Église paroissiale Saint-Remy

L'historien rémois Dom Marlot s'est fait l'écho de la tradition qui fait naître saint Remi à Cerny-en-Laonnois en 437, mais Hincmar et Flodoard se contentent d'affirmer qu'il naquit « in pago Laudunensi ». Dans son petit testament, il lègue à son neveu saint Loup, évêque de Soissons, un serf de Cesurnico. Or, M. Longnon a parfaitement démontré que ce lieu ne peut pas être identifié avec Cerny. La forme de Sarniacum est la seule qui convienne à la désignation primitive du village, dont le nom n'apparaît que dans les chartes du 12re siècle cependant, l'étude archéologique de l'église suffit à prouver que son origine est plus ancienne.

L'abbaye bénédictine de Saint-Jean de Laon possédait une grande partie des terres de la paroisse et l'église, dédiée à saint Remi, lui appartenait. Les papes Innocent II, en 1136. et Luce III, en 1183, en confirmèrent la possession au monastère, mais notre confrère M. Broche, archiviste de l'Aisne, qui a bien voulu me communiquer le résultat de ses recherches, n'a pu retrouver aucune mention antérieure d'un édifice religieux à Cerny.

En 1184, Cerny-en-Laonnois fut compris, avec Chamouille. Beaune, Chivy. Courtonne. Verneui), Bourg et Comin, dans le groupe des villages érigés en commune collective par Philippe Auguste. Les Templiers étaient propriétaires à Cerny, depuis le 12e siècle, d'une grande ferme et d'une chapelle, dont il reste encore des vestiges : ces biens, qui passèrent aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, relevaient de la commanderie de Boncourt. Ces notes historiques font, comprendre l'importance de la paroisse a l'époque romane et les dimensions de l'église, dont la nef et les bas-côtés sont précédés d'un narthex. L'abside en hémicycle, qui fait suite à une travée droite, est flanquée de deux absidioles, mais l'édifice est dépourvu de transept.

Le narthex rectangulaire, désigné par les habitants sous le nom de "pénitencier", est recouvert de trois voûtes d'arêtes, mais celle du sud s'est effondrée et les deux autres portent l'empreinte de refaçons modernes. Leurs retombées s'appuient sur des piles carrées et sur des tailloirs en biseau ou grossièrement moutures. Cette partie de l'église s'ouvrait sur la nef par deux arcades en plein cintre aujourd'hui bouchées, comme celles qui faisaient communiquer le narthex avec les collatéraux. Au nord et au sud, d'étroites baies en plein cintre, qui ont été agrandies, se trouvaient percées dans les murs. A l'ouest. un porche voûte d'arêtes. encadré par quatre arcades et surmonté d'un clocher, fait saillie sur la façade, comme à Morienval.

Au premier étage, la tribune du narthex, surmontée d'un plafond de bois, éclairée au nord et au sud par deux oculi remaniés, était ajourée par deux arcades qui s'ouvraient sur la nef. La pile intermédiaire, qui correspond à celle du rez-de-chaussée. est ornée d'entrelacs à l'imposte; on a incrusté dans la cloison moderne des têtes et un tailloir provenant d'un chapiteau de la nef. La tribune communiquait avec le premier étage du clocher voûté en berceau.

A quelle époque faut-il attribuer la construction du narthex qui est certainement antérieur à la nef, comme le prouvent le défaut de liaison de ses murs avec ceux des bas-côtés et le relancement des colonnes jumelles occidentales de la première travée de la nef. M. Edouard Fleury ne craignait pas de faire remonter les murs latéraux de l'église au 6e siècle, mais le narthex me semble plutôt une œuvre de la seconde moitié du 11e siècle, en raison du caractère archaïque de son architecture qui contraste avec celle des autres parties du monument.

