Remparts et demi-bastion 17 dit Fort Saint-André

Ville fortifiée, littorale et frontière, presque tous les événements historiques, qui se sont accomplis à Antibes ont trait à la guerre. Je mentionnerai ici ceux qui peuvent donner une idée de l'importance de la ville en différents temps. On verra que cette importance a suivi le développement des fortifications, et que l'histoire de la ville, n'est, en quelque sorte, que le tableau de la situation des remparts et des actions de guerre auxquelles ils ont donné lieu.

On remarque dans l'art de la fortification moderne trois époques principales, époques de gloire, d'invention et de perfectionnement. Dans la première, que je désignerai par le nom d'Henri II, le plus grand fortificateur de ces temps de renaissance, le tracé bastionné et le profil du rempart ont été bien déterminés. Dans la seconde, qui doit porter le nom du grand roi Louis XIV, ont été inventés le défilement, la disposition respective des ouvrages intérieurs et extérieurs, et surtout la souplesse nécessaire pour otter au terrain et se plier à toutes ses irrégularités. Enfin, dans la troisième époque qui a commencé avec la Révolution et à laquelle il convient de donner le nom du souverain qui a fait exécuter sur le sol français les boulevards les plus formidables que l'on connaisse, le nom de Louis-Philippe, emporté loin de nous par les révolutions les plus imprévues et les plus violentes; dans cette époque, dis-je, on a perfectionné les méthodes et les procédés. Antibes doit à chacune d'elles des ouvrages importants qui existent et servent à sa défense.

Je vais tâcher d'en indiquer l'origine et l'utilité selon les dates chronologiques, en négligeant les artifices de style propres à relier entre elles les années différentes indiquées dans le tableau qui suit.

XVIe Siècle

1518. François Ier, voulant reconquérir le Milanais , sur lequel la couronne de France avait des droits, assembla une armée à Lyon. Aussitôt les Suisses vinrent lui fermer le mont Cenis et le mont Genèvre, seuls passages des Alpes pratiqués alors par les grandes armées. Mais le roi les trompa et vint, avant qu'ils pussent s'y opposer, opérer son passage en Italie par l'Argentière et la Stura. Les canons démontés étaient traînés par les soldats. Les Suisses tournés évacuèrent le Piémont, et se retirèrent dans le Milanais où le roi les vainquit à Marignan. Après cette glorieuse campagne, aussi belle, aussi savante que celle de Marengo, mais moins prônée, François Ier rentra eu France par Antibes. On peut croire que ce fut alors qu'il ordonna les remparts de Saint-Paul, lesquels sont encore aujourd'hui l'objet de l'admiration du berger des Basses-Alpes et du paysagiste.

1524. Le même roi ayant encore perdu le Milanais, assembla une nouvelle armée qui prit le même chemin que neuf ans auparavant. De nouveau maître du duché, objet de tant d'expéditions, il commet la faute de diviser son armée en trois corps qui devaient, chacun à part, assiéger Pavie, conquérir Naples et réduire Gênes. Attaqué sous les murs de la première de ces villes, il fut fait prisonnier par les Espagnols qui l'amenèrent à Savone. C'est là qu'on l'embarqua pour le conduire en Espagne. Les vaisseaux qui le portaient suivaient la côte de France; ils s'arrêtèrent, le 21 juin 1525, au couvent de Saint-Honorat, et vinrent finalement le débarquer à Tarragone. Pendant que le roi faisait son triste trajet, la Provence était envahie. Le 10 juillet 1524, le connétable de Bourbon, commandant une des armées de Charles-Quint, passa le Var, s'empara de Saint-Laurent, Villeneuve, Antibes, Grasse, etc. Mais le 28 septembre, après un assaut manqué sur Marseille, il se retira et repassa le fleuve, évacuant toutes les places et saccageant le pays. Antibes était alors entourée d'un mur, et avait une citadelle.

1536. Douze ans après l'expédition précédente, Charles-Quint en tenta une seconde qui ne dura non plus que peu de jours, et n'eut aussi qu'une issue funeste; car on prétend que son armée de soixante mille hommes fut réduite à trente. Son but était de tourner les Français qui occupaient le Piémont, de s'emparer de l'ancien royaume d'Arles, sur lequel il avait des prétentions en sa qualité d'empereur d'Allemagne, et de se faire, sur terre, une communication avec l'Espagne; en sorte que les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne auraient resserré, et finalement étouffé la France. Aussi cet empereur, charmé de la facilité de son entrée à Vence, Villeneuve, et autres bourgs, disait : poco a poco rey de Francia. Son armée d'invasion arrivant en même temps par Fossano, Mondovi et Tende, s'était concentrée à Nice.

