Ancienne abbaye des Prémontrés

L'église date de la première moitié du 18e siècle, tandis que le bâtiment d'entrée est du troisième quart du 18e siècle.

Lorsqu'on suit le chemin de St-Omer à Boulogne par Quercamp, on arrive, au-dessus de Journy, sur le mont Des Clitres. De ce point élevé qui domine le bassin supérieur de la vallée de l'Hem, encaissé de tous côtés par une chaîne circulaire de hautes collines, dans un périmètre de huit à dix lieues, on voit se dérouler devant soi avec une sorte d'extase et un plaisir indicible tout un vaste panorama, sans contredit l'un des plus pittoresque du nord de la France et du Pas-de-Calais. Sur le bord opposé de ce grand bassin qui s'étend presque orbiculairement en forme d'éventail avec une infinité d'accidents de terrain, dans la direction de l'occident d'été par rapport au spectateur placé sur le mont Des Clitres, l'œil distingue sans peine, à une distance d'environ six kilomètres, sur le point culminant d'une légère éminence, entourée d'un massif de verdure, une blanche église, dont les murs élevés et la haute toiture contrastent singulièrement avec le mesquin campanile qui la surmonte et la longueur évidemment tronquée et écourtée de l'édifice.

Cette église, c'est celle de l'ancienne abbaye de Licques, que la révolution de 89 a surprise en voie de reconstruction et dont on a fait depuis l'église paroissiale du bourg.

L'abbaye de Licques avait été fondée par un seigneur de ce domaine, qui dépendait du comté de Guines, à son retour de la première croisade. Ce seigneur qui s'appelait Robert De Licques, surnommé le Barbu, parce que, de son temps, dit Lambert d'Ardres, celui qui ne portait pas la barbe longue était considéré comme un efféminé digne de dérision et de mépris, était le contemporain et le compagnon d'école d'Arnould de Selnesse, le fondateur de la ville et de la collégiale d'Ardres. C'est à l'instar de son vieil ami, dont le fils, Arnould-le-Vieux, avait été son compagnon d'armes en Orient, que Robert-le-Barbu fonda l'église Notre-Dame de Licques avec cinq prébendes pour autant de chanoines, à la tête desquels il se plaça lui-même eu qualité de prévôt ou de doyen. C'était encore l'époque où le glaive du comte ou du chevalier se faisaient honneur de s'allier avec la crosse abbatiale ou prévôtale de l'humble cénobite, et l'on sait que le titre d'abbé ou de prévôt n'était pas incompatible avec la qualité de seigneur laïque et d'homme marié.

Baudouin, aussi surnommé le Barbu, succéda a son père, Robert de Licques. Il avait quatre fils qui se firent clercs et chanoines dans ce même monastère fondé par leur aïeul ; si bien donc que la collégiale de Licques offrit le spectacle aussi rare qu'édifiant, d'une abbaye uniquement composée d'un père et de ses enfants.

Mais à cette époque, où l'imagination de nos bons aïeux était tournée tout entière vers l'Orient, il était bien difficile que le fils et le petit-fils d'un arrière vassal et d'un compagnon d'armes de Godefroi de Bouillon et de Baudouin ne finissent point par s'ennuyer de ce genre de vie inactive qui devait si peu convenir à des hommes de leur trempe et qu'ils n'éprouvassent pas le désir de voir, eux aussi, cette contrée, cette bienheureuse terre promise dont ils entendaient raconter autour d'eux tant de merveilles.

Et comment en eût-il pu être autrement quand c'était cette partie de la Morinie Gallicane, les arrondissements actuels de Boulogne et de St-Omer qui avaient fourni à la première croisade l'élite de ses preux et de ses héros ? N'est ce pas en effet de ce petit coin de la France qu'étaient sortis les trois fils du comte de Boulogne, l'illustre Godefroi, ce chef des chefs, dux ducum, qui pourfendait les Sarrasins et qui, placé à la tête des croisés, fut acclamé par eux roi du royaume de Jérusalem, après la conquête de cette ville et de la Palestine ; son frère cadet, Baudouin, qui reçut cette même couronne après lui ; puis Eustache, son frère aîné, qui, moins brillant mais non moins brave que ses deux cadets, succéda à son père du comté de Boulogne ; et les trois fils du châtelain de St-Omer, Guillaume qui combattait à côté de Godefroi lors du siège de Jérusalem, Gautier, qui devint prince de Tibériade, Geoffroi qui, avec Hugues des Payens, fonda l'ordre si célèbre des Templiers ; et les deux gendres de ce même châtelain de St-Omer, Arnould de Gand et Baudouin de Bailleul, et avec ces illustres guerriers, les compagnons d'armes de Robert de Licques, tels que Foulques de Guînes, Arnould d'Ardres, Eustache de Fiennes, Eustache de Térouanne, Herman d'Aire et une foule d'autres braves dont les noms moins connus ne sont point parvenus jusqu'à nous ?....

