Porte du Baboin

Les relations entre Lyon et le Nord ont dû s'établir, dès l'antiquité, par une double voie : par le centre et par la Bourgogne. Mais, jusqu'à la fin du moyen âge, la bifurcation du chemin « de Lyon en France » se faisait à Marcilly : une branche se dirigeait par l'Izérable et Anse, tandis que l'autre gagnait Lozanne et l'Arbresle.

L'existence d'un pont a été constatée, sur l'Azergues, un peu en aval du pont actuel qui met en communication Marcilly et Chazay. D'autre part, au sud-ouest de Chazay, sur la route de Lozanne, près de la fontaine de la Conche, un chétif bâtiment porte encore le nom de l'Hôpital ; il existait un établissement du même genre, à côté du vieux pont de Dorieux. Or, on sait que ces hospices pour les passants, établis sur l'emplacement de mansions romaines, indiquent sûrement le tracé des anciennes voies.

Ainsi placé, sur une hauteur qui commandait aux deux routes, Chazay représentait un de ces points stratégiques de premier ordre, dont l'occupation a été recherchée de tous temps. Les moines d'Ainay étaient possessionnés à Chazay, dès le IXe siède ; mais le château et le territoire faisaient partie de la seigneurie de Châtillon-d'Azergues.

Le cartulaire d'Ainay nous montre l'abbaye étendant, d'une génération à l'autre, ses possessions, tant à Chazay même que dans les environs. Pour Ainay, comme pour toutes les abbayes et églises, l'an mille amena une recrudescence de donations. Aussi, lorsqu'à la suite de circonstances qui ne nous sont point connues, les Orselli cessèrent d'être seigneurs de Châtillon, vers 1220, l'abbé d'Ainay se trouvait en parfaite situation pour acquérir le titre et les droits de baron de Chazay, avec haute, moyenne et basse justice.

Cinquante ans plus tôt, l'acte de partage et d'échange entre le comte de Forez et l'archevêque de Lyon avait attribué à ce dernier Châtillon et ses dépendances. Cela explique certains conflits de juridiction entre le seigneur archevêque et le seigneur abbé, conflits qui ne furent clos que par un traité passé en 1339 ; cela explique aussi pourquoi les prélats lyonnais avaient conservé une résidence, joignant le château même de Chazay, et les barons de Châtillon, une maison dans le bourg.

Tous ces faits ont été mis en lumière dans la savante étude que M. l'abbé Pagani a consacrée à cette petite ville. Car Chazay vient grossir le nombre, trop faible encore, des communes environnant Lyon, dont un écrivain a tenté de reconstituer l'histoire sur documents.

Si Chazay, vu à distance, prend les airs d'une cité, il devait présenter un aspect autrement imposant, quand une triple enceinte l'enveloppait et qu'il dressait sur le ciel son donjon et ses tours crénelées.

Une première muraille défendait les approches du bourg ; un second rempart ceignait la partie habitée ; il y avait enfin la dernière ligne de défense, enfermant l'ensemble des constructions qu'on appelait le château : citadelle, églises, habitations seigneuriales, hôpital.

La citadelle, noyau primitif autour duquel s'est formé Chazay, et qui portait le nom de fort Saint-André, couvrait l'emplacement occupé à présent par le pensionnat des soeurs de Saint-Charles. Le logis des abbés était immédiatement après, et celui des archevêques, à la suite. De ce côté, facilement défensif en raison des hautes terrasses dont l'escalade s'imposait aux assiégeants, la muraille extérieure passait en dessous du colombier encore debout, enfermait le vivier des abbés et longeait l'actuel chemin de la gare.

Le bâtiment carré, muni d'un balcon, qu'on remarque à l'arrivée, est un reste des tours de la citadelle ; les autres constructions assises le long des terrasses, représentent les résidences seigneuriales, honteusement mutilées, divisées en habitations particulières et masquées par des bâtisses accessoires. La porte du Baboin, par laquelle nous pénétrons dans Chazay, appartenait à la seconde enceinte et s'appelait la porte des Balmes. Elle a pris le nom actuel depuis 1870, époque où l'ancienne porte du Baboin, plus à l'ouest, a été démolie pour dégager les abords de la rue principale du bourg.


Tour du beffroi à Chazay

Un fouillis de ruelles bordées de maisons chétives d'apparence, nous donne l'idée de ce qu'étaient nos bourgs fortifiés, au moyen âge. La place y était étroitement mesurée, et le confort que les ressources matérielles du temps mettaient à la disposition des bourgeois est à peine accepté par les artisans modernes.

