Eglise Saint-Félix

Non loin des « ruines du château féodal », apparaissent les ruines de l'église de Saint-Félix ; elle a servi au culte jusqu'à la révolution de 89.

A l'issue de nos tourmentes politiques, la chapelle de Frénaud, bâtie dans le faubourg fut consacrée aux cérémonies religieuses de la paroisse et garda cette destination d’abord provisoire pendant un laps de cinquante ans ; naguère on la démolissait pour l'agrandissement d’une place. J'ignore quels motifs portèrent l'administration municipale à faire l'abandon de l'église de Saint-Félix, aurait-elle reculé devant quelques dépenses minimes d’entretien et de réparation ? ou bien, se laissa-t-elle entraîner au sentiment de ceux qui, épouvantés d’une ascension pénible, demandaient que la maison de prières suivit, elle aussi, le mouvement qui appelait les habitants au faubourg ! En présence de ce qui reste, les amis de l'art architectural gémiront sur la déplorable mesure prise alors au détriment et au mépris de l'ancien bourg ; car délaisser Saint-Félix , cette église où avaient prié les aïeux, c’était consommer la ruine du vieux Marsanne ; c’était le vouer à la solitude, à l'oubli et à une complète destruction. La sagacité des magistrats n’allait point jusqu’à prévoir ces résultats funestes et aujourd’hui, grâce à leur incurie, un beau monument va bientôt cesser d’exister.

Il n'a plus de toiture ; la partie centrale de la voûte, est tombée ; le pavé et les tombes de la nef ont disparu sous ses décombres. Les murs sont de moyen appareil ; une corniche s'étend à la naissance de la voûte ; formée en berceau ; le portail et les fenêtres sont à plein cintre ; au midi une croisée de style flamboyant, étale une ornementation luxuriante qui contraste avec la simplicité de l'édifice et des autres ouvertures ; le chœur se termine par un rond-point, conformément à la tradition pratiquée pour les églises, qu’elles qu’en soient la forme et l'étendue.

Le clocher se présente dans un état de conservation plus satisfaisant ; il subsiste même dans son ensemble et ses parties constitutives. Une restauration intelligente honorerait le Conseil du pays, qui acquerrait par là et à peu de frais, de nouveaux titres à la reconnaissance des habitants auxquels ce chef-d'œuvre doit être cher et précieux. Il se compose d’une tour à plusieurs étages, terminée par une pyramide flanquée à sa base de quatre clochetons. Les fenêtres jumelles des étages supérieurs se rattachent au style byzantin et dénotent une antiquité très-reculée. Le dessous du clocher forme une belle chapelle à nervures gothiques et communiquant avec le sanctuaire.

L'élévation du clocher, ses ligues harmonieuses et la teinte sombre que lui ont donnée les siècles, dans leur marche, produisent-un effet difficile à décrire. Debout au milieu des ruines qui l'environnent, il semble protester contre l'oubli des générations présentes ; mais sa voix trouvera -t-elle un écho dans le cœur de tous ceux qui le contemplent ? La tour de la porte d’entrée mérite aussi de fixer l'attention, quoique à un degré inégal ; elle imprime au paysage un caractère de grandeur et de tristesse qui émeut l'âme, provoque son admiration et soulève les sentiments d'une douce rêverie. Le clocher et la tour de l'horloge dominent au loin le bassin de Marsanne ; embrassés du même regard, ils ressemblent assez à deux sentinelles placées sur un champ de bataille et qu’on aurait oublié de relever ; car tout est ruine autour d'eux ; ils sont les uniques débris qui aient échappé à la destruction, pour redire la splendeur, la force et la puissance des institutions du passé.

L'abandon si regrettable de l'église de Saint-Félix et l'exiguïté de la chapelle du faubourg demandaient un autre édifice religieux, construit de manière à satisfaire aux besoins d'une population toujours croissante. On se,mit à l'œuvre, et en 1854, la nouvelle église s'ouvrait aux fidèles avides de voir et de contempler un monument, qui, grâce au plan et au devis dressés par M. de Montluisant, rappelait, par ses formes et son ornementation, les églises du moyen-âge. Elle est vaste, très-propre, offrant dans son ensemble, les caractères du style ogival ; cependant elle n'a coûte que 46000 francs ! La hauteur des voûtes ne, répond pas au genre architectural, adopté par l'habile ingénieur, qui n'ignore pas les traditions de l'art chrétien ; mais il était enfermé dans le cercle étroit du budget.

Placé entre deux alternatives, il a sacrifié les règles et les convenances au vote et aux ressources de la municipalité. Le roman grave et sévère ne demande point l'élévation et la légèreté dans les formes ; mais le gothique, par sa nature, veut des lignes plus élancées. Malgré quelques défauts, l'église de Marsanne proteste contre tant d’édifices de mauvais goût, que l'on voit construire de nos jours, au détriment des traditions et des exigences du culte catholique. ll est vrai que toutes les communes ne possèdent pas d’ingénieur, animé du même zèle que M. de Montluisant et s'inspirant comme lui, d’un goût pur, que relève un dévouement sans bornes aux intérêts du pays natal.

Source : Notice historique sur Marsanne par Abel Vincent