Cathédrale Notre-Dame

A l'heure où le drapeau français flotte de nouveau au haut de la flèche de Strasbourg et où la vieille cathédrale parle aux yeux et aux coeurs de tous comme un symbole des provinces retrouvées, il semble tout naturel de chercher à connaître son histoire et de se familiariser avec ses beautés. Nous la verrons tout à l'heure dans son ensemble et dans ses détails, mais, avant d'en venir aux vues, nous allons rappeler rapidement ce qu'on sait des différentes phases de sa construction, de ses architectes, des événements dont elle a été le théâtre.

La cathédrale de Strasbourg est, dans son ensemble, une oeuvre gothique, c'est-à-dire construite selon les principes inventés vers le milieu du XIIe siècle par les architectes de l'Ile-de-France, la croisée d'ogive et les arcs-boutants, tout à l'heure les vues mêmes nous montreront ce que signifient ces termes, et la physionomie spéciale que ces procédés nouveaux donnèrent aux églises, à l'intérieur et à l'extérieur, mais la cathédrale de Strasbourg n'est pas entièrement gothique ; elle a des parties plus anciennes, et qui se rattachent à l'art roman. Ces parties romanes avaient elles-mêmes été construites sur les ruines d'édifices plus anciens qui nous sont fort mal connus : nous possédons pourtant une description en vers latins de l'église carolingienne dont il ne nous reste aucune trace architecturale, et nous savons que cette église carolingienne avait été précédée, sur le même emplacement, par d'autres églises plus anciennes, dont la première semblait remonter au IVe siècle, aux temps mêmes de la fondation de l'évêché de Strasbourg.

Strasbourg, placée sur la route même qui conduisait de Rome au nord des Gaules, avait été évangélisée dès les premiers siècles du christianisme, et sa position géographique la désignait pour être un centre de culture, religieuse ou autre.

La partie la plus ancienne de la cathédrale de Strasbourg est la crypte ou église souterraine, une belle crypte longue et large, la plus belle des rares cryptes d'Alsace ; elle se divise en deux parties d'époques différentes, dont la plus ancienne, à l'est, remonte au début du XIe siècle, à l'époque ou l'évêque Wernher, aidé de quêtes et de corvées de fidèles, commença la construction de la nouvelle cathédrale pour remplacer celle que les pillages et les luttes intestines des années qui précédèrent l'avènement dé l'empereur Henri II avaient mise en ruines et qu'un terrible incendie allumé par la foudre avait achevé d'anéantir. Dans cette partie de la crypte, la voûte est en berceau, et les bases des colonnes sont encore presque antiques. La partie occidentale, qui est plus jeune d'un demi-siècle ou même d'un peu plus, présente des voûtes d'arête, cette voûte romane, formée par la pénétration de deux demi-cylindres, qui est déjà un premier pas vers la voûte en croisée d'ogives de l'époque gothique. Les bases des colonnes ont des griffes, et les chapiteaux sont cubiques, ce qui est une forme fréquente dans l'école rhénane et qui parle d'influençe byzantine.

La partie de la cathédrale qui se trouve au-dessus de la crypte, c'est-à-dire l'abside et le choeur, est plus ancienne que le reste de la cathédrale, mais ne remonte pourtant pas au-delà du milieu ou peut-être même de la lin du XIIe siècle. Dans l'Ile-de-France, à cette époque, on construisait déjà de grandes églises gothiques, le choeur prenait une grande importance, on l'entourait d'un déambulatoire sur lequel on ouvrait des chapelles rayonnantes, on allongeait l'abside proprement dite de plusieurs travées droites qui donnaient au sanctuaire les proportions d'une petite église : ici, rien de pareil, l'abside, comme aux époques les plus reculées, n'est qu'une sorte de vaste chapelle semi-circulaire directement accolée au transept et qui termine brusquement l'église du coté est. L'extérieur de l'édifice n'est pas visible de ce coté, car le mur plat qui le termine est accolé à la galerie du séminaire, construite au XVIIIe siècle pour remplacer l'ancien cloître.

