Eglise Saint-Aignan

Notice historique sur la ville de Cosne-sur-Loire et l'église de Saint-Aignan  par Augustin Joseph CrosnierL'église de St.Agnan de Cosne est bien certainement, sinon le monument le plus complet, au moins le monument le plus ancien de la ville, et même le plus curieux sous le point de vue archéologique.

En arrivant à Cosne par la route de Nevers, on rencontre, sur la rive gauche de Noain, une église de peu d'apparence au premier aspect ; mais, vue de plus près, elle excite la curiosité de l'archéologue. Son abside avec son arcature extérieure au plein-cintre, ses trois fenêtres symboliques, ses chapiteaux historiés et encore grossiers lui indiquent de suite une église qui appartient à la première moitié du XIIe siècle ; s'il a le coup-d'œil sûr, il reconnaît en même temps une certaine physionomie commune à toutes les églises de Cluny, ce qui doit contribuer à augmenter sa curiosité.

Cependant avant d'entrer, qu'il s'arrête un instant pour reporter sa pensée à des temps bien antérieurs à la fondation de cette église. Une autre existait avant elle sur le même emplacemeut, c'est celle dont nous avons déjà parlé qui était dédiée à saint Front ; c'était à l'ombre de ses murailles antiques que Nitard, petit-fils de Charlemagne, avait fixé sa demeure, là, lorsque le sang de la noblesse de France fumait encore dans les plaines de Fontenay et sur les collines voisines, lui écrivait avec calme les cruelles dissensions des trois enfants de Louis-le-Débonnaire, Lothaire, Louis et Charles, et les détails de cette sanglante bataille. Après avoir dressé d'un seul trait de plume l'acte mortuaire de cent mille français, le prince historien suspend momentanément son récit pour nous apprendre qu'une éclipse de soleil le force à déposer la plume.

Quel fut le sort de l'église de St.-Front ? est-elle tombée de vétusté ? a-t-elle été détruite par les Normands ? l'histoire reste muette sur ce point ; mais nous savons que presqu'aussitôt après la fondation du fameux prieuré de la Charité-sur-Loire, de 1052 à 1059, l'église de St.-Agnan de Cosne compte parmi les dépendances de la Charité ; on peut donc la considérer comme un des premiers rejetons de la fille aînée de Cluny.

Il ne reste des constructions primitives de l'église de St.Agnan que l'abside, le portail et quelques parties de murailles, le reste a été reconstruit après un incendie qui eut lieu en 1737 et qui occasionna, l'année suivante, la chute de la voûte et d'une partie de l'église ; on retrouve aussi dans le collatéral méridional des substructions qui appartiennent à la fin du XVe siècle : des nervures complètement prismatiques ne laissent aucun doute à cet égard.

Cependant, malgré toutes les modifications qu'a éprouvées cette église, il serait facile de se faire une idée du plan primitif : les trois nefs étaient terminées par trois absides en cul-de-four, et la forme cruciale devait se montrer ou en plan ou en élévation.

L'abside centrale est la seule qui reste debout ; déjà nous avons parlé de sa décoration extérieure, la décoration intérieure est la même : entre les trois fenêtres symboliques, des colonnes engagées sont surmontées de chapiteaux fleuris et animés, peu fouillés et encore grossiers ; une demi-calotte vient se reposer sur les quatre colonnes du sanctuaire.

La partie la plus curieuse de cette église est sans contredit le portail. On y voit une de ces épopées que le XIIe siècle se plaisait à mettre fréquemment sous les yeux des fidèles, la lutte du bien contre le mal ; c'est le grand sujet qu'on traitait de préférence, on le reconnaît à Autun, à Vezelay et dans la plupart des églises romano-byzantines. Les deux principes des Manichéeus qui se reproduisaient sous le nom de Poplicains et qui semblaient leurs erreurs à Nevers, à Corbigny, à la Charité, etc., ont peut-être fait choisir ce sujet préférablement à tout autre.