François 1er était à Lyon, attendant ses troupes de Piémont. Provisoirement, il faisait ravager la Provence, pour ôter à l'ennemi toutes les ressources du pays, et il plaçait à Sisteron un corps de six mille hommes qui protégeait la route que devait suivre l'armée française. Peu de temps après, le roi porta son quartier général à Avignon, et un conseil de guerre décida la construction d'un camp retranché sur les hauteurs de Barret et Thoasse, à demi lieue d'Aix. De ce camp, l'armée royale aurait protégé le pays; mais le roi, instruit par la leçon qu'il avait reçue à Pavie, ne voulut jamais s'y aventurer, et les généraux français furent mieux inspirés étant séparés que réunis, car le travail de ce camp et même les fortifications commencées à Aix furent abandonnées.

Cinq ou six jours avant que l'empereur pût passer le Var, sa flotte, conduite par André Doria, attaqua Antibes par terre et par mer. Vaillamment défendue par sa garnison, que secondèrent les habitants, elle fut prise d'assaut et pillée. Beaucoup de maisons furent détruites par le canon et par l'incendie.

Le 25 juillet, Charles-Quint vint à Villeneuve et y resta trois jours. Sa flotte le précédait, s'emparant de tous les ports pour y débarquer des vivres; mais elle ne put prendre ni la tour de Toulon, ni celle du Bouc.

Après avoir séjourné à Aix, où son armée s'affaiblissait pendant que celle du roi se renforçait, il en partit enfin le Il septembre pour retourner en Italie, et François 1er redescendit en Piémont par Suze.

1558. En cette année, le roi vint à Villeneuve, Charles-Quint à Villefranche, et le pape se plaça à Nice entre les deux ennemis pour les réconcilier.

1542. La paix n'avait pas duré longtemps malgré les efforts du saint-père. Les Impériaux, qui attachaient une grande importance à Entrevaux, s'en emparèrent par surprise, mais en furent chassés incontinent par les habitants. Quatre galères françaises, qui avaient essayé la surprise de Nice, furent poursuivies par l'ennemi et prises devant Antibes, où elles ne purent se réfugier faute de fond. Le port de cette ville est susceptible d'être approfondi, sou fond est vaseux jusqu'à dix-huit pieds; ensuite on trouve une couche d'une dureté telle que Vauban renonça à l'emploi de la drague, et prit le parti expéditif, mais dispendieux, de barrer l'embouchure et de vider entièrement le bassin pour le creuser ainsi à sec. De tout temps, le Var, le Loup, la Brague et d'autres petites rivières ont déterminé, le long de la côte, des courants qui entrent dans le port et viennent y déposer de la vase et en diminuer la profondeur. Depuis le commencement du dix-huitième siècle, il a fallu le nettoyer trois fois. Il résulte de là que les navires d'une certaine force ne sont pas toujours sûrs d'y être admis. Il paraît que les galères de Barberousse n'étaient pas aussi pesantes que les nôtres, car elles mouillèrent ici pendant assez longtemps, guettant de là les navires ennemis qui osaient naviguer dans le golfe de Gênes.

1543. En cette année, les flottes combinées de France et de Turquie s'emparèrent de Nice et de Villefranche, et assiégèrent le château de la première de ces villes. Bouche rapporte un fait intéressant pour les ingénieurs militaires, qui seront bien aises de le lire, tome II, page 599, et de le placer à côté du siège de Gérone. Il dit que « Barberousse avait fait dresser en terre un grand cavalier, fait de sacs remplis de sable mis les uns sur les autres ; et sur ce cavalier il avait fait mettre quatre couleuvrines qui battaient assez en ruine cette forteresse, d'où il fut tiré tant de coups de canon contre ce cavalier, que les sacs étant rompus et le sable coulant, il fut tout éboulé et rendu inutile; n'ayant servi qu'à éblouir ses soldats par la poussière du sable qui s'épandait en l'air aux coups de canon qui furent tirés contre lui. »