Le choeur, au lieu d'être placé comme il l'est habituellement dans les travées qui suivent l'abside, se trouve reporté ici dans le carré du transept, c'est-à-dire au centre même de la croix dessinée par le plan de la cathédrale, entre la grande nef et l'abside d'une part et les deux croisillons d'autre part. Cette partie ci est à peu près de la même date que l'abside, et encore entièrement de style roman ; elle est couverte d'une coupole sur pendentifs qui repose sur quatre énormes faisceaux de colonnes. Ce carré de transept, un peu moins élevé que l'abside, domine encore les nefs et le transept de treize marches.

Avec le transept, nous entrons dans la période gothique. Au croisillon nord, les deux styles sont encore mélangés : il y a, dans le mur est, un petit portail de dessin purement roman, surmonté d'un fronton triangulaire ; le grand pilier qui divise le transept en deux nefs est un pilier rond à chapiteau roman, et par contre les voûtes sont en croisées d'ogives, donc purement gothiques ; au bras sud, au contraire, le gothique s'affirme victorieux, et c'est ici que nous allons trouver le premier des nombreux emprunts faits aux églises de l'Ile-de-France, et qui font de la cathédrale de Strasbourg, non pas, comme on l'a cru longtemps, le chef-d'oeuvre de l'architecture gothique allemande, mais une oeuvre surtout française d'inspiration. A l'époque des cathédrales, Strasbourg était une terre d'empire, et l'Allemagne l'a de tout temps revendiquée comme sienne. Elle a fait une auréole de gloire à celui qu'on croyait en avoir été le principal architecte, et dont on ne sait au fond pas grand chose de certain, sauf la date de sa mort. Nous allons voir au contraire que la cathédrale de Strasbourg a été bâtie par des architectes qui, s'ils n'étaient pas français, connaissaient en tout cas l'art de la France de très près.

M. Mâle a montré comment dans chaque partie de l'édifice on peut retrouver un ou plusieurs modèles français imités dans leurs grandes lignes et dans leurs détails. Il n'y a d'allemand dans la cathédrale de Strasbourg, ainsi que nous le verrons tout à l'heure, que les tours et la flèche.

Le bras sud du transept, achevé vers le milieu du XIIIe siècle, dérive de la cathédrale de Chartres. La façade, où les portes sont surmontées d'un étage de fenêtres à meneaux de maçonnerie, dominé lui-même par des roses composées de petits cercles disposés sur deux rangs autour d'un cercle central, n'est pas la copie de la belle façade du portail royal, mais elle s'en inspire visiblement.

Et, surtout, ce qui dans le transept de Strasbourg rappelle Chartres, c'est le pilier des Anges, une oeuvre originale et charmante que nous verrons tout à l'heure. C'est le grand pilier placé au centre du bras du transept, probablement pour diminuer les difficultés de la construction et diviser en quatre la surface à voûter. Il est flanque de quatre hautes colonnes, séparées par trois étages de statues superposées figurant en raccourci le Jugement dernier. On peut trouver au porche nord de la cathédrale de Chartres le modèle de ces statues, de leurs draperies, du dais qui les surmonte, et surtout de la manière même de les adosser.

Le transept à peine terminé, on entreprit la nef. L'imitation française est ici plus apparente encore, mais ce n'est plus Chartres qui est le modèle, c'est Saint-Denis, non pas la première église de Saint-Denis, celle que Suger avait construite et qui fut l'inspiratrice de presque tous les premiers édifices gothiques, mais la basilique reconstruite sous saint Louis par Pierre de Montereau. L'imitation est frappante, et la copie s'écarte tout juste du modèle par quelques détails, et pourtant l'impression d'ensemble reste très différente.

L'architecte de Strasbourg n'avait pas les mains libres, il ne créait pas de toutes pièces, il lui fallait au contraire s'adapter à un choeur et à un transept déjà existants, et il lui fallait se conformer à des dimensions données, pour la largeur aussi bien que pour la hauteur. C'est ce qui explique l'aspect de la nef de Strasbourg, beaucoup plus trapue, beaucoup moins élancée que les nefs gothiques habituelles. En hauteur, l'architecte a gagné tout ce qu'il a pu, et a déposé de beaucoup le toit de l'abside ; il a même caché en partie la tour bâtie au-dessus du carré du transept et dont la partie inférieure seule est ancienne.

