Prieuré Notre-Dame-d'Oulmes

A propos de deux sculptures du City Art Museum de Saint Louis (Missouri)

Dans les collections du City Art Museum de Saint Louis (Missouri), sont conservés deux claveaux [fig. 2 et 3], hauts d'environ 45 cm, provenant très vraisemblablement de la voussure d'un portail. Sur la tête de chacun de ces voussoirs est sculpté un petit personnage, assis les jambes écartées et coiffé d'une couronne, qui tient, posés verticalement sur ses genoux, à la main droite, une coupe de grande taille, et, à la main gauche, un instrument de musique. Têtes, mains et attributs (surtout les coupes) sont exagérément volumineux par rapport aux corps, mais, à ces disproportions près, les oeuvres sont de bonne qualité et finement sculptées.

figure 2

 

figure 3

 

Les visages, pourvus de traits réguliers et encadrés de chevelures courtes et soigneusement ordonnées, s'éclairent d'un léger sourire que l'absence de pupille rend quelque peu énigmatique. Les deux personnages sont chaussés. La robe du premier tombe raide entre ses jambes, en quatre plis verticaux parallèles, tandis que, dessinant un enroulement sur le genou, son manteau s'arrondit entre les mollets. Le second est élégamment vêtu d'un manteau plissé en éventail, sous les enroulements duquel dépasse le bas d'une robe.

Le volume des thorax de l'un et de l'autre est suggéré par la courbure de plis parallèles étagés, procédé couramment employé par les imagiers du centre-ouest et du midi de la France, peintres aussi bien que sculpteurs. Les coupes ont une forme assez grossière ; les couronnes sont simplement ornées à leur partie inférieure d'une rangée de dents de scie ; chaque instrument est pourvu de quatre cordes tendues sur une caisse piriforme dont la table est percée d'une ouïe parfaitement circulaire ; le chevillier, légèrement recourbé en arrière, a la forme d'un losange. Bien que les deux personnages soient imberbes, leurs attributs, coupes, couronnes et instruments de musique, ne laissent planer aucun doute sur leur identité : il s'agit de deux vieillards de l'Apocalypse.

Les renseignements que l'on possède sur l'origine de ces sculptures sont si imprécis, voire si suspects, que les rédacteurs du catalogue de l'exposition The Renaissance of the Twelfth Century, qui s'est tenue en 1969 à Providence (Rhode Island), avaient jugé bon de ranger ces oeuvres parmi celles dont la provenance était sujette à controverse. Selon les archives du musée de Saint Louis, les deux claveaux se seraient autrefois trouvés dans une église Saint-Jean-d'Oulmes, près d'Aulnat, dans le Puy-de-Dôme. En vérité, une origine auvergnate de ces oeuvres aurait de quoi surprendre, car, à notre connaissance, il ne subsiste pas un seul exemple de représentation de vieillard de l'Apocalypse de ce type dans toute la sculpture romane de l'Auvergne ; et, qui plus est, il n'existe pas d'église Saint-Jean-d'Oulmes près d'Aulnat. Certes, dans une église moderne de cette dernière ville sont conservés quelques éléments romans, mais rien n'autorise à supposer que nos fragments pourraient en provenir. Dans sa notice du catalogue de l'exposition de Providence, Stephen K. Scher fait en revanche observer que, tant du point de vue iconographique que stylistique, ceux-ci offrent maintes parentés avec certaines oeuvres de l'ouest de la France. Il lui est donc venu à l'idée qu'une erreur de transcription aurait pu faire écrire « Aulnat » (Puy-de-Dôme) pour « Aulnay » (Charente-Maritime), et il avance cette hypothèse que les deux sculptures du musée de Saint Louis pourraient être originaires de l'église Notre-Dame d'Oulmes, en Vendée, tout en faisant observer que cette commune se trouve distante d'Aulnay d'une cinquantaine de kilomètres à vol d'oiseau. C'est oublier, ou ignorer (lacune bien compréhensible de la part d'un chercheur d'outreAtlantique), qu'à moins de trois kilomètres au sud-ouest d'Aulnay subsistent de notables vestiges d'un prieuré de chanoines de Saint-Augustin, Notre-Dame d'Oulmes.

prieuré de chanoines de Saint-Augustin, Notre-Dame d'Oulmes

Situé sur le territoire de l'actuelle commune de Nuaillé-sur-Boutonne, au lieu-dit le Grand-Oulme, à environ 3500 km à l'est du bourg, ce prieuré a été établi près d'une source, sur une petite butte descendant en pente douce vers l'ouest. Il domine ainsi la vallée humide et plantée de peupliers de la Brédoire, vallée dont les parcelles portent sur le cadastre ces noms évocateurs : le Petit Marais, le Marais d'Oulme, le Grand Pré de l'Abbaye.

L'ensemble conventuel se trouve aujourd'hui placé au nord-ouest de l'intersection des routes D 107 et D 219e. La première de ces deux voies, le fait mérite sans doute d'être noté, était probablement empruntée jadis par ceux qui, suivant le Guide des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle, choisissaient de faire le détour par Saint-Jean-d'Angély au lieu de se rendre directement d'Aulnay à Saintes par Varaize et Ecoyeux.

Du prieuré, déjà décrit, mais rapidement, par le docteur Texier, subsistent trois éléments [fig. 1] :

  • l'église (A), orientée avec une légère déviation sud-ouest nord-est et flanquée au sud d'une petite chapelle ;
  • à une vingtaine de mètres au nord de l'église et parallèle à celle-ci, un long corps de bâtiment rectangulaire (B) ;
  • fermant à l'ouest l'espace qui dut être occupé jadis par le cloître, un long corps de bâtiment (C) perpendiculaire aux premiers et séparé du précédent par un portail ; il est prolongé au sud par un passage couvert (D) et par un corps de bâtiment (E) dont le mur ouest paraît seul être ancien.

Divers bâtiments sans grand intérêt sont venus se greffer aux précédents au fil des temps, en particulier un hangar qui fait retour à l'extrémité sud-est du corps de bâtiment E et un bâtiment de ferme qui vient s'appuyer perpendiculairement à l'extrémité Est du mur nord de B. L'ensemble est construit dans un beau calcaire doré. L'église, mais également une bonne partie des bâtiments conventuels, a été édifiée en pierre de taille. Là où il a été fait usage de moellons, ceux-ci sont aussi parfaitement équarris qu'assisés.

Notons enfin que toutes les couvertures, modernes, sont en tuiles creuses.

