photo : joel.herbez
Des nombreux menhirs qui existaient dans l'ile vers 1800, il ne reste que « Jean et Jeanne » dans les landes de Kerlédan en Sauzon. Ils sont en schiste du pays. Ils ont été dénommés Jean et Jeanne de Kerlédan pour conserver le souvenir des deux menhirs qui portaient ce nom dans le terrain sacré de Runelo. Dans ce lieu étaient encore dressés il y a un siècle, deux menhirs très rares. L'un, jean de Runélo, était taillé dans du schiste rouge, de forme élancée et avait 3 m 60 de hauteur au—dessus du sol. L'autre, placé à 300 m environ, était très remarquable. On l'appelait Jeanne de Runélo. Le granit n'existe pas à Belle-Ile, or, ce qui est surprenant c'est que Jeanne était un bloc de granit de Pont-Aven (Finistère). Il avait une hauteur de 7 m 86. Monsieur de La Sauvagère, ingénieur du roi, venu dans l'ile vers 1760 pour construire les fortifications, l'a cubé et évalué son poids à environ 25 300 kg. Donc Jeanne avait été transportée par mer de quinze lieues à la côte de Belle-Ile et conduite presque dans le centre par une montée d’environ 60 m. Comment les anciens ont-ils pu opérer ce transport ?
Au cours des fouilles qu'on y 21 faites, le menhir s'est brisé en deux.
Source : Histoire de Belle-Île-en-Mer, la citadelle de l'Atlantique par Yvonne Lanco 1853.
La citation qui fait suite et qui précède celle ci dessus apporte un peut plus de précisions sur les menhirs de la région et est un peu plus partisane (ce qui me fait la préférer). On constatera comme la répétition, a l'heure ou le copier coller n'existait pas encore, était une pratique assez courante (mainte fois constatée sur bon nombre d'ouvrages du XVIIIe et XIXe siècle).
Depuis longtemps, il n'est plus nécessaire d'ordonner la démolition des monuments du paganisme; la cupidité suffit, et l'autorité a changé de rôle. J'ai lu dans les mains d'un huissier une assignation qui défendait à un entrepreneur de travaux publics de continuer à démolir le monument de Karnak, non moins respectable, et probablement plus ancien que les pyramides d'Égypte.
Les monuments de Belle-Ile n'ont pas été épargnés ; j'ai parlé de vingt montissels qui subsistent encore en 1846, ou dont le souvenir se conserve parce qu'ils ont été récemment détruits. Des nombreux menhirs que l'on remarquait il y a soixante ans, deux seuls sont restés debout dans les landes de Kerlédan, commune de Sauzon. Ils sont en schiste du pays. Leur élévation est de .... un troisième, en quartz blanc, a été renversé sur le bord de la route du Palais à Locmaria entre le montissel de Borlagadec et le men-dogan du moulin Gouc'h. Sa longueur est de 3 mètres 60 centimètres; grosseur ..... J'en ai vu briser deux beaux depuis douze ans. L'un en schiste rouge du pays, appelé Jean de Runélo, était situé au pied du grand montissel de ce nom, mince et d'une forme élégante, il s'élevait de 3 mètres 60 centimètres. Le second, Jeanne de Runélo, éloigné de 300 pas du montissel, était de granit, il avait 7 mètres 86 centimètres de longueur, et cubait un poids de 25,300 kilog. M. de la Sauvagère l'a fait graver dans ses antiquités de la Gaule. L'ayant renversé pour faire des fouilles, la chute l'avait rompu en deux. C'est en cet état que je l'avais vu. Ces deux beaux menhirs ont été stupidement brisés pour bâtir les murs de la cour de Kersantel. Les frais de l'opération ont dépassé la valeur des pierres.
C'est donc sans aucun bénéfice qu'on a détruit ces grands débris des anciens âges. A Jeanne de Runélo se rattachait une autre question que la question religieuse: l'ile entière se compose de schiste mêlé de quartz, sans aucune parcelle de granit; or ce grand menhir était un bloc de granit où le quartz par assez gros fragments dominant sur le Feldspath, donnait à la pierre une couleur de gris de fer clair. Le point de la côte du continent le plus rapproché de Belle-Ile, où l'on trouve du granit de cette nature et de cette nuance, est à Pontaven, dans le Finistère. C'est donc au moins de 15 lieues que Jeanne avait été amenée par mer à la côte de Belle-Ile, et de là, conduite par terre à 5 kilomètres de distance, par une montée de près de 60 mètres d'élévation.
Source : Histoire de Belle Île en mer par Théodore-Gaston-Joseph Chasle de la Touche 1852.
En aparté (je livre rarement mon sentiment vis a vis des monuments), j'aimerai vous exposer tout le sentiment qui me viens a l'esprit en observant la photo de Monsieur Herbez présentant le menhir ci dessous. En effet elle a le mérite de mettre en valeur la topologie actuelle du terrain et nous pouvons y observer au moins trois éléments importants.
Ces trois éléments m'inspirent un sentiment de perte de tradition importante, une sorte d'érosion historique, car j'imagine facilement qu'a l'époque ou ce menhir fut levé, il devait être le centre de l'attention. Peu importe les raisons ou la destination qui l'a fait exister, ce qui est flagrant de part sa position et l'usage qui est fait autour de lui de nos jours, c'est qu'il n'est plus qu'un accessoire du paysage (sauf le respect que nous devons a ce genre d'édifice bien sur).