Eglise Saint-Rémi

Après l'église métropolitaine, il n'en est pas, dans la ville de Reims ni dans le diocèse, de plus belle, de plus célèbre et de plus intéressante que celle de Saint Remi.

La petite chapelle de Saint Christophe

Cette église, dans le principe, dédiée à Saint Clément, pape et martyr, passa ensuite sous l'invocation de Saint Christophe, martyr de Lycie, Bétause étant archevêque de Reims. On croit qu'elle remonte au temps de Saint Sixte et de Saint Sinice. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle existait déjà sur la fin du 3e siècle: elle se trouvait hors de la ville, dans un grand cimetière destiné à la sépulture des fidèles.

Choisie pour recevoir le corps de Saint Remi, cette chapelle se trouva bientôt trop étroite pour contenir le grand nombre de pèlerins qui s'y rendaient de toutes parts. Elle comprenait l'espace qui se trouve entre l'aigle à l'entrée du choeur et la chaire à prêcher, c'est-à-dire, environ 37 à 39 mètres (110 ou 120 pieds). Les habitants se virent alors dans la nécessité de la faire agrandir.

Illustration a droite St Rémi et clovis.

Chapelle agrandie par les habitants

Clotilde, pleine de reconnaissance pour le glorieux pontife qui avait fait couler l'huile sainte sur le front de son royal époux, les aida dans cette entreprise, vers le commencement du 6e siècle : elle dota l'église de revenus et l'entoura de bâtiments pour les prêtres destinés à servir l'autel et à chanter les louanges de Dieu. Peu après,un riche citoyen de Reims, nommé Gébéhart, ajouta aux revenus de quoi entretenir à perpétuité douze prêtres, à charge de dire l'office en l'honneur de Saint Remi.

Saint Grégoire de Tours, qui était venu à Reims à plusieurs reprises pour visiter le tombeau du saint prélat, et notamment en 573, pour y être sacré par l'archevêque Gilles, fait mention dans son ouvrage d'un nommé Epiphane, abbé de Saint Remi ; d'où plusieurs auteurs se croient en droit d'affirmer que, dès ce temps, il y avait des religieux préposés au service de l'église : d'autres veulent qu'il n'y ait eu que des clercs ou chanoines gouvernés par un prévôt , à qui l'on donnait quelquefois le nom d'abbé. Quoi qu'il en soit, il est certain que les uns ou les autres desservirent cette église jusqu'en 786 , époque où l'archevêque Tilpin leur substitua des religieux de l'ordre de Saint Benoist. Ils y demeurèrent jusqu'à la suppression des ordres monastiques, en 1791, c'est-à-dire, plus de mille ans: durée bien remarquable, et dont il y a peu d'exemples en France. Ces religieux célébraient l'office divin de la manière la plus noble et la plus édifiante : aux jours des plus grandes solennités, ils ne formaient qu'un seul corps avec les chanoines de la métropole. v Bientôt cette église ne put contenir la foule des pèlerins qui augmentait tous les jours; il fallut, pour satisfaire à la piété des fidèles, songer à lui donner plus d'étendue. C'est ce qui eut lieu en 633, sous le pontificat de l'archevêque Sonnace, qui y contribua de ses largesses.

Cette église, eu égard au temps, passait pour une des plus merveilleuses du royaume, mais elle avait au plus deux siècles d'existence lorsque les prédécesseurs de l'archevêque Hincmar, touchés de sa destruction prochaine, en firent commencer une plus grande et encore plus magnifique.

Troisième église

Hincmar fit quelques dispositions nouvelles dans les constructions qu'il acheva. Il est hors de doute que ces changements ont été exécutés dans le style romano-lombard, genre d'architecture le plus en vogue du temps de Charlemagne. Quand l'église fut terminée entièrement, ce savant prélat la consacra, vers 863.

La figure de cette ancienne église ressemblait, probablement, à celle que l'empereur Charles-le-Chauve tient en sa main gauche, dans le bas-relief du tombeau de l'archevêque Hincmar, rapporté par Montfaucon, dans ses monuments de la monarchie française, tome 1er, page 306.

Pinchart, chanoine régulier, et qui a beaucoup écrit sur l'histoire de Reims, rapporte que le dessin de cette église se voyait dans un manuscrit, in-4°, de la bibliothèque du monastère. Ce manuscrit, contenant la vie de saint Remi, avait été composé par un religieux de cette maison, en 1377. En 1774, il devint la proie des flammes. On voyait au-devant de cette église, dit ce chanoine, deux religieux portant sur leurs épaules une chasse qui renfermait le suaire de saint Remi; suivaient quatre autres religieux, dont les deux premiers tenaient un livre à la main. L'entrée de cette église et son pourtour, ressemblait beaucoup aux anciens châteaux fortifiés du moyen-âge; à l'un des côtés de la porte, on voyait une grosse tour ronde; au-dessus de la couverture, étaient placés quatre petits clochers; à quelque distance de-là, s'élevait un autre clocher d'une plus grande dimension , couronné de quatre petits clochetons. Cette église se terminait par un bâtiment qui, sans doute, servait d'habitation aux prêtres ou aux religieux qui la desservaient.