Les pied-droits du portail sont flanqués de chaque côté de deux colonnes dont une est en retrait, avec des chapiteaux, les uns fleuris, les autres animés et symboliques. Pour se rendre compte de cet intéressant portail, il est nécessaire de se rappeler le symbolisme qui dominait à cette époque et de comparer, si on peut se servir de cette expression, les livres écrits avec les livres sculptés.

Au côté droit (gauche du spectateur), le chapiteau le plus rapproché de la porte est orné de deux lions, entre lesquels se trouvent, nous ne dirons pas un homme, mais une quasi forme humaine ; la tête touche le sol, et les jambes se dressent contre le cou des lions. Ne doit-on pas reconnaître ici l'homme terrestre qui s'est laissé dominer par ses passions ; l'âme est assujettie, tandis qu'elle devait régner en maîtresse et en reine ; les pieds, qui doivent être au service de la tête, ont pris sa place, et les deux lions, symboles de la force et de la tyrannie du démon, semblent contempler leur victime ; Le chapiteau voisin est le combat que nous avons à soutenir sur la terre et dans lequel Dieu nous rendra victorieux, si notre volonté ne se montre pas rebelle à sa grâce. Le démon se présente sous la forme du lion et du dragon, mais le chrétien n'a rien à craindre, il est assuré qu'il sera plus fort que le lion et le dragon, conculcabis leonem et draconent : ici il ne les foule pas aux pieds, il leur déchire la mâchoire d'une main vigoureuse. Le premier chapiteau présente la défaite, le second la victoire.

Chapiteaux de Cosne

Les chapiteaux du côté gauche sont fleuris et bien fouillés. Sur les colonnes reposent des cintres à simples moulures, mais une riche archivolte à double rang les encadre. C'est d'abord une suite d'animaux réels ou fantastiques avec des personnages, puis une riche guirlande de roses à cinq lobes. Le badigeon qui couvre les personnages et les animaux de cette double archivolte ne permettent que de deviner certains sujets.

Au bas, de chaque côté, sont deux têtes humaines, l'une sur un corps de dragon, l'autre sur un corps d'oiseau ; il faut reconnaître ici la traduction des paroles du psalmiste : homo cum in honore esset non intellexit, comparatus est jumentis insipientibus et similis factus est illis ; l'homme a méconnu la dignité à laquelle Dieu l'avait élevé, il s'est mis au niveau de la bête et en a pris la ressemblance. L'homme se place même souvent par ses passions au-dessous de la bête, car elle du moins suit son instinct, et lui étouffe les lueurs de la raison ; c'est pour cela que nous le voyons ici au-dessous des animaux que nous allons étudier.

Le second sujet, à gauche, représente un animal hybride ; c'est un monstre ailé avec un corps de lion et des pattes de grillon qui paraissent chargées de boue ; vis-à-vis c'est une sorte de tortue, animal qui ne se plaît pas seulement à se traîner lourdement sur la terre, mais qui recherche les eaux bourbeuses, images frappantes des affections terrestres. L'homme terrestre, si souvent représenté sous des types variés dans les églises de Cluny, ne peut, à l'aide de ses ailes impuissantes, s'élever au-dessus de la terre ; il est retenu par cette bouc qui s'est attachée à lui.

Le troisième sujet, à droite, est un oiseau, mais du genre de ceux dont les ailes ne peuvent soutenir longtemps la pesanteur du corps et qui ont peine à quitter la terre ; c'est toujours l'homme terrestre qui ne pense plus à déployer les ailes des bonnes œuvres et de la prière pour s'élever vers le Ciel Vis-à-vis, un animal fantastique, qui a quelque chose du crapaud et du porc, semble se boucher les oreilles : c'est la figure du pécheur endurci, qui, comme l'aspic, se rend sourd pour ne pas entendre.

