Eglise Saint-Martin

Herman, historien du 12me siècle, en nous racontant le dessein qu'avait formé Barthélemi, évêque de Laon, de ramener la régularité parmi les chanoines de Saint-Martin, en plaçant saint Norbert à leur tête, nous apprend que l'église de cette maison était alors de petites proportions, une simple chapelle en quelque sorte, puisqu'il ne la nomme pas autrement que la petite église, ecclesiola.

Ces expressions ne sauraient convenir au vaisseau actuel de l'église Saint-Martin, dont les proportions, sans être aussi vastes que celles de la cathédrale, sont néanmoins celles d'une église ordinaire, et elles conduisent naturellement à l'idée que ce vaisseau a été bâti postérieurement à cette époque.

En effet, lorsque, en 1124, des Norbertins furent substitués aux chanoines de Saint-Martin par ce même Barthélemi, ces nouveaux religieux, pleins de l'enthousiasme et de l'activité qui ont signalé les commencements de tous les ordres monastiques, pensèrent aussitôt a se construire une église plus vaste et plus belle que celle dont ils entraient en possession. Ils s'adressèrent donc a l'abbaye de Saint-Vincent, et en obtinrent gratuitement un terrain contigu à leur maison, pour y jeter les fondements de la nouvelle église qu'ils projetaient.

D'après ces renseignements, on ne saurait douter que l'église Saint-Martin n'ait été construite, en tout ou en majeure partie, dans la première moitié du 12me siècle. Reste à savoir quand les travaux en ont été terminés : c'est ce que nous ne saurions dire. Nous avons bien une charte de Barthélemi, datée de 1152, dans laquelle il la nomme la nouvelle église ( nova ecclesia ) : mais ces termes, tout en confirmant les indications précédentes sur une reconstruction totale ou partielle de l'église Saint-Martin, ne peuvent rigoureusement signifier qu'elle ait été terminée en huit années.

Avant d'examiner si le style de cet édifice, d'ailleurs très remarquable, vient appuyer ces premières données, il convient de faire connaître l'ordonnance générale de ce monument religieux , et d'en étudier les principaux détails.

Le portail

Le portail se compose de trois portes, dont une grande centrale et deux petites sur les côtés, lesquelles sont séparées par des pieds droits en saillie qui soutiennent les clochetons dont nous parlerons tout à l'heure. Les jambages de la grand'porte sont ornés de deux consoles supportant des statues représentant des religieux. Elle est de plus encadrée de colonnettes et son archivolte est simplement formée de nervures qui, au lieu d'être rondes, portent une arête en dessous. Le tympan est creusé d'ornements figurant les meneaux d'une fenêtre, et deux anges agenouillés tiennent dans les mains un encensoir avec lequel ils paraissent encenser une statue qui, placée en saillie au centre du tympan, a disparu.

Les portes latérales, dans le même style, sont néanmoins ornées de plus de sculptures. Le tympan de la porte de droite présente un tableau en bas-relief composé de sept personnages. D'abord, un enfant est agenouillé auprès de deux autres personnages qui se tiennent debout; un quatrième au milieu, parait danser en s'accompagnant d'un instrument de musique. Des deux autres placés à sa gauche, l'un semble frapper un septième personnage dont la tête seule sort d'une espèce de tour carrée; au-dessus, un ange se montre dans des nuages.

En haut des baies de cette même porte, existent deux petites sculptures charmantes, que nous avons vues entières il y a à peine quelques années, et qui depuis ont été affreusement mutilées â coups de pierres. D'un côté, le diable faisant de hideuses grimaces, regarde fixement une femme placée vis-àvis: c'est la Religion qui, assise sur un nid d'où sortent les têtes de plusieurs poussins, cherche il les défendre contre l'ennemi de leur salut.

 

 

Le tableau sculpté sur le tympan de la porte gauche représente le martyre de saint Laurent. Le saint est étendu sur un gril, et plusieurs hommes sont à l'entour occupés à souffler et attiser le feu qui brûle sous lui. Au-dessus, deux anges tiennent les quatre coins d'un drap dans lequel se trouve un objet difficile à reconnaître, et un troisième personnage, Dieu sans doute, semble s'apprêter à le recevoir. Les baies de cette même porte sont également ornées de deux sculptures; d'un côté, c'est encore le diable; de l'autre, un homme accroupi, vêtu d'une blouse et coiffé d'un bonnet phrygien.

