Ruines du château de Poutrincourt

A mi-chemin entre les villes d'Eu et de Saint-Valéry-sur-Somme, on rencontre un petit hameau entouré de haies vives et d'ormes à haute tige, caché à l'abri d'un pli de terrain, qu'on nomme Poutrincourt.

Les panaches des arbres qui l'emprisonnent ont ces tonalités sombres que donnent l'air salin. Car ici le ciel est âpre et salubre. De fraîches haleines décèlent le voisinage de la mer.

Les maisons, avec leurs murs crépis et leurs toits rosés, les étables basses aux flancs jaunes, construites d'un mélange de paille et d'argile, tapies derrière les clos, aplaties, sur une même ligne, affleurent à peine le liseré bleuâtre des saules et les pans de verdure des buissons, et, de loin, semblent avoir été, de fraîche date, comme écrasées par le brusque passage d'un rouleau compresseur. Ce qui achève de donner l'impression d'un récent et brutal nivellement, c'est que les ypréaux et les peupliers qui surplombent ces habitations sont tous uniformément inclinés vers l'Est et qu'ils luttent vainement pour se redresser sous le souffle des vents dominants qui viennent du large.

Le village présente ce phénomène de dédoublement qu'on observe assez souvent en Picardie, quand le tracé en ligne droite d'une route nouvelle a laissé l'agglomération principale de côté pour relier plus directement deux villes entre elles.

Le chemin de grande communication a négligé le vieux Poutrincourt, composé d'une vingtaine de fermes de petite culture, de chaumières d'ouvriers agricoles ou de serruriers groupées dans la partie basse du territoire, pour passer à deux portées de fusil au-dessus. Ce chemin longe l'ancienne falaise éboulée, dont une dépression de terrain à peine perceptible est aujourd'hui la seule trace. De rares constructions modernes s'élèvent maintenant sur la grand'route et se juxtaposent de façon assez disparate au noyau originel échelonné sur le bord du marais conquis sur la mer, de telle sorte que les habitations s'éparpillent sur les deux lignes d'un arc dont la route nouvelle figure la corde tendue.

Au milieu d'une prairie longeant la rue basse, dans une pullulation tumultueuse d'orties, d'herbes folles et de fleurettes sauvages, une ruine solitaire se dresse au-dessus des maisonnettes qui l'environnent comme un témoin muet du passé.

Quatre pans de murailles délabrées, bâties mi-parties de pierres blanches et de briques mêlées de galets taillés provenant des anciens cordons littoraux, frappent brusquement l'attention.

Le jour, les vaches d'un pâturage planté de pommiers et ombragé de saules vont s'allonger mollement à l'abri de ces murs branlants pour se garantir des ardeurs du soleil ; la nuit, les chouettes qui habitent les cavités sombres des ruines, animent le paysage de leur vol pesant et l'attristent de leur cri monotone où passe comme une plainte épouvantée.

Involontairement, on se reporte en imagination aux temps anciens pour essayer de reconstituer l'aspect primitif de la sévère construction dont la masse presque informe mais encore imposante se découpe en vigueur sur le ciel.

Là s'élevait, il y a quatre siècles, un manoir seigneurial avec une grosse tour en pierres grises, dans un enclos de quatorze journaux. Auprès du corps de logis s'étendaient quelques dépendances, le fournil, les écuries, les chenils, les étables, un colombier. Une fontaine restée légendaire dans le pays par la température glaciale de ses eaux coulait en silence dans le voisinage, en cherchant un passage à travers une cressonnière. Cent quatre-vingts journaux de terre, deux de bois, arrondissaient ce domaine.

Sous le règne de Charles IX, la gentilhommière alors remise à neuf, abritait rarement sous son toit de tuiles rouges le châtelain du lieu.