A part cette question de proportions, pour laquelle l'architecte n'était pas libre, la nef est la copie exacte de celle de Saint-Denis. Il y avait vingt ans à peine que Pierre de Montereau avait reconstruit Saint-Denis ; à ce moment-là toutes les grandes cathédrales étaient construites. Chartres, Reims, Amiens, Beauvais avaient amplifié et embelli le modèle que leur avait donné le premier Saint-Denis, chacune marquant un progrès en hardiesse, en lumière, en perfection dans la forme sur celle qui lavait précédée. Pierre de Montereau innove et perfectionne à son tour, et la nouveauté la plus marquante de son église, c'est le triforium vitré. On appelle triforium la petite galerie de circulation qui, dans les églises gothiques, se trouve directement au-dessous des grandes fenêtres, et qui a remplacé les tribunes des églises romanes après s'y être d'abord superposée. Jusqu'alors le triforium avait été aveugle, c'est-à-dire que ses arcatures se détachaient sur un mur plein. A Saint-Denis, pour la première fois, le triforium est vitré, ajoutant ainsi sa lumière à la lumière des fenêtres, et faisant avancer d'un pas ce problème de la clarté qui passionne les architectes gothiques et est à l'origine de la plupart de leurs innovations. Ils n'en restèrent pas là, du reste ; le triforium ajouré s'ajouta bientôt directement à la fenêtre, puis disparut de façon à transformer tout le mur en une immense verrière. A Strasbourg, nous retrouvons exactement les dispositions de Saint-Denis : au-dessous des fenêtres, le triforium vitré.

Mais cette ressemblance-là n'est pas la seule, et le maître strasbourgeois a adopté d'autres innovations de Pierre de Montereau ; à sa suite, il a transformé les piliers en un faisceau de colonnettes qui montent toutes droites du sol à la voûte, sans l'arrêt habituel du chapiteau, puis, comme lui encore, il a place dans les bas-côtés un chemin de ronde qui passe derrière les piliers et devant les fenêtres des murs latéraux, et à Strasbourg comme à Saint-Denis ce chemin de ronde est supporté par un soubassement décoré d'arcatures. C'est une pratique pour ainsi dire inconnue dans l'Ile-de-France, fréquente au corsaire en Champagne et en Bourgogne.

A part donc la question des proportions, et des détails peu importants tels que les roses des fenêtres qui rappellent plutôt celles de la Sainte Chapelle de Paris (dont Pierre de Montereau est l'architecte probable), la nef de Strasbourg est l'imitation fidèle, la copie presque, pourrait-on dire, de celle de Saint-Denis.

La nef terminée, on entreprit la façade séparée de la nef par un grand narthex ou vestibule, et c'est ici qu'apparaît le nom du fameux architecte à qui on fit fréquemment honneur de la cathédrale toute entière. Cet architecte, c'est maître Erwin de Steinbach, à qui on a fait dans l'histoire de l'art gothique une place plus grande que celle qui lui revient, et autour duquel on a édifié toute une légende qui repose sur bien peu de chose. Voici ce qu'on sait sur lui de positif :

En 1284, un document mentionne sans détails « Meister Erwin Werkmeister » , c'est-à-dire maître Erwin maître d'eouvres, puis en 1316, c'est-à-dire trente-deux ans plus tard, on trouve sa signature sur la balustrade d'une chapelle.

Deux ans après il meurt, et on inscrit sur sa pierre tombale : « Magister Erwin Gubernator fabricafe ecclesie », c'est-à-dire maître de l'oeuvre Notre-Dame." Et c'est tout, et on n'est même pas absolument sûr que la première et les deux dernières mentions s'appliquent au même individu à tant d'années de distance. Quant au nom de Steinbach, il ne se trouvait que dans une inscription apocryphe aujourd'hui disparue. Les Allemands s'en sont emparés et ont décidé qu'Erwin était originaire du petit village de Steinbach dans le grand-duché de Bade, où ils lui ont élevé une statue. Mais la tradition repose sur de bien faibles bases. On l'a embellie en ajoutant à Erwin la figure charmante de sa fille Sabine, que la légende représente comme l'auteur des magnifiques figures de l'Eglise et de la Synagogue à la façade sud. Nous mêmes l'avons acceptée en élevant à Sabine et à son père, vers le milieu du siècle dernier, deux statues sur la petite place avoisinante. Mais, comme l'oeuvre attribuée à la fille est antérieure d'un bon demi-siècle à celle du père, il a bien fallu se rendre à l'évidence.

