Alignements de Kerzérho

De toutes les parties de la Bretagne, c'est le pays de Carnac qui est considéré comme la terre classique de l'alignement mégalithique dans son plus beau développement. Plus spécialement, la région où ces mégalithes abondent et paraissent avoir formé une chaîne continue est cette partie du Morbihan qui est comprise entre la rivière d'Etel, à l'Ouest, et la rivière du Crach, à l'Est. Ce sont trois presqu'îles, qui s'avancent vers le Sud, dans l'Océan Atlantique et dont le territoire est réparti en deux cantons, comprenant dix communes. Le canton de Quiberon comprend les communes de La Trinité, de Carnac, de Plouharnel, de Saint-Pierre et de Quiberon; le canton de Belz embrasse les communes de Ploemel, de Locoal, de Mendon, de Belz, d'Etel et d'Erdéven.

On connaît actuellement neuf champs d'alignement plus ou moins conservés qui se présentent de l'Ouest à l'Est et du Nord au Sud dans l'ordre suivant :

  1. Le champ de Kerzerho (orthographe de Le Rouzic) ou de Kerzhero (orthographe de Gaillard), dans la commune d'Erdéven, n° 23 de l'inventaire de Gaillard ; il en reste actuellement l'alignement et le cromlech ;
  2. Le champ de Crucuno (commune de Plouharnel, n° 2 de l'inventaire de Gaillard) ; il reste un quadrilatère (Le Rouzic, page 26), ainsi que des alignements (Gaillard, page 18) ;
  3. Le champ de Sainte-Barbe (commune de Plouharnel, n° 13 de l'inventaire de Gaillard); il ne reste actuellement que des vestiges du cromlech et deux rangées au lieu de trois signalées par Gaillard ;
  4. Le champ du Vieux-Moulin (commune de Plouharnel, n°s 14 et 15 de l'inventaire de Gaillard); il ne reste qu'un cromlech et des vestiges d'alignement ;
  5. Le champ du Ménec (commune de Carnac, n° 7 de inventaire de Gaillard) ; c'est le mieux conservé de la région ; il comprend un cromlech et des alignements complets ;
  6. Le champ de Kermario (commune de Carnac, n° 1 ; de l'inventaire de Gaillard) ; il n'y a que l'alignement sans traces de l'ancien cromlech ;
  7. Le champ de Kerlescan (commune de Carnac, n° 14 de l'inventaire de Gaillard) ; on y voit l'alignement et le cromlech;
  8. Le champ du Ménec-Vihan ou Petit Ménec (commune de La Trinité-sur-Mer, n° 11 de l'inventaire de Gaillard) ; il ne reste que l'alignement sans cromlech ; il existe nn certain doute au sujet de l'existence séparée de ce champ à l'égard de celui de Kerlescan. Je ne saurais me prononcer à ce sujet, ne l'ayant pas vu.
  9. Le champ de Saint-Pierre (commune de Saint-Pierre- Quiberon, n° 9 de l'inventaire de Gaillard). L'alignement et le cromlech sont tous deux visibles.

Au sujet de la relation entre les champs d'alignement, il existe deux opinions opposées, l'une qui affirme, leur cohésion réciproque, l'autre qui nie tout lien d'ensemble entre eux. Ainsi certains auteurs attachent de l'importance au fait que les huit premiers champs d'alignement cités plus haut paraissent avoir été reliés entre eux par d'anciens alignements, disparus, dont il ne reste que des vestiges (à Kerascouet et Kervasic, près d'Erdeven ; Kerderf, Kerbachiche, Crifol et les pierres au passage du Lac, près de la rivière du Crach, à la hauteur du dolmen de Kerlagate).

L'opinion contraire est exprimée par F. Gaillard, dans les termes suivants : « Les alignements (1892) exigeraient une étude particulière qui n'a pas encore été produite. Mais leur situation sur la carte générale du pays permet d'affirmer qu'ils n'eurent aucune convergence entre eux ou vers un point déterminé. Ils existent par zones séparées, du Nord au Sud. ».

Quel que soit le jugement qui prévaudra à ce sujet, il importe de remarquer que l'existence indépendante de chaque champ d'alignement ressort du fait de l'orientation de son axe vers le point de l'horizon où doit se lever le soleil, soit à l'équinoxe, soit aux deux solstices, soit enfin à l'un des moments de l'année qui ont le plus d'importance pour les travaux agricoles.

Ces diverses époques sont résumées par un calendrier néolithique gravé sur la stèle de soutènement du fameux dolmen, dit « Table des Marchands », à Locmariaquer.

Le sens de ce calendrier a été ingénieusement expliqué par A. Devoir dans un opuscule intitulé : « Essai d'interprétation d'une gravure mégalithique » (Quimper, 1911, pp. 14 à 21). Nous donnons ci-joint l'image schématique du calendrier dont il s'agit. Au centre du tableau, on voit le soleil, placé à l'entrecroisement d'une ligne verticale (la solsticiale) et d'une horizontale (l'équinoxiale). Le tableau est divisé en huit sections, qui symbolisent des huitièmes d'année sensiblement égaux. Dans chaque division, des groupes d'épis de blé symbolisent la quantité de rayons solaires (ou heures du jour) correspondant à cette période de l'année. La lecture de ce calendrier va dans l'ordre appelé « boustrophédon » qui est celui de la charrue au champ de labour et qui est généralement l'ordre dominant dans les systèmes d'écriture des temps primitifs.