Une ou deux fois par an, tout au plus, la solitude de Poutrincourt s'éveillait. On voyait aller et venir dans les cours des varlets à la livrée bariolée, des soldats en vertes chausses. Deux ou trois seigneurs mettaient pied à terre jetant la bride de leurs montures aux mains des domestiques. Des chevaux de guerre, des chiens tenus en laisse par les piqueurs envahissaient les écuries et les chenils. Des haquenées dont les caparaçons brodés étalaient les armoiries au lion de gueules sur champ de sable des Biencourt et l'écusson écartelé des Salazar, remplissaient l'allée qui conduisait au manoir, portant des dames, des suivantes, des écuyers. Les gens du pays survenaient. On apportait des redevances en nature : oiseaux aquatiques et chapons ; le meunier de Poutrincourt présentait « le gâteau de royaume ». Le château abandonné se peuplait en un clin d'œil d'un monde aristocratique, comme si quelque Belle au bois dormant avec toute sa cour avait été brusquement tirée de son sommeil magique par le tintamarre des laquais, le piaffement des coursiers et les clabaudages de la meute.

Tout respirait la joie, tout prenait un air de fête entre ces murs qu'égayaient extérieurement les pierres blanchâtres voisinant avec les galets noirs taillés et disposés en damiers et en losanges.

Il en était ainsi à chaque arrivée de Florimond de Biencourt, seigneur de Poutrincourt, et de Jeanne de Salazar, sa femme, et les documents de l'époque nous apprennent que ces visites étaient espacées selon la fantaisie des maîtres, sans observer aucune règle et sans distinction de saison.

On ne sait par quel sortilège, cette même maçonnerie à carrés noirs et blancs, avec ses effets si pittoresques et ses contrastes violents de couleurs claires et foncées prend aujourd'hui un aspect si mélancolique et si funèbre.

Quand, attiré par le mystère qui semble planer sur l'édifice, ou simplement séduit par le site romantique où il sommeille, on s'approche pour interroger ces vestiges qui donnent une impression de force massive et de froide tranquillité, on reconnaît, à certains détails, les caractères de l'architecture du XVIe siècle.

Sur la façade donnant vers la mer, voici, au bas d'une ouverture close par un remplage de briques, deux lourdes consoles de pierre qui supportaient l'entablement d'un balcon ou d'une loggia.

A cette hauteur, il était facile aux châtelains d'apercevoir, à la distance de moins de deux lieues, la ligne argentée de la Manche. C'est à cette fenêtre sans doute que le fils cadet du seigneur, laissant errer ses regards sur l'immensité, à l'heure où les vents du large lançaient des chimères et des fantômes noirs sur les nuées écarlates des couchers de soleil, se sentit attiré pour la première fois vers l'inconnu et conçut le désir imprécis de voguer sur quelque embarcation rapide et mystérieuse comme celles qu'il voyait passer à l'horizon, vers des mondes ignorés.

A l'intérieur, dans l'encoignure Nord-Ouest, l'escalier d'une tourelle est encore visible.

Les pieds-droits des vastes manteaux de cheminée où flambaient en hiver les souches des vieux hêtres de Lanchères existent toujours sur la muraille du côté Est, avec une maçonnerie de tuiles posées à champ qui supportait des plaques de fer armoriées.

Depuis l'an 1403, la seigneurie de Poutrincourt, mouvante de Cayeux-sur-Mer, appartenait à la famille de Biencourt.

Plusieurs membres de cette maison prirent le nom de Poutrincourt, entre autres Florimond, qui avait lait restaurer l'habitation et qui quittait de temps à autre son château de Saint-Maulvis pour venir y résider quelques semaines.

Le plus célèbre d'entre eux est sans contredit Jean de Biencourt, dit de Poutrincourt, fils de Florimond, l'un de ces hardis navigateurs qui multiplièrent, sous Henri IV et pendant la minorité de Louis XIII, les tentatives de pénétration en Amérique septentrionale.

Sa vie et ses aventures ont attiré l'attention des érudits locaux et des historiens de la colonisation de la Nouvelle France.