On attribuait à Erwin, non-seulement toute la façade, mais encore la presque totalité de la nef, rebâtie, disait-on, après le grand incendie de 1298, mais on s'est rendu compte que cet incendie n'avait guère endommagé que la toiture, et que la nef, dont les travaux avaient duré vingt-cinq ans, était terminée telle que nous la connaissons avant qu'on n'entreprit la façade. La façade elle-même n'est pas entièrement d'Erwin. C'est lui, on le croit du moins, qui en avait fait le plan ; il avait même fait plusieurs plans successifs qui existent encore au Musse de l'oeuvre et qui montrent les transformations de sa pensée primitive. Mais la façade telle qu'elle fut exécutée n'est entièrement conforme à aucun de ces plans : Erwin mourut avant de l'avoir achevée, et ses successeurs y apportèrent bien des modifications, dont la plus importante fut le cube de maçonnerie qui réunit la base des deux tours. Ici encore les influences d'Ile-de-France sont frappantes ; cette façade est la combinaison des éléments des façades de Notre-Dame de Paris, la façade principale prise comme modèle pour les grandes lignes de la construction, et la décoration empruntée aux façades des transepts. Nous examinerons les choses plus en détail tout-à-l'heure avec la projection de la façade sous les yeux. Tout dans cette façade n'est pourtant pas imité ; il y a un détail qui n'a de prototype ou d'imitation ni dans l'art français ni dans l'art allemand ; c'est une sorte de claire-voie gigantesque jetée en avant de la façade. « On dirait, dit M. Mâle, les nerfs tendus d'une immense harpe. Il semble qu'au moindre souffle toute la cathédrale va vibrer. Nous franchissons ici les limites de l'art : l'architecture a l'air de vouloir se dissoudre en musique. »

D'après le plan primitif, la façade de la cathédrale de Strasbourg devait ressembler beaucoup à celle de Notre-Dame de Paris, non pas à la silhouette presque carrée que nous connaissons, mais à la façade actuelle dominée de deux hautes tours à flèches. Nous avons vu que ce plan fut transformé : l'espace entre les deux tours fut comblé, la tour nord fut élevée beaucoup au-dessus des proportions prévues, puis couronnée d'une flèche qui s'élève à cent quarante-deux mètres au-dessus du sol. C'est à ce travail que se borne la part des architectes allemands. C'est un Souabe, Ulrich d'Ensingen, qui, au début du XVe siècle, éleva la tour nord jusqu'au-dessus des grandes baies, et c'est Jean Hültz de Cologne qui construisit la flèche et la termina en 1439. Au milieu du XVIIe siècle elle fut frappée par la foudre, et on dut reconstruire les vingt mètres supérieurs. Cette tour gigantesque a fait l'admiration du monde ; elle donne à la cathédrale tout entière un élan et une légèreté magnifiques, mais la flèche en elle-même est un tour de force plus qu'une oeuvre d'art. Viollet-le-Duc la juge, un peu sévèrement, « une oeuvre manquée, d'une exécution médiocre ». Mais, si l'exécution en est un peu sèche, si les détails en sont trop mathématiques et monotones, si même la ligne générale de la flèche est brisée par trop d'échelons, l'effet d'ensemble reste saisissant et peu d'édifices ont ému autant de coeurs d'une émotion où le sens de la beauté s'unit à l'idée de la patrie.

