, distinguer celui de ces zélés missionnaires qui nous ont si puissamment aidés à conquérir cet édifice dont Louis XV posa les fondements, dont Louis XVIII ouvrit les portes, dont Charles X a fait en personne l'inauguration. »

Le roi répondit qu'il mettait son entière confiance en la patronne de Paris. On chanta l'Exaudiat et on célébra une messe basse.

Le 3 janvier 1826, le roi se rendit de nouveau à la basilique, et Mgr de Quélen lui adressa cette nouvelle allocution.

« Sire, la présence de Votre Majesté en cette église, fondée, rétablie, inaugurée par trois rois de France, en l'honneur d'une humble et sainte bergère, est une preuve éclatante de la continuelle protection de notre bienheureuse patronne. Puisse Votre Majesté, pleine de jours et de gloire, demeurer longtemps au sein de cette capitale, comme un gage éclatant et un authentique témoignage de la fidélité de Geneviève à nous protéger et à nous défendre. »

Le gouvernement de la Restauration ne le céda point aux précédents en munificence envers l'église de sainte Geneviève. Voici année par année ce qu'il dépensa pour l'embellissement de ce temple :

  • En 1816 … 28093 fr.
  • En 1817 … 12227 fr.
  • En 1818 … 14579 fr.
  • En 1819 … 31160 fr.
  • En 1820 … 10543 fr.
  • En 1821 (inauguration de Sainte-Geneviève) … 31400 fr.
  • En 1822 (inauguration de Sainte-Geneviève) … 31177 fr.
  • En 1823 (compris les ouvrages de la croix et du fronton) … 122082 fr.
  • En 1824 … 30720 fr.
  • En 1825 … 27806 fr.
  • En 1826 … 68563 fr.

Le roi résolut de compléter son œuvre de réparation en faisant peindre dans la coupole l'image de la pieuse bergère, au milieu de toutes les gloires de la monarchie. Cette peinture, qui compte plus de trois mille pieds carrés de superficie, fut exécutée, en 1824, par le baron Gros, qui nous semble avoir magnifiquement compris et exprimé les glorieuses destinées de cette basilique vraiment nationale.

Au centre de son immense tableau circulaire est Geneviève, ayant à ses pieds une brebis, symbole de sa candeur et souvenir de ses anciennes occupations. A sa droite, Clovis élève dans les airs le drapeau de la France qu'il fonde ; la pieuse Clotilde lui montre le livre de l'Évangile : Christi sanctum Evangelium. Plus loin, Charlemagne, revêtu de tous les insignes impériaux, semble montrer fièrement ses titres de gloire à la postérité : Capitulaires, Université. La brillante oriflamme flotte au-dessus de saint Louis et de la reine Blanche. La bravoure chevaleresque, la piété profonde, la foi ardente, la charité inépuisable de ce grand roi se résument en ces mots écrits sur une tablette placée à ses côtés : Établissements de Louis IX. Le roi, sous le règne duquel s'exécuta celte vaste peinture, Louis XVIII complète ce résumé historique des annales monarchiques de la France. Soutenu par Madame la duchesse d'Angoulême, il élève vers le ciel ses yeux humides de larmes, fixant les royales victimes dont le sang a rougi les marches de son trône. Dans les hauteurs du ciel, les têtes couronnées et radieuses de Louis XVI, de Marie-Antoinette, de madame Elisabeth, semblent lui sourire. La couronne royale brille de nouveau sur leur front abattu dans l'orage ; des palmes annoncent qu'ils ont obtenu la récompense des justes dans les cieux.

Telles sont les sublimes et profondes pensées qui animent la peinture de Gros, à qui Charles X donna le titre de baron au moment même où il la visita en personne.

Les souvenirs des plus illustres monarques français s'y mêlent harmonieusement avec ceux de la bergère, patronne de leur capitale, qui en vit poser les fondements par Clovis et Clotilde. Fait remarquable! le drapeau français se lève avec le nom de Geneviève au sein de Lutèce naissante, et après quatorze siècles nous le retrouvons toujours glorieux au sommet de la basilique de Geneviève, au sein du brillant et magnifique Paris. Que tous deux, Geneviève et drapeau, demeurent unis à jamais pour protéger notre chère patrie !

Chapitre XI

  • 1830 L'église Sainte-Geneviève redevient Panthéon.
  • Décret de Louis-Philippe sur le Panthéon.
  • Visite de Louis-Philippe.
  • Tables des héros de Juillet.
  • Pendentifs de la coupole.
  • On refait un nouveau fronton.
  • Bas-relief de la façade.
  • Révolution de 1848.
  • Exécution de portes en bronze.
  • Projet de peintures murales.
  • Désastres des journées de juin 1818.

La révolution de 1830 créa pour la France et la basilique Sainte-Geneviève de nouvelles vicissitudes. L'esprit philosophique triomphant lança pour la seconde fois ses décrets contre le sanctuaire de la patronne de Paris. Les hommes qui poursuivaient la réalisation des doctrines voltairiennes, portèrent avidement leurs regards sur cette église que les fils de Saint-Louis se plurent toujours à orner avec autant d'amour que de munificence. La fumée des fusillades des trois journées de juillet remplissait encore l'atmosphère de la capitale, que déjà l'on s'occupait d'expulser de son temple celle qui ne s'y était signalée que par des bienfaits.

Cet esprit, qui, peu de temps après, dévasta l'archevêché de Paris, jeta les livres et les ornements du pontife dans les eaux du fleuve, et éleva une colonne de bronze à la liberté triomphante, manifesta promptement ses tendances. Louis-Philippe, qui, dès le 5 août 1830, avait doté d'une pension de 1500 francs l'auteur de la Marseillaise, dont le chant, disait-il dans sa lettre à Rouget Delisle, réveillait en son cœur des souvenirs bien chers, s'empressa de donner une nouvelle satisfaction aux doctrines qui devaient plus tard le renverser lui-même, en leur livrant le plus beau monument catholique de la capitale. Nous mettons ici sous les yeux du lecteur l'étrange décret du 26 août 1830.

« Louis-philippe, roi des Français.

