photo : pierre GUYET
Un 20 avril, comme il parcourait l'Anjou avec Baïf, il rencontra à Bourgueil cette fleur angevine de quinze ans, à laquelle il voua pendant six ans sa poésie, sans être mieux récompensé que par Cassandre. Car il dit positivement, dans le Voyage de Tours, qu'elle en aima un-autre; et pour que l'affront fût plus cruel, cet autre était un de ses cousins, Charles de Pisseleu, qui ne prétendait point encore à l'évêché de Condom. Il ne laissa pourtant pas de chanter l'inhumaine jusqu'à sa mort et de la pleurer encore quand elle ne fut plus qu'un peu de cendre. Quel était le vrai nom de cette seconde maîtresse ? Est-ce, comme Nodier l'a supposé, une sœur d'Anne de Marquets, la religieuse poète et savante du couvent de Poissy, Marie de Marquets, dont le nom s'est retrouvé écrit sur ses Heures avec des vers que l'ingénieux écrivain attribue à Ronsard ? Je ne le pense pas. Marie de Marquets, née sans doute en Normandie, dans le comté d'Eu, comme sa sœur, ne saurait passer pour la Marion du voyage de Tours, la petite pucelle Angevine, qui prit le cœur du poète par un beau matin d'avril. D'ailleurs l'hypothèse de Nodier repose tout entière sur la supposition que les vers inscrits dans les Heures de Marie de Marquetz seraient un autographe de Ronsard. Mais s'ils sont, comme je le crois, d'une autre main que la sienne, tout s'écroule et c'est autre part qu'on doit chercher un nom pour la Marie du poète.
S'il m'était permis de hasarder une conjecture, ce nom serait Marie du Pin. Ne s'écrie-t-il pas : "J'aime un pin de Bourgueil, où Venus appendit Ma jeune liberté ..."
Et plus loin : "Si quelque amoureux passe en Anjou, par Bourgueil, Voye un pin eslevé pardessus le village."
Enfin, dans le voyage de Tours : "J'irois jusqu'à Bourgueil Et là, dessous un pin, couché sur la verdure..."
Je ne crois pas qu'il en faille davantage pour justifier ma supposition aux yeux de qui connaît l'esprit du XVIe siècle (il serait peut-être possible de vérifier cette conjecture en recherchant I qui appartenait à cette époque une propriété située à Bourgueil et qui s'appelait le Port-Guyet. Voyez le Voyage de Tours, page 192 du premier volume.)
Source : Oeuvres complètes de P. de Ronsard. Tome 8 Ronsard, Pierre de (1524-1585) annoté par Blanchemain, Prosper (1816-1879). Éditeur scientifique.
Marie était-elle de Bourgueil même ? Ronsard d'ordinaire donne le nom de la gracieuse petite ville comme la patrie de Marie. Toutefois, dans le Voyage à Tours, il apporte quelque précision, il dit à Marie qu'il voudrait vivre près d'elle
Là, parmi tes sablons, Angevin devenu
Je veux vivre sans nom, comme un pauvre incognu,
Et dés l'aube du jour avecq'toy mener paistre
Auprès du Port Guyet notre troupeau champestre.
Port-Guyet est un village, aujourd'hui loin de la Loire, comme Port-Boulet, Port-Neuf mais le nom même indique qu'à ses pieds il y avait autrefois un débarcadère pour les pêcheurs, les mariniers et les voyageurs qui voulaient traverser le fleuve pour aller vers Chinon. Port-Guyet, est à plus d'une lieue de Bourgueil. Une chapelle s'y élevait, debout encore au XVIIIe siècle. Il n'est pas probable que si Marie habitait Bourgueil même elle conduisit si loin paître son troupeau. Antoine de Baïf, le poète, l'ami, le compagnon de Ronsard dans son voyage à Tours, qui connaissait bien Marie, dit qu'elle était une « simple paysante ». Bourgueil était une ville, non fermée, c'est vrai, mais avec deux commis aux aides, une chambre d'officiers au grenier à sel, un sénéchal exerçant la juridiction, trois notaires faisant fonction de procureurs, deux sergents royaux, un commis au bureau des contrôles, un marché important. Marie, « simple paysante », ne devait pas être de la ville même.
Ny a-t-il pas lieu d'admettre, par suite, que Marie habitait. Port-Guyet ? Dans son Commentaire de Ronsard (1560), Rémi Belleau, le gracieux et mignard chantre d'Avril :
Avril l'honneur et des bois
Et des mois
Avril la douce espérance
Des fruiets qui sous le coton
Du bouton
Nourrissent leur jeune enfance...
Belleau dit de Port-Guyet « C'est une maison qui appartient s'amie ». Or ce hameau faisait partie et fait partie encore de la paroisse de Saint-Nieolas-de-Bourgueil. Ronsard dit Marie de Bourgueil, c'est-à-dire de la région plus connue de Bourgueil, comme il se nomme lui-même Vendômois, bien qu'il fut né à Couture Je voudrais
que les Angevins dissent tous d'une vois
Nostre belle Marie aimoit un Vendômôis.
Les deux paroisses de Saint-Germain (ville actuelle) et de Saint-Nicolas formaient Bourgueil, comme Saumur comprend Notre-Dame de Nantilly, Saint-Pierre, etc. Belleau ajoute que le père de Marié tenait une, « hostellerie ». Une modeste maison, auberge et ferme à la fois, près du débarcadère, à l'ombre de la chapelle, telle dût être la maison natale de Marie.
Quel nom portait la famille ? ni Ronsard, ni son biographe, ni ses commentateurs ne le disent. Marie, c'était Marie. La tradition la nomme Marie Du Pin. On peut admettre, c'est l'hypothèse la plus simple, que réellement elle s'appelait Dupin. Claude Binet dit de Marie que Ronsard « l'entend souvent sous le nom de Pin de Bourgueil ».
Source : Société des lettres, sciences et arts du Saumurois Chanoine Verdier 1910.
photo : pierre GUYET