La lecture de cette stèle nous donne donc la successivité des époques du 8 novembre (semailles), 4 février (germination), 6 mai (floraison) et 8 août (maturité des récoltes). Cette stèle aurait résumé en même temps l'orientation de tous les champs d'alignement du pays de Carnac.

Le champ d'alignement de Kerzerho (près Erdeven)

Le champ d'alignement de Kerzerho (près d'Erdeven) comprend 10 lignes parallèles d'une longueur de 2105 mètres. F. Gaillard remarquait, en 1892, qu'il ne restait que 9 rangées vers la fin du champ d'alignement, et il ajoutait qu'il a dû y en avoir un nombre bien plus grand, mais qui n'est pas exactement définissable en raison des bouleversements et des destructions opérées lors de la confection de la route qui les coupe. Les destructions principales ont eu lieu, en outre, au départ des alignements par le travers du Mané-Bras, où ils s'infléchissent, et quelques sections furent complètement anéanties par des défrichements ou des nivellements de terrain. La direction de l'alignement-est, au début, vers l'Est-Nord-Est (Le Rouzic), soit au 88° de la boussole (Gaillard) ; mais, à partir du groupe de dolmens de Mané-Bras, l'orientation tourne vers l'Est-Sud-Est (125° de la boussole). A cet endroit, plusieurs menhirs forment deux lignes, l'une du Nord au Sud, l'autre de l'Ouest à l'Est, indiquant les restes d'une enceinte carrée ou cromlech-quadrilatère (Il ne faut pas .confondre un accident de ce genre, se présentant au milieu du champ d'alignement, avec la relation qui existe entre les lignes parallèles et leur cromlech initial, qui est toujours un hémicycle. Une complication surgissant au milieu de l'alignement est normalement le résultat de l'envahissement d'un édifice plus ancien par la vague graduelle des lignes qui s'avancent vers l'Est). Le nombre total des menhirs composant l'alignement de Kerzerho est de 1129.

La question de situation dû cromlech normal correspondant à cet alignement est assez compliquée. F. Gaillard expose son point de vue dans les termes suivants : « Les alignements de Kerzerho n'ont pas de cromlech ; néanmoins, par la situation d'une ligne latérale de menhirs subsistant au Nord-Est du premier groupe et l'examen de ceux perpendiculaires aux parallèles des rangées, on pourrait croire que ce fut la corde de l'arc du cromlech disparu. C'est une conjecture pour laquelle on peut invoquer matériellement l'énorme volume de ces menhirs, les plus considérables du monument, et observer que la perpendiculaire à cette ligne latérale dans l'axe de la suite des alignements y aboutit. »


Le Rouzic s'exprima à peu près dans le même sens, mais avec une certaine hésitation, en disant : « Une ligne composée de 23 menhirs, dont deux dépassant 6 mètres de hauteur, et 6 fragments, se dirige vers le Nord perpendiculairement aux alignements et représente peut-être les restes d'un vaste cromlech. »

A cette conception s'oppose une explication différente, résultant de mes observations sur le terrain ; celles-ci m'ont amené à la constatation d'un cromlech en hémicycle situé au début de la première section de l'alignement, ainsi qu'on le voit dans le croquis ci-joint. Il en résulterait la possibilité de deux suppositions différentes :

Première supposition : Il y aurait eu coexistence de deux cromlechs demi-circulaires, séparés par une distance d'environ 140 mètres. L'un et l'autre auraient donné naissance à deux alignements parfaitement séparés, ayant chacun une orientation différente (angle différentiel : 37°). Cela présenterait le cas de collision et même de croisement entre deux champs d'alignement. Ce serait la supposition la plus favorable au maintien intégral du fondement astronomique de tous les champs d'alignement.

Deuxième supposition : Il n'y aurait eu qu'un seul cromlech (au début de la première section). En ce cas, la rangée des vingt-trois menhirs n'aurait pas été un cromlech, mais un sanctuaire sans aucun champ d'alignement qui en dépende. La conséquence de cette disposition affaiblirait considérablement l'hypothèse générale d'une orientation solaire, admise comme condition sine qua non de l'existence d'un alignement, puisqu'une déviation aussi considérable, atteignant jusqu'à 37°, changerait entièrement la raison d'être de l'alignement de Kerzerho au point de vue de l'époque de l'aimée dont il serait l'expression matérielle (On pourrait préciser cette idée plus spécialement en disant que le champ d'alignement de Kerzerho aurait deux orientations différentes : l'une d'apis le lever du soleil à l'équinoxe, l'autre d'après le lever du soleil au solstice d'hiver).