L'église

L'église étonne tant par ses dimensions (environ 12 X 45 m hors-oeuvre) que par la qualité de sa construction. Elle devait comprendre, à l'origine, une nef de quatre travées, la dernière surmontée d'un clocher, et un choeur de quatre travées [fig. 4 à 16].

figure 5
figure 6
figure 7
figure 8
figure 9
figure 10

Ce dernier semble avoir été plus large que la nef. Il se termine carrément. De la voûte en berceau qui le couvrait subsistent toujours les huit à dix premières assises, en pierre de taille, ainsi que les retombées de quatre doubleaux. Ceux-ci consistent en un simple rouleau, fait d'un bandeau entre deux tores, qui retombe sur une colonne simple. La structure des éléments séparant la seconde de la troisième travée est cependant un peu plus complexe : le doubleau y est constitué de deux rouleaux ; le premier fait d'un bandeau orné de fleurs à huit pétales entre deux tores, et le second à arêtes vives et retombe sur un faisceau de trois colonnes, dont les chapiteaux nus sont curieusement disposés ; ceux des colonnes latérales sont en effet placés à 45° par rapport au mur goutterot, comme le seraient des chapiteaux destinés à recevoir les retombées des nervures d'une voûte d'ogives. On peut imaginer que l'importance donnée en cet endroit aux supports était destinée à marquer la séparation entre le sanctuaire, où se trouvait le maître-autel, et le reste du choeur liturgique, où se tenaient les chanoines durant les offices. Quant aux colonnes logées dans les angles sud-est et nord-est du choeur, elles reposent sur des bases attiques et des socles cubiques [fig. 11]. Le mur de chevet est pourvu d'un soubassement dont la mouluration n'est que le prolongement de celle de ces bases. Il est percé de deux baies géminées en plein cintre [fig. 5], dont le couvrement, aujourd'hui bien détérioré, devait consister en un double rouleau retombant de chaque côté sur deux colonnettes, en grande partie conservées ; l'interne est plus mince que l'autre, et la médiane est commune aux deux baies.

Chacune des travées du mur sud du choeur est percée d'une fenêtre à ébrasement intérieur. Les fenêtres des deux premières travées sont identiques [fig. 7] : elles sont dotées d'un appui en escalier ; leur couvrement en plein cintre est percé, non pas dans le mur, mais dans les cinq premières assises de la voûte ; leur cordon d'archivolte est dépourvu de décor. La fenêtre de la troisième travée [fig. 6], plus étroite, est en même temps moins haute : son couvrement en arc légèrement brisé ne mord que sur la première assise de la voûte ; son cordon d'archivolte est orné de pointes de diamant ; elle a été murée au moment de la construction de la chapelle flanquant le choeur au sud. Le mur de la dernière travée [fig. 6] est percé d'une large et haute fenêtre couverte d'une arrière-voussure segmentaire à base horizontale. La corniche régnant dans le choeur à hauteur des tailloirs des chapiteaux, soulignant la naissance de la voûte, épouse, dans la quatrième travée, le tracé de la partie supérieure de cette grande fenêtre [fig. 6].

Sous l'appui de cette dernière est encastrée une pierre tombale.

A droite de la colonne logée dans l'angle sud-est du choeur est aménagé un petit lavabo [fig. 11]. Deux portes à encadrement mouluré sont percées de part et d'autre du faisceau de trois colonnes. Celle de gauche est couverte d'un linteau à soffite surélevé avec cavets d'adoucissement ; elle conduit, par un passage biais, à la chapelle accolée au mur sud de l'église. Celle de droite mène également à cette même chapelle ; elle est couverte d'un arc brisé.

figure 11
figure 12
figure 13
figure 14
figure 15
figure 16

Le mur de la dernière travée de la nef [fig. 8] se trouve en nette avancée sur celui du choeur, auquel un petit mur biais le relie.

Dans l'angle rentrant formé par ce mur et celui du choeur est logée une colonnette. Un important soubassement court au pied du mur de cette dernière travée de la nef, aux deux extrémités duquel vient s'appuyer un pilier de trois colonnes, la médiane plus volumineuse que les deux autres ; ces colonnes sont pourvues de bases attiques montées sur des socles chanfreinés. Deux baies ont été percées dans ce mur : en haut et au milieu, un oculus, et en bas à droite, une porte couverte d'un linteau en bâtière. Celle-ci donne accès à un escalier d'une seule volée de vingt-quatre marches, avec retour à gauche, aménagé dans l'épaisseur du mur. Une petite niche rectangulaire a été pratiquée dans le mur ouest de la cage, au-dessus de la seconde marche, tandis qu'une étroite fenêtre, ébrasée uniquement à droite, est percée du côté sud, à hauteur de la septième marche. Une seconde fenêtre, en grande partie détruite, éclairait plus haut l'escalier. Celui-ci conduit à une porte rectangulaire ouvrant sur un escalier droit de dix marches logé dans l'épaisseur du mur de la première travée du choeur et aujourd'hui à ciel ouvert.

Le goutterot des deux travées suivantes de la nef est en léger retrait par rapport à celui qui vient d'être décrit. Dans la troisième travée [fig. 9], il est percé, en bas, d'un enfeu couvert d'un arc en plein cintre, et au-dessus, d'une fenêtre en arc brisé dont le remplage est fracturé et le large ébrasement, couvert d'un arc segmentaire. Au milieu de la seconde travée [fig. 10] s'ouvre une étroite fenêtre en plein cintre avec appui en escalier. Les deux colonnes engagées séparant la première travée de la seconde et celle-ci de la troisième ont perdu leurs chapiteaux.

figure 4

figure 4

De la première travée ne nous est parvenu qu'un court pan de mur [fig. 4], dans lequel cependant se distinguent encore plusieurs éléments d'un portail : sur la face interne, l'embrasure intérieure gauche de la porte, et sur la face externe, le piédroit de droite. Ce dernier [fig. 12] est constitué d'un ébrasement à ressauts dans les angles rentrants duquel étaient logées deux colonnettes dont ne subsistent plus que les bases attiques. L'ensemble du piédroit, ainsi que le contrefort le flanquant à droite, est monté sur un soubassement qui dut à l'origine être précédé d'un degré dont il ne reste plus trace.

Si nous longeons maintenant d'ouest en est, cette fois à l'extérieur, le mur sud de l'église, nous remarquons tout d'abord [fig. 13], dans la seconde travée, une étroite fenêtre percée au fond d'une arcade dont le couvrement en plein cintre, surmonté d'une archivolte sans décor, était porté par deux colonnettes. Le fût de ces dernières a disparu, mais leurs chapiteaux aux volumineux tailloirs sont demeurés en place. Un contrefort de même largeur que celui qui flanquait le portail (0,80 m) sépare la deuxième de la troisième travée. Au milieu de cette dernière a été ouverte une large fenêtre en arc brisé, aujourd'hui murée dans sa partie inférieure, dont le remplage est presque totalement détruit. Deux contreforts, plus larges que les précédents (1,13 m), encadrent la quatrième travée, dans le mur de laquelle se voient plusieurs ouvertures : un oculus au chambranle délimité par un cordon et, au dessous à gauche et en haut à droite, les deux petites baies rectangulaires qui éclairent l'escalier décrit plus haut.