1550. Heuri II fit bâtir deux tours rondes pour défendre le port d'Antibes. L'une était située sur l'emplacement occupé aujourd'hui par le bastion 31, dit du chantier des navires, et fut démolie quand on construisit ce bastion. L'autre existe encore, c'est la base de la caserne circulaire, le noyau du fort Carré; on y loge aujourd'hui la garnison de ce fort. Henri III ajouta à cette dernière tour les quatre bastions pointus qui en dérobent la vue. On croit qu'il reconstruisit ou du moins répara la citadelle de la ville, qui n'était qu'un carré bastionné en maçonnerie, couronnant le clocher sur lequel est aujourd'hui le bastion dauphin. Il existe encore quelques fragments de plans de cette citadelle et quelques restes de ses murailles.

1590. Le 14 octobre de cette année, le duc de Savoie, appelé par les ligueurs provençaux, se rendit à Aix par Barcelonnette qui lui appartenait, et par le Var. Chemin faisant, il prit le château de Gréolière, qui croyait que les canons de Son Altesse ne pourraient passer par ses chemins raboteux. Mais l'artillerie des premiers temps n'était, pas plus que la nôtre, arrêtée par les mauvais chemins. Nous en avons déjà vu un grand exemple dans le passage des Alpes par l'armée de François Ier, en 1515.

1592. Ce n'est qu'après avoir éprouvé des revers, et surtout une sanglante défaite à Vinon, que le prince savoyard pensa qu'il avait besoin d'Antibes. Cette place se rendit à discrétion ; les habitants se rédimèrent moyennant trente mille écus, somme énorme, et fureut néanmoins pillés. La citadelle tint encore, mais neuf mille écus donnés au gouverneur en ouvrirent la porte. Ceci se passa en juillet, et déjà, le 26 octobre suivant, le duc d'Épernon reprit la ville au moyen de huit canons et quatre couleuvrines qui ne tirèrent que cent trente coups. La garnison se retira à Nice, bagues sauves, mèches éteintes, enseigne déployée. Quant à la citadelle, elle résista encore quinze jours, et fut surprise après sept cents coups de canon tirés par les Français. La durée de la résistance provint de ce que le duc de Savoie avait bien renforcé la forteresse, et toutes les nuits une galère apportait des secours en hommes, en vivres et en munitions. Cette circonstance fait penser que la citadelle dont il s'agit ici n'était pas celle réparée par Henri III, qui se trouve loin de la mer, mais l'ancienne forteresse des Romains et du moyen âge, et ce qui suit s'accorde très bien avec cette opinion et même peut la renforcer. La prise de la citadelle résulta d'un hasard heureux : les canons du duc d'Éperuol1 ayant fait un trou à la muraille, dans un endroit écarté, un soldat s'y glissa, et reconnut qu'on pourrait entrer par là et surprendre les Savoyards qui ne surveillaient pas ce côté ; or, le fort qui occupait le bastion Dauphin était si petit qu'il ne pouvait y avoir aucun endroit négligé. Le fait est que le gouverneur, entendant quelque bruit causé par les premiers Français introduits, sortit de chez lui en robe de chambre et en pantoufles pour s'enquérir de ce qui se passait, et fut pris dans ce costume du matin.

XVIIe siècle

1608. Henri IV, après avoir acheté des Grimaldi la seigneurie et le château d'Antibes, fit commencer l'enceinte bastionnée de la ville du côté de la terre et en même temps une coupure sur l'isthme du fort Carré.

Mais ces travaux ne furent pas conduits à leur fin.

Les murs de la ville s'arrêtèrent au-dessous du cordon, et ceux commencés au fort ne s'élevèrent que de deux ou trois mètres. Ces derniers ont été démolis complètement en 1847.

1629. Pendant que Louis XIII entrait en Piémont, au mois de février, par Grenoble, Gap, Embrun, Briançon et le mont Genèvre, une autre armée passa le Var à Saint-Laurent sur un pont de bateaux, malgré le feu des galères d'Espagne. Elle fit ensuite de vains efforts pour déboucher de Nice et gagner le Piémont, où elle devait rejoindre le roi. La même armée, commandée par François Ier ou par Napoléon, aurait percé par force ou par ruse et couronné cette campagne des plus brillants lauriers.

