Lanterne des Morts

Dans quelques anciens cimetières de France, on trouve un monument particulier qui mérite de fixer l'attention des archéologues, et qui, signalé par quelques rares auteurs, est depuis peu mieux connu par les descriptions qu'en a données M. de Caumont. C'est une espèce de grosse colonne cylindrique, carrée ou polygonale, se terminant en lanterne. Cette dernière partie lui a fait donner le nom de lanterne des morts ou de fanal.

Tous nos monuments de ce genre paraissent dater du XIe, du XIIe ou du XIIIe siècle. J'admire la naïveté de certains auteurs discutant sérieusement si on doit les ranger au nombre des monuments gaulois, ou les signalant simplement comme tels (Allou, Cancalon , Beaumesnil, etc.). Long-temps leur paisible lumière a éclairé le champ des morts ; mais, depuis 1793, elle semble éteinte pour toujours.

Dans nos cimetières, ces fanaux occupent presque partout la même position. On voit que nos pères ont voulu les placer tout à la fois et au centre pour éclairer également tous les tombeaux, et sur le point le plus élevé pour qu'ils soient vus de plus loin. Si on en rencontre quelques-uns hors des cimetières, comme à Saint-Goussaud (Creuse), c'est que l'esprit moderne, ennuyé de voir trop souvent cette dernière demeure qui nous fait penser à une autre vie, s'est empressé de porter la cendre des morts dans un lieu moins exposé à nos regards. Cela explique comment quelques-uns de ces monuments, laissés dans le lieu où ils ont été construits, se trouvent aujourd'hui sur des places qui étaient autrefois des cimetières. Dans certaines contrées, on les signale assez souvent sur le bord des grands chemins ; mais cette position s'explique facilement par ce que rapporte Sponde (Les Cimetières sacrés, p. 110 ) : « Saint Augustin, dit-il, nous enseigne que les sépulcres sont appelés monuments, d'autant qu'ils admonestent les hommes de prier pour les morts. — Et de là les cimetières sont maintenant colloqués auprès et devant les églises, et l'étoient anciennement devant les portes des villes et sur les grands chemins, afin que par ce moyen les passants et ceux qui entrent ou sortent des églises ou des villes se ressouviennent de prier pour ceux qui y sont enterrés. »

A l'exception de celui de Saint-Léonard, qui n'existe plus, nos fanaux sont généralement d'une simplicité d'architecture inspirée par l'époque qui les a vu construire et par l'usage auquel ils étaient destinés. Les uns sont de forme ronde, comme à Rançon; les autres sont carrés, comme à Cognac, Saint-Goussaud, Oradour-sur-Glane ; d'autres sont hexagones, comme à La Souterraine ; un plus grand nombre, octogones, comme à Felletin, Saint-Barbant, Coussac-Bonneval, Oradour-Saint-Genest.

Ils sont presque tous placés sur une plate-forme que trois ou quatre escaliers élèvent au-dessus du terrain. Leur hauteur varie peu. Celui d'Oradour-Saint-Genest, qui est peut-être le plus élevé, atteint 8 mètres 86 centimètres.

Le nombre des fenêtres qui forment la lanterne correspond le plus souvent au nombre des côtés du monument. Sa toiture, pyramidale ou conique, est surmontée d'une croix en pierre. L'intérieur, qui est creux, livrait un passage, quelquefois bien étroit, pour monter jusqu'à la lampe. On y parvenait au moyen de trous disposés dans la paroi, de manière à pouvoir facilement y placer les pieds, ou par tout autre moyen inconnu aujourd'hui. Au bas, une porte, le plus souvent carrée, fermait cette entrée.

Des auteurs ont dit que cette porte regardait toujours l'orient : c'est en effet le cas le plus général ; mais il n'en est pas toujours ainsi, et nous possédons bien des exemples du contraire.