Tout nous porte à croire que pour former sa milice du Temple que nous voyons si répandue dans le Nord du Pas-de-Calais, Geoffroi de St-Omer recruta, surtout dans nos contrées, un certain nombre de chevaliers parmi ceux qui se sentaient quelques dispositions à la vie tout à la fois guerrière et ascétique, et que ce fut dans le but d'entrer dans cet ordre que Baudouin-le-Barbu et ses quatre fils prirent, vers l'an 1120, le chemin de l'Orient.

Avant de partir, Baudouin avait remis les cinq prébendes canoniales de l'abbaye de Licques au prévôt et aux chanoines de Watten. Mais quelques années plus tard, Milon Ier, évêque de Térouanne, d'abord abbé d'un couvent de Prémontrés, introduisit ces religieux dans son diocèse et, avec l'assentiment des chanoines de Watten, il les établit à Licques, en 1132, en leur attribuant, pour subsistances, les cinq prébendes fondées par Bobert le-Barbu. La collégiale de Licques fut ainsi transformée en une abbaye de Prémontrés qui subsista jusqu'à la révolution de 89.

Il résulte d'un plan trouvé dans les papiers de M. Dufaitelle et communiqué à la Société par son honorable secrétaire-général, M. Henri de Laplane, que l'église de Licques, commencée en 1783, devait former une croix. La partie de la nef inférieure au transept a seule été construite, c'est l'église actuelle.

L'abbaye et ses cloîtres devaient être adossés au côté sud de cette église. Dans la reconstruction, dont le plan a été dressé en cette même année 1783, on n'a pas suivi partout les anciennes fondations. Les dépendances de l'abbaye étaient, du côté du communal ou flégard de Licques, sur le même plan que l'église. Les deux pavillons extérieurs, séparés l'un de l'autre par une grande porte qui était la principale entrée de l'abbaye, ont été construits sur un terrain dépendant du communal. Ces deux bâtiments qui existent encore, sont aujourd'hui à usage d'école et de presbytère ; c'est la seule partie de l'abbaye qui, avec la nef de la nouvelle église, soit parvenue jusqu'à nous.

Au plan dont nous venons de parler est jointe une note de M. Dufaitelle sur l'époque de la destruction de l'ancien monastère et les circonstances qui en ont amené la ruine. La voici telle que l'auteur, qui se proposait de la communiquer à la société, l'a écrite:

« Le plan que j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Société est celui de l'abbaye de Licques, dressé en 1783, à l'occasion des nouvelles constructions faites par les moines, sur un terrain contigu au grand portail de l'église, et dont une partie appartenait à la place publique. Ce plan est malheureusement bien moderne et ne contient pas la distribution intérieure des bâtiments qui tous datent d'une époque assez récente ; en effet, l'abbaye a souvent eu à gémir des malheurs de la guerre, malgré les fortifications qu'une sage prévoyance avait élevées pour la protéger ; sa ruine a été complète en 1674, sous la prélature de l'abbé commendataire, Gilbert de Clarembault de Palluau, évêque de Poitiers. Le mardi 3 avril de cette année, à cinq heures du matin, un fort parti espagnol, venant d'Aire, menaça les moines de Prémontré, de Licques, et les habitants du bourg, de mettre tout à feu et à sang, si on ne payait immédiatement les contributions arriérées. Le prieur, Dominique Butor, présenta ses quittances en règle ; ce n'était pas le compte des pillards, leur fureur s'augmenta au lieu de se calmer. Les exigences espagnoles ne furent pas accueillies plus favorablement au château où la dame de Licques s'était enfermée avec la plus grande partie de la population. L'ennemi attaqua vigoureusement le château défendu avec courage et succès ; il fut obligé de se retirer après un combat meurtrier. Les moyens de résistance étaient moins puissants à l'abbaye ; emportée de vive force, elle fut pillée et incendiée, à l'exception de l'église et du dortoir ; le feu dévora, en outre, 28 ou 30 maisons du bourg avec l'église paroissiale. Les Espagnols, dans cette cruelle journée, perdirent cinquante hommes tués ou blessés.

« Ce sanglant épisode de l'histoire de Licques n'a été reproduit par aucun de nos annalistes ; c'est que dans ces siècles de calamiteuse mémoire, nos aïeux avaient chaque jour à défendre, les armes à la main, leur fortune, leur vie, leur honneur! C'est qu'il n'est pas un hameau, une maison de nos campagnes, qui n'ait à raconter son drame lugubre ! C'est que le combat d'un jour effaçait la trace sanglante de la veille ; c'est que la torche incendiaire cachait incessamment les ruines anciennes sous des charbons nouveaux. St-Omer, juin 1846. A.-F. Dufaitélle »