Toutes ces sculptures sont d'un bon style et de belles proportions, et les chapiteaux des colonnes, les consoles et les dais des grandes statues qui ornent la principde porte, sont remarquables par la pureté du dessin et la finese de l'exécution. Les tympans et les archivoltes, ainsi que les personnages, portent des traces d'anciennes et vives couleurs.

Au-dessus de la grande porte, règne une petite galerie surmontée d'une large arcade ogivale, occupée par une fenêtre; celle-ci est divisée en deux grandes ogives subdivisée; en deux trilobées, avec une cinquième trilobée entre elles deux. Par-dessus, une grande rosace dans laquelle est inscrite un; double gloire entrecroisée, et sur les côtés, deux autres rosaos plus petites.

Au-dessus de cette fenêtre, règne une seconde galerie,puis vient un fronton aigu flanqué d'arcatures trilobées, et don le centre est occupé par un tambour circulaire dans lequel on voit, en grande ronde bosse, saint Martin à cheval, coupant son manteau pour en donner un morceau au diable déguisé en mendiant. Le tout est surmonté de deux clochetons octogones divisés en deux étages : l'inférieur est percé de longues et étroites ouvertures inscrites dans des arcatures trilobées; le supérieur, de quatre lancettes ogivales seulement, surmontées d'un pignon aigu avec une niche entre deux.

Le dessus des portes latérales est d'abord occupé par une fenêtre formée d'une seule ogive avec meneaux et rosace; puis, par un contrefort formant une demi-arcade décorée d'un petit clocheton.

Les fenêtres de l'église Saint-Martin, tantôt à plein-cintre, tantôt à ogive de transition, sont toutes de petite dimension. Il n'y a d'exception que pour celle placée derrière le portail, à droite en entrant, laquelle est grande, ogivale et divisée en deux trilobées. Le chevet, qui est carré, se trouve aussi percé d'une grande fenêtre ogivale, qui paraît avoir remplacé une ancienne rose. L'extrémité du transseps droit, est à son tour percé d'une petite rose dans le style de celle de la cathédrale.

Les flèches

Dans l'angle formé par la réunion des transseps avec la nef, s'élèvent deux hautes tours carrées et massives, percées à leur extrémité supérieure seulement de quatre ouvertures ogivales. Ces tours étaient autrefois surmontées de flèches en pierres. Le 24 décembre 1387, un ouragan terrible les renversa; dans leur chute elles endommagèrent considérablement l'église et les bâtiments voisins. Rebâties bientôt après, l'une des deux fut encore jetée bas par un ouragan, le 8 novembre 1583. Ces deux flèches étaient l'une et l'autre relevées, lorsqu'elles s'écroulèrent à la fois pendant une violente tempête, le 27 mars 1605. Elles furent alors établies en bois et en ardoises. Mais en 1658, la foudre tomba sur l'une d'elles et l'incendia. Elle était reconstruite pour la quatrième fois, lorsque, en 1757, la tour de gauche s'éroula à son tour, entraînant dans sa chute la flèche dont elle était couronnée. Ce dernier désastre fit prendre la résolution de supprimer définitivement ces flêches. On reconstruisit la tour en 1744, et l'on abattit la flèche qui restait.

Nef et transept

La nef seule est entourée de bas-côtés : le chœur ni les transseps n'en ont point. Les voûtes, ogivales, sont construites tout-à-fait dans le même style que celles de la cathédrale et reposent comme elles sur des nervures entrecroisées. Les travées, formées par des arcades à ogives de transition, sont supportées par des piliers carrés contre lesquels est toujours adossé, du côté de la grande allée, un faisceau de trois colonnettes, dont une, celle du milieu, plus grosse que les deux autres. Ces colonnettes, dépourvues de socle, s'élèvent d'un jet jusqu'à la voûte, et sont rattachées au mur par des anneaux. Au-dessus des travées, ni tribune, ni galerie. Les collatéraux sont assez larges et sans aucune décoration.

La nef, composée de neuf travées, est beaucoup plus longue que le chœur, et pour rallonger celui-ci, l'on a bouché les deux dernières travées. Le chœur n'est composé que de deux larges travées pleines; à l'extrémité, un enfoncement pratiqué à droite et à gauche est éclairé d'une grande fenêtre accompagnée d'une plus petite à plein-cintre. Les voûtes, beaucoup plus basses que celles de la nef, quoique consruites dans le même style, présentent néanmoins des différences.

Les transseps sont courts et terminés carrément. Dans leurs murs s'ouvrent plusieurs petites fenêtres à plein-cintre ou à ogive indécise, disposées irrégulièrement. Dans celui de gauche on voit, bien au-dessus du pavé, une espèce de tibune en pierre dont l'usage est inconnu.