Le quatrième sujet, à droite, est un porc, il devait trouver ici sa place. Le porc est l'image de l'impureté : Tertulien l'appelle la bête familière des démons, familiare dæmonum pecus, et Vincent de Beauvais, la monture du diable, diaboli jumentum ; pour vaincre ce démon, il faut joindre la vigilance à la prière, vigilale et orate. C'est ce qu'indique cet homme à genoux tenant un arc en main ; il veut combattre, mais non pas par ses propres forces, et ce n'est point sur son arc qu'il fonde l'espérance de la victoire, il compte sur le secours de Dieu. Vis-à-vis l’emblème de l'impureté est un lion, symbole de l'orgueil et de la colère ; cet animal, d'après Vincent de Beauvais, représente aussi la persévérance dans le mal et l'impénitence.

Il est facile de reconnaître jusqu'à présent la triple concupiscence contre laquelle l'homme doit continuellement lutter.

Mais nous n'avons encore considéré que les vices grossiers et matériels ; ici commencent les vices intellectuels et plus raffinés, si nous pouvons employer cette expression. L'orgueil n'engendre pas toujours la colère du lion, ce vice se montre plus calme et se manifeste quelquefois dans des âmes qui sembleraient devoir être à l'abri de ses atteintes. Il en est de même du vice impur, l'homme ne descend pas toujours au dernier degré de la corruption, il ne se vautre pas toujours comme le porc immonde, il ne recherche pas publiquement l'eau croupie comme la tortue et le crapaud, mais n'a-t-il pas à lutter contre les charnues secrets de la volupté et ses mortels raffinements ?

Au-dessus de l'homme qui combat à genoux, une brebis est accompagnée de quelques agneaux qui la suivent, symbole de la douceur, de la charité et de l'innocence : ce tableau convient bien au-dessus de ceux que nous venons d'étudier, et qui nous ont montré la colère et l'orgueil, l'auteur des richesses et des plaisirs.

L'âne qui pince de la harpe, sujet si fréquemment reproduit aux XIe et XIIe siècles, qu'on retrouve dans la crypte de St.-Parize-le-Chatel, diocèse de Nevers, et sur presque toutes les églises romano-byzantines, indique bien l'orgueil des sots.

La sirène que nous voyons de l'autre côté du portail, symbole de la volupté, se rencontre aussi fort souvent sur les monuments religieux de la même époque ; quelquefois cette sirène est sans aucun attribut, d'autres fois elle tient entre les mains des objets qui complètent la pensée de l'artiste. Dans le cloître de St.-Aubin d'Angers, la sirène tient d'une main un couteau et de l'autre un poisson. Le chrétien représenté par le poisson, car, dit Tertullien, « nous sommes de petits poissons en J.-C., véritable poisson qui nous a donné la vie », le chrétien doit se mettre en garde contre les charmes trompeurs de la volupté ; s'il se laisse saisir par l'enchanteresse, elle lui donnera la mort. Les attributs changent au portail de St. -Agnan de Cosne, et si le badigeon nous a permis de le reconnaître, ce qui est peu douteux, elle porte dans la main droite une tige fleurie, et de sa main gauche semble sortir ‘une espèce de nuage, comme la fumée d'un flambeau éteint. Ici encore la volupté est bien caractérisée ; tout en présentant des fleurs, elle éteint le flambeau de la raison, et un nuage épais qui permet plus à l'âme de considérer le ciel.

Portail de l'église de Cosne

Au-dessus, on voit d'un côté un aigle et de l'autre une colombe avec tête humaine ; ces deux oiseaux ont les ailes déployées. L'aigle est le symbole de la générosité, et la colombe l'emblème de l'innocence. Mais pourquoi ici prenons nous en bonne part cette tête humaine sur un corps d'oiseau, tandis qu'en commençant nous avons pris en mauvaise part une figure à peu près semblable ? Il faut bien remarquer que cette figure qui commence la série de tableaux que nous venons d'étudier a les ailes fermées et inactives, tandis qu'ici les ailes sont étendues ; on croirait entendre le chrétien fidèle, effrayé des dangers qui le menacent, s'écrier avec le prophète : qui donnera à mon âme les ailes de la colombe, afin qu'elle puisse, ô mon Dieu, se réfugier dans votre sein paternel, et se procurer ainsi le repos et la paix.