Telle était la cathédrale de Strasbourg dès le milieu du XVe siècle, une crypte très ancienne, une abside romane, un transept du style de transition, une nef et une façade de pur gothique français, enfin une flèche qui s'élevait plus haut que toutes les flèches connues. Il faut encore y ajouter un certain nombre de chapelles ou d'autres constructions qui datent de diverses époques : à l'est, des deux côtés de l'abside, et terminées par le même mur qu'elle, deux grandes chapelles, dont l'une est presque entièrement romane et l'autre de gothique primitif ; au nord, en prolongation du bras du transept, l'ancienne chapelle Saint-Laurent, devenue sacristie, construite à la fin du XVe siècle, en même temps que le joli portail qui porte le même nom et que nous verrons tout à l'heure. Puis, se faisant face des deux côtés des premières travées de la nef, deux grandes chapelles construites à deux cents ans d'intervalle, l'une au XIVe, l'autre au XVIe siècle. Enfin, à l'angle nord-est de la cathédrale, on éleva au XVIIIe siècle une grande salle octogone, dite sacristie du chapitre. L'extérieur des bas-côtés est caché dans sa partie inférieure par une série d'arcades d'un gothique assez fantaisiste : au Moyen-Age la cathédrale était complètement entourée de constructions, maisons, petites boutiques etc ; au XVIIIe siècle on dégagea la façade occidentale, on établit le parvis, et le long des façades latérales on détruisit toutes les petites boutiques acolées aux contreforts ; on les reconstruisit un peu plus en avant, de façon à écarter le danger d'incendie, et on les masqua derrière les arcades qui existent encore ; au siècle dernier on détruisit toutes les petites boutiques du côté nord, mais on laissa subsister celles du côté sud qui abritent encore le chantier de la cathédrale.

Mais la cathédrale a une autre histoire que celle de sa construction. Elle a été intimement mêlée à la vie de Strasbourg, et on ne peut pas séparer l'histoire de la ville de celle de l'église. A l'époque féodale, Strasbourg dépendait de son évêque, qui depuis le Xe siècle était maître souverain chez lui. Mais la ville n'acceptait pas toujours de bonne grâce cette autorité accordée par l'empereur, et les luttes entre Strasbourg et ses évêques sont restées célèbres. Très vite, dès le XIIe siècle, elle obtint des empereurs des immunités et des privilèges, et elle fut la première ville impériale d'Alsace. L'évêque reçut comme dédommagement le titre de prince, mais son pouvoir était fortement ébranlé dans la ville même, car il était maître au dehors d'un domaine important qui comptait jusqu'à 115 villes, villages ou hameaux. Strasbourg fut en lutte constante contre ses évêques, et, au milieu du XVe siècle, après s'être révoltée contre l'un d'eux, Guillaume de Dietz, et l'avoir retenu prisonnier dans la sacristie de la cathédrale, elle le força, et ses successeurs après lui, à résider à Saverne et non plus à Strasbourg. Ce n'est que sous Louis XIV que le prince évêque pourra reprendre dans la ville sa place et son rang.

Dégagée du pouvoir gênant de son évêque et devenue ville impériale, Strasbourg avait joui d'une liberté presque complète ; elle s'administrait sans aucun contrôle et refusa toujours de prêter serment. Elle s'appelle officiellement « république », elle reçoit l'empereur, lui offre des cadeaux, mais n'exécute de ses ordres que ceux qui lui plaisent. Elle est en réalité une ville libre, « Freie Reichsstadt ».

Mais si l'histoire politique de Strasbourg touche de près à la cathédrale, on peut dire que son histoire religieuse s'y passe.

Dès la fin du XVe siècle les luttes religieuses qui devaient prendre tant de force et de passion au siècle suivant commencent à se manifester, et c'est la cathédrale qui est le théâtre des premières discussions. C'étaient les Dominicains qui étaient chargés de la prédication à la cathédrale, mais leur crédit avait beaucoup baissé, et leurs sermons étaient loin de satisfaire tout le monde à un moment où les doctrines des Vaudois et des Hussites remuaient déjà les consciences. Quelques citoyens de Strasbourg se cotisèrent pour faire venir un prédicateur séculier, docteur en théologie, pour lutter contre les abus et l'esprit de relâchement de l'Église. On construisit à son usage la belle chaire de pierre que nous admirerons tout à l'heure. Le premier de ces prédicateurs fut Jean Geyler de Kaysersberg, qui prêcha avec véhémence pendant 30 ans et fut un vrai précurseur de la réforme.