« Vu les lois des 4 et 10 avril 1791, Du 20 février 1806, du 12 décembre 1821, Notre Conseil entendu : Considérant qu'il est de la justice nationale et de l'honneur de la France, que les grands hommes qui ont bien mérité de la patrie en contribuant à son bonheur ou à sa gloire, reçoivent après leur mort un témoignage éclatant de l'estime et de la reconnaissance publiques ; considérant que pour atteindre ce but, les lois qui avaient affecté le Panthéon à une semblable destination, doivent être remises en vigueur ; ordonnons :

  1. Le Panthéon sera rendu à sa destination primitive et légale ; l'inscription : Aux grands hommes la patrie reconnaissante, sera rétablie sur le fronton. Les restes des grands hommes qui auront bien mérité de la patrie y seront déposés.
  2. Il sera pris des mesures pour déterminer à quelles conditions et dans quelles formes ce témoignage de la reconnaissance nationale sera décerné au nom de la patrie. Une commission sera immédiatement chargée de préparer un projet de loi à cet effet.
  3. Le décret du 20 février 1806, l'ordonnance du 12 décembre 1821, sont rapportés.

« Les ministres des cultes et de l'intérieur se concerteront pour que le Panthéon puisse être rendu dans le plus court délai à la destination indiquée.

« Signé : Louis-philippe.

« Le Ministre de l'intérieur, Guizot. »

Le lendemain, 27 août, une ordonnance institua la commission énoncée dans le précédent décret. Elle se composait du lieutenant-général Lafayette, du maréchal comte Jourdan, du colonel Jacqueminot, du député de Schonen, de M. Bérenger. Lorsque le projet de loi élaboré par cette première commission eut été proposé à la chambre des députés par M. de Montalivet, celle-ci forma une seconde commission composée du baron Daunant, de M. Viennet, M. Kératry, colonel Jacqueminot, baron Dupin, M. Philippe Dupin, M. Thil, M. Puvis,M. de Rémusat. Commissions inutiles ! formalités vaines ! issus d'un orage, leurs travaux devaient être emportés et détruits par le retour de jours meilleurs.

Dans la séance du 11 décembre 1830, le ministre de l'intérieur s'exprima en ces termes au sujet du Panthéon : «Messieurs, dit-il, le Gouvernement vient vous demander, au nom de la France, de rendre à un de nos plus beaux monuments la plus belle destination. L'antiquité peupla les temples des statues de ceux qui avaient bien mérité de la patrie et de l'humanité, et, chez les modernes, Westminster a recueilli leurs cendres. A l'époque où les Français ont pris rang parmi les peuples libres, ils voulurent aussi consacrer cette ère nouvelle par des honneurs rendus au plus éloquent défenseur de leur liberté. Quand la mort frappa Mirabeau, une voix s'éleva dans la première de nos assemblées, et le Panthéon s'ouvrit pour la mémoire des grands hommes. Si, plus tard, le pouvoir les a déshérités des honneurs funèbres qui leur furent décernés par la loi, la patrie vient de reconquérir au prix de son sang le droit de se montrer reconnaissante, et c'est au sortir d'une révolution où les sacrifices ont été sublimes, qu'elle éprouve plus profondément que jamais le besoin d'honorer les morts illustres.

« Les honneurs du Panthéon ne seront décernés par le concours des trois pouvoirs, que dix ans après la mort de celui qui en sera jugé digne : on a pensé que la raison publique ne pouvait prononcer avec impartialité que sur des cendres refroidies ; il faut qu'on puisse dire que c'est la postérité qui a jugé, afin que le jour du triomphe soit réellement celui de la justice.

Le ministre proposa, à la suite de ce discours, d'admettre exceptionnellement au Panthéon les restes de Foy, de Larochefoucauld-Liancourt, de Manuel et de Benjamin-Constant. Des bravos multipliés accueillirent sa proposition. On fixa la cérémonie au 29 juillet 1831, premier anniversaire de la révolution de 1830. Ce même ministre proposa en outre de graver sur les murs du Panthéon les noms des combattants de juillet : « Ici, s'écria-t-il, l'exception se justifie d'elle-même ; elle naît de l'héroïsme des dévouements, de la grandeur du bienfait, de la rapidité du triomphe Peut-on disputer sur le temps et compter avec ceux qui, au prix de leur vie, nous ont donné la liberté en trois jours. » Un projet de loi fut ainsi rendu au 11 décembre 1830.

Louis-philippe, roi des Français,

  1. En exécution de la loi des 4 et 10avril 1791, le Panthéon sera de nouveau consacré à recevoir les restes des citoyens illustres qui ont bien mérité de la pairie.
  2. L'inscription : Aux grands hommes la patrie reconnaissante, sera rétablie.
  3. Les honneurs décernés seront : ou un mausolée, ou une inscription gravée sur une table de marbre.
  4. Les honneurs ne seront décernés qu'en vertu d'une loi, et dix ans au moins après le décès du citoyen qui en sera l'objet.
  5. Néanmoins, au 29 juillet 1831, les restes de Foy, Larochefoucauld-Liancourt, Manuel, Benjamin-Constant, seront portés au Panthéon.

« Seront gravées sur les murs du Panthéon les inscriptions suivantes :

  1. Aux guerriers morts pour la patrie.
  2. Aux citoyens qui ont péri pour la liberté.
  3. Aux héros des journées de juillet. Leurs noms seront gravés au bas de cette inscription.
  4. La présente loi sera gravée sur les murs du Panthéon.

« Signé : Louis-philippe. Le Ministre de l'intérieur, Montalivet, »

Le Moniteur du 3 juillet 1831 nous apprend qu'à cette époque on travaillait à placer l'inscription du fronton et à poser les encadrements des pendentifs qui devaient être confiés au pinceau de Gérard.

Voici quelques détails sur les cérémonies célébrées au Panthéon le 29 juillet 1831 : Dès dix heures du matin, les portes en avaient été ouvertes aux autorités et aux invités munis de billets. La coupole était revêtue de draperies aux couleurs nationales mêlées de tentures noires. Dans les entrecolonnements, des écussons portaient : 1830, journées des 27, 28, 29 juillet, avec entrelacements de guirlandes et couronnes liées par des nœuds de crêpe. Le trône pour Louis-Philippe s'élevait un peu en arrière du dôme. A son arrivée, un chœur de cinq cents musiciens entonna la Marseillaise ; puis Louis-Philippe recevant un marteau des mains de M. d'Argout, ministre des travaux publics, scella dans les piliers du dôme les quatre tables de bronze où se voient encore en ce moment inscrits les noms des combattants de juillet. Cette opération terminée, il adressa au peuple le discours suivant :