Le mur du choeur [fig. 14], conservé sur une plus grande hauteur que celui de la nef, fait un ressaut d'environ 1,80 m par rapport à celui-ci. Dans l'angle rentrant formé par la face sud du dernier contrefort de la nef et la face ouest de ce ressaut, un petit culot figuré, qui recevait les retombées toujours visibles d'une voûte d'ogives, est demeuré en place. Délimitée à gauche par un important contrefort (1,72 m) et à droite par le mur ouest de la chapelle accolée à cet endroit à l'église, la première travée du choeur est percée de deux fenêtres identiques (celle de droite en partie masquée par la chapelle), en plein cintre, à deux rouleaux ; le premier a son arête adoucie par un tore qui court également sur les piédroits, le second est surmonté d'une archivolte. Au niveau des sommiers de ces fenêtres règne une corniche moulurée. De celle qui couronnait le mur, il ne reste plus que deux modillons.

La dernière travée du choeur [fig. 15] est percée d'une très large fenêtre rectangulaire couverte d'une plate-bande. Son chambranle renfoncé à cru est mouluré d'un cavet et un quart-de-rond. Un épais contrefort cornier enveloppe l'angle sud-est du choeur. Il contient peut-être un escalier malheureusement inaccessible.

Le mur de chevet [fig. 16], encadré par deux larges contreforts, est pourvu de deux fenêtres géminées, murées dans leur tiers inférieur. Ces baies paraissent avoir été percées au fond de deux arcades en plein cintre. L'arête externe de leur couvrement et de leurs piédroits est agrémenté d'une moulure torique.

La chapelle

La chapelle accolée au flanc sud de l'église est de plan rectangulaire et couverte d'un toit en appentis [fig. 1 et 14]. Son mur sud, aveugle, est épaulé par trois contreforts talutés, l'un au milieu de sa longueur, et les deux autres, angulaires, à ses extrémités. Son mur ouest est percé d'une porte, aujourd'hui murée, surmontée d'un oculus. Dans son mur est [fig. 15] s'ouvre une large fenêtre en arc brisé, présentement obturée aux deux-tiers, dont l'embrasure est creusée d'un profond cavet et dont le remplage était constitué à l'origine de deux baies jumelées en arc brisé surmontées de trois roses à cinq lobes.

Intérieurement [fig. 1], la chapelle comporte deux travées couvertes de voûtes d'ogives dont les formerets et les branches retombent, dans les angles, sur des faisceaux de trois fines colonnettes à petits chapiteaux garnis de feuillages, et, au milieu des murs nord et sud, sur des culots moulurés et ornés de motifs végétaux. Les deux clefs, circulaires, portent pour décor une fleur à huit pétales.

Dans le mur ouest se discernent, comme à l'extérieur, un oculus à encadrement mouluré et une porte murée. A droite de celle-ci a en outre été récemment dégagé le piédroit de droite d'une niche en arc brisé. Dans le mur sud de la seconde travée a été aménagée une autre niche en arc brisé dont l'encadrement torique à réseau d'intrados trilobé retombe sur deux minces colonnettes. Cette niche contient un lavabo. Deux portes à embrasure profonde et couvertes chacune d'un arc segmentaire sont percées dans le mur nord, mettant en communication la chapelle et le choeur de l'église. La première porte, située dans la première travée, est ébrasée uniquement à gauche ; la seconde est pratiquée au milieu d'une large arcade placée à cheval sur les deux travées et couverte d'un arc segmentaire à arête chanfreinée. De la grande fenêtre du mur est ne se distinguent intérieurement que les trois roses et l'extrémité supérieure des baies jumelées. Le sol de cette chapelle est dallé ; il est surélevé d'un degré dans la seconde travée.

Corps de bâtiment Nord

Le corps de bâtiment nord [fig. 17 à 19], de plan rectangulaire, est, rappelons-le, disposé parallèlement à l'église. Il ne contient qu'une vaste salle d'environ 19,50 x 6,15 m qui a été divisée en deux, dans le sens de la hauteur, par un plancher. L'accès à l'étage se fait par un escalier droit d'une seule volée sud-nord de quinze marches, logé dans l'angle nord-ouest du bâtiment et très visiblement rajouté.

figure 17
figure 18
figure 19
figure 20
figure 21
figure 22

Extérieurement, ce corps de bâtiment frappe par la parcimonie avec laquelle on l'a pourvu d'ouvertures. Son élévation sud [fig. 17] n'est en effet percée que d'une porte sans caractère, à l'extrémité gauche de son rez-de-chaussée, et, à l'étage, de quatre étroites fenêtres. Celles-ci sont couvertes d'un linteau échancré en plein cintre ; leur encadrement est chanfreiné. Dans ce même mur sud sont engagés neuf corbeaux, les uns à hauteur des fenêtres, et les autres, un peu plus bas. L'élévation nord est percée en bas à droite d'une fenêtre moderne. Ses autres baies sont murées ; ce sont, au milieu et en bas, une porte à linteau de bois et aux piédroits chanfreinés, et, à l'étage, trois grandes fenêtres en plein cintre. Celle de gauche n'est obturée que dans sa partie inférieure ; ses montants sont aussi chanfreinés. Dans le mur-pignon ouest s'ouvre une haute fenêtre en plein cintre dont les tiers supérieur et inférieur sont obturés ; plus bas, à gauche, subsiste le volumineux corbeau d'une cheminée. Dans le mur est, visible sous un hangar, a été percée une large porte à ébrasement extérieur.

Le rez-de-chaussée de ce corps de bâtiment, dont le sol est en terre battue, sert aujourd'hui de dépendance. Il se compose d'une salle obscure, à laquelle on accède par deux portes, l'une au milieu du mur est et l'autre, à l'extrémité droite du mur sud. Les trois grandes fenêtres en plein cintre du mur nord sont visibles pour moitié au-dessous du plancher et pour moitié à l'étage. Bien qu'elles soient murées, sauf la partie supérieure de celle du milieu [fig. 18], on note qu'elles sont ébrasées vers l'intérieur et que leur embrasure est très soigneusement appareillée. La fenêtre du mur ouest est du même type. Les quatre étroites fenêtres du mur sud sont couvertes d'un linteau ; seuls leurs piédroits sont ébrasés. Le dégagement de la partie inférieure de l'une de ces baies [fig. 19] a fait apparaître un appui en escalier. Une porte et une fenêtre rectangulaires situées à l'extrémité droite du mur nord ont été murées.

Dans les deux murs nord et sud ont été pratiquées des encoches [fig. 18 et 19] d'environ 15 x 30 cm, espacées plus ou moins régulièrement (de 48 cm en moyenne) et visiblement destinées à recevoir l'extrémité de pièces de bois, soit les solives soutenant un plancher, soit plutôt les chevrons-arbalétriers d'une charpente à chevrons-portant-fermes. Actuellement, le corps de bâtiment est pourvu d'un toit à deux versants couverts de tuiles creuses, porté par cinq fermes.