1655. Le 15 septembre, les Espagnols, après une attaque de vingt-quatre heures, prennent le fort de Sainte-Marguerite par capitulation. Il y avait alors sur le continent le fort de la Croisette dont ils ne purent se rendre maîtres. La tour de Saint-Honorat capitula le 15. L'abbé de Lerins, plus militaire que le gouverneur, fit ce qu'il put pour en prolonger la défense. Les Espagnols, résolus à conserver les îles, firent dans la plus grande cinq forts; dans la plus petite, une double couronne, deux forts et plusieurs batteries. Mais, du moment qu'ils cessèrent d'être maîtres de la mer, leurs garnisons furent dans la disette.

1657. Le 28 mars, notre flotte, entourant la pointe est de la grande île, fit brèche au fortin qui en était proche et débarqua des troupes qui s'en emparèrent. Pendant le reste du mois et tout celui d'avril, on assiégea le fort Royal, qui capitula faute d'eau le 12 mai. Saint-Honorat se rendit le 15. Il y avait dans les deux îles soixante-dix canons, deux pierriers et deux mille Espagnols.

1680.C'est dès ce temps que Louis XIV fit construire les cavaliers appelés Guise, Royal et Dauphin, achever les escarpes commencées par Henri IV, et entreprendre (1701) le front de terre de la presqu'île du fort Carré, lequel fut abandonné en 1705.

Vauban, qui dirigea les travaux d'Antibes, voulait réunir le fort à la ville, par une double couronne qui l'aurait considérablement agrandie; mais il ne paraît pas avoir jamais pensé à tenir les hauteurs environnantes, sans lesquelles cependant le port ne peut être occupé tranquillement par les vaisseaux. Il regardait peut-être ces hauteurs comme trop éloignées pour la garnison que comportait la ville.

Le creusement du port fut commencé en 1680 et fini en 1685. Les quais, la batterie du môle, celle cotée 31 et le mur qui les joint à la ville sont du même temps.

Ou commit alors la faute d'étrangler le port, et la mauvaise direction du môle intérieur produisant un remous qui amenait des vases et comblait le bassin, on fut obligé de démolir une grande partie de ce môle et de recreuser le port : ce travail dura depuis 1768 jusqu'en 1775. Aujourd'hui l'on a reconstruit ce qui avait été démoli, et même on a resserré beaucoup plus l'entrée, afin de maintenir la tranquillité intérieure; mais lorsque les vents d'est soufflent un peu fort, les navires ne peuvent plus entrer, c'est-à-dire que le port est fermé au moment où les navigateurs ont besoin de s'y réfugier.

XVIIIe siècel

1707. Toutes les fois que la France a été affaiblie par quelque grand revers, l'ennemi s'est présenté sur le Var. Dans la présente année, le duc de Savoie et le prince Eugène entrèrent en Provence, et mirent garnison dans Antibes. Ils portèrent leur armée jusqu'à Toulon d'où ils furent repoussés le 22 août. Leur retraite fut marquée par le saccagement du pays. Les mémoires du temps disent que le quartier d'Antibes perdit neuf cents matelots à la Hougue et autres combats maritimes.

1708. On construisit plusieurs redoutes de peu de valeur le long de la plage qui s'étend depuis Antibes jusqu'au Var. Elles existent encore aujourd'hui.

Ce sont de petits carrés en murailles de quatre mètres de hauteur, placés près du bord de la mer et à deux mille mètres de distance réciproque. La plage que ces batteries devaient défendre borde le beau golfe de Nice. Elles ont été établies à une époque où l'on pouvait y craindre un débarquement protégé par le canon des vaisseaux; mais aujourd'hui cette crainte me paraît

évanouie, soit que la profondeur du golfe ait diminué, soit que le tirant d'eau des bâtiments de guerre ait augmenté. Les frégates sont obligées de rester éloignées de plus de demi lieue de la côte, et si en 1746 et 1795, elles ont pu s'approcher de l'embouchure du Var pour la canonner, ce n'est qu'en suivant le chenal formé par le courant du fleuve. Mais, pour des bâtiments plus petits, le fond est excellent, d'une profondeur régulière et même constante jusqu'à la rive et propice pour un débarquement. Il est vrai, que n'étant pas soutenu par le canon à grande portée des vaisseaux de haut bord, un pareil débarquement éprouverait beaucoup de résistance de la part d'une colonne mobile destinée à surveiller cette côte, et enfin on ne voit pas le motif qui ferait choisir ce point pour une entreprise de cette nature.