En pleine cathédrale, il dénonça l'esprit guerrier et la vie déréglée des évêques, leur luxe et leur faste, leur abus de l'excommunication : il s'éleva contre le manque de discipline des monastères où moines et nonnes ne suivaient plus aucune règle, s'habillant et sortant à leur guise, couchant où bon leur semblait et ne suivant même plus les offices.

La véhémence avec laquelle il s'élève contre le mauvais exemple donné par les clercs rappelle Luther, mais l'orthodoxie de sa théologie le classe parmi les réformateurs catholiques.

D'autres prédicateurs lui succédèrent, qui allèrent plus loin que lui et acceptèrent les idées nouvelles, et, pendant des années, les partisans du nouveau culte et ceux des anciens dogmes se disputèrent la cathédrale. A un moment donné les catholiques se trouvèrent refoulés dans le choeur, tandis que toute la nef appartenait aux protestants, qui restèrent même à un moment donné les maîtres de la place. Et cette victoire se traduisit par l'enlèvement des statues de la Vierge et par la destruction de toutes les épitaphes qui couvraient le pavage. Charles-Quint rendit la cathédrale aux catholiques, avec la liberté pour les protestants de continuer à y prêcher les dimanches et jours de fête, mais, le prédicateur ayant refusé de prêcher en surplis, les catholiques restèrent les maîtres pendant 10 ans. Or la population et à sa tête le Magistrat, c'est-à-dire l'assemblée composée des trois Conseils et du Sénat, qui gouvernait la République strasbourgeoise, étaient pour le nouveau culte, et, à la suite d'une émeute, d'une bataille à coups de pierres, de boules de neige et de chaises contre le clergé barricadé dans le choeur elle reprit possession de la cathédrale, qui resta protestante pendant près d'un siècle et quart, jusqu'à la prise de la ville par Louis XIV. Pendant toute cette époque la cathédrale vécut de la vie troublée et agitée de la cité et de la république, et les luttes religieuses qui mirent en conflit Strasbourg, comme presque toutes les villes d'Alsace, et l'empereur, furent à l'origine des vexations imposées au peuple, qui, sentant ses libertés menacées, se tourna vers la France. Déjà, en 1546. Strasbourg, que Charles-Quint voulait obliger à se retirer de la ligué de Smalkalde, en appelle à François Ier., sans résultat d'ailleurs. Strasbourg est vaincue, mais ne se soumet qu'en apparence ; la lutte continue ; la ville veut que la cathédrale soit protestante, et l'empereur, de plus eu plus violent et autoritaire, veut qu'elle soit catholique. Pendant douze ans la guerre des évêques - celui des catholiques et celui des protestants - ensanglanta l'Alsace entière, puis éclata la guerre de Trente ans, qui fut pour l'Alsace une période de ruine et de malheur. Elle appela à son aide les Suédois protestants qui ravagèrent le pays plus encore que les troupes impériales. C'est alors que l'Alsace se tourna vers la France et lui demanda sa protection. En 1648, le traité de Wesphalie donnait presque toute l'Alsace à la France. La république de Strasbourg restait encore indépendante, mais, 30 ans plus tard, elle était conquise à son tour.

Le règne de Louis XIV rendit la cathédrale au culte catholique ; il lui apporta aussi toute une série d'embellissements au goût du jour : destruction du vieux jubé gothique, installation dans le choeur de stalles, de boiseries et de décorations en plâtre, autel riche surmonté d'un lourd baldaquin, qui rendirent la vieille cathédrale moins austère, plus au goût de l'époque et plus propre, semblait-il, aux fêtes somptueuses qui devaient s'y dérouler, mariage de Marie Leczinska, triomphe de Louis XV après sa maladie de Metz, passage de Marie-Antoinette.

Mais on fit subir à la cathédrale d'autres changements, plus importants encore : on agrandi le choeur en y ajoutant la première travée de la nef surélevée à cet usage, on construisit d'énormes tribunes entre les colonnes de cette travée, on détruisit les anciens escaliers qui conduisaient à la crypte pour en reconstruire ailleurs de nouveaux. Enfin, c'est de ce moment que datent la grande sacristie octogone et les arcades extérieures dont nous avons parlé.