Voici, je crois, ce qui explique l'orientation de cette porte : la plupart des fanaux, et presque tous les nôtres, sont accompagnés d'un autel destiné aux cérémonies des funérailles, et probablement aussi à la célébration du saint sacrifice de la messe. Or c'est cet autel qui a été soigneusement orienté, et non pas la porte en question. La liturgie veut en effet que le prêtre étant à l'autel ait le visage tourné au levant ; car, outre que la coutume de tous les peuples est de se tourner de ce côté pour prier, l'Église a encore une autre raison d'en agir ainsi : sur la montagne du Calvaire, Jésus-Christ, selon plusieurs anciens auteurs, avait le dos tourné vers Jérusalem et à l'orient : il regardait donc la partie occidentale ; à sa droite était le nord ; à sa gauche, le midi. Telle est la position des autels sur lesquels se renouvelle ce sacrifice de notre rédemption. Alors qu'est-il arrivé ? On a voulu cacher le plus possible aux yeux du prêtre et des fidèles cette porte, qui n'est pas un ornement, et on l'a placée du côté de l'est, qui est opposé à l'autel.

Nous avons des exemples de cette porte placée ailleurs qu'à l'est : à Oradour-Saint-Genest, l'autel est orienté, mais la porte, au lieu d'être placée derrière, a été mise sur la droite : alors elle regarde le nord ; à Coussac-Bonneval, on l'a mise au-dessus de l'autel, et elle fait face au couchant ; à Rançon , elle regarde le nord, et, quoiqu'il n'y ait pas actuellement d'autel, on voit que la marche circulaire qui entoure le pied du fanal est entaillée du côté du couchant pour recevoir un portatif.

Dans plusieurs villes de l'ouest de la France, outre la célébration du saint sacrifice de la messe, il y avait encore un office de nuit, dont une partie était célébrée au cimetière même. Je n'ai pas encore pu constater si cela se pratiquait chez nous.

M. Murcier (Sépult. chrét., p. 148) ne s'explique pas à quoi servait une pierre en saillie à côté de l'autel du fanal de Ciron (Sarthe). J'en ai rencontré une semblable à celui de Saint-Barbant, et j'ai cru y reconnaître une crédence pour déposer les burettes ou autres objets nécessaires pour la sainte messe.

Il est difficile de déterminer les époques auxquelles nos fanaux étaient allumés ; et la difficulté est d'autant plus grande que la plupart du temps cela dépendait d'une fondation particulière.

  • Ainsi, sur nos limites, à Mauriac (Cantal), un curé du lieu fit, au XIIIe siècle, une fondation pour qu'on éclairât tous les samedis la lanterne qu'il avait fait élever au milieu du cimetière de sa paroisse.
  • En 1187 , Bernard de Radulphe de Sécheira, avec sa femme et ses enfants, laissèrent six livres pour entretenir une lampe durant la nuit au cimetière de Dalon (Corrèze). (P. Bonav., T. III, p. 449.)
  • A Saint-Goussaud , on faisait une quête à la messe pour l'entretien du fanal.
  • En parlant de celui de Saint-Michel-de-Pistorie à Limoges , le P. Bonaventure nous dit encore que « on y mettait des lampes allumées aux vigiles qu'on célébrait ». (T. III, p. 182.)
  • Tout le monde s'accorde à dire que ces monuments étaient éclairés le 2 novembre pour la fête de la Commémoration des morts.

D'après ces détails, on peut facilement voir que nos fanaux n'étaient pas, comme l'ont dit certains auteurs, des lanternes destinées à éclairer les voyageurs. Ce qui leur a fait émettre cette opinion, c'est peut-être parce qu'ils ont trouvé assez souvent des fanaux au bord des grands chemins ; mais j'ai déjà fait remarquer que c'était la place choisie anciennement pour les cimetières. D'autres ont vu dans cet éclairage des cimetières « une précaution tendant à rassurer les esprits crédules contre les apparitions des revenants. On gratifie là nos pères d'une attention au moins étrange. Mabillon pense que la lumière de ces fanaux servait à éclairer ceux qui allaient prier à l'église pendant la nuit : cela peut être vrai des fanaux aussi élevés que ceux d'Évraultet des Saints-Innocents à Paris, mais il s'en faut qu'ils aient tous cette hauteur; et puis l'église était souvent assez éloignée du cimetière pour rendre ce secours inutile. » (Murcier, Sépult. chrét., p. 149.)