Dans cette partie du bourg est l'ancienne église paroissiale, maintenant abandonnée. Mais le sanctuaire historique de Chazay était l'église Saint-Pierre, attenant au château, robuste monument à trois nefs, dont plusieurs morceaux attestent le pur roman de la fin du IXe siècle.

Deux tours, terminées par des pyramidions en pierre, s'élançaient de la façade ; une troisième s'élevait sur le côté droit du chevet. Celle-ci, couronnée de créneaux et munie de mâchicoulis, servait de poste au guetteur et contenait le beffroi d'alarme ; elle est encore debout, surmontée d'une statue de la Vierge, mais le reste de l'édifice est dans le plus misérable délaissement.

C'est à Saint-Pierre de Chazay que sont faites la plupart des donations qui constitueront le riche domaine des abbés d'Ainay. Devenus seigneurs de Chazay, ils feront du siège de leur baronnie une place forte qui bravera, dit-on, les Anglais, lorsque ceux-ci, maîtres de la ville et du château d'Anse, tenteront une incursion plus au sud, en 1335.

Mais les barons ecclésiastiques de Chazay ne se bornent point à ces travaux de défense : ils se constituent une habitation en rapport avec leur rang. Si nous franchissons la porte de Saint-André, nous découvrirons des bâtiments dont la façade, du XVIe siècle, malgré de nombreuses et indignes mutilations, surprend agréablement. Longtemps occupés par des tisseurs et des artisans, ces bâtiments appartiennent aujourd'hui à des gens d'érudition et de goût qui rendront au moins sa dignité, sinon sa splendeur, à l'ancien logis abbatial.

Nous avons dit que les sires de Châtillon avaient une maison à Chazay : elle existe toujours, avec sa jolie tour d'angle à poivrière. Il est à présumer que c'est l'endroit où se passèrent les faits dont la voix populaire a composé la légende du Baboin — légende que nous pouvons presque ramener à la vérité historique.

En 1367, la ville était en liesse, à l'occasion de l'ouverture du ban des vendanges. Après force rasades, force danses et caroles, chacun avait tiré les verrous et demandait le repos au sommeil, quand soudain le beffroi d'alarme se fait entendre : un cri parcourt les rues : l'hôtel de Châtillon est en feu !

Le sire est à l'armée royale, guerroyant contre l'Anglais ; mais sa femme et sa fille sont à Chazay, et bientôt la foule terrifiée voit apparaître à la plus haute croisée la mère tenant dans ses bras la damoiselle, enfant d'une dizaine d'années. S'élancer à leur secours, plus d'un y pense, mais comment aborder cette maison en feu ? Un sauvetage est certes périlleux, avec les multiples engins que l'industrie moderne a créés pour combattre l'incendie ; autrefois, les difficultés étaient pour décourager les plus vaillants.

Cependant, un être fantastique a fendu la foule, couvert d'une fourrure qui le fait ressembler à un animal et portant une échelle. S'adressant aux spectateurs — car, s'il a le pelage d'une bête, il a la voix d'un homme — il demande qu'on l'inonde d'eau et s'aidant de son échelle et des aspérités de la façade, il gagne la croisée où se tiennent les deux femmes. L'enfant est descendue en un clin d'oeil ; le sauvetage de la dame, bien que plus laborieux, s'accomplit non moins heureusement.

Le personnage dégage alors son visage du masque velu qui l'a protégé, et tout le monde reconnaît Sautefort, un jeune saltimbanque venu à Chazay, à l'occasion de la fête. Comme il excelle à exécuter des tours et des gambades sous ce travestissement grotesque, on l'a surnommé « le Baboin », c'est-à-dire le singe dans la langue du temps.

Il va de soi que la châtelaine attacha Sautefort à sa maison. Le seigneur, à son retour, en fit un homme d'armes ; le jeune varlet, emmené à la guerre, se distingua par son courage et devint écuyer ; et, comme il n'est de bonne histoire qui ne finisse par un mariage, Sautefort, fait chevalier sur le champ de bataille, épousa la damoiselle qu'il avait sauvée du feu.

Cour du château des abbés d'Ainay.

C'était une nécessité pour les seigneurs et plus encore pour les feudataires ecclésiastiques — d'avoir un capitaine châtelain à qui était confiée la garde de leurs châteaux et de leurs terres. Cette haute fonction, qui dégénéra plus tard en une simple lieutenance du juge, fut confiée par l'abbé d'Ainay à Sautefort. Il reçut en apanage la terre du Mâs, au midi de Chazay, et en prit désormais le nom. Mais le peu que lui conserva le nom de Baboin, titre bien supérieur à ses yeux, à cause du souvenir qu'il rappelait. La popularité va plus volontiers à ce qui est assaisonné d'un peu de vulgarité, et Napoléon, sans sa redingote grise, perdrait moitié de son prestige, pour les masses.