Corps de bâtiment Ouest

Le corps de bâtiment ouest [fig. 20 à 24] est de plan rectangulaire et mesure environ 22,50 x 9 m hors-oeuvre. Simple en profondeur, il se compose au rez-de-chaussée de trois parties, à savoir, du nord au sud : une grande salle englobant dans son angle sud-est une cage d'escalier polygonale ; puis un cellier couvert d'une voûte dont l'axe est perpendiculaire à celui du bâtiment ; enfin un étroit couloir, qui contenait à l'origine un escalier. L'étage à surcroît, actuellement en cours de restauration, est divisé en deux grandes pièces par un mur de refend.

La grande salle du rez-de-chaussée est éclairée par trois fenêtres (une à l'est et deux à l'ouest) et quatre portes vitrées (deux au nord et deux à l'ouest). Entre les deux portes nord, une large cheminée est adossée au mur [fig. 22]. Sa hotte droite, soulignée par deux corps de moulures, est portée par deux colonnettes à hautes bases polygonales et à tailloirs moulurés. Une porte percée à l'extrémité droite du mur sud donne accès au cellier. Intérieurement cylindrique, la cage d'escalier [fig. 23] est de plan irrégulier à l'extérieur, les quatre pans faisant saillie sur la salle étant tous de longueur différente. Le premier en partant du nord est percé d'une porte pourvue d'une feuillure ; le second, d'une petite baie dont le linteau et les montants sont chanfreinés ; le troisième, d'une très étroite baie à fort ébrasement extérieur ; le dernier est aveugle. L'escalier en vis se développe en tournant à gauche ; il est constitué de 22 marches délardées portant noyau. La base polygonale de celui-ci surmonte un haut socle, qui repose lui-même sur la première marche.

La cage communique directement avec l'extérieur par une porte ouvrant à l'est ; elle est éclairée par deux petites fenêtres percées également à l'est, la première à hauteur de la douzième marche et la seconde, au niveau du palier. Deux portes s'ouvrent en outre à hauteur des dix-neuvième et vingt-deuxième marches, donnant accès aux deux pièces de l'étage.

Celle du nord est éclairée par quatre fenêtres : l'une au nord, pourvue d'un coussiège dans son ébrasement droit ; deux à l'ouest, modernes ; une petite à l'est, à droite de la cage d'escalier. On note la présence d'un renfoncement à l'extrémité gauche du mur ouest, et les traces d'arrachement d'une cheminée au milieu du mur nord.

La pièce sud est éclairée par six fenêtres : une petite à l'est ; deux à l'ouest (celle de gauche moderne) pourvues d'un coussiège dans leur ébrasement gauche ; trois au sud, dont l'une est percée dans la partie supérieure du mur, en retrait.

figure 23
figure 24
figure 25
figure 26
figure 27
figure 28

Le cellier

Le cellier [fig. 1] est couvert d'une voûte en berceau brisé adroitement appareillée. Il est éclairé par deux étroites baies percées dans le mur ouest au fond de profondes embrasures largement ébrasées vers l'intérieur. Une porte a été aménagée au milieu du mur est, dont l'embrasure est couverte d'un arc brisé. A l'extrémité gauche du mur nord ouvre la porte donnant accès à la grande salle, tandis qu'à l'extrémité gauche du mur sud, une autre porte a été murée.

Au sud du cellier et parallèlement à lui se trouve un étroit couloir qui, nous l'avons dit plus haut, renfermait autrefois un escalier droit d'une seule volée est-ouest. A l'extrémité est de ce couloir ouvraient trois portes, au nord, à l'est et au sud, qui donnaient respectivement accès au cellier, au cloître et au passage couvert. Les deux premières sont aujourd'hui murées.

L'élévation est de ce corps de bâtiment comporte deux niveaux d'ouvertures [fig. 20] : en bas, trois portes et une fenêtre de formes variées, sur lesquelles nous reviendrons, et tout en haut, sous l'avancée du toit, trois petites baies oblongues à appui saillant et piédroits chanfreinés. Entre ces deux niveaux d'ouvertures sont alignées deux rangées de huit et sept corbeaux qui, comme ceux du mur sud du corps de bâtiment nord, ont dû porter les arbalétriers et les entraits de l'appentis couvrant les ailes du cloître. Les baies du premier niveau sont, de droite à gauche : une fenêtre à traverse ; une porte au linteau orné d'une accolade soulignée par un petit tore qui court également sur les piédroits et repose sur des bases prismatiques ; cette porte est flanquée en haut à gauche d'une petite fenêtre dont l'encadrement est chanfreiné. Viennent ensuite la porte en arc brisé du cellier (son couvrement et ses piédroits sont eux aussi chanfreinés) et la porte murée du couloir. A gauche de celle-ci subsistent le piédroit et le sommier à double chanfrein de ce qui a pu être la porte faisant communiquer l'église avec l'aile occidentale du cloître.

L'élévation ouest [fig. 21], en cours de remaniement, est divisée en deux parties d'inégale longueur par un contrefort à léger fruit, sommé d'un talus. La partie gauche est percée, de gauche à droite, en bas, d'une fenêtre et une porte à traverse, puis d'une porte en arc brisé rapportée et remontée à l'emplacement d'une porte rectangulaire et enfin d'une petite fenêtre moderne ; en haut, d'une croisée et d'une fenêtre à traverse, toutes deux modernes. La partie droite, en léger ressaut sur la précédente, est pourvue, au niveau inférieur, de deux étroites fenêtres couvertes d'un linteau échancré en plein cintre ; leur encadrement est chanfreiné. A l'étage sont ouvertes deux fenêtres identiques à traverse ; celle de droite est moderne.

A chaque extrémité du mur nord est percée une porte ; celle de gauche est surmontée d'une fenêtre. Ces trois ouvertures sont pourvues d'une traverse. Dans le pignon se reconnaissent les traces d'une fenêtre en plein cintre murée. Le mur pignon sud est percé d'une porte, en bas à droite, et, tout en haut, de trois fenêtres.

Le passage couvert

Le passage couvert, de plan rectangulaire, est présentement surmonté de deux étages en cours d'aménagement. Il a visiblement été collé au corps de bâtiment C. Il faisait communiquer l'extérieur soit avec un espace précédant l'église, soit avec l'église elle-même, au moyen de deux portes dont l'axe ne se trouve pas au droit de celui de l'église. La porte est, large de 2,60 m, est couverte d'un arc segmentaire ; ses piédroits et son couvrement sont chanfreinés.