Sans discuter ces opinions et plusieurs autres analogues ; sans nier que des fanaux aient pu avoir une destination différente de ceux que conserve notre province, je ne puis voir dans cette lampe entretenue par la piété des fidèles en l'honneur des morts qu'un symbole de la foi chrétienne veillant sur les tombes et les protégeant. Les paisibles rayons qui en sortaient, se répandant silencieusement sur les tombeaux du cimetière, semblaient veiller sur eux ; ils allaient aussi frapper au loin les regards du pieux voyageur, et cette vue provoquait souvent quelques salutaires souvenirs et quelque bonne prière pour les morts.

Dans mes recherches sur le Limousin, j'ai rencontré vingt et un fanaux. L'existence de plusieurs n'était pas encore connue des archéologues, et je suis persuadé qu'il en reste d'autres à signaler. Ce nombre relativement considérable s'explique parfaitement par le grand respect pour les morts que professent les habitants de nos contrées.

C'est encore ce même sentiment qui couvre aujourd'hui le cimetière de Limoges de plus de quatre-vingts chapelles où l'on célèbre de temps en temps la sainte messe, sans compter un nombre infini de monuments de tous genres.

De nos vingt et un fanaux quinze appartiennent à la Haute-Vienne. De ce nombre sept sont détruits : les huit autres existent encore presque tous en bon état.

La Creuse en a eu au moins cinq, dont quatre sont encore bien conservés.

Je n'ai trouvé pour la Corrèze que la mention d'un seul ; mais tout porte à croire qu'il y en a d'autres à signaler.

Source : Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin en 1862

Fanal de Coussac-Bonneval

Coussac-Bonneval, canton de Saint-Yrieix, nous offre aussi son fanal octogone. Huit fenêtres à plein-cintre légèrement brisé forment la lanterne.

Sa base, à la hauteur de l'autel , est quadrangulaire. Cet autel, bien orienté, est placé du côté du couchant, afin que le prêtre, lorsqu'il y est monté, regarde l'orient, comme le veut la liturgie. C'est ainsi que sont tournés les autels de tous nos fanaux. Mais la porte qui sert à pénétrer dans l'intérieur de celui-ci a été placée au-dessus, et se trouve ainsi tournée à l'occident.

Allou lui donne 6 mètres de haut. Ce même auteur a entendu dire que ce monument avait été construit vers le XIVe siècle, à l'occasion d'une peste qui ravageait le pays.

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 142465
  • item : Lanterne des Morts
  • Localisation :
    • Limousin
    • Haute-Vienne
    • Coussac-Bonneval
  • Code INSEE commune : 87049
  • Code postal de la commune : 87500
  • Ordre dans la liste : 3
  • Nom commun de la construction :
    • La dénomination principale pour cette construction est : lanterne des morts
  • Etat :
    • L'état actuel de cette construction ne nous est pas connue.

Dates et époques

  • Périodes de construction :
    • Nous n'avons aucune informlation sur les périodes de constructions de cet édifice.
  • Date de protection : 1939/02/09 : classé MH
  • Date de versement : 1993/09/15

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • non communiqué
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :
    • Notre base de données ne comprend aucun élément particulier qui fasse l'objet d'une protection.
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • non communiqué

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : propriété d'une société privée 1992
  • Détails : Lanterne des Morts : classement par arrêté du 9 février 1939
  • Référence Mérimée : PA00100291

photo : Lumière du matin