« Citoyens, après avoir scellé sur les murs de ce monument consacré aux gloires nationales, ces tables d'airain destinées à perpétuer les noms de ceux qui, l'année dernière à pareil jour, ont si vaillamment défendu le précieux dépôt des lois, de la charte et de la liberté françaises, je viens vous exprimer tous les sentiments dont mon cœur est rempli. En célébrant avec vous l'anniversaire des glorieuses journées de juillet …..., j'ai voulu aussi célébrer la mémoire du 14 juillet 1789. Assez vieux pour avoir vu cette victoire nationale, je jouis de pouvoir aujourd'hui réunir ces deux anniversaires dans la même commémoration »

Après son discours, Louis-Philippe s'assit sur le trône, l'orchestre commença ses symphonies funèbres ; Nourrit, chanteur de l'Opéra, dit une cantate avec chœurs et la Parisienne. Au couplet où se trouve ce vers, en parlant du drapeau tricolore : D'Orléans, toi qui l'as porté, une immense acclamation retentit sous les voûtes du Panthéon ; puis, les décorés de juillet furent présentés à Louis-Philippe, qui leur adressa des paroles de félicitation. La Marseillaise fut une seconde fois chantée à sa sortie du Panthéon. Rapprochement fatidique ! A sa sortie du palais des Tuileries, d'où le chassait la révolution de 1848, on chanta cette même Marseillaise, pour laquelle il affectait une si vive prédilection.

Les décrets à peine publiés, on s'occupa d'enlever ou de détruire les emblèmes et les ornements sacrés de la basilique. La France entière regarda dans un muet étonnement cette nouvelle et païenne transformation ; les missionnaires se retirèrent avec larmes de leur sanctuaire en deuil ; la croix du fronton et de la coupole tomba sous les coups d'un marteau profanateur ; les reliques de sainte Geneviève quittèrent la basilique élevée en leur honneur ; mais, du moins cette fois, plus heureuses qu'en 1793, elles trouvèrent un autre asile que la place de Grève ; la vieille cathédrale leur offrit l'hospitalité de ses murs, où elles reposent encore aujourd'hui, jusqu'à ce que la nouvelle réouverture de la basilique les fasse rentrer dans son sanctuaire désert.

L'inventaire des objets sacrés à enlever de l'église de Sainte-Geneviève, fut dressé en présence de l'abbé Molinier, commissaire de l'archevêché, et de plusieurs témoins, en vertu des lettres du 29 août 1830, du vicomte Héricart de Thury, directeur des travaux de Paris. On remarque, entre les principaux articles de cet inventaire, un reliquaire renfermant des ossements de sainte Geneviève, des calices, des ostensoirs, des ciboires, des chasubles, des chapes, etc., et plus de 2000 chaises. Les travaux de cet inventaire furent interrompus à diverses reprises parles ovations préparées par les élèves de l'École Polytechnique et autres personnes, en l'honneur des bustes de Ney, de Foy, de Manuel, en août et septembre 1830.

28 Juillet 1830. Premier Rassemblement des Citoyens et des Elèves de l'école Polytechnique Place du Panthéon

La croix qui couronnait le dôme fut enlevée le 26 juillet 1831.

Ces spoliations et destructions accomplies, les artistes exécutèrent les travaux divers qui devaient mettre la basilique de Louis XV en harmonie avec sa destination profane de Panthéon français.

Le baron Gérard, membre de l'Institut, célèbre par ses tableaux d'Austerlitz et de l'entrée d'Henri IV, avait été chargé de la peinture des quatre pendentifs de la coupole par le gouvernement de la restauration. Les plans et les dessins de ses compositions étaient choisis et arrêtés lorsqu'éclata la révolution de juillet ; mais des cartons composés pour une église ne pouvaient plus convenir à la nouvelle destination de l'édifice. Gérard, alors, avec sa souplesse de talent et sa puissance d'imagination accoutumées, changea entièrement ses plans. Il commença ses travaux en 1833 ; mais ayant ressenti, en 1834, les premières atteintes de la maladie qui devait l'emporter peu d'années après, il dut les interrompre : se voyant gravement malade, il ordonna de les détruire entièrement ; ayant recouvré un peu de santé, il reprit son œuvre commencée, et y consacra les deux dernières années de sa vie. La mort ne lui permit pas cependant d'y mettre la dernière main. Il expira le 12 janvier 1837. Le gouvernement se chargea alors de l'entier achèvement des quatre pendentifs, terminés enfin le 27 juillet 1837, par un des élèves du grand artiste, dont la pensée vit tout entière dans la composition et l'agencement des quatre sujets : la Mort, la Patrie, la Justice, la Gloire.

La Mort frappe l'homme dans la force de l'âge. De la main gauche elle touche sa victime, tandis que de la droite elle indique l'âme du défunt qui s'élance vers le ciel. Au-dessous de ce groupe en est un autre, composé d'une femme, d'un enfant, d'un vieillard, tous trois émus de la mort de l'homme. Un serpent a la langue de feu dresse sa tète au haut d'une colonne. Magnifique d'exécution, ce tableau n'est pas si heureux sous le rapport de la composition. Que signifie-t-il ? Quel est son sens moral ?

La Patrie est représentée couverte d'un voile noir, près de la tombe d'un grand homme auquel elle semble rendre les derniers honneurs. Au-dessus de la tombe, la Renommée prend son vol pour publier le nom du mort. A gauche s'avance un groupe où figurent un guerrier, un artisan, un légiste, venant offrir leurs services à la patrie. Un laboureur occupe la partie inférieure du pendentif. Une croix, placée non loin de la Patrie, paraît indiquer que toute cette scène se passe sous les yeux de la religion.

La Justice tenant le glaive et les balances, défend l'approche du Panthéon à la Vanité, à la Calomnie, à l'Envie, au Mensonge. Aux pieds de la Justice est la Vertu, les mains liées derrière le dos, et qui semble avoir été victime des personnages hideux qui l'entourent. Le Panthéon apparaît dans le lointain, entouré de nuages diaphanes.

La Gloire, auprès de laquelle est Napoléon en grand costume d'empereur, lui montre la Religion, qui, elle-même, indique au héros le ciel, comme le véritable objet des désirs de l'homme. Vers la gauche, un aigle plane dans les airs, portant dans ses serres la couronne du vainqueur ; au-dessous, la Renommée pleurant celui qu'elle a accompagné si longtemps. Un soldat gaulois figure toute l'armée française.

Ces quatre compositions, remarquables par leur disposition grandiose, ajustées avec goût et intelligence, n'offrent pourtant au spectateur que des idées nuageuses, abstraites, trop difficiles à saisir ou à expliquer.