La porte ouest [fig. 25], relativement étroite, est couverte d'une voussure en arc brisé, à deux rouleaux décorés chacun d'un gros tore logé dans un profond cavet. Les deux tores retombent sur des colonnettes à base polygonale par l'intermédiaire d'un chapiteau dont la corbeille, sobrement décorée de feuillages schématisés, est surmontée d'un tailloir mouluré d'un chanfrein double, puis d'un chanfrein droit. Trois corbeaux surmontent la porte, tandis que, au-dessus, sont percées deux fenêtres, la première à l'aplomb de la porte, et la seconde, plus haut et à droite. Côté est, la porte est surmontée de deux fenêtres au même aplomb, la plus haute plus étroite que l'autre. Une petite fenêtre à encadrement chanfreiné est également percée dans le mur sud. Un bandeau règne sur la partie dégagée du passage couvert. La toiture est en cours de réfection.

Corps de bâtiment Sud-Ouest

Du corps de bâtiment sud-ouest, long d'environ 25 in, qui s'allonge du nord au sud, seul le mur ouest recèle des éléments anciens [fig. 26]. On y voit, de gauche à droite : une fenêtre oblongue à encadrement chanfreiné, puis deux baies jumelées [fig. 27] dont les arcs brisés ont été creusés dans un seul bloc de pierre ; la colonnette sur laquelle celui-ci reposait au centre a disparu ; piédroits et couvrement ont leur arête adoucie en cavet et, dans l'écoinçon placé entre les deux arcs, une main tenant une fleur à quatre pétales a été sculptée en réserve au milieu d'un pentagone ; le tout est inscrit sous un arc de décharge brisé. Une fenêtre murée à encadrement chanfreiné surmonte ce dernier. A droite des baies jumelées a été percée une fenêtre oblongue à meneau, au-dessus de laquelle fait saillie la pierre d'évacuation d'un évier. Leur font suite deux baies jumelées en arc brisé, semblables aux précédentes, mais qui cette fois ont conservé leur colonnette médiane ; le chapiteau de cette dernière [fig. 28] est décoré de feuilles de chêne (?).

Au-dessus se trouve une baie murée. Plus à droite subsiste une porte en plein cintre, à encadrement chanfreiné, surmontée d'une fenêtre à appui saillant dont il ne reste que la partie inférieure.

Puis vient une porte moderne. Enfin, à l'extrémité droite et en haut, deux consoles sont demeurées en place.

Ainsi se présente de nos jours le prieuré Notre-Dame d'Oulmes.

L'église

La description que nous en avons donnée appelle bien évidemment quelques commentaires.

Commençons par l'église. A première vue, sa structure n'a rien de très original. Les édifices à vaisseau unique et à chevet plat sont nombreux dans le sud du Poitou et en Saintonge, et les chanoines de Saint-Augustin paraissent en outre avoir eu une certaine prédilection pour ce plan : Châtres, Sablonceaux, La Réau en témoignent. On notera en revanche que fait ici défaut le transept dont sont pourvues ces trois églises et que le plan d'Oulmes offre des particularités insolites. A supposer en effet que le mur nord ait bien été symétriquement identique au mur sud, l'église aurait été constituée à l'origine d'une nef de trois travées de 5,40 m de large, d'une travée sous clocher plus étroite (4,60 m environ), puis d'un vaste choeur de 21 x 8 m. Un rétrécissement de l'édifice au niveau de la travée sous clocher est courant, et il est également normal qu'il s'accompagne d'un renforcement des supports et de l'épaisseur des murs, comme nous l'observons ici. Plus surprenante est l'étroitesse de la nef, fort étriquée quand on la compare au choeur, bien plus large qu'elle.

On hésite à avancer comme seule explication de cette singularité le nombre élevé de chanoines dont se serait trouvé doté ce prieuré.

Car les observations que l'on peut faire en comparant nef et choeur amènent bien vite à conclure que l'église a été construite en deux campagnes et que, pour des raisons qui nous échappent, l'érection de sa partie orientale ne s'est pas faite sans hésitation. Un simple coup d'oeil sur les baies justifierait notre première assertion : la fenêtre de la seconde travée de la nef [fig. 10] est d'un type fréquemment usité à Aulnay et dans ses environs, tandis que l'austérité des fenêtres des deux premières travées du choeur [fig. 14] et de la baie géminée du chevet [fig. 16] suggérerait d'autres rapprochements, avec l'abbaye augustinienne de Châtres par exemple.

Notre seconde hypothèse se fonde, quant à elle, sur le relevé que nous avons fait du prieuré. Notre plan révèle en effet [fig. 1] que la nef de l'église est strictement perpendiculaire au bâtiment conventuel situé à l'ouest, tandis que le choeur, dans ses deux dernières travées, dévie assez nettement vers le nord-est. Il est difficile d'avancer une explication satisfaisante de cette anomalie. Du moins soulignerons-nous à nouveau la bizarre disposition des piles séparant la seconde travée du choeur de la troisième, disposition qui trahit peut-être l'intention primitive du maître d'oeuvre de couvrir cette partie de l'édifice de voûtes d'ogives. Nous étaierons, avec toute la prudence qui convient, cette supposition en faisant observer que les fleurettes qui ornent les doubleaux encore visibles ne peuvent manquer d'évoquer le décor des nervures de certaines églises gothiques de style angevin.

figure 29
figure 30
figure 31
figure 32

Cette hétérogénéité des influences et ces hésitations quant au parti à prendre que nous venons de relever dans la structure de l'église sont également discernables dans son décor. A dire vrai, celui-ci se réduit à peu de chose : huit chapiteaux encore en place dans l'église et quelques autres chapiteaux déposés, plus petits, pour la plupart jumelés, qui proviennent sans nul doute du cloître ou de la salle capitulaire. Leur petit nombre va nous permettre de les examiner ici un à un.

Sur celui qui surmonte la colonne sud-est du choeur [fig. 29] sont figurés deux oiseaux affrontés, montés dans une feuille d'eau en forme de « barque », qui retournent leurs têtes vers les angles de la corbeille. On aura reconnu là l'un des thèmes que R. Crozet rangeait parmi ceux qui lui paraissaient typiques de ce que, « par commodité du langage », il désignait sous le nom de « style d'Aulnay ». Ne serait-ce le fait qu'il est fort martelé, le chapiteau d'Oulmes en serait certes un fort bel exemple, très proche, quant à la facture, de cet autre chapiteau que l'on peut voir au carré du transept d'Aulnay : mêmes attitudes, mêmes pattes minces, mêmes stries sur les ailes et mêmes « guillochures » au revers des ailes. A Oulmes cependant, les cambrures du cou et des ailes sont plus prononcées ; nous dirions même plus élégantes ; et le fond de la corbeille est, au centre, tapissé par celle des ailes de l'oiseau que le corps de ce dernier dissimule au spectateur. Ce procédé, purement ornemental et qui torture quelque peu l'anatomie, est également usité à Aulnay.