Le chœur était autrefois fermé par un jubé dans le style du 16eme siècle et d'un très-bon goût. Deux autels se trouvaient appuyés contre. Le tout a disparu depuis la révolution. Les anciens religieux avaient aussi placé dans leur église, en 1640, un orgue qui leur coûta 2,400 livres.

La chapelle Saint-Eloi

On ne compte, à proprement parler dans cette église, qu'une seule chapelle, celle de Saint-Eloi. Les six autres, placées le long du côté oriental des transseps, sont si petites qu'elles néritent à peine ce nom.

La chapelle Saint-Eloi, de dimensions plus vastes, servait autrefois de paroisse. Ses voûtes sont ogivales et elle est éclairée par une très-grande fenêtre également ogivale, divisée en trois trilobées surmontées d'une rosace et de deux trèfles. On voit dans une niche au-dessus de l'autel, un très-beau Christ sculpté en pierre; il est assis, les mains liées et la tête couronnée d'épines.

Cette chapelle est fermée par une haute balustradre en pierre qui rappelle celles de la cathédrale, et qui n'est pas moins remarquable. Elle se compose de trois grands panneaux dont celui du milieu est occupé par une porte. Les deux autres, flanqués de colonnettes en saillie et pleins dans le bas, sont à jour dans le haut. Cette porte est ornée de six colonnettes surmontées de cinq petites arcades. Dans l'entablement sont placés en saillie le buste des douze Apôtres, et au-dessus de la porte, celui de J.-C. tenant une sphère dans les mains. Malgré une épaisse couche de badigeon, on peut encore juger du fini et de la délicatesse de tout ce travail.

Statuaire

Deux statues couchées sont placées à droite et à gauche de la grande porte, dans l'intérieur de l'église Saint-Martin. La première représente une abbesse, les mains jointes sur la poitrine, et tenant une crosse serrée entre le bras gauche et le corps. Sa tête est recouverte d'un voile, et son menton est caché par une pièce d'étoffe; ses pieds reposent sur deux lions. Les traits, la taille, tout dans cette statue indique une femme d'un certain age. Le travail en est d'un bon style quoique raide: elle est en très-beau marbre blanc.

Cete statue a été trouvée, il y a peu d'années, enterrée dans l'emdacement où était autrefois le couvent des Capucins. Nous avons tout lieu de croire qu'elle est celle de Jeanne de Flandres, laquelle, après la mort de son mari, Enguerrand IV, sire de Coucy, entra dans l'abbaye du Sauvoir où elle fut nommée abbesse et où elle mourut en 1334. On lui fit, dans l'église de cette maison, un tombeau sur lequel fut placée sa statue en marbre blanc. Dans la révolution française, une personne de la ville, mue par le désir de conserver cet objet d'art, en fit l'acquisition et l'apporta a Laon. C'est encore elle sans doute qui, pour la soustraire au vandalisme de l'époque, l'aura enterrée dans le lieu où elle a été retrouvée de nos jours.

L'autre statue, en pierre noire, représente un guerrier entièrement couvert d'une cotte de mailles, avec une jacquette par-dessus. Il tient sur sa poitrine un écu blasonné, et une large épée pend à son côté gauche. Sa tête repose sur un petit oreiller à carreaux, placée dans une arcade trilobée flanquée de deux tourelles.

La Morlière dit que cette statue est celle de Thomas de Marle, seigneur de Coucy, mort en 1130. Il prétend que ce seigneur, au moment de sa mort, n'étant point relevé de l'excommunication portée contre lui, fut à cause de cela enterré, non dans l'intérieur de l'église, mais à l'entrée du portail, et que sa veuve fit plus tard allonger cette église de deux piliers, afin de mettre sa tombe à couvert.

Comme on l'a fait observer depuis longtemps, cette statue ne saurait être celle de Thomas de Marle, puisque l'on sait par des actes authentiques que ce seigneur fut enterré, non dans l'église Saint-Martin de Laon, mais dans celle de l'abbaye de Nogent-sous-Coucy. D'ailleurs la cotte de mailles, pas plus que l'arcade trilobée, ne remonte, à ce qu'il paraît au-delà du milieu du 12me siècle, et il est certain qu'on n'enterra personne à Saint-Martin avant 1135 ou 1136.