Les travaux du fronton furent confiés à des mains non moins habiles. M. David (d'Angers) conçut et exécuta les sculptures de ce tympan, qui sont à elles seules un des exemples les plus singuliers des vicissitudes humaines. Lorsque le monument portait le nom de Geneviève, Guillaume Coustou y avait sculpté une croix rayonnante, entourée de nuages et d'anges adorateurs. Quand l'Assemblée constituante l'eut changé en Panthéon français, Jean-Guillaume Moitte exécuta un bas-relief représentant la Patrie couronnant les vertus civiques et guerrières. Cette composition allégorique dut à son tour disparaître dans le changement des gouvernements. On commença d'abord par la dérober aux yeux du public, au moyen d'une large bande de toile ; puis, lorsque l'édifice fut définitivement rendu au culte catholique, on détruisit entièrement le travail de Moitte. De nouveaux bas-reliefs furent alors commandés tant pour le tympan que pour les encadrements du péristyle, et déjà ces pieux ouvrages, où l'histoire de la vierge de Nanterre devait être retracée, touchaient à leur accomplissement, quand la Révolution de 1830, rétablissant le Panthéon français, nécessita par conséquent de nouveaux travaux dans ce majestueux fronton de 84 pieds de largeur sur 19 de hauteur, champ le plus vaste que l'architecture ait peut-être jamais livré au ciseau de la sculpture. Ce grand bas-relief fut confié à M. David d'Angers, qui, après deux ans de travail sans interruption, l'acheva en juillet 1837.

M. David a puisé le sujet de sa composition dans l'inscription elle-même. Au milieu du fronton et montée sur un autel, est une grande et majestueuse figure, le front ceint d'une couronne étoilée, représentant la Patrie distribuant des couronnes. A ses pieds, sont assises l'Histoire et la Liberté ; l'une inscrivant sur les tablettes les noms des grands hommes ; l'autre, calme et forte, tressant des couronnes. A droite, sont les illustrations de l'ordre civil ; à gauche, toutes les gloires militaires. De ce partage résulte un contraste plein d'effet : là, Malesherbes, Voltaire, Mirabeau, Fénelon, Laplace, Cuvier, Monge, David le peintre, et autres. Ici, Napoléon, revêtu de l'uniforme républicain, dominant un groupe de soldats de toutes armes, où l'on retrouve jusqu'au vieux grenadier à fières moustaches, et l'intrépide enfant qui battait le tambour au pont d'Arcole. Enfin, les deux angles aigus du fronton sont remplis par des groupes de jeunes gens livrés à l'étude, afin de pouvoir s'illustrer et venir un jour partager les récompenses décernées par la patrie. Le 21 juillet 1837, le Ministre de l'intérieur visita ce vaste ouvrage de M. David (d'Angers), ainsi que les bas-reliefs exécutés par M. Nanteuil, dont les cadres du péristyle et dont les sujets s'harmonisent également avec la destination du Panthéon. Celui du centre, plus grand que les autres, surmonté d'une croix d'honneur, accompagnée de deux grosses guirlandes, représente un citoyen demi-nu, moitié gisant, qui fixe les yeux sur la patrie. Celle-ci, une main élevée, semble lui indiquer la récompense et lui présente une palme. La Renommée embouche la trompette pour publier la gloire du héros mourant pour la patrie. Les quatre autres, de dimensions égales, offrent des sujets divers : le premier, la fermeté d'un magistrat fixant intrépidement le sicaire qui venait pour le frapper du poignard ; le second, le dévouement d'un guerrier qui refuse la couronne de la victoire, et se jette modestement en arrière en indiquant qu'il consacre tout à la pairie ; le troisième, les sciences et les arts cherchant à illustrer la nation par leurs grandes œuvres ; le quatrième, l'instruction publique accueillant des enfants que des mères lui amènent.

Pour compléter l'ensemble de ces ornements païens, on projeta de placer, sur le sommet du Panthéon, une statue colossale de la Renommée. On en essaya l'effet de perspective en 1838, par la pose d'une statue de carton. Soit que l'aspect d'une statue colossale à élever à cette hauteur ait paru mesquin, soit pour d'autres causes d'exécution ou de dépenses, le projet avorta. On redescendit le mannequin provisoire ; la Renommée demeura muette et fut reléguée clans les cartons oubliés de son auteur.

On remarque encore aujourd'hui dans l'intérieur du Panthéon trois statues colossales, dont l'une occupe le sanctuaire, les deux autres l'extrémité des nefs latérales. Toutes trois servirent aux décorations de la fête de la translation des cendres de Napoléon en 1840 ; puis, par ordre de Louis-Philippe, furent placées dans le Panthéon. Elles représentent, la première, la Gloire, couronnée d'étoiles dorées, tenant une palme d'une main, une couronne de l'autre ; la seconde, la Justice avec le sceptre et les balances ; la troisième, la Pitié.

Ces trois gigantesques statues, reposant sur de larges piédestaux décorés de toiles peintes, ne produisent cependant qu'un effet maigre, et très-insignifiant dans ce somptueux édifice, qui, malgré ces ornementations profanes, paraîtra toujours vide sans la pensée primitive qui l'édifia.

N'oublions pas toutefois de dire, qu'à part ces étranges décorations, Louis-Philippe améliora et embellit les abords du Panthéon, élargit la place, nivela les terrains adjacents, et commença la grille de fer qui environne et préserve le monument. Nous devons à M. Sonnet, inspecteur, le relevé des chiffres des divers travaux, opérés à cette époque.

  • Bahut et grille d'enceinte 174447 f. 98 c.
  • Dallage du péristyle et marches du grand perron 82834 f. 89 c.
  • Dallage intérieur de l'enceinte de la grille 200600 f. 10 c.
  • Perrons latéraux et leurs grilles d'enceinte 194178 f. 66 c.
  • Dérasement des clochers et achèvement des pièces en dessous 54413 f. 06 c.
  • Soupiraux des souterrains et soubassements du monument 46693 f. 12 c.
  • Sculpture du fronton du péristyle 98419 f. 67 c.
  • Trophées et encoignures du péristyle 16314 f. 35 c.
  • Guirlandes des pans coupés et du péristyle 14794 f. 20 c.
  • Rétablissement de trois bas-reliefs et restauration de deux anciens 56877 f. 83 c.
  • Travaux intérieurs, tels que déménagement de l'église 37295 f. 01 c.
  • Peinture des pendentifs et dorure des cadres 76391 f. 29 c.
  • Réparation à la colonnade 11613 f. 74 c.
  • Travaux des souterrains nord et midi 89853 f. 61 c.