1710. L'enceinte d'Henri IV n'était pas entièrement finie, mais il s'en fallait peu. Vauban y avait ajouté les ouvrages extérieurs, les casemates des flancs, les cavaliers, deux magasins à poudre, les corps de garde, la citerne Saint-André et les poternes.

1718. En cette année on construisit la porte Marine et les trois casemates qui sont à sa droite. L'enceinte était toujours incomplète, puisqu'il manquait le bastion de la Marine et les deux courtines adjacentes.

1729. C'est l'époque de la construction de la salle d'armes, du magasin qui est au-dessous et de ses dépendances. La chapelle Sainte-Claire fut achetée pour cela. L'artillerie doit à Louis XV les établissements qu'elle possédait avant le dix-neuvième siècle.

1744. L'état de guerre obligeant à armer la côte, l'artillerie ne voulut pas placer ses canons dans les redoutes de la plage bâtie comme nous l'avons dit en 1707; elle préféra les mettre en dehors. Ou remarque encore quelques épaulements en gravier qui sont probablement de cette époque.

Il semble qu'après Vauban, la fortification a dégénéré. Beaucoup de systèmes compliqués et rétrogrades ont été enfantés, et beaucoup de mauvais ouvrages out été construits. Tels sont les forts de Toulon, les redoutes dont il est ici question , etc.

1746. Nous voici enfin arrivés au plus fameux siège d'Antibes. Je vais en rapporter succinctement les principales circonstances. Quoique cet événement ne soit pas ancien, on manque de renseignements bien précis. Les inventaires et les autres mesures de conservation, prescrits par les règlements, n'ont pu soustraire les archives militaires et même les civiles à la dévastation. Les faiseurs de collections et les cuisinières ont réuni leurs efforts malfaisants pour le même résultat, de faire disparaître les documents originaux laissés à chaque époque parles fonctionnaires contemporains. Nos pères ont donné le nom de Sarrasinière à tout amas de ruine dont ils ne connaissent pas les démolisseurs; on peut appeler du même nom ces vieux et nouveaux registres mutilés qui encombrent inutilement les archives du gouvernement et des communes.

Le 29 novembre 1746, deux frégates et un vaisseau anglais vinrent reconnaître la pointe du Var, et le lendemain ils caunonèrent le rivage français. Pendant ce temps et sous leur protection, une grande quantité de petites barques, déposa sur cette rive la troupe chargée de repousser nos avant-postes, et l'armée ennemie passa le fleuve.

Cette armée vint de suite bivouaquer à Cagnes.

Dans la nuit du 1er au 2 décembre, ses feux parurent si rapprochés, qu'une brigade campée sous le canon du fort Carré se retira vers Fréjus. La garnison d'Antibes occupait les deux premières redoutes au delà de la Brague ; l'approche des Autrichiens les lui fit évacuer précipitamment en y abandonnant les canons encloués.

Le quartier général ennemi vint à Biot, et la droite de l'armée fut poussée à Grasse, la gauche à Cannes : Ainsi, Antibes se trouva complètement cernée. Les provisions et les gros canons des Autrichiens se débarquèrent dès lors à Cannes, et pour jouir tranquillement de ce port et du golfe Jouan, les Anglais bombardèrent le fort Sainte-Marguerite.

Ce fort était tout à fait dépourvu d'abris et de munitions, et encombré par les habitants de Cannes; il se rendit après dix-huit heures d'un bombardement qui ne lui avait fait aucun mal. Cette opération n'eut lieu que le 14 décembre, et après elle, les Anglais disposèrent tout pour en faire une pareille à Antibes.

Mais avant ce moment, les Autrichiens, chargés de l'attaque par terre, s'étaient approchés dos murs de la ville. Déjà le 6, à quatre heures du matin, par un temps obscur, un détachement était parvenu jusqu'à la queue des glacis et même plus près. Lorsqu'ils eurent bien reconnu la situation de la place, les ennemis parurent avoir pris le parti peu périlleux de la réduire par le blocus et le bombardement. En effet, le 19, à deux heures du .soir, les Anglais commencèrent à y jeter leurs bombes, en les dirigeant principalement sur le grand magasin à poudre de Saint-André : un poste, placé à Notre-Dame, voyait l'intérieur de la ville et dirigeait les mortiers par des signaux. La garnison voulut leur répondre, mais ses mortiers ne pouvaient être bien pointés sur les bombardes masquées par les collines, et d'ailleurs ils n'avaient, pas assez de portée.