Il existe sur cette statue une légende populaire que voici: un seigneur de Coucy qui, dit-on, était huguenot, voulut se retirer dans l'abbaye de Saint-Martin, sans doute à titre de frère à secourir. Les religieux consentirent à le recevoir parmi eux, à la condition toutefois qu'il laisserait à leur maison, après sa mort, une partie de ses domaines, entre autres la fort de Samoussy. Ces conditions acceptées, le seigneur de Coucy se rend à l'ahbaye de Saint-Martin pour s'y renfermer, et demande à manger. On lui sert aussitôt deux œufs : mais à peine a-t-il terminé son frugal repas, qu'il se trouve mal, et il expire au bout de quelques heures d'agonie.

Comme il était huguenot, les religieux ne voulurent pas l'inhumer dans leur église, et ils firent déposer son corps dans une fosse creusée à l'entrée du grand portail. La-dessus, long procès entre eux et la famille du défunt, qui regardait cette exclusion comme une injure, et qui exigeait qu'on l'enterrât dans l'intérieur, d'abord, parce qu'au moment de sa mort il faisait partie de la communauté, ensuite à cause des grands biens qu'il avait légués à l'abbaye de Saint-Martin. Après de longues années passées dans ces contestations, les moines se voyant sur le point de perdre leur procès et les biens qui leur avaient été légués, se hâtèrent de faire abattre le portail de leur église, et allongèrent celle-ci d'une arcade afin de renfermer dans son intérieur le tombeau du seigneur de Coucy.

Il suffit de rapporter cette ancienne tradition pour en montrer l'invraisenblance. Néanmoins, elle n'est pas fausse en tout point. Ainsi, l'église St-Martin paraît avoir été rallongée d'une arcade lors de la reconstruction du portail actuel, et l'abbaye de Saint-Martin eut de longs et dispendieux procès a soutenir relativement à la propriété de la forêt de Samoussy. Il est vrai que ce ne fut point avec la maison de Coucy , mais bien avec celle de Roucy à qui cette forêt appartenait autrefois.

Si donc les armes du chevalier dont la statue est couchée dans l'église Saint-Martin, étaient celles de la terre de Roucy, si le style de cette sculpture n'indiquait point une époque où les luguenots étaient inconnus, on pourrait sans invraisenblance supposer que cette statue est celle d'un membre de la famille de Roucy, laquelle d'ailleurs embrassa de bonne heure le protestantisme, et plaida longtemps avec les moines de Saint-Martin pour la forêt de Samoussy. Mais, comme nous venons de le voir, le style de cette sculpture ne peut se prêter à cette supposition; et d'ailleurs les armes du chevalier de l'église Saint-Martin se rapprochent beaucoup de celles de l'ancienne maison de Coucy, qui étaient: Fascé de vair et de gueules de six pièces.

Voici quelles sont les dimensions de l'église Saint-Martin.

  • Longueur totale de l'église dans œuvre . ... 74m 60
  • Longueur totale de la nef 53m
  • Longueur totale du sanctuaire 15m
  • Largeur totale de la nef 18m 85
  • Largeur totale de la grande allée 8m 15
  • Largeur totale des allées latérales 3m 50
  • Hauteur des voûtes de la nef sous clef 17m
  • Hauteur de celles du sanctuaire 14m
  • Hauteur des tours, environ 35m

 

Source : Histoire de la ville de Laon et de ses institutions Volume 1 Par Maximilien Melleville en 1846.

photo pour Eglise Saint-Martin

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 1873
  • item : Eglise Saint-Martin
  • Localisation :
    • Aisne
    • Laon
  • Adresse : rue Saint-Martin
  • Code INSEE commune : 2408
  • Code postal de la commune : 02000
  • Ordre dans la liste : 31
  • Nom commun de la construction :
    • La dénomination principale pour cette construction est : église
  • Etat :
    • L'état actuel de cette construction ne nous est pas connue.

Dates et époques

  • Périodes de construction : 3 différentes époques marquent l'histoire du lieu.
    • 12e siècle
    • 17e siècle
    • 18e siècle
  • Dates de protection :
    • 1862 : classé MH
    • 1951/06/07 : inscrit MH partiellement
  • Date de versement : 1993/12/03

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • non communiqué
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Interêt de l'oeuvre : 18 04 1914 (J.O.).
  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :
    • Notre base de données ne comprend aucun élément particulier qui fasse l'objet d'une protection.
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • Cette construction a été affectée a l'usage de : bibliothèque

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : propriété de la commune 1992
  • Photo : d7d6c7b78f5714b95d944cd1d035a34d.jpg
  • Détail :
    • Eglise : classement par liste de 1862
    • Sol et restes du mur du presbytère : inscription par arrêté du 7 juin 1951
  • Référence Mérimée : PA00115719

photo : zeb

photo : Lomyre