La nef. qui se divise en cinq travées, ne fut jamais voûtée. mais la portée des fermes de la charpente est soulagée, au droit de la troisième et de la quatrième pile du nord et du sud. par deux arcs-diaphragmes à profil carré qui retombent sur des colonnes jumelles en saillie sur les dosserets. Cette curieuse disposition,qui fut tout d'abord appliquée dans les basiliques syriennes, puis dans les églises lombardes, se retrouvait en Normandie dans les églises romanes de Saint-Yigor-le-Grand. de Cerisy-lat-Forêt, de Saint-Georges de Boscherville. Elle persiste encore à l'époque gothique à Lamourguier de Narbonne, à Laroque d'Olmes (Ariège), dans plusieurs du Roussillon et de la Catalogne.L'eglse de Presles, près de Laon, si bien étudiée par M. Broche, qui l'attribue au 11e siècle, conserve encore deux pilastres destines a soutenir un arc-diaphragme en avant de la dernière travée de la nef. A Villers-Saint-Paul, près de Creil, on voit une disposition du même genre.

Les piles, dont le plan est anormal, se composent d'un massif carré flanqué à l'est et à l'ouest de deux colonnes accouplées, mais l'architecte a donne plus de saillie a celles qui correspondent aux grands arcs-diaphragmes, afin de faire reposer sur un pilastre les deux colonnes jumelles qui les soutiennent. Dans la nef des cathédrales d'Angoulême, de Norwich et de Roehester, de l'abbatiale de Fontevrault, de l'église Saint-Pierre de Redes (Hérault), dans le bas-côté double de La Madeleine de Chateaudun, dans le transept des églises de Chivy et de Trucy (Aisne), des abbatiales de Lontay (Orne) et de La Trinité de Caen, dans la travée droite du chœur de la cathédrale de Lescar et dans plusieurs autres édifices cités par notre confrère M. Enlart, les constructeurs ont également appliqué deux colonnes sur un large dosseret, mais le plan des piles de Cerny n'est pas le même que celui de tous ces supports. Je n'en connais aucun autre exemple.

Les bases des piliers sont enfouies sous le dallage, mais celles des colonnes jumelles qui soutiennent les grands arcs-diaphragmes sont cerclées d'une scotie entre deux tores. Les grandes arcades en plein cintre sont dépourvues de moulures. Les fenêtres, de la même forme, qui s'ouvraient dans l'axe de chaque travée sont aujourd'hui bouchées, mais on en voit la trace.

Les chapiteaux, maladroitement grattes en 1862, quand l'église fut l'objet de réparations urgentes, se continuent sur la partie droite des piles. comme à UrceL. La plupart sont ornes de palmettes variées qui ressemblent à des branches de laurier: quelques-uns sont garnis de têtes accouplées. Les volutes d'angle sont remplacées par de grandes feuilles imbriquées et lancéolées, qui renferment une feuille plus petite surmontée d'un petit cube plusieurs astragales se composent d'une torsade. J'avais vainement cherché dans mes notes et dans mes souvenirs des chapiteaux du même type, a titre de comparaison. car leur ornementation se distingue de tous les motifs en usage dans le Laonnois et le Soissonnais, quand j'ai eu la bonne inspiration de communiquer les dessins des chapiteaux de Cerny a notre savant confrère M. de Truchis. Il a bien voulu m'envoyer les photographies de trois chapiteaux découverts par M. Henry Corot dans les ruines de 1 église du Puys.d'Orbe, entre Chatillon-sur-Seine et Dijon, c'est-à-dire dans une région où les influences lombardes ont été prépondérantes au 11e siècle. On retrouve sur leur corbeille ces feuilles de laurier attachées a une tige verticale qui décorent les chapiteaux de Cerny.