Voici un échantillon des illuminations usitées aux fêtes de Juillet autour du dôme du Panthéon.

  • 1er cordon sur la corniche 38 lampions.
  • 2e id. sur le 1er gradin 32 lampions.
  • 3e id. sur le 2e gradin 29 lampions.
  • 4e id. sur le 3e gradin 26 lampions.
  • Balcon de la lanterne 50 lampions.
  • Consoles au-dessous 50 lampions.
  • Cheneau du dôme 160 lampions.
  • Tablette de l'attique 160 lampions.
  • Entablement au-dessous 192 lampions.
  • Devant des bases 128 lampions.
  • Galerie 24 lampions.
  • Escaliers de service 11 lampions.

Total. . . 900 lampions, du diamètre de 0m 16c. Plus 32 pots à feu de 0m 32c de diamètre.

Le gouvernement de Juillet tombé, la République élevée sur ses ruines porta à son tour son attention sur le Panthéon, destiné, ce semble, à recevoir les empreintes diverses de tous les pouvoirs qui se succèdent en France. M. Ledru-Rollin, membre du Gouvernement provisoire, promulgua le11 avril 1848 le décret suivant :

« Au Nom Du Peuple Français,

« Sur la proposition du directeur des Beaux-Arts, le Ministre de l'intérieur décrète :

« Il sera exécuté dans l'intérieur du Panthéon une suite de peintures murales par le citoyen Paul Chenavard, et sous sa direction, conformément au projet et aux esquisses qui ont été mises sous les yeux du ministre. Sur la demande du citoyen Chenavard, il lui est alloué, pendant toute la durée des travaux, une somme de 4000 fr. par an. Le citoyen Chenavard est autorisé à s'adjoindre les artistes qu'il jugera convenable, pour la meilleure et plus prompte exécution desdits travaux. Le maximum de la rétribution des artistes employés à ces travaux sera de 10 fr. par jour, les frais matériels étant supportés par l'État. Sur la demande du citoyen Chenavard, le ministre se réserve la faculté de suspendre le travail commencé, après examen fait par une commission nommée par lui. » Ce décret demeura sans résultat.

Les portes de la basilique Sainte-Geneviève méritent une attention particulière. Elles sont au nombre de sept, toutes en bronze ou en cuivre laminé. Celles de la façade principale, composées et placées par l'architecte Destouches, sont montées sur des armatures en fer. Celle du centre, haute de 8m 20c, large de 3m 95c, a coûté près de 92000 fr. ; les deux autres ont coûté ensemble environ 70000 fr. Soupçonnant sans doute les perpétuelles vicissitudes du monument, l'architecte Destouches n'a voulu donner aucun caractère à ses portes : des feuilles d'acanthe, des moulures variées, des modillons fleuris, sont leurs seuls ornements.

M. Constant-Dufeux a abordé plus franchement la difficulté, et nous devons reconnaître qu'il l'a surmontée avec un rare bonheur. Les quatre portes latérales qu'on achève en ce moment même de poser, se font autant remarquer par leurs majestueuses proportions que par la richesse de leur composition. Elles ne présentent point, comme les précédentes, un assemblage de pièces de fonte et de cuivre laminé ; elles sont d'un seul jet, et c'est peut-être la première fois qu'on exécute une si vaste pièce d'une façon si hardie. Elles offrent une hauteur de 4m 43c sur 2m 25c de largeur, et sortent des fonderies de MM. Sitnonnet père et fils.

M. Constant-Dufeux, voulant remplir un double objet, conserver la majesté des dimensions et éclairer en même temps le vestibule de l'édifice, a adopté une disposition du plus bel effet. Le panneau inférieur, d'un style sévère, est plein et décoré d'une fleur à tige droite. Au deuxième panneau, on aperçoit la date de 1850, année de l'exécution des portes, surmontée d'une palme. Un fuchsia laisse retomber ses élégants festons sur l'anagramme consécrateur : A. G. H. L. P. R. Au-dessus de cette première partie de la porte, s'élève un écusson, azur, de forme ovale, avec les initiales R.F. Une guirlande d'immortelles, supportée par deux paters fleuris, encadre la croix de la Légion-d'Honneur, telle que la créa le Premier Consul, le 19 mai 1802. Les montants sont alternativement ornés de paters et d'étoiles. Chacune des quatre portes est couronnée par une fleur différente ; ici une églantine ou une fleur de pêcher, là un camélia ou un dahlia, toutes placées dans un certain rapport avec la saison qui les voit naître, au nord ou au midi. Mais la partie la plus saillante de ces belles portes est, sans contredit, celle des panneaux supérieurs, entièrement à jour, formés ou plutôt ornés alternativement d'une palme sur un fond à rameaux de chêne, d'une autre palmé et d'une branche d'olivier.

Au moment où l'on posait ces portes, les ayant par hasard aperçues dans l'atelier du Panthéon de la rue d'Ulm, nous fûmes subitement frappé par la magnificence emblématique de ces ornements. Singulière coïncidence ! disions-nous. Un pouvoir, voulant honorer ses héros, ornait des palmes et des rameaux de la victoire les portes qui devaient fermer le temple consacré à leur gloire. Ce pouvoir succombe ; un autre lui succède, qui fait triompher la religion avec lui ; et voici que les palmes et les rameaux de chêne destinés aux héros profanes, vont servir à honorer les saints et les martyrs de l'Église de Dieu.

Cette étonnante transformation n'avait point, du reste, échappé à la sagacité prévoyante de l'habile auteur de ces portes, M. Constant-Dufeux, architecte du Panthéon. Justement préoccupé de la destination normale, originelle et seule vraie du monument de Soufflot, M. Dufeux pensa que, tout en exécutant des portes destinées à décorer l'entrée du temple des grands hommes, il n'était pas sans sagesse de les composer en une telle sorte, que ce temple redevenant église chrétienne, elles pussent encore y demeurer d'une manière convenable. Aussi voyons nous qu'avec quelques légères additions, ces portes peuvent facilement rester celles de la basilique de la patronne de Paris.

Outre ces portes de bronze impérissables, les six vestibules du monument et plusieurs autres entrées intérieures sont décorées de portes en chêne, sculptées, dues à l'architecte Baltard, qui les posa la plupart en 1829.