La Révolution réservait à la cathédrale des journées plus orageuses encore que celles de la Réforme, et de graves mutilations ; comme par le passé elle partagea toutes les émotions de la ville, elle fut l'enjeu de la plupart de ses luttes et le théâtre de toutes ses fêtes. On y annonça la convocation des Etats généraux, on y chanta la Marseillaise qui venait quelques semaines plus tôt de retentir pour la première fois chez le maire Dietrich, on y célébra en grande pompe les fêtes de la Raison, de l'Être suprême, de la souveraineté du Peuple, de la Reconnaissance et bien d'autres encore. C'est sur sa flèche que flottèrent les premiers drapeaux tricolores qu'on eût vus à Strasbourg et c'est sur sa tour qu'on installa le télégraphe optique.

C'est en 1793 qu'eurent heu les premières destructions. La municipalité chercha bien à résister aux ordres venus d'en haut de détruire « toutes les statues de pierre qui sont autour du temple de la Raison », mais le maire Monel, un Savoyard qui n'avait pas comme les autres l'amour de la vieille cathédrale, s'entêta, et fit requérir, pour participer a l'oeuvre de destruction, tous « les citoyens en état de se servir d'un marteau ». Heureusement, l'administrateur des travaux publics se hâta de faire desceller et de mettre en lieu sûr 67 statues ; mais il ne put tout sauver et les marteaux firent leur oeuvre. Ces ouvriers improvisés ne montrèrent du reste pas grand zèle et ne s'aventurèrent pas très haut dans l'édifice, et au bout de deux jours on déclara le travail terminé.

Nous verrons tout à l'heure que ce qui a le plus souffert, ce sont les tympans et les voussures des portails de la façade, qui ont dû être refaits en grande partie, et les grandes statues d'apôtres du transept nord, qui n'existent plus.

L'année suivante, la cathédrale courut un risque plus grand encore : on faillit abattre sa flèche, mais la municipalité réussit à la sauver.

Enfin, en 1801, la cathédrale fut définitivement rendue au culte catholique.

Au XIXe siècle on lui fit subir une série de restaurations que nous verrons en cours de route et dont la plus importante fut la remise en état des parties transformées sous Louis XIV. En 1870 le bombardement causa à la cathédrale de graves dégâts. Elle reçut un grand nombre d'obus, et un incendie détruisit toute sa toiture, heureusement les voûtes résistèrent et les arcs-boutants ne furent pas atteints, ce qui fait que le mal fut réparable.

Pendant les années de la grande guerre on s'est demandé souvent avec angoisse dans quel état nous la retrouverions le jour où elle nous serait rendue. Mais cette fois la bataille l'a épargnée, nous la retrouvons intacte, et elle nous paraît bien plus belle encore, à présent qu'elle est redevenue française.

  • Titre : La cathédrale de Strasbourg ; Ministère de l'Instruction publique et des beaux-arts. Musée pédagogique.
  • Auteur : Herr, Jeanne-Lucien
  • Éditeur : Impr. administrative (Melun)
  • Date d'édition : 1919

Voir aussi Cathédrale en architecture.

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 111649
  • item : Cathédrale Notre-Dame
  • Localisation :
    • 67
    • Strasbourg
  • Adresse : place de la Cathédrale
  • Code INSEE commune : 67482
  • Code postal de la commune : 67000
  • Ordre dans la liste : 52
  • Nom commun de la construction :
    • La dénomination principale pour cette construction est : cathédrale
  • Etat :
    • L'état actuel de cette construction ne nous est pas connue.

Dates et époques

  • Périodes de construction : 4 différentes époques marquent l'histoire du lieu.
    • 11e siècle
    • 12e siècle
    • 13e siècle
    • 14e siècle
  • Date de protection : 1862 : classé MH

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • non communiqué
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :
    • Notre base de données ne comprend aucun élément particulier qui fasse l'objet d'une protection.
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • non communiqué

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : propriété de l'etat cathédrale type classement par liste de 1862 1992
  • Observations : 16 02 1930 (J.O.).
  • Référence Mérimée : PA00085015

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