Les larges tailloirs qui contournent les piliers ne sont pas biseautés, suivant l'usage. mais leur profil carré ressemble à celui d'un bandeau. comme au Puys-d'Orbe et sur plusieurs chapiteaux d'origine cypriote. Leur caractère commun, c'est que les rinceaux, formés d'une tige qui serpente entre des palmettes. Les branches de laurier et les autres motifs sculptés au fond d'une cuvette rectangulaire sont bordés d'un filet. Quelques tailloirs méritent d'attirer l'attention. Ainsi ceux qui se trouvent sous tes grands arcs-diaphragmes sout ornés d'entrelacs et, peuvent être compares à ceux des pilastres carolingiens de l'église de Cravant, près de Chinon. Sur ta quatrième pile du nord, deux lions affrontés, en demi-relief, évoquent le souvenir des animaux variés qui décorent les tailloirs de Saint-Vital de Ravenne, de Saint-Laurent de Grenoble. des chapiteaux du Puys-d'Orbe, des corniches réemployées à la base du clocher de Saint-Germain d'Auxerre et au sommet de la tour de Saint-Restitut.

Enfin on remarque sur certains tailloirs des fleurs à quatre et à huit pétales dont je voudrais rechercher les lointaines origines. Ce motif dérive de quatre feuilles de laurier assemblées en diagonale dans un carré. On le voit apparaître a la fin du 4e siècle avec des rosaces sur deux panneaux de pierre conservés au musée de Tébessa. L'autel dit de saint Montan, à Orléansvitte, qu'on peut attribuer au 7e siècle, en fournit un autre exemple très ancien, et l'église d'Oulchy-le-Château (Aisne) possède un chapiteau du 11e siècte dont la corbeille est garnie de fleurs à quatre pétales formées par l'assemblage d'ornements géométriques. Le même motif se répète sur les chapiteaux du Puys-d'Orbe et sur le tympan du portail roman de Heaumais (Calvados), qui présente de curieuses variétés de rosaces à quatre et à huit pétales inscrites dans un carré, alternant avec des étoiles gravées en creux. Le rinceau qui décore le linteau ressemble beaucoup à ceux qui se déroulent sur les tailloirs de Cerny. A Cerny. les pétales se multiplient déjà d'une manière très précoce, car les ornements du même genre visibles sur l'archivolte du portail de Bellegarde (Loiret) et sur la corniche de la tour de Saint-Restitut (Drôme) furent sculptés à une époque beaucoup plus avancée du 12e siècle. Au 13e siècle, les fleurs à plusieurs pétales se détachent sur les cordons d'archivoltes ou sur le soubassement des portails, comme à la cathédrale de Noyon et à Saint-Jean-des-Vignes de Soissons, mais les pétales s'arrondissent à leur extrémité et le bouton central est de plus en plus accusé.

Les sculpteurs envoyés à Cerny par les moines bénédictins de Saint-Jean de Laon étaient imbus de traditions pré-romanes et ils sont restés étrangers à toute influence locale. Malgré l'apparence archaïque des chapiteaux, le relief de leurs feuillages et le caractère des rinceaux de leurs tailloirs indiquent une période plus avancée que celle où furent taillés les chapiteaux de la nef de Morienval, de Chivy en Laonnois et d'Oulchy-le-Château, ornés de palmettes, d'étoiles, d'animaux gravés en creux qui semblent sortis du même atelier et qui portent l'empreinte d'un art très grossier. Il faut en conclure que la série des curieux chapiteaux de Gerny n'est pas antérieure au commencement du 12e siècle. D'ailleurs les chapiteaux et les tailloirs ne se retournaient jamais sur la partie droite des piles à deux colonnes, c'est-à-dire vis-à-vis de la nef et des bas-côtés, dans les églises du 11e siècle encore intactes autour de Laon.