Les canons de 24 même ne parvinrent jamais à lancer des boulets à 1,700 mètres, qui est fa distance de Notre-Dame et des galiottes anglaises.

Le 28, les Autrichiens simulant une batterie sur la droite du château Salé, nos canonniers donnèrent dans le piège et usèrent leurs munitions sur ce but trompeur. Le bombardement se continuait régulièrement.

Outre les bombardes amarrées au rivage du Gourjun, près du puits Eymon, là où finit la plage et commence le rocher, ils avaient encore trois mortiers établis sur terre.

Avec cette marche, les événements étaient fort rares; aussi la relation du siège est-elle très courte et mêlée de peu d'incidents. En voici néanmoins trois plus ou moins intéressants. Un jour l'ennemi surprit et enleva les moutons qui paissaient autour du fort Carré; mais étant embarrassé dans sa retraite par ces animaux, dont la marche est toujours assez lente, les Français eurent le temps de le rejoindre, de le battre et de reconquérir leurs moutons. Le 7 et le 8 janvier, le calme ayant arrêté en face d'Antibes deux bâtiments portant des provisions de Villefranche à Cannes, les marins de la ville les joignirent et s'en emparèrent après la fuite de leurs équipages. Un marin de Cannes, nommé Rance, avait été forcé d'embarquer sur son bord des attirails de guerre et un détachement de troupe pour les transporter à Villefranche. Chemin faisant, il feignit de craindre un coup de vent, et engagea les soldats et l'officier à descendre sous le pont pour le laisser libre aux manoeuvres des matelots. Après les y avoir emprisonnés, il gagna le port d'Antibes, où la garnison et les habitants le reçurent avec acclamations.

Le 20, l'ennemi avait fait des amas de fascines derrière les hauteurs, son canon lui était venu, soit par la plage du nord, soit par le Gourjan ; il se décida à exécuter une tranchée à cinq cents mètres environ de distance des chemins couverts. Devant la ville, elle commençait à gauche du chemin de Grasse, et devant le fort elle descendait sur le revers de la hauteur du Puy que la place ne peut apercevoir. Les batteries de canons et mortiers devaient battre tout le front de la porte Royale, et au moyen d'un retour dans la tranchée, ruiner aussi la face gauche du bastion de Rosny.

Il n'y eût cependant que cette démonstration suivie de nul effet, car, peu de jours après, les ennemis menacés sur leur derrière par M. de Belle-Isle, qui marchait sur Vence, songèrent à leur retraite. Enfin, la nuit du 50 au 51 janvier, fut la dernière du bombardement, et le 1er février la ville fut délivrée. Elle avait reçu deux mille six cents bombes et deux cents pots à feu.

La plupart des maisons étaient endommagées et beaucoup complètement ruinées; néanmoins, les habitants secondèrent avec ardeur la garnison. Comme à Valenciennes, le bombardement ayant été interrompu pendant quelques jours, tous sortirent avec empressement des casemates qui leur avaient été cédées par les militaires; mais au lieu de murmurer et de chercher à insurger la troupe, ils déclarèrent au gouverneur qu'ils faisaient avec joie le sacrifice de ce qu'ils possédaient, et qu'ils désiraient que la ville fut défendue jusqu'à la dernière extrémité. Il y avait pour soutenir le siège quatre bataillons d'infanterie, un détachement d'artillerie, vingt dragons et vingt mestres de cavalerie.

1749. Cette année est l'époque de la construction des ponts dormants en maçonnerie, opération économique sans doute, mais peu favorable à la défense, et blâmée d'avance par Vauban dans ses notes sur Antibes.

1758 à 1774. Dans cet intervalle de temps, on a fuit le bastion de la marine et la courtine du port, laquelle sert de promenade publique, et d'où l'on découvre le vert et riche comté de Nice, la mer azurée et les Alpes revêtues de neige dorée par le soleil. Ce ta- b!eau est admirablement contrasté par le charmant petit port d'Antibes, par le sévère fort Carré et par les campagnes rapprochées mêlées de blé, de vignes et d'oliviers.