Le chapiteau suivant ; en respectant le même ordre est-ouest que nous avions adopté pour la description de l'édifice ; est très endommagé dans sa partie supérieure. Sa corbeille est garnie d'une rangée de feuilles en forme de G, affrontées deux à deux, qui évoquent, dans un style plus « maigre » et plus élancé, certains chapiteaux du choeur de Nuaillé-sur-Boutonne ou du portail nord de Fenioux. Mais le chapiteau d'Oulmes offre une particularité remarquable : au milieu des feuillages, on discerne encore la figure très fine d'un ange [fig. 30] dont l'aile droite est largement déployée et qui, probablement, croisait les jambes. Encore que le bouillonnement en soit moindre, le mouvement de ce qui a survécu du drapé, au-dessus des pieds, n'est pas sans rappeler tel ou tel petit personnage de la voussure du portail de l'église de Nuaillé-sur-Boutonne.

Pour être d'un tout autre style, les trois chapiteaux suivants ; absolument nus ; n'en sont pas moins d'un type bien connu.

On en voit de semblables, le plus souvent jumelés, à Châtres, Sablonceaux ou Fontaine-le-Comte, abbayes augustiniennes marquées par un indéniable parti pris de sobriété, mais aussi dans un petit groupe d'églises saintongeaises, pour la plupart couvertes de coupoles, que R. Crozet n'a pas manqué de signaler.

La pile est du carré sous clocher a conservé ses chapiteaux, gravement détériorés, comme les précédents. Nous pensons cependant pouvoir reconnaître, sur l'un, l'enroulement de la queue d'un basilic, et sur l'autre, deux cavaliers affrontés qui semblent brandir qui une coupe et qui un objet sphérique [fig. 33]. Le style, assez lourd, de ce chapiteau, mais aussi son thème, était peut-être assez voisin de celui que l'on peut voir à l'absidiole nord d'Aulnay.

Les deux derniers chapiteaux demeurés en place ornent, à l'extérieur, la fenêtre de la seconde travée de la nef. Ils sont taillés en réserve dans l'angle d'un bloc parallélépipédique dont une face constitue un élément du piédroit de la baie, tandis que celle qui lui est opposée fait queue dans le mur, procédé qui réclame une très grande dextérité de la part du tailleur de pierre, mais que l'on trouve couramment employé à Aulnay, Saint-Mandé, Dampierre-sur-Boutonne, Contré ou Matha. Les corbeilles de ces deux chapiteaux sont garnies de feuillages dont les tiges sont reliées par paires au moyen de bagues portant, ou non, un décor en dents de scie. De semblables feuillages bagués se voient en quantité à la voussure de l'arcade gauche de la façade ouest d'Aulnay. On les rencontre moins fréquemment sur des chapiteaux, encore que l'on puisse en voir au chevet de Dampierre-sur-Boutonne ou dans les parties hautes de la façade sud d'Aulnay. Sur l'un des chapiteaux d'Oulmes, celui de gauche [fig. 31], les feuilles se referment par paire sur des sortes de fruits ressemblant à des pommes de pin, comme il en existe à la voussure de l'arcade droite de la façade ouest d'Aulnay. Sur l'autre [fig. 32], les feuillages se réunissent à l'angle de la corbeille pour former une petite tête d'animal qui n'est pas sans évoquer celle des petits félins qui courent sur l'archivolte ou les tailloirs du portail sud d'Aulnay.

Les chapiteaux déposés reflètent, eux aussi, des influences stylistiques différentes, voire contradictoires. Un certain nombre sont totalement nus, comme ceux que nous avons signalés plus haut dans la nef, tandis que les autres sont pourvus d'une luxuriante ornementation. Il en va ainsi pour quatre chapiteaux (dont trois sont doubles) à décor végétal. L'un est orné de tiges enjolivées d'une rangée de perles et s'entrecroisant pour dessiner un X [fig. 38] ; l'autre, de motifs en U s'épanouissant en trois feuilles à leurs extrémités [fig. 40] ; un troisième [fig. 34], d'ornements en X terminés en bas par de petites palmettes et en haut par des sortes de « fruits » sphériques. Leurs « modèles » nous paraissent devoir être recherchés à l'église d'Aulnay, tout particulièrement dans ce somptueux catalogue ornemental que constituent les voussures des deux arcades aveugles de la façade ouest. Plus original est le quatrième [fig. 39], inspiré du corinthien, dont la rangée inférieure de petites feuilles étroites est surmontée de deux rangs de caulicoles et de crosses profondément découpées ; il s'en voit d'approchants à la façade de Biron.

figure 33
figure 34
figure 35
figure 36

Sur la corbeille d'un autre chapiteau double [fig. 36] défile une procession de griffons dont la queue, passée entre les jambes, s'épanouit au-dessus de leur croupe en une feuille perlée. Ces monstres figurent en bonne place, avec les mêmes pattes griffues, les mêmes rides au cou et à l'angle du bec, sur des chapiteaux et un modillon du portail ouest d'Aulnay, ainsi que ; plus courts sur pattes, mais très ressemblants ; au portail de Contré. Sur un autre fragment sculpté [fig. 35] subsiste un arrière-train de félin à la croupe haute, aux longues pattes nerveuses et musclées armées de griffes, à la queue feuillue passée entre les jambes et dressée au-dessus des reins, comme on peut en voir aux fenêtres du chevet d'Aulnay.

Un dernier chapiteau double [fig. 37] porte pour décor une sorte de monstre à double corps, mais à tête unique et grimaçante, dont les cheveux sont tout hérissés. Il en existe d'assez ressemblants, encore une fois, au portail ouest d'Aulnay.

Parmi les autres vestiges nous paraissent encore devoir être signalés deux modillons de style assez grossier ornés, l'un, de trois feuilles et l'autre, d'un masque aux gros yeux globuleux, ainsi qu'un culot, bien plus tardif, représentant un homme aux jambes repliées vers le haut, qui se tient les mains sur les hanches.

Enfin n'oublions pas nos deux vieillards de l'Apocalypse, dont on peut supposer qu'ils figuraient aux côtés d'une vingtaine d'autres sur l'un des deux (?) rouleaux de la voussure du portail sud.

Le docteur Texier ayant signalé « dans le mur d'une maison voisine un voussoir représentant un dromadaire », il est tentant d'imaginer que le second rouleau portait pour décor un bestiaire, disposition qui nous amènerait à esquisser un ultime rapprochement avec Aulnay, dont le portail sud est, on le sait, orné d'un bestiaire et d'une série de trente et un vieillards de l'Apocalypse.

figure 37
figure 38
figure 39
figure 40

Le prieuré

La restitution que nous venons de tenter du portail va nous servir de transition. Il nous paraît en effet utile d'ébaucher maintenant une rapide reconstitution de ce que pouvait être à l'origine ce prieuré de chanoines de Saint-Augustin. Très normalement, ses bâtiments s'ordonnaient autour d'un petit cloître dont les dimensions ne devaient guère excéder 20 x 25 m. Au sud de ce cloître était disposée l'église. Étant donné la destruction complète de son mur nord, on ne peut pas savoir comment celle-ci communiquait avec le cloître, et tout particulièrement avec son aile est et les bâtiments qui la bordaient. Il est probable que ces derniers contenaient la salle capitulaire et, au-dessus, le dortoir. Selon le docteur Texier, le bâtiment nord aurait servi de réfectoire au rez-de-chaussée et de dortoir à l'étage.