Chazay qui avait résisté aux Anglais, et ensuite aux Tard-Venus, fut assiégé et enlevé par les Bourguignons, en 1418. Le chevalier du Mâs tenait-il au loin la campagne, sous la bannière de France, ou se trouvait-il alors dans sa châtellenie ? En tout cas, il reconstruisit de ses deniers l'hôpital du bourg, distinct de l'hospice des passants, à la Conche, et ruiné par les assiégeants. Il fit aussi une fondation destinée à doter chaque année une fille pauvre. Aussi, lorsqu'il trépassa, fort avancé en âge, en 1435, ce fut un deuil public. Plus tard une fête annuelle fut instituée en mémoire du Baboin et une grossière effigie, portant son nom, se dressa sur une des portes de la ville.

La fête s'est perpétuée jusqu'à la Révolution ; depuis, elle se célèbre à des époques intermittentes. Quant à la statue en bois et plusieurs fois remplacée, ce n'est pas douteux, elle était à bout de service en 1839. Le conseil municipal s'avisa d'acheter au poids un moulage de fonte qui avait servi de cible dans un tir des Broteaux, se disant, je pense, qu'une statue faite exprès, n'aurait pas chance d'être beaucoup plus ressemblante.

Non seulement le Baboin a sa statue, mais il a eu ses poètes. Deux vers d'une des plus vieilles chansons composées en son honneur sont restés dans la mémoire populaire, et Chazay les a retenus pour sa devise : « Filles qui n'ont vu le Baboin Oncques maris ne trouvent point ».

Cette allusion à la libéralité du gentil chevalier n'est plus justifiée; car la fondation du Baboin en faveur des filles pauvres est convertie en une distribution de secours aux indigents.

N'allez pas, Monsieur, prendre un air entendu, et vous, Madame, vous laisser dire que c'est faute de rosière. Non, la somme, par suite de la dépréciation du numéraire, est probablement trouvée insuffisante, et Chazay estime que la jeune fille couronnée n'en serait pas moins pauvre ni plus sage,

Une église neuve a été bâtie dans le haut du bourg. C'est un monument fort honorable ; mais il y aurait gros à gager que nos ancêtres se reconnaîtraient aussi peu dans nos prétendues constructions gothiques que les ancêtres des félibres dans la poésie de leurs petits-fils.

Chazay paraît vouloir déroger à la loi générale qui fait abandonner aux cités fortifiées les hauteurs où elles s'étaient assises. La partie basse comprise entre l'Azergues et la route qui tend, d'un côté, vers Lozanne, de l'autre vers Neuville, est, pour longtemps, vouée à l'état de fraîches cultures, de prairies et de sèvelées.

Une dérivation de l'Azergues, le Béai, court à travers. Ce bief qui prend naissance à Lozanne, a été ouvert en 1330, pour actionner les moulins, jusqu'alors établis sur la rivière même dont ils obstruaient le cours. Bâtiments et barrages, en temps de crue, gênaient l'écoulement des eaux et provoquaient des désastres.

  • Titre : Aux environs de Lyon
  • Auteur : Bleton, Auguste (1834-1911)
  • Éditeur : Dizain et Richard (Lyon)
  • Date d'édition : 1892
photo pour Porte du Baboin

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 156683
  • item : Porte du Baboin
  • Localisation :
    • Rhône-Alpes
    • Rhône
    • Chazay-d'Azergues
  • Code INSEE commune : 69052
  • Code postal de la commune : 69380
  • Ordre dans la liste : 2
  • Nom commun de la construction : 2 dénomiations sont utilisées pour définir cette construction :
    • porte
    • port
  • Etat :
    • L'état actuel de cette construction ne nous est pas connue.

Dates et époques

  • Périodes de construction :
    • Nous n'avons aucune informlation sur les périodes de constructions de cet édifice.
  • Date de protection : 1934/03/13 : inscrit MH
  • Date de versement : 1993/12/03

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • non communiqué
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :
    • Notre base de données ne comprend aucun élément particulier qui fasse l'objet d'une protection.
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • non communiqué

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : propriété de la commune 1992
  • Photo : b23e8d5e7633be1405182537f2fec713.jpg
  • Détails : Porte du Baboin : inscription par arrêté du 13 mars 1934
  • Référence Mérimée : PA00117743

photo : Dominique Robert