Cependant, d'inhabiles manœuvres précipitent le gouvernement provisoire de 1848 vers une ruine inévitable. Les épouvantables journées de juin lèvent leur aurore ensanglantée sur la capitale en alarme : le Panthéon en verra aussi les funèbres lueurs, et subira leurs lamentables effets. Des hommes égarés par des doctrines perverses s'en emparent, y établissent une forteresse d'insurrection. Les défenseurs de la société menacée accourent à l'assaut : leurs canons font voler en éclats la porte principale, les balles ébrèchent les colonnes du péristyle, déchirent les murailles du monument ; les cris de terreur et de désespoir retentissent dans son enceinte, le sang ruisselle sur ses dalles de marbre.

Triste et lugubre catastrophe ! N'était-ce pas comme une sorte d'expiation ? ceux qui tombaient victimes en ces regrettables journées, n'étaient-ils pas les disciples ou les propagateurs de ces doctrines mensongères et perfides, qui, prêchées naguère par les coryphées du dix-huitième siècle, enfantèrent ces néfastes décrets qui proclamèrent à la face de la France catholique la profanation de la basilique de sa glorieuse patronne ?

On évalue à 60000 fr. les dégâts causés au Panthéon dans les journées de juin 1848.

Chapitre XII

  • Décrets de Monseigneur le Prince-Président sur le Panthéon
  • Il est rendu au culte.
  • Ordonnances de Monseigneur l'Archevêque de Paris pour régler les formes du concours et les fonctions des chapelains de Sainte-Geneviève.

Entre les nombreux décrets rendus par le prince Louis-Napoléon à la suite du 2 décembre 1852, il en est un surtout qui produisit le plus heureux effet au milieu des populations émues et inquiètes, parce qu'il touchait à cette fibre intime, qui, malgré les efforts d'un philosophisme impie pour l'affaiblir ou la briser, n'a cependant jamais cessé de battre haut au cœur de la nation française.

Pressé par une noble et religieuse préoccupation au milieu même du tumulte et des feux du combat, le Prince tourna ses regards vers la basilique de la patronne de Paris et de la France. Il voulait par là faire comprendre aux nations catholiques, de quelle manière il entendait traiter la religion, dont il venait tout récemment de rétablir le chef au sein de sa capitale : il obéissait aussi à un sentiment sincère de religieuse espérance, car il se trouvait placé dans ces conjonctures graves où le génie de l'homme, si fort et si puissant qu'il soit, sent qu'il a besoin du secours de celui qui, du haut des cieux, dirige les nations, éclaire les chefs, arrête ou précipite la marche des événements à travers les vicissitudes des révolutions. Désirant donc se rendre le ciel propice par l'intercession de Geneviève, il décida que son temple lui serait rendu par le décret suivant :

« Le Président de la République, sur le rapport du Ministre des cultes, vu la loi des 4 et 10 avril 1791, vu le décret du 20 février 1806, vu l'ordonnance du 12 décembre 1821 et celle du 26 août 1830 ; Décrète :

  1. L'ancienne église Sainte-Geneviève est rendue au culte, conformément à l'intention de son fondateur, sous l'invocation de sainte Geneviève, patronne de Paris. Il sera pris ultérieurement des mesures pour régler l'exercice permanent du culte catholique dans cette église.
  2. L'ordonnance du 26 août 1830 est rapportée.
  3. Le Ministre des cultes et le Ministre des travaux publics sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret, qui sera inséré au Bulletin des Lois.

« Paris, 6 décembre 1851.

« Louis-napoléon. Le Ministre des cultes, H. Fortoul. »

Un second décret relatif à la destination spéciale de l'église Sainte-Geneviève ne se fit pas longtemps attendre. Placée entre deux paroisses, Saint-Étienne et Saint-Jacques-du-Haut-Pas, on ne pouvait guère en détacher quelques portions pour les donner à l'église Sainte-Geneviève. Son aspect monumental, son histoire exceptionnelle, semblaient d'ailleurs la désigner, moins comme église de paroisse que comme basilique nationale. Le Prince conçut alors la magnifique idée d'en faire l'église de la France tout entière, en y formant une communauté de prêtres d'élite, une pépinière de prédicateurs savants, venus de tous les points du territoire français.

« Louis-Napoléon, Président de la République française,

« Sur le rapport du Ministre de l'instruction publique et des cultes.

« Vu le décret du 6 décembre 1851, qui a rendu au culte l'ancienne église de Sainte-Geneviève ;

« Vu l'art. 10 du décret impérial du 20 février 1806, ainsi conçu :

« Le chapitre métropolitain de Notre-Dame, augmenté de six membres, sera chargé de desservir l'église de Sainte-Geneviève. La garde de cette église sera spécialement confiée à un archiprêtre choisi parmi les chanoines ; »

« Considérant qu'il importe d'approprier aux besoins actuels du service les dispositions énoncées audit article ; Décrète :

  1. Une communauté de prêtres est établie pour desservir l'église Sainte-Geneviève de Paris.
  2. Cette communauté sera composé de six membres qui prendront le titre de chapelains de Sainte-Geneviève, et d'un doyen.
  3. Les chapelains de Sainte-Geneviève sont institués :
    1. Pour prier Dieu pour la France et pour les morts qui auront été inhumés dans les caveaux de l'église ;
    2. Pour se former à la prédication.
  4. Le doyen est nommé directement par l'Archevêque de Paris, et agréé par le Président de la République.
  5. Il sera nommé pour cinq ans, et ne pourra être renommé qu'après cinq autres années révolues.
  6. II sera chargé de la direction du culte et du personnel dans l'église de Sainte-Geneviève.
  7. Les chapelains de Sainte-Geneviève seront nommés pour trois ans.
  8. La place de chapelain sera donnée au concours dans les formes qui seront réglées par l'Archevêque de Paris.
  9. Tous les prêtres français âgés de moins de 35 ans, et autorisés par l'évêque de leur diocèse, pourront être admis à concourir.
  10. Le traitement du doyen sera de quatre mille francs, et celui des chapelains de deux mille cinq cents francs. Il sera alloué, en outre, une somme annuelle de cinq mille francs pour le bas chœur de l'église et les autres frais du culte.
    La dépense résultant de cette organisation sera imputée, pour l'exercice 1852, sur le crédit ouvert au chapitre V du budget des cultes. (Traitement et indemnités des membres des chapitres et du clergé paroissial.)
  11. Le Ministre de l'instruction publique et des cultes est chargé de l'exécution du présent décret, qui sera inséré au Bulletin des Lois.