Nous serions plutôt enclin à penser que la disposition actuelle n'est pas l'originelle et que le plancher n'a été établi qu'à une date relativement récente ; on se souvient en effet qu'il coupe les fenêtres du mur nord à mi-hauteur, et que l'escalier n'est qu'une médiocre adjonction qui fait contraste avec le reste de la construction. Ajoutons que les dortoirs conventuels sont généralement placés à proximité immédiate du choeur de l'église, de sorte que les religieux n'aient pas un trop long chemin à parcourir pour se rendre aux offices de nuit. C'est pourquoi nous préférons imaginer que le dortoir d'Oulmes se trouvait à l'est et que le corps de bâtiment nord était entièrement occupé par le réfectoire. A l'ouest de ce dernier étaient peut-être placées les cuisines, tandis que le corps de bâtiment ouest a pu abriter l'hôtellerie et le cellier.

Si réfectoire et cellier nous sont parvenus presque intacts, il est évident que la majeure partie du corps de bâtiment ouest a été remanié profondément dès la fin du moyen âge. On doit peut-être à la suppression de l'escalier situé à l'extrémité ouest du bâtiment la construction de l'escalier en vis et de sa curieuse cage dans l'oeuvre. Il est probable en tous les cas que la volonté de rendre plus habitable cette partie de l'abbaye a provoqué à la même époque le percement de nombreuses baies dans les murs ouest et nord qui, auparavant, étaient probablement aveugles, ou du moins seulement pourvus d'un petit nombre de fenêtres, comme tous les autres murs de l'ensemble conventuel qui formaient clôture. Quant au passage couvert et au corps de bâtiment sud-ouest, ils sont nettement postérieurs aux autres éléments étudiés de ce complexe architectural.

Vestiges de l'abbaye d'Oulmes

Au total, l'impression qui se dégage d'un examen attentif des vestiges de l'abbaye d'Oulmes est ambiguë. D'une part, en effet, les bâtiments conventuels et certains éléments de l'église portent l'empreinte d'une simplicité toute cistercienne ; mais il semble d'autre part que le chantier ait été en quelque sorte « contaminé » par celui, tout proche, d'Aulnay. S'est-on simplement inspiré, à Oulmes, des sculptures que l'on mettait en place, au même moment, à moins d'une lieue ? Une équipe d'ornemanistes est-elle venue d'Aulnay travailler pour le compte des chanoines ? Doit-on imputer à cette intervention un changement de parti lors de la construction du choeur ? Pour avancer un début de réponse, il serait à tout le moins indispensable de disposer de quelques éléments concernant la fondation de Notre-Dame d'Oulmes. Ces données nous font hélas totalement défaut.

Il faut bien préciser en effet que ce prieuré paraît inconnu de la quasi-totalité des auteurs. René Crozet, s'il en fait plusieurs fois mention dans son Art roman en Saintonge, ne l'y cite même pas parmi les établissements augustiniens du diocèse de Saintes, et, étudiant ceux d'Aquitaine, M. Jacques Gardelles semble en ignorer l'existence. Mais il y a pire encore : dom Cottineau, lui, confond Notre-Dame d'Oulmes avec un prieuré bénédictin relevant de l'abbaye de Nouaillé (Vienne), celui de Saint-Sauveur-d'Aunis : en effet, on ne trouvera rien dans son Répertoire aux mots Ollimes, Grand-Oulme ou Nuaillé-sur-Boutonne. En revanche, il y est fait mention, au mot Nuaillé-en-Aunis, d'un prieuré Saint-Sauveur qui serait placé dans le canton d'Aulnay-de-Saintonge. En fait, le prieuré bénédictin répondant au vocable de Saint-Sauveur est situé dans l'actuelle commune de Saint-Sauveur-d'Aunis, qui fait partie du canton de Courçon (Charente-Maritime). Les liasses 43 à 48 de la série H des archives de la Vienne mentionnées par dom Cottineau dans sa bibliographie se rapportent bien à lui. En revanche, la référence faite à Joanne concerne Notre-Dame d'Oulmes.

Les dépôts d'archives de la Charente-Maritime et de la Vienne ne détenant pas de fonds important qui puisse combler notre ignorance, les rares mentions d'Oulmes que nous sommes parvenu à glaner çà et là ne nous permettent de tracer qu'une histoire très lacunaire de cette abbaye. Souhaitons du moins qu'elle puisse servir un jour de point de départ à plus qualifié que nous.

La plus ancienne mention que nous ayons trouvée d'un prieur d'Oulmes remonte à 1326. Cette année-là, il est cité parmi les bénéficiers de l'archiprêtré de Taillebourg qui, répondant à l'appel du pape Jean XXII, consentent à souscrire à la sorte d'impôt extraordinaire alors levé dans la province ecclésiastique de Bordeaux par son envoyé, Faidit Giraudon. Dans le pouillé du diocèse de Saintes appelé Pancarte de Rochechouart (1402), le prieuré d'Oulmes est cité à deux reprises, la première fois comme faisant partie du diocèse de Poitiers, et la seconde, dans celui de Saintes, et en des termes qui donneraient à penser que, dès cette époque, la communauté joue essentiellement un rôle pastoral : il y est en effet question de l'Ecclesia parochialia Beatae Mariae de Ulmis, ordinis sancti Augustini. Du moins peut-on affirmer que l'église est alors desservie par un clerc au moins, dont les registres de l'échevinage de Saint-Jean-d'Angély nous fournissent l'identité : le 16 février 1406 en effet, « Monsgr Jehan Excègue, chenoyne d'Oulmes, de l'ordre de Saint-Augustin », figure parmi les « honourés homes» qui comparaissent devant « Bernart Fradin, souzmaire de la ville et commune de Saint-Jehan-d'Angély » pour une affaire de tutelle.

Des deux siècles suivants ne nous sont parvenus que les noms de deux prieurs dont des aveux sont conservés aux archives départementales de la Vienne : Maître François de Montberon, proto-notaire du Saint-Siège, chanoine de Saintes, est prieur en 1550, et Claude Dalibert, prêtre, conseiller du roi et aumônier de feu Mgr le duc d'Orléans, l'est en 1688.