Les premiers ont surtout discuté sur le lieu de sa naissance. Le P. Ignace et le P. Lelong le disent né à Abbeville et parti de cette ville en 1604 pour l'Amérique. F.-C. Louandre, dans sa Biographie d'Abbeville et de ses environs, reproduit et adopte cette opinion. Prarond, dans ses Hommes utiles de l'Arrondissement d'Abbeville, ne s'étend pas davantage que ses prédécesseurs sur les faits et gestes de ce personnage. Il cite néanmoins en premier lieu Sangnier d'Abrancourt, autre historien abbevillois, qui le désigne comme « gentilhomme d'Abberille » et, en second lieu, Formentin qui ne le dit prudemment qu'originaire du Ponthieu. Prarond constate que quelques auteurs, entre autres Vitet, dans son Histoire de Dieppe, le disent Normand, et, avec sa circonspection ordinaire, il ajoute simplement: « Bien des présomptions autorisent Abbevitte à le revendiquer pour un de ses hommes fameux » ; mais ce scrupuleux historien se garde de trancher sans preuve ce point litigieux.

Quant aux origines de famille de l'explorateur, quant à ses voyages, il n'en est pas autrement question dans la bibliographie picarde.

De Belleval, dans son Nobiliaire de Ponthieu et de Vimeu, a dressé la généalogie des Biencourt. Il s'est inspiré des travaux exécutés en 1778, par l'archiviste Clabault, publiés in extenso dans le tome III du Supplément du Dictionnaire de la Noblesse de La Chenaye-Desbois. Il a mentionné Jean de Poutrincourt à son degré, dans la descendance des Biencourt, mais, cet auteur, généralement si soucieux de relever le prestige de la noblesse du Ponthieu et du Vimeu, ne l'a même pas signalé comme le fondateur du Port-Royal en Acadie ; il l'a abandonné à une province voisine: « Jean étant, dit-il, l'auteur de la branche des seigneurs de Marsilly, établie en Champagne, je ne m'en occuperai pas ici. »

En résumé, Jean de Poutrincourt n'a guère rencontré, dans son pays d'origine, si l'on met à part quelques discussions oiseuses et mal étayées sur le lieu de sa naissance, que l'indifférence et l'oubli. Sa biographie n'a été abordée que d'une manière insuffisante, sans recherches sérieuses dans les archives locales ou dans les grands dépôts de la capitale, sans une critique serrée des sources imprimées.

Source : Mémoires de la Société des antiquaires de Picardie par Société des antiquaires de Picardie.

Note : Jean de Poutrincourt a fait rayonner la France. Lieutenant militaire aux ordres du roi Henri IV il se rendit à quatre reprises sur les côtes sud du Canada où il installa un domaine agricole important : Port Royal. Il fut alors nommé Vice-Roi du Canada.

photo pour Ruines du château de Poutrincourt

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 132204
  • item : Ruines du château de Poutrincourt
  • Localisation :
    • Somme
    • Lanchères
  • Code INSEE commune : 80464
  • Code postal de la commune : 80230
  • Ordre dans la liste : 2
  • Nom commun de la construction :
    • La dénomination principale pour cette construction est : château
  • Etat :
    • Etat courrant du monument : vestiges (suceptible à changement)

Dates et époques

  • Périodes de construction :
    • La construction date principalement de la période : 15e siècle
  • Date de protection : 1980/03/18 : inscrit MH
  • Date de versement : 1993/12/03

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • non communiqué
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :
    • Notre base de données ne comprend aucun élément particulier qui fasse l'objet d'une protection.
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • non communiqué

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : propriété d'une personne privée 1992
  • Photo : e60f382f5e7a31ff33c429c229167d16.jpg
  • Acteurs impliqués dans l'oeuvre : Poutricourt Jean de (habitant célèbre)
  • Détails : Château de Pourtricourt (ruines) (cad. F 696) : inscription par arrêté du 18 mars 1980
  • Référence Mérimée : PA00116185

photo : joel.herbez

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