Les bas-côtes plafonnés conservent chacun quatre arcs-diaphragmes, dont les claveaux nus retombent sur des pilastres engages dans les murs extérieurs et sur des tailloirs en biseau. Ces doubleaux isolés, que j'ai déjà eu l'occasion de signaler dans les collatéraux de nombreuses églises du 12e siècle de la région, à Villers-Saint-Paul(Oise),à Aizy, à Bonnes, à Glennes, à Presles, à Urcel, à Vailly, a Vaux-sous-Laon et à Yorges (Aisne), apparaissent plus anciennement à Morienval et se rattachent aux mêmes origines que ceux de la nef. On peut en citer d'autres exemples à Saint-Pierre de Northampton, à Gréville (Manche), et à Lavardin, près de Vendôme. Les fenêtres en plein cintre des collatéraux ont été plus ou moins élargies à l'époque moderne. L'absidiole méridionale, murée à l'ouest et voûtée en cul-de-four, sert de sacristie celle du nord s'est écroulée. Le chœur très profond se compose d'une partie droite voûtée en berceau et d'une abside arrondie voûtée en cul-de-four. Ses fenêtres latérales sont modernes et la baie qui s'ouvre dans l'axe est bouchée. Quatorze colonnettes assez hautes décorent le soubassement: on remarque trois astragales en forme de torsade. Les petits chapiteaux, garnis de têtes et de palmettes, portent des linteaux, comme dans les chœurs de Prestes, de Trucy, au-dessus du grand portail de Sainte-Marthe de Tarascon et au chevet de plusieurs églises auvergnates. Au sud, il faut signaler deux piscines du 13e siècle, en tiers-point, encadrées par un boudin continu.

J'attribuerais volontiers la netf, les bas-côtés et le chœur, qui furent bâtis d'un seul jet au cours d'une seconde campagne, au premier quart du 12e siècle, à cause de l'absence de moulures sur les arcs et de la sculpture méplate des chapiteaux. A l'extérieur, je me borne à signaler les contreforts plats du narthex, le clocher-porche ajouré par des baies en plein cintre et coiffe d'une bâtière moderne, la corniche de l'abside. ornée d'un câble, de lourds rinceaux et de petits arcs cintrés qui encadrent chacun trois feuilles plates. Puisse cette notice hâter le classement de l'église romane de Cerny-en-Laonnois parmi les monuments historiques Son narthex, ses arcs-diaphragmes et ses curieux chapiteaux donnent à cet édifice un caractère original. Son isolement au milieu d'un plateau dépourvu de moyens de communication a beaucoup contribué a la faire oublier, tandis que ses bettes voisines des environs de Laon reçoivent bien souvent la visite des archéologues.

E.Lefèvre-Pontalis

Titre : Bulletin monumental / publié sous les auspices de la Société française pour la conservation et la description des monuments historiques ; et dirigé par M. de Caumont
Auteur : Société française d'archéologie
Contributeur : Lefèvre-Pontalis, Eugène (1862-1923). Directeur de publication
Source : Bibliothèque nationale de France
Date : 1910

photo pour Église paroissiale Saint-Remy

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 987
  • item : Église paroissiale Saint-Remy
  • Localisation :
    • Aisne
    • Cerny-en-Laonnois
  • Code INSEE commune : 2150
  • Code postal de la commune : 02860
  • Ordre dans la liste : 13
  • Nom commun de la construction : 2 dénomiations sont utilisées pour définir cette construction :
    • église
    • église paroissiale
  • Etat :
    • L'état actuel de cette construction ne nous est pas connue.

Dates et époques

  • Périodes de construction : 2 différentes époques marquent l'histoire du lieu.
    • 11e siècle
    • 12e siècle
  • Enquête : 2003
  • Date de versement : 2006/03/24

Construction, architecture et style

  • Materiaux: 2 types de matériaux composent le gros oeuvre.
    • pierre de taille
    • pierre
  • Couverture : On remarque 2 types de couverture différents :
    • toit à longs pans
    • toit
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture : 2 modes de couvrement répertoriés :
    • en béton armé
    • fausse voûte de type complexe
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • non communiqué
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • Plan Type 'plan en croix latine'

Monument et histoire du lieu

  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :
    • Notre base de données ne comprend aucun élément particulier qui fasse l'objet d'une protection.
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • non communiqué

Autre

  • Divers : 3 informations diverses sont disponibles :
    • propriété de la commune
    • © agir-pic
    • © conseil général de l'aisne
  • Photo : 9eda9c9497dac065c9ae048858a89d47.jpg
  • Auteur de l'enquête MH : Guérin Inès
  • Référence Mérimée : IA02002064

photo : zeb

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