Le chrétien ne doit pas trop se rassurer ; aurait-il conservé comme la colombe son innocence malgré tant d'ennemis, aurait-il montré dans le combat la générosité de l'aigle, comme l'aigle se serait-il élevé par l'amour jusqu'au dessus de la terre, il doit encore exercer une sainte vigilance : le grillon, symbole de la ruse, guette la timide colombe, et l'aigle n'est pas à l'abri des attaques insidieuses du terrible basilic. Ce sont ces animaux qui forment l'arrière garde de cette armée et qui mettent entre deux feux l'aigle et la colombe.

Faut il donc perdre courage! non, l'humilité et la prière seront la sauve-garde de l'homme ici-bas, c'est ce qui est indiqué par cet homme prosterné : de plus, Dieu a ordonné à ses anges de le protéger ; vis-à-vis est un ange protecteur.

Ce n'est point encore assez ; il est important d'assurer à la gloire par ses bonnes oeuvres ; c'est la pensée que nous avons cru reconnaître dans les derniers sujets qui ornent le sommet de l'arc. Parmi les bonnes œuvres le plus en usage à l'époque qui nous occupe, il faut placer la construction des églises et des monastères. Il nous semble que tous les tableaux que nous avons à considérer se rattachent à la fondation de l'église. C'est d'abord un personnage tenant dans ses mains un phylactère qui peut rappeler l'acte de fondation, trois anges sont les témoins et dépositaires de cette bonne oeuvre. Enfin, au sommet, J.-C. dans une auréole ovoïde, tient d'une main le livre de la sagesse, son attribut constant, et de l'autre bénit. De chaque côté du Sauveur sont, à droite, le fondateur de l'église, le sceptre en main et la couronne royale en tête, il soutient de la main gauche un objet mutilé, qui nous a paru avoir la forme d'une église. On sait que souvent les fondateurs des monastères sont ainsi représentés, et qu'ils tenaient, moins par ostentation que par dévotion à perpétuer le souvenir de leur générosité pour avoir une plus large part dans les prières qui devaient être adressées à Dieu dans le nouveau temple. Il est à croire que cette église est de fondation royale ; mais si l'étude iconographique du portail semble lui donner cette origine, l'histoire reste complètement muette sur ce point.

L'autre personnage placé à gauche doit être le prieur qui a accepté l'acte de fondation en faveur de son monastère, saint Gérard peut-être, premier prieur de la Charité, car ce fut de son temps que le monastère de la Charité reçut sous sa dépendance cette multitude de petits prieurés, au nombre desquels compte le prieuré de St.-Agnan de Cosne. Son costume semble être celui d'un prêtre ou d'un religieux.

Source : Notice historique sur la ville de Cosne-sur-Loire et l'église de Saint-Aignan  par Augustin Joseph Crosnier

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 95667
  • item : Eglise Saint-Aignan
  • Localisation :
    • Bourgogne
    • Nièvre
    • Cosne-Cours-sur-Loire
  • Lieu dit : Cosne
  • Code INSEE commune : 58086
  • Code postal de la commune : 58200
  • Ordre dans la liste : 3
  • Nom commun de la construction :
    • La dénomination principale pour cette construction est : église
  • Etat :
    • L'état actuel de cette construction ne nous est pas connue.

Dates et époques

  • Périodes de construction :
    • Nous n'avons aucune informlation sur les périodes de constructions de cet édifice.
  • Date de protection : 1862 : classé MH
  • Date de versement : 1993/11/26

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • non communiqué
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Interêt de l'oeuvre : 18 04 1914 (J.O.)
  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :
    • Notre base de données ne comprend aucun élément particulier qui fasse l'objet d'une protection.
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • non communiqué

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : propriété de la commune 1992
  • Détails : Eglise Saint-Aignan : classement par liste de 1862
  • Référence Mérimée : PA00112866

photo : Pascal-Jean Rebillat Photographies

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photo : pierre bastien

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