« Fait au palais des Tuileries, le 22 mars 1852.

« Louis-napoléon. Par le Président : Le Ministre de l'instruction publique et des cultes, H. Fortoul. »

Monseigneur l'Archevêque s'empressant d'obtempérer aux vœux du Prince, publia, peu de jours après ce décret, deux ordonnance qui en réglaient ainsi l'exécution.

Ordonnance de Monseigneur Marie-Dominique-Auguste Sibour, archevêque de Paris, réglant les conditions du concours pour les places des chapelains de Sainte-Geneviève.

  1. Le concours pour les places de chapelains de Sainte-Geneviève aura lieu, pour cette année, le lundi 11 octobre 1852. Il sera public.
  2. Les candidats devront se faire inscrire du 1er au 15 septembre, au secrétariat de l'archevêché, où ils déposeront en même temps leur acte de naissance, ainsi que l'autorisation et un témoignage favorable de leur évêque.
  3. Le concours se compose de trois épreuves : 1° Un sermon écrit sur un sujet donné à l'instant aux candidats, qui auront douze heures pour le composer, chacun en cellule ou sous les yeux d'un des juges du concours. Aucun livre ne pourra être apporté, sauf une bible sans commentaires. 2° Un sermon improvisé après deux heures de préparation en cellule, sur un sujet donné au moment même, et qui devra durer au moins une demi-heure. 3° Une argumentation théologique entre les concurrents, sur un point important de la doctrine désigné trois jours à l'avance.
  4. Le jury, composé de sept membres désignés par Nous, sera présidé par un de nos vicaires généraux, qui devra nous faire un rapport sur le concours.
  5. Les candidats qui n'auront pas subi d'une manière satisfaisante la première épreuve, ne seront pas admis aux deux suivantes.
  6. Le jury, en proclamant son jugement, assignera des rangs aux candidats reçus. C'est sur le vu de ce jugement que nous leur délivrerons le titre et les pouvoirs de chapelains de Sainte-Geneviève.
  7. Sont nommés membres du jury :
    • MM. Sibour, vicaire général, président ;
    • Bautain, vicaire général ;
    • Le Courtier, archiprêtre de Notre-Dame ;
    • Le R. P. De Ravignan ;
    • Deguerry, curé de la Madeleine ;
    • Le R. P. Lacordaire ;
    • Hamon, curé de Saint-Sulpice ;
    • Duquesnay, aumônier de l'École normale.

Donné à Paris, sous notre seing, le sceau de nos armes et le contre-seing de notre archevêché, le 31 mars 1802.

Marie-dominique-auguste, Archevêque de Paris.

COQUAND, Chan. hon., secrét. gén. »

Ordonnance de Monseigneur Sibour, Archevêque de Paris, concernant les obligations des chapelains de Sainte-Geneviève.

  1. Les devoirs des chapelains de Sainte-Geneviève comprennent la prédication et l'assistance aux offices.
  2. Tous les chapelains sont obligés, par leur titre, à prêcher au moins une fois par mois dans l'église Sainte-Geneviève. Le doyen est chargé de veiller à l'accomplissement de ce devoir ; il déterminera le sujet et l'ordre des prédications.
  3. Le doyen devra faire tous les huit jours, sur l'éloquence sacrée, une conférence à laquelle tous les chapelains seront tenus d'assister ; il terminera cette conférence par les observations auxquelles auront pu donner lieu les sermons de la semaine.
  4. Aucun chapelain ne pourra prêcher au dehors sans une permission spéciale du doyen.
  5. Il y aura tous les jours une messe basse, précédée ou suivie de la récitation des petites heures, après lesquelles on dira le De profundis. Le doyen et les chapelains seront tenus d'y assister en habit de chœur.
  6. Tous les dimanches et fêtes, il y aura, le matin, une grand'messe et un prône, et le soir, les vêpres suivies du sermon et du salut. Ces offices et ces prédications seront plus particulièrement appropriés aux besoins des ouvriers. Le doyen et les chapelains doivent y assister.
  7. L'absence aux offices sans autorisation, une omission de prédication sans cause légitime, seront notées et donneront lieu à une peine disciplinaire, Dans le cas où une révocation deviendrait nécessaire, elle ne sera prononcée qu'après un jugement dont nous déterminerons les formes.
  8. Pendant les stations de l'Avent et du Carême, il pourra y avoir des instructions pour les élèves des écoles publiques et des institutions privées. Pendant les octaves du Saint-Sacrement et de Sainte-Geneviève, il y aura tous les jours un office solennel et des prédications spéciales.
  9. Les sociétés de Saint-Vincent-de-Paul et de Saint-François-Xavier, les sociétés de secours mutuels, de patronage, les corporations d'arts et métiers, pourront tenir dans l'église Sainte-Geneviève leurs séances solennelles, leurs assemblées religieuses, et y célébrer leurs fêtes patronales avec la permission du doyen, qui devra leur en faciliter les moyens.
  10. Le doyen et les chapelains de Sainte-Geneviève devront demeurer ensemble et vivre de la vie commune.
  11. Chaque chapelain pourra jouir d'un mois de vacances dans le cours de l'année. Le doyen réglera les tours, de manière qu'il n'y ait point deux absences à la fois.
  12. Dès que l'église Sainte-Geneviève aura été appropriée à l'exercice du culte, nous ferons la translation des reliques de la Sainte, qui ont été déposées à Notre-Dame, et nous installerons la nouvelle communauté.
  13. Celui de nos vicaires généraux qui sera chargé de l'exécution de la présente ordonnance, nous fera tous les ans un rapport sur l'état et les travaux de la communauté de Sainte-Geneviève.

Donné à Paris, sous notre seing et le sceau de nos armes et le contre-seing du secrétaire général de notre archevêché, le 31 mars 1852.

Marie-dominique-auguste, Archevêque de Paris.

Coquand, Chan. hon., secrét. gén.