Nous ferons remarquer que cette destruction du bourg et de l'abbaye de Licques par les troupes espagnoles ou, ce qui revient au même, par les troupes artésiennes, n'était qu'une triste représaille de la dévastation que les troupes françaises du Boulonnais et de l'Ardrésis venaient de faire subir, dans les mêmes circonstances, à un autre bourg de la vallée de l'Hem, celui de Tournehem. Celte malheureuse petite ville avait été trois fois prise et brûlée, en 1542, 1555 et en 1595. Elle avait vu renverser ses remparts et raser son château, la plus importante forteresse de la contrée. Mais jusque-là du moins, elle avait conservé sa chapelle collégiale, fondée en 1502 par le grand bâtard de Bourgogne, et desservie par sept chapelains ; elle avait aussi conservé son église. Mais en 1674, un corps de troupes françaises, parti d'Ardres, fondit à l'improviste sur cette ville déjà ensevelie sous ses premières ruines et toute fumante encore des trois incendies qui avaient détruit la majeure partie de ses habitations, pilla et renversa tout à la fois la chapelle collégiale où reposaient les restes du grand bâtard et l'église paroissiale dont la chapelle de la Vierge seule resta debout. Ces pillards ne s'étaient pas contentés d'emporter avec eux tout le mobilier de la collégiale et de l'église avec les trois cloches récemment placées dans la tour, mais ils avaient enlevé jusqu'au pavé même qu'ils avaient transporté à Ardres.

Cette guerre de clocher à clocher à laquelle furent en proie nos malheureuses contrées pendant le cours du XVIe et du XVIIe siècle, par suite d'un changement de domination, avait revêtu tous les caractères de fureur et de férocité qui ne se rencontrent que dans les guerres civiles. Jamais les territoires des arrondissements de St-Omer et de Boulogne n'avaient été dévastés par les Anglais du Calaisis comme ils le furent par leurs habitants eux-mêmes. Ainsi, pour n'en citer qu'un exemple, le roi d'Angleterre Henri VIII, qui était venu débarquer à Calais, en 1543, avec une nombreuse armée, avait, il est vrai, ravagé le Boulonnais, dont il avait brûlé six villages, mais il s'était particulièrement attaché aux forteresses et, en passant à Licques, il s'était borné à détruire le fort de l'abbaye sans toucher à l'abbaye elle-même ni à son église. Cette modération s'explique. Les soldats anglais n'avaient pas d'injures personnelles à venger ; ils ne faisaient la guerre que pour affaiblir leur ennemi et pour se procurer des vivres. Les Artésiens et les Boulonnais, au contraire, une fois lancés dans cette guerre de voisins à voisins, se battirent en forcenés pour s'entre-détruire et se venger des pertes réciproques qu'ils avaient essuyées. Chaque nouveau désastre, loin de calmer leur fureur, ne faisait que l'attiser.

L'abbaye de Licques comptait, vers la fin du XVIIe siècle, douze religieux et huit mille livres de revenus. Il a été dressé, au siècle dernier, un inventaire de ses archives que possède aujourd'hui M. de Saint-Just. On nous assure que son cartulaire, dont quelques chartes ont été publiées par André Duchesne et Aubert Lemire, n'est point perdu. Nous faisons des vœux pour que celui qui en est l'heureux possesseur veuille bien un jour le produire. Car là aussi, comme dans la chronique d'André et le terrier de l'abbaye de Beaulieu qu'a donné à la Société notre estimable et obligeant concitoyen M. Coze, doivent se rencontrer des documents précieux pour l'histoire et l'ancienne topographie du pays.

Source : Bulletin trimestriel de la Société académique des antiquaires de la Morinie.

photo pour Ancienne abbaye des Prémontrés

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 101679
  • item : Ancienne abbaye des Prémontrés
  • Localisation :
    • Nord-Pas-de-Calais
    • Pas-de-Calais
    • Licques
  • Adresse : place du Haut
  • Code INSEE commune : 62506
  • Code postal de la commune : 62850
  • Ordre dans la liste : 1
  • Nom commun de la construction :
    • La dénomination principale pour cette construction est : abbaye
  • Etat :
    • L'état actuel de cette construction ne nous est pas connue.

Dates et époques

  • Périodes de construction :
    • La construction date principalement de la période : 18e siècle
  • Années :
    • 1717
    • 1747
    • 1771
  • Dates de protection :
    • 1983/09/21 : classé MH
    • 1983/09/21 : inscrit MH
  • Date de versement : 1993/11/03

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • non communiqué
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :7 éléments font l'objet d'une protection dans cette construction :
    • élévation
    • pavillon
    • cloître
    • bâtiment conventuel
    • église
    • bâtiment
    • église paroissiale
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • non communiqué

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : propriété de la commune 1992
  • Photo : 81457ec117c28421c336388db4dbff85.jpg
  • Détail :
    • Eglise, actuellement église paroissiale (cad. E 271) : classement par arrêté du 21 septembre 1983 - Façades et toitures du bâtiment d' entrée avec ses deux pavillons
    • sol correspondant aux bâtiments conventuels détruits, notamment de l' ancien cloitre (cad. E 263, 262, 267 à 270, 272, 279) : inscription par arrêté du 21 septembre 1983
  • Référence Mérimée : PA00108330

photo : joel.herbez

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