1792. La guerre générale commencée à cette époque, amena sur le Var une armée française qui ne put dans les premier moments déboucher par Saint-Laurent.

Elle dut passer le fleuve à Saint-Martin, et marcher de là sur des redoutes voisines dont la prise rendit les Fiançais maîtres de la rive gauche. Ou construisit alors à Saint-Martin un pont de bois, qui a été démoli en 1800 par le général Suchet ; on entreprit également celui de Saint-Laurent, mais jusqu'au moment où il fut terminé, il fallut traverser le Var à gué, et pour la sûreté des convois de troupes et de voitures, le général en chef créa un corps de guéyeurs qui ne put empêcher la communication d'être souvent coupée par les grandes eaux. On peut croire que nos troupes, dans ces moments critiques, auraient couru de grands dangers, si les Piémontais avaient été aussi habiles et vigoureux dans l'attaque des positions que dans leur défense.

Les approvisionnements de l'armée passaient nécessairement par Antibes. Les administrations étaient établies dans cette ville, et des fours en briques crues avaient été construits dans les lieux environnants.

Cette ville n'a pas alors joué d'autre rôle que celui d'un entrepôt, et son utilité a décru à mesure que la position de l'armée s'en est éloignée. Mais elle a donné à cette armée une foule d'hommes du premier mérite et de grande réputation ; tels sont : Masséna, le plus brillant, le plus glorieux de tous nos maréchaux ; le maréchal Reille, son gendre; les généraux Vial, Gazan, Guillabert, l'ordonnateur en chef Aubernou, etc. Le général Championnet ne lui doit pas le jour, mais il en a reçu un tombeau.

XIXe siècle

1800. Les Austro-Russes nous ayant chassés d'Italie, la ligne du Var fut de nouveau occupée. Quinze mille hommes, commandés par Suchet, défendirent cette frontière de France contre les attaques de plus de soixante mille ennemis. Le rôle d'Antibes redevint ce qu'il avait été au commencement de la guerre.

1814. Au moment où l'empire expirait, où toutes les frontières de France étaient franchies par ses ennemis, le Var n'eut pas le temps de les apercevoir; il redevint limite du royaume, et notre ville reprit l'importance d'une place de première ligue.

1815. L'empereur Napoléon se trouvait trop à l'étroit dans son île d'Elbe. Il ne pouvait achever sa carrière sans courir de nouveaux hasards, et la fortune avait arrêté que cet homme, élevé par elle au dessus des rois les plus puissants, mourrait le plus misérable de tous les mortels. Accompagné de huit cents fidèles soldats , il part, le 26 février, avec sept petits bâtiments, et vient débarquer le soir du 1er mars à la Gabelle, hameau situé à une lieue d'Antibes. En mettant pied à terre il détache sur cette ville une vingtaine d'hommes et les capitaines Lamouret et Bertrand, ainsi que Galeazini, ancien préfet de la Corse, et Pulicani, contrôleur des postes. La place étant commandée par le colonel corse Cuneo d'Ornano, ces émissaires espéraient s'entendre avec lui et gagner la garnison. Mais ledit commandant fit arrêter et désarmer les soldats et les deux officiers, il déclara la place en état de siège, fit armer la garde nationale, garnir les remparts d'artillerie, et prit, sous les ordres du général Gorsin, commandant supérieur, toutes les mesures de sûreté que la circonstance exigeait.

On arrêta encore trois autres personnes : Casabianca et un autre parlementaire, et Muraou, officier de santé.

Ils voulurent, de concert avec les deux premiers prisonniers, s'enfuir en escaladant les murailles ; mais l'un d'eux s'étant cassé les reins en tombant sous le bastion de la Marine, les autres se laissèrent arrêter de nouveau.

Napoléon passa la nuit du 1er au 2 sur une chaise, appuyé sur la petite table qui lui avait servi pour son souper. Pendant qu'il dormait ainsi, non loin de la grande route, ses soldats le couvrirent d'un manteau.