C'est dans cette église, dont l'extérieur n'avait rien de remarquable, que Frédéronne, reine de France et femme de Charles-le-Simple, fut couronnée, en 900, par l'archevêque Foulques. Le roi Robert voulut aussi y être sacré, en 922 , par l'archevêque Hervé, et Lothaire, en 954, par l'archevêque Arlault.

Cette église, bâtie à plusieurs reprises, et avec des matériaux peu solides, était menacée d'une ruine prochaine, quand, cent cinquante-deux ans après, Airard, sixième abbé régulier du monastère de Saint Remi, touché de l'état déplorable où elle se trouvait, forma le dessein d'en faire construire une autre sur le même lieu, et d'une manière qui répondit en tout à la grande vénération que les peuples avaient pour saint Remi.

Illustration à droite : Hincmar sur un vitrail de la basilique Saint-Rémi de Reims.

Les plans magnifiques de l'abbé Airard

Pour réaliser son louable projet, Airard appela à Reims, en 1005, d'habiles architectes; il leur déclara l'intention qu'il avait d'élever à la gloire du glorieux patron de son monastère, une église grande et magnifique, qui surpassât en beauté et en étendue toutes les églises de son siècle. Le plan une fois arrêté, il en fit immédiatement jeter les fondements. Anselme, religieux de Saint Remi, contemporain d'Airard, rapporte, sans toutefois entrer dans aucun détail, que quand on vit toute l'étendue de ce vaste édifice, personne n'osa se promettre assez d'années pour le voir terminer. Airard, lui-même, après y avoir fait travailler pendant près de trente ans, mourut avec le regret de le laisser inachevé.

Thierry, son successeur immédiat, animé du même zèle et du même courage, voulut continuer ce qui était commencé; mais il ne fut pas long-temps sans s'apercevoir que tous ses efforts ne seraient jamais couronnés d'un plein succès. II abandonna l'entreprise de son prédécesseur, fit démolir, d'après Anselme, tout ce qui était hors de terre de ce gigantesque édifice, et reprendre les travaux en 1041, mais sur un plan beaucoup moins vaste. C'est cette église que nous possédons encore aujourd'hui; seulement, elle a subi de notables modifications que nous indiquerons dans la suite. Après un travail de sept années, il mourut comme Airard, sans avoir vu son oeuvre achevée.

Eglise actuelle

L'abbé Hérimar, successeur de Thierry, fut plus heureux. La partie méridionale du transept (ou croisée de l'église) n'était pas encore entièrement construite; il la fit terminer, et commença l'autre côté, où l'on ne voyait encore que les fondements. Quand la maçonnerie fut achevée, il fit couvrir l'édifice d'une charpente de bois choisi dans la forêt d'Orbais. Pour arriver à ce résultat, Hérimar n'avait rien négligé. Tous ceux qui pouvaient lui être de quelque secours, il les avait appelés; et les bourgeois de Reims ne furent pas les derniers à le seconder de tous leurs efforts. Non-seulement ils envoyaient leurs domestiques et leurs bêtes de somme, pour faire les nombreux charrois que nécessitait une aussi vaste entreprise; mais ils venaient eux-mêmes, avec leur famille, mettre la main à l'oeuvre.

Il est à présumer que la petite chapelle formée de cinq arcades, soutenue par quatre colonnes et deux pilastres que l'on voit encore au côté droit du portail méridional, entrait dans une des constructions primitives.

Il fallait signaler par quelqu'appareil inusité la consécration d'une église telle que celle de Saint Remi. Pour donner à cette dédicace le caractère le plus auguste, Hérimar invita à la cérémonie le pape Léon IX. Ce saint Pontife venait d'être élevé sur la chaire de Saint Pierre par la mort du pape Damase II. Hérimar l'en félicita et lui rappela le désir qu'il avait manifesté, n'étant encore qu'évêque de Toul, de se rendre au tombeau de Saint Remi, pour le remercier des grâces qu'il avait obtenues par son intercession; il le pria de se ressouvenir de la promesse qu'il avait faite, si les affaires de l'église le ramenaient en France, et il le suppliait de venir en personne faire la dédicace de la basilique qu'il venait d'achever en l'honneur de Saint Remi.

Léon IX (illustration à droite) répondit à l'abbé Hérimar que le respect et la vénération qu'il avait pour le saint archevêque, le désir d'accomplir son voeu et de consacrer son église, étaient des motifs suffisants pour lui faire entreprendre ce voyage. Peu de temps après il se dirigeait vers la France.

Hérimar alla au-devant du saint père jusqu'à Cologne pour recevoir ses ordres. Il lui fil l'accueil le plus gracieux, lui apprit que pour rendre la cérémonie de la dédicace de l'église et la translation du corps de Saint Remi plus solennelle, il avait l'intention de tenir un concile dans l'église même. Il ajouta qu'il se trouverait à Reims pour la fête de Saint Michel, le 29 septembre, qu'il célébrerait la messe le lendemain dans l'église cathédrale, et que le 1er octobre, fête du patron de la nouvelle église, aurait lieu la translation des précieuses reliques : il réserva le second jour à la consécration de l'église, et arrêta que le concile se tiendrait les trois jours suivants.

