Villa Nordique

La maison Norvégienne 15, rue Charles-Alexandre-Lesueur

Contrairement à ce qui a pu être écrit ou raconté sur l'origine de cette maison dite « d'inspiration nordique », parfois même aussi qualifiée abusivement de « pagode », cette habitation en bois massif vient bien de Norvège et plus particulièrement de la région du Télémark à l'ouest d'Oslo. Tous les éléments de la structure ayant été numérotés, la maison a été importée au Havre début 1900, pour être présentée à l'occasion d'une exposition sur le commerce du bois.

Sans doute séduit par l'originalité de ses éléments architecturaux, Albert Dubosc l'achète et la fait remonter à Sainte-Adresse, sur un terrain face à la mer, vendu par Georges Dufayel par acte notarié daté du 12 juin 1908, lequel précise : « Monsieur Dubosc sera tenu de faire édifier un bâtiment ou pavillon quelconque dont la construction devra être commencée dans le délai de deux ans à compter de ce jour. Cette construction devra présenter une façade élégante, ayant un caractère architectural étudié, l'acquéreur devra s'attacher à éviter la façade de tonalité uniforme. » Pari tenu par Albert Dubosc, puisque en 1911 la maison norvégienne se dresse, à coté du Pain de Sucre, au dessus du complexe touristique du « Nice havrais » voulu par Georges Dufayel.

Pour s'adapter au terrain en forte pente, la maison en bois, qui ne comporte pour le moment qu'un vestibule, une grande pièce avec deux balcons, un sanitaire et une cage d'escalier pour accéder au jardin, s'appuie sur un ouvrage maçonné non fermé, formé principalement par deux arcs et des contreforts. Cette maçonnerie en soubassement est réalisée en briques et silex dans le pur style de la tradition cauchoise.

Sur la rue Charles-Alexandre-Lesueur, en façade nord, la partie bois est protégée par un mur dont la modénature forme deux arcs pleins en briques, recoupés par des rangées alternées de briques et de galets. Un troisième arc, ouvert et plus petit, dessine la porte d'entrée cintrée de la maison, une grille ouvragée protégeant la partie vitrée.

La structure initiale importée se compose de madriers horizontaux emboîtés par rainurage et croisés à mi-bois aux extrémités. Les colonnes en bois des deux balcons sont à fût galbé, séparées par des garde-corps avec coeurs ajourés. Le faîtage des toitures à deux pans est couronné d'un linéaire d'arceaux en bois terminé aux extrémités par des chimères, en rappel du fabuleux bestiaire des « stavekirke » médiévales, églises en bois debout, qui ornait aussi proue et poupe des bateaux vikings. A l'intérieur, toutes les pièces sur rue ont une hauteur de 3,75 mètres et sont habillées de planches en bois vernis, murs comme plafonds.

Au niveau du jardin l'espace sous la maison est laissé libre. Un sentier avec marches en ciment imitant le rondin, rejoint la rue des Basses-Falaises (actuellement rue Jean-Devilder). A mi-parcours de ce chemin à flan de colline, Albert Dubosc fait aussi creuser une grotte artificielle pour offrir repos et fraîcheur, à qui veut accéder directement, par le jardin, au centre animé du « Nice havrais » et à la mer.

Le 29 juin 1922 Emile Baudoin rachète la propriété à Albert Dubosc et fait sur la maison des transformations importantes. Il rajoute une aile ouest pour faire un grand salon dans le prolongement de la pièce d'origine. A l'angle sud de cette dernière, il crée un bow-window pour avoir une vue totale et panoramique sur l'entrée du port et la rade. Il aménage également en habitation l'espace resté libre au niveau du jardin, dont la grande chambre avec alcôve.

En 1936, Pierre Boilève, alors jeune commissaire de bord sur le paquebot Normandie, et son épouse Simone, remarquent cette maison surprenante accrochée à la falaise et qui est à louer. Devenus locataires, ils parviennent peu après à l'acheter à Emile Baudoin le 18 juillet 1936. Ils y vivront peu de temps, la guerre éclatant le 1er septembre 1939. Mobilisé, Pierre Boilève est fait prisonnier en juin 1940 et passera cinq ans de captivité dans de nombreux oflags.

Ce même mois de juin la maison familiale est réquisitionnée par la Kriegsmarine, vu la position stratégique du site. Restée seule avec ses enfants, Simone Boilève parvient à rencontrer le commandant de marine allemand, qui occupe désormais les lieux, pour tenter de récupérer quelques meubles et objets personnels. A force de persuasion elle obtient de cet officier, peut être lui aussi père de famille mais peut être aussi au nom d'une certaine solidarité entre marins (même ennemis), la « permission d'emporter un fauteuil, un lit d'enfant, quelques jouets, du linge et de la vaisselle… ». Par la suite les SS occupent la maison et il n'est plus question de négocier avec eux. L'imposant poêle norvégien en faïence et cuivre de la grande pièce est même démonté et expédié en Allemagne ...