La petite armée s'étendit sur des matelas débarqués des bâtiments avec les vivres, les canons et leur attirail, et, à une heure après minuit, par un beau clair de lune, elle partit, en passant par Cannes, pour la ville de Grasse, au- dessus de laquelle Napoléon déjeuna, ayant sous son coup d'oeil toute la Provence et la mer qu'il venait de traverser. C'est de là que l'aigle, s'élançant de clochers en clochers, se posa un instant sur Paris pour y reprendre son vol audacieux, et vint s'abattre, hélas! à Waterloo, d'où il disparut à jamais dans l'immensité de l'Océan.

Le 8 mars, l'escadre anglaise qui poursuivait Napoléon se mit en panne devant le port, le commodore demanda que la place lui fut remise ; il menaça, mais en vain. Le 11 avril le drapeau tricolore fut arboré par ordre de Masséna, lieutenant de l'empereur. Le maréchal Brune, chargé ensuite de la défense de la Provence, vint établir son quartier général dans l'ancienne maison de l'amirauté.

Longtemps après les événements militaires de cette funeste année, au mois d'août, cette ville fut bloquée par quinze mille Austro-Sardes, dont le but ne nous est- pas connu; on peut présumer qu'ils devaient influer sur le résultat des négociations ouvertes à Paris. Les habitants étaient seuls chargés du soin de défendre la place; ils surent s'en acquitter avec fermeté et prudence. L'ennemi se borna à enlever par fraude le fort Carré et à tracer une batterie pour quatre pièces sur les hauteurs de la Badine, à côté de la route de France.

Le roi Louis XVIII, à son retour, fut satisfait de la sagesse et de la fermeté des habitants; il accorda à leur cité le titre de bonne ville, et aux principaux d'entre eux des emplois et des bourses dans les collèges; enfin, pour perpétuer la mémoire de leur fidélité, une colonne en marbre d'Italie fut érigée au centre de la place d'Armes.

1850. C'est après la révolution opérée à cette époque, que le gouvernement s'occupa sérieusement de réorganiser la défense du pays. Les anciens projets de Vauban, sur la presqu'île du fort Carré, furent de suite mis à exécution. On entoura donc cette presqu'île d'une fortification bastionnée, couverte par des glacis ; on fit des batteries considérables pour défendre le port, et l'on construisit une caserne voûtée à l'épreuve de la bombe. Bientôt, un solide et vaste magasin à poudre viendra compléter cette petite forteresse, capable de se défendre même après la prise de la ville.

Dans cette dernière, le même gouvernement a créé un casernement magnifique, voûté aussi à l'épreuve de la bombe; en sorte que nulle place de guerre, en quelque pays que ce soit, n'est mieux munie d'établissements de ce genre, et qu'au besoin, une grande partie de la population pourrait y trouver un refuge assuré contre les dangers d'un nouveau bombardement.

Les circonstances sont venues arrêter l'exécution d'autres établissements aussi considérables, tels que la manutention des vivres de la guerre et plusieurs forts extérieurs nécessaires pour protéger le port et les environs, mais bientôt la paix intérieure nous permettra de continuer les travaux qui doivent affermir la paix extérieure.

Source : Antibes ancien et moderne 1849

photo pour Remparts et demi-bastion 17 dit Fort Saint-André

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 6220
  • item : Remparts et demi-bastion 17 dit Fort Saint-André
  • Localisation :
    • Provence-Alpes-Côte d'Azur
    • Alpes-Maritimes
    • Antibes
  • Code INSEE commune : 6004
  • Code postal de la commune : 06600
  • Ordre dans la liste : 15
  • Nom commun de la construction :
    • La dénomination principale pour cette construction est : fort
  • Etat :
    • L'état actuel de cette construction ne nous est pas connue.

Dates et époques

  • Périodes de construction :
    • Nous n'avons aucune informlation sur les périodes de constructions de cet édifice.
  • Date de protection : 1930/01/23 : inscrit MH
  • Date de versement : 1993/06/04

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • non communiqué
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :2 éléments font l'objet d'une protection dans cette construction :
    • enceinte
    • bastion
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • Cette construction a été affectée a l'usage de : musée de la mer

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : propriété de l'état 1992
  • Photo : 16985e4178d9258579b9c962aa1f7fa6.jpg
  • Détails : Remparts et demi-bastion 17 dit Fort Saint-André : inscription par arrêté du 23 janvier 1930
  • Référence Mérimée : PA00080660

photo : pierre bastien

photo : pierre bastien

photo : pierre bastien

photo : pierre bastien