Les formes du concours et les obligations des chapelains de Sainte-Geneviève ainsi réglées définitivement par ces ordonnances archiépiscopales, l'attention publique se préoccupa vivement de l'appropriation de l'édifice lui-même aux exigences du culte catholique. De nombreux visiteurs, poussés par une religieuse curiosité, y portèrent souvent leurs pas dans l'intervalle assez long qui sépara la date de ces ordonnances et les premiers jours de juillet 1852, où, à la suite d'une visite de plusieurs hauts délégués de M. le Ministre des cultes et de MM. les vicaires généraux, Sibour et Bautain, accompagnés par M. l'abbé Duquesnay, nommé doyen de la nouvelle communauté, on donna les ordres des travaux nécessaires à exécuter pour redonner à ce magnifique monument, trop longtemps désert, sa primitive et légitime splendeur. M. Constant-Dufeux, architecte du Panthéon, en avait déjà depuis quelque temps conçu les plans d'appropriation au culte, plans pleins de grandeur et de majesté, qui, sauf quelques légères modifications, ont rencontré une approbation unanime.

Les travaux, dirigés par cet habile architecte, pressés par le zèle ardent et la haute intelligence de M. le Doyen, ont promptement répondu à la juste et pieuse impatience des fidèles. Les mois se sont écoulés rapidement, et ont enfin amené le jour de la nouvelle inauguration de ce temple splendide.

Voyez comme cette fête répand une douce allégresse sur les fronts de tous ces pèlerins qui encombrent les abords et l'enceinte de la basilique de Sainte-Geneviève, dont l'image rayonne, ce semble, d'un nouvel éclat sous la voûte fameuse du baron Gros. Le fronton, décoré de nouveau de ses légitimes sculptures, offre aux regards chrétiens les plus belles pages de la prédication évangélique et de la vie de sainte Geneviève. Une crypte, creusée dans le sol, au centre de l'édifice, à l'imitation de Saint-Pierre de Rome, présente à l'empressement pieux des pèlerins un point de facile accès. La chaire de vérité, adossée à l'un des grands piliers du dôme, domine majestueusement l'auditoire groupé autour de la balustrade de la crypte et dans les nefs adjacentes. A droite, l'autel de sainte Geneviève, orné de marbres et de dorures, brille de mille feux ; à gauche, l'autel de saint Louis ne lui cède ni en richesse ni en éclat. Au fond du sanctuaire s'élève un somptueux autel de marbre, dont le style s'harmonise merveilleusement avec celui du monument de Soufflot. Son génie n'est point resté muet dans ces nouvelles transformations de son chef-d'œuvre, et nous voyons qu'il a heureusement inspiré son successeur et son émule. La riche balustrade de communion, en fer ciselé et doré, qui, depuis 1830, gisait obscurément dans les caveaux, a repris sa place à l'entrée du chœur, dont les boiseries splendides rappellent les plus beaux âges de la sculpture sur bois.

Tout est prêt : illustres et puissantes reliques de Geneviève, rentrez dans votre temple ! aimez à y être de nouveau invoquée comme la patronne de Paris et de la France !

Le chef de l'État, s'arrachant pour un moment aux immenses préoccupations du gouvernement, veut lui-même assister à la grande ré-inauguration du temple rouvert par ses décrets. Il me semble le voir y entrer comme en triomphe au bruit des fanfares joyeuses de l'orgue, qui remplit enfin une place préparée depuis près d'un siècle. Monseigneur l'Archevêque de Paris descend à la rencontre du Prince, et lui adresse une allocution pleine de cette grâce et de cette majestueuse onction qui caractérisaient la parole de de Quélen, alors que ce prélat recevait en d'autres temps et aux mêmes lieux, les héritiers et successeurs de Louis XVI. Toute l'assemblée émue suit avec un profond recueillement les phases diverses des cérémonies. Les grands corps de l'État y sont représentés par de nombreuses délégations ; le clergé de la capitale y compte presque tous ses membres ; la vaste enceinte ne peut contenir les innombrables fidèles accourus de toutes parts, pour contempler cette pompe extraordinaire. Que de pensées, que de souvenirs, que de contrastes, passent tour à tour dans les esprits des assistants !

Le voici donc ce temple si fameux, qui s'ouvre ou se ferme selon que le calme règne, ou que la tempête souffle sur la terre de France ! Vrai temple de Janus, les gonds bruyants de ses portes d'airain suivent les impulsions successives de la paix ou de la guerre. De quels étranges spectacles n'ont pas été témoins ces murs et ces colonnes ! D'impies apothéoses glorifièrent dans cette enceinte des hommes dont le seul nom rappelle les plus tragiques souvenances. Puis, par un coup sublime, cette même enceinte, marquée dès son origine du sceau de la piété, voit renaître en elle les splendeurs de ses beaux jours. O douce bergère de Nanterre ! demeurez maintenant et à jamais dans ce sanctuaire purifié. Plaise au ciel, qu'instruits par les rudes et hautes leçons des expériences de plus d'un demi siècle, les fils de la France sachent bien, ô sainte et illustre Geneviève, que votre tranquille séjour en cette auguste basilique, c'est la paix de la religion et de la patrie : et que votre exil, c'est la guerre partout.

Source : Histoire de l'église sainte Geneviève, patronne de Paris et de la France par Ch. Ouin-Lacroix 1852.

L'église Saint-Geneviève, édifiée par Soufflot dans la seconde moitié du 18e siècle, a été transfomée en monument commémoratif pendant la Révolution. Elle est rendue au culte sous la Restauration, mais redevient édifice commémoratif dans le courant du 19e siècle.

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 121313
  • item : Sainte-Geneviève devenue Le Panthéon
  • Localisation :
    • Ile-de-France
    • Paris 05
  • Adresse : place du Panthéon
  • Code INSEE commune : 75105
  • Code postal de la commune : 75005
  • Ordre dans la liste : 7
  • Nom commun de la construction :
    • La dénomination principale pour cette construction est : église
  • Etat :
    • L'état actuel de cette construction ne nous est pas connue.

Dates et époques

  • Périodes de construction : 2 différentes époques marquent l'histoire du lieu.
    • 18e siècle
    • 2e moitié 18e siècle
  • Années :
    • 1755
    • 1764
    • 1780
  • Type d'enregistrement : site inscrit
  • Date de protection : 1920/04/12 : classé MH
  • Date de versement : 1993/07/08

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • non communiqué
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Interêt de l'oeuvre : Site inscrit 06 08 1975 (arrêté) . Le sol entourant le Panthéon jusqu'aux grilles -grilles incluses - est considéré comme classé au titre des MH.
  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :
    • Notre base de données ne comprend aucun élément particulier qui fasse l'objet d'une protection.
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • Cette construction a été affectée a l'usage de : panthéon

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : propriété de l'etat 1992
  • Détails : Le Panthéon : classement par arrêté du 12 avril 1920
  • Référence Mérimée : PA00088420

photo : Pascal-Jean Rebillat Photographies

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