A l'été 1943, dans le cadre de l'organisation Todt et du renforcement du « Mur de l'Atlantique » un blockhaus est construit au droit de la façade est de la maison, endroit idéal avec vue imprenable pour de l'artillerie contrôlant port et ciel, de la végétation permettant de dissimuler parfaitement l'ouvrage.

Peu après le débarquement des alliés le 6 juin 1944 sur les plages de « l'autre coté de l'eau », les bombardements de la Royal Air Force les 14 et 15 sur le Havre, le port et les environs, font des dégâts sans précédents. Sans doute destinée au blockhaus, une bombe tombe au pied de la maison, la déflagration soufflant en partie la maçonnerie sur jardin, l'étage en bois restant quasiment en porte-à-faux sur le vide.

Après la guerre il s'en faut de peu que la maison norvégienne ne soit démolie. Grâce à la détermination des propriétaires et sur l'intervention de Monsieur Terrillon, architecte au Havre, elle est finalement rayée de la liste des démolisseurs, provisoirement consolidée, puis redressée par vérins, opération rendue possible du fait de la souplesse de sa structure bois. Utilisée quelque temps par des soldats américains, elle est par la suite squattée et subit à nouveau d'importants dommages. Lambris et parquets arrachés, élevage de lapins dans le salon, chèvre dans la grande chambre… Il faut le vol d'un vélo pour que ces occupants, peu respectueux des lieux, soient condamnés et partent ...

La maison totalement libérée, les travaux de remise en état peuvent commencer avec les subventions allouées par le ministère de la Reconstruction, dans le cadre des dommages de guerre. Le blockhaus, lui, est démoli, sauf les fondations qui deviennent une terrasse. Après trois ans de démarches et de travaux, sous la direction de Robert Royon, architecte havrais, les propriétaires réintègrent enfin leur habitation. Depuis le bow-window, passerelle et vigie immobile, ils peuvent de nouveau, après la tourmente, suivre le sillage des grands navires ...

Entretenue et restaurée avec soins, la maison norvégienne avec le rouge vif de ses boiseries et ses cinq chimères dressées vers le ciel, est toujours, après tant d'épreuves, le port d'attache de la même famille. Elle est aussi lieu de mémoire maritime où se côtoient maquettes de drakkars, de paquebots et souvenirs de voyages d'un commissaire de bord ayant sillonné la plupart des mers du globe et bien sûr la mer de Norvège.

Source : Roland BOILÈVE, architecte honoraire, le 27 mars 2015

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 124602
  • item : Villa Nordique
  • Localisation :
    • Haute-Normandie
    • Seine-Maritime
    • Sainte-Adresse
  • Adresse : 15 rue Charles Lesueur
  • Code INSEE commune : 76552
  • Code postal de la commune : 76310
  • Ordre dans la liste : 35
  • Nom commun de la construction :
    • La dénomination principale pour cette construction est : maison
  • Etat :
    • L'état actuel de cette construction ne nous est pas connue.

Dates et époques

  • Périodes de construction : 4 différentes époques marquent l'histoire du lieu.
    • 19e siècle
    • 4e quart 19e siècle
    • 20e siècle
    • 1er quart 20e siècle
  • Enquête : 1990
  • Date de versement : 1997/09/12

Construction, architecture et style

  • Materiaux: 4 types de matériaux composent le gros oeuvre.
    • calcaire
    • brique
    • essentage de planches
    • essentage
  • Couverture : On remarque 4 types de couverture différents :
    • toit à longs pans
    • pignon couvert
    • pignon
    • toit
  • Materiaux (de couverture) :
    • L'élément de couverture principal est tuile plate
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages : 3 types d'étages mentionés :
    • étage de soubassement
    • en rez-de-chaussée
    • rez-de-chaussée
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • Le décor est composé de : 'sculpture'
  • Ornementation :
    • La seule ornementation connue est 'volute'
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :
    • Notre base de données ne comprend aucun élément particulier qui fasse l'objet d'une protection.
  • Parties constituantes :
    • PArtie constituante relevée : jardin
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • non communiqué

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : support type faîtage propriété privée
  • Auteur de l'enquête MH : Etienne Claire
  • Référence Mérimée : IA76000365

photo :

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photo : Boileve

photo : Boileve