Au comble de ses vœux, Hérimar revint en France. Le roi Henri Ier était à Laon avec toute sa cour; il s'y rendit et pria sa majesté de vouloir bien honorer de sa présence l'auguste cérémonie. Il envoya ensuite des lettres dans tout le royaume et dans les états limitrophes, invitant les fidèles à se réunir autour du tombeau de l'apôtre de la France, pour recevoir la bénédiction du père commun des fidèles. De son côté Léon IX engagea les évêques et les abbés des royaumes circonvoisins, à se rendre à Reims pour le concile qui devait s'y tenir dans les premiers jours d'octobre.

Le souverain pontife se trouvait dans les environs de Reims le soir du 28 septembre. A quelque distance des murs l'abbé de Saint Remi l'alla recevoir, et le lendemain, à la pointe du jour, il revint suivi de plusieurs grands prélats, entre lesquels se trouvaient l'évêque de Porto, et Pierre, diacre de l'église romaine, préfet de Rome.

Le pape ne tarda pas à les suivre. Au moment où sa sainteté approchait de la ville, une multitude d'ecclésiastiques, d'abbés, de religieux de Reims et des pays d'alentour, se joignirent aux moines de Saint Remi. Tous revêtus de chappes s'avancèrent processionnellement jusqu'à la porte Hermet, une des portes du château de Saint Remi. A leur tête marchaient les évêques de Langres, de Senlis et de Nevers. Ils reçurent le souverain pontife comme l'oint du Seigneur au chant des psaumes et aux acclamations d'un peuple innombrable, accouru de toutes parts pour cette sainte cérémonie. Ces trois prélats lui présentèrent l'encens, l'eau bénite et le livre des évangiles. On entra ensuite dans l'église, et au moment où le pape s'agenouillait devant le tombeau, on entonna le Te Deum. Sa prière achevée, le souverain pontife se dirigea vers le trône qui lui avait été préparé, et donna sa bénédiction au peuple qui remplissait la vaste étendue du temple.

La procession sortit ensuite pour entrer dans la ville; car alors le monastère de Saint Remi n'était pas encore compris dans l'enceinte des murs. Ce ne fut qu'après la célèbre bataille de Bouvines, remportée par Philippe-Auguste au commencement du 13e siècle, qu'il y fut enfermé.

Le pape marchait à pied. Il fut reçu à la porte de la cité par l'archevêque Guy de Châtillon, qui l'attendait à la tête de son clergé. On le conduisit à la cathédrale; il y célébra la messe; se rendit ensuite dans le palais archiépiscopal, où il fut reçu magnifiquement avec toutes les personnes de sa suite. Le lendemain, sa sainteté retourna à l'abbaye de Saint Remi, pour se disposer à la fête du saint et à la cérémonie qui devait avoir lieu.

Léon IX devança le soleil pour se rendre, accompagné de deux de ses prêtres, à la nouvelle église. Il pressa sa marche, pour éviter la trop grande affluence des peuples accourus, non-seulement de la France, mais encore de l'Allemagne, de l'Angleterre et de diverses contrées de l'Europe.

Pour empêcher le désordre presque inévitable dans de telles circonstances, et pour contenir la multitude, on fut obligé de placer des gardes à toutes les issues de l'église. Mais ces précautions furent inutiles ; il fallut céder au torrent qui se précipitait vers le tombeau de Saint Remi : tous voulaient satisfaire leur piété, et déposer leur offrande.

Dans ce siècle reculé, et dans ceux qui l'ont suivi, la piété de nos pères était simple, généreuse et sans ostentation. Ils ne voulaient pas de palais pour habitations; ils abritaient leur maison d'un jour sous les murs du temple de l'Eternel; ils n'hésitaient pas à se dépouiller d'une partie de leurs biens, et travaillaient de leurs mains à l'oeuvre du Seigneur. Quand tout était achevé, ils venaient bénir Dieu, et rendre des actions de grâces dans ces mêmes temples qu'ils avaient aidé à édifier. Ces faits, bien connus, sont à peine croyables dans le siècle où nous vivons.

C'était pour déposer leurs dons aux pieds du tombeau de Saint Remi, que nos pères s'y portaient avec tant d'empressement ; et ceux que la foule empêchait d'en approcher, jetaient leur offrande par dessus la tête de ceux qui les précédaient, dit un historien ; "ce qui se faisait avec un tel fracas, qu'on eût dit une grêle de pierres qui tombait de tous côtés. Le tombeau était couvert de ces offrandes, tant la dévotion du peuple est quelquefois indiscrète, lors surtout qu'un prétexte de religion semble la justifier". On eut une peine infinie à faire évacuer l'église sur la fin du jour ; personne ne voulait s'en éloigner tant soit peu, afin d'être à même d'y rentrer aussitôt que les portes en seraient ouvertes.

Dès l'aube du jour, Léon IX était dans l'église, où tout était disposé pour l'auguste cérémonie. Revêtu de ses habits pontificaux, et accompagné de ses religieux, Hérimar le conduisit au tombeau