Deux états de l'élection de Niort tendraient à prouver que l'abbé Marin, prieur d'Oulmes en 1716, l'était toujours en 1744. Il semble bien en fait que le second état est, sur ce point, erroné, car nous savons par ailleurs que, le 13 janvier 1740, par devant Morisset, notaire à Cressé, Estienne de Saint-Orens, fondé de pouvoir de Messire Jean-François de Cazaux, clerc tonsuré du diocèse de Toulouse, prieur commendataire du prieuré conventuel et électif de Notre-Dame d'Oulmes au diocèse de Saintes, demeurant à Paris au séminaire de Saint-Sulpice, cédait pour la somme de 1300 livres par an et pour quatre ans à Pierre et Jean Micheau, bourgeois et marchands demeurant à Brie, paroisse d'Aulnay, les « fruits, profits et émoluments du temporel du dit prieuré de Notre-Dame d'Oulmes, consistant en maison, bâtiments et granges, écuries, cours et jardins, mesteries, rentes d'un moulin à eau, bois, terres labourables et non labourables, rentes, terrages, complans, lods et ventes ». En 1777, le titre de prieur est échu à M. Barros de Gamanson, abbé de Corneville au diocèse de Rouen, vicaire général du diocèse d'Orléans, chanoine sous-doyen du chapitre, prieur commendataire de Saint-Georges de Bazinville (Loiret). Un acte du 24 février 1790 passé devant Merveilleux, notaire à Néré, fait apparaître que ce même personnage, bachelier en droit canonique de l'Université de Toulouse, est alors toujours « prieur. de Notre-Dame d'Houlmes » et qu'il réside au cloître Saint-Etienne, paroisse de Notre-Dame de la Conception, à Orléans. Précisons enfin que notre prieuré avait pour nominateur le roi, tandis que son prieur nommait le curé de Notre-Dame de Villemorin, paroisse située à environ 7,500 km à l'est d'Oulmes.

En 1777, une bonne partie des bâtiments était encore conservée, ainsi que nous l'apprend un court Mémoire sur la ville d'Aulnay alors publié dans les Affiches du Poitou : « On trouve à 1500 toise d'Aunay le prieuré d'Oulmes... [qui] paroît avoir été autrefois une abbaye considérable. On y voit encore les restes d'une Eglise fort étendue, d'un clocher très-élevé, et les vestiges de plusieurs bâtimens ». En 1839 encore, « tous les ans, le jour de la saint Côme, le peuple des villages voisins vient en pèlerinage » dans une chapelle, celle sans doute qui nous est conservée aujourd'hui au sud de l'église. Le docteur Texier rapporte que cet usage se perpétua jusqu'en 1871 et que, depuis 1940, les médecins de Saint-Jean-d'Angély viennent entendre la messe à Oulmes chaque 26 septembre. A son tour, cette dernière tradition a vécu.

Conclusion de l'étude

Au terme de cette étude, nous sommes parfaitement conscient d'avoir fourni bien peu de réponses aux nombreuses questions qu'à l'issue d'un séminaire, organisé par l'Université catholique de Milan à La Mendola en 1959, il avait été recommandé aux chercheurs de toutes disciplines de se poser lorsqu'ils aborderaient l'étude d'un établissement canonial. Certes, nous avons pu réunir ici un certain nombre d'informations concernant l'église, les bâtiments conventuels et leur décor, mais nous avons dû en revanche avouer l'ignorance dans laquelle nous nous trouvions quant aux circonstances de la fondation du prieuré d'Oulmes.

Il serait pourtant fort utile, par exemple, de savoir si les vicomtes d'Aulnay sont ou non à l'origine de l'installation d'une communauté de chanoines réguliers à aussi courte distance de leur château, et dans l'affirmative, si de la sorte ils cherchaient à imiter leur suzerain, le comte de Poitou, à qui l'on doit, comme chacun sait, la création des deux abbayes augustines de Fontaine-le-Comte et de Sablonceaux. Il est de même extrêmement tentant de se demander si Geoffroy Babion, plus connu sous les noms de Geoffroy de Lauriol ou de Loroux, a pu jouer un rôle dans la fondation du prieuré d'Oulmes. Nul n'ignore en effet que cet ancien écolâtre d'Angers, devenu un temps ermite, puis archevêque de Bordeaux de 1136 à 1158, manifesta un intérêt certain pour ce courant de réforme et d'austérité qu'incarne alors Bernard de Clairvaux, dont il fut le correspondant : il entra en conflit avec son chapitre, auquel il voulait faire adopter la règle de saint Augustin, et il fut à l'origine de la création d'un certain nombre d'abbayes de chanoines réguliers, répondant le plus souvent au vocable de Notre-Dame (Fontaine-le-Comte, Sablanceaux, L'Isle-en-Médoc, et peut-être Pleineselve), dont M. Gardelles a souligné l'influence sur quelques autres fondations augustines ou collégiales (La Réau, Châtres, Saint-Emilion). On ne peut manquer de remarquer que nous avons été amené à esquisser des rapprochements, tout au long de cette étude, avec plusieurs de ces établissements.

On aimerait encore connaître les intentions des fondateurs et la fonction qu'était appelé à jouer un modeste prieuré comme celui-ci : simple refuge pour des hommes fuyant le siècle ? Rôle pastoral, comme semble le suggérer dès les premières années du XVe siècle la Pancarte de Rochechouart ? Gîte pour pèlerins et voyageurs en bordure d'une voie probablement fréquentée ? Questions que l'on pourrait, il est vrai, se poser à propos d'un très grand nombre de prieurés ou d'abbayes de chanoines réguliers, tant demeure grande notre ignorance dans ce domaine de l'histoire religieuse.

L'exemple de Notre-Dame d'Oulmes nous inciterait donc à penser que ces paroles prononcées, dit-on, par le cardinal Pie il y a plus d'un siècle demeurent d'actualité : Hi qui amicti sunt stolis albis, qui sunt et unde venerunt ?

Source : Bulletin de la Société des antiquaires de l'Ouest et des musées de Poitiers par Yves-Jean RIOU.

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 20481
  • item : Prieuré Notre-Dame-d'Oulmes
  • Localisation :
    • Poitou-Charentes
    • Charente-Maritime
    • Nuaillé-sur-Boutonne
  • Lieu dit : le Grand Oulmes
  • Code INSEE commune : 17268
  • Code postal de la commune : 17470
  • Ordre dans la liste : 2
  • Nom commun de la construction :
    • La dénomination principale pour cette construction est : prieuré
  • Etat :
    • Etat courrant du monument : vestiges (suceptible à changement)

Dates et époques

  • Périodes de construction : 2 différentes époques marquent l'histoire du lieu.
    • 12e siècle
    • 15e siècle
  • Date de protection : 1980/11/14 : classé MH
  • Date de versement : 1993/10/27

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • non communiqué
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :5 éléments font l'objet d'une protection dans cette construction :
    • toiture
    • chapelle
    • bâtiment conventuel
    • église
    • bâtiment
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • non communiqué

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : propriété d'une personne privée 1992
  • Détail :
    • Ruines de l' église, y compris la chapelle Sud
    • façades et toitures des bâtiments conventuels (cad. B 286, 290, 821) : classement par arrêté du 14 novembre 1980
  • Référence Mérimée : PA00104835

photo : Michel C.

photo : Michel C.