Quoi qu'il en soit, la question qui se pose ici ne peut être définitivement résolue que moyennant des recherches supplémentaires dépassant la mesure des possibilités dont j'ai pu disposer. Cette investigation devrait nécessairement envisager conjointement les deux cas connus d'une brusque déviation de l'orientation générale de l'alignement. Ce fait se reproduit dans deux endroits différents : au champ de Kerzerho et à celui du Petit-Ménec (ou Ménec-Vihan), au bord de la rivière de Crach.

Passons maintenant à la description détaillée de la tète du champ de Kerzerho, telle que je l'ai observée sur le terrain.

Le tramway à vapeur, qui va de Plouharnel à Erdeven. passe exactement sur la ligne d'aboutissement des dix rangées de menhirs de la première section, en sorte que le cromlech qui couronne le front d'alignement se dresse immédiatement de l'autre côté de la chaussée parallèle à la voie ferrée, qui se dirige vers le Nord-Nord-Ouest. Les trois premières lignes (en allant du Nord au Sud) sont en dehors de l'arc du cromlech, et les deux extrémités de cet arc correspondent aux rangées n° 4 et n° 10 sur le front d'alignement. Un chemin vicinal, perpendiculaire à la route, élargit au double environ l'intervalle entre la ligne 6 et la ligne 7. Comparés avec les menhirs de la tête du Ménec, ceux de Kerzerho, à proximité du front d'alignement, sont frappants par leur énormité. En outre, ils paraissent se rapprocher jointivement (en tête des lignes de 4 à 10) esquissant la formation d'un parement sur la corde du cromlech.

Ces données parlent en faveur de la supposition que la tête de l'alignement est bien en cet endroit et que c'est là le lieu normal du cromlech, en face du front d'alignement.

En passant de l'autre côté de la route, nous voyons 18 blocs disposés d'une manière irrégulière, sans contact jointif entre eux, mais dont l'ensemble figure sur le terrain un triangle, qui recouvre en grande partie le tracé supposé de l'hémicycle. Si l'on renonçait à y voir un cromlech semi-circulaire, on devrait classer ces blocs dans le parallélisme des lignes, ce qui ne correspond nullement à leur situation, tandis que la coïncidence des points extrêmes de cette figure avec les sept dixièmes du front d'alignement parle en faveur de l'existence d'un cromlech. L'argument décisif est d'ailleurs en ceci que 10 menhirs tout le long de la corde, et 3 sur le pourtour de l'arc, présentent une prépondérance de 13 sur 18, qui sont bien en place conformément à l'idée de l'hémicycle.

A 140 mètres environ, vers le Nord-Est du front d'alignement que nous venons de décrire, se trouvent deux menhirs de 6 mètres de haut. On remarque aux pieds de ces « géants de Kerzerho » deux tables de sacrifice qui paraissent avoir été couchées intentionnellement, avec des rigoles (peut-être pour l'écoulement du sang des victimes), celles-ci beaucoup plus accentuées que dans toutes les « tables » que nous avons pu voir au Ménec ou à Kermario. Ce lieu semble avoir été affecté à des buts rituels. En tout cas, on peut (à titre d'hypothèse assez plausible) le désigner spécialement du nom de sanctuaire. En cette conjoncture, la supposition des restes d un second cromlech, proposée par Gaillard, s'appliquerait aux « 12 menhirs » que j'ai pu compter en ligne droite, dirigé vers le Nord, à droite du sanctuaire. Ce serait, comme le propose Gaillard, ce qui resterait de la corde du deuxième cromlech, tandis que son arc aurait disparu.

En tout cas, cette compréhension du tout devrait écarter absolument l'idée d'incorporation des deux « géants » dans une partie quelconque du cromlech.

Source :

  • Titre : L'Anthropologie
  • Éditeur : Elsevier-France (Paris)
  • Date d'édition : 1890
photo pour Alignements de Kerzérho

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 88976
  • item : Alignements de Kerzérho
  • Localisation :
    • Bretagne
    • Morbihan
    • Erdeven
  • Lieu dit : les Menhirs
  • Code INSEE commune : 56054
  • Code postal de la commune : 56410
  • Ordre dans la liste : 1
  • Nom commun de la construction :
    • La dénomination principale pour cette construction est : alignement
  • Etat :
    • L'état actuel de cette construction ne nous est pas connue.

Dates et époques

  • Périodes de construction :
    • La construction date principalement de la période : néolithique
  • Date de protection : 1862 : classé MH
  • Date de versement : 1993/08/24

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • non communiqué
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Interêt de l'oeuvre : 18 04 1914 (J.O.).
  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :
    • Un élément répertorié fait l'objet d'une protection : mégalithe
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • non communiqué

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : propriété de l'etat 1992
  • Photo : 26ddf3e6d9e1dbe8f5d4720c4e320c18.jpg
  • Détails : Alignements de Kerzérho (cad. O 455, 458, 460, 484) : classement par liste de 1862
  • Référence Mérimée : PA00091179

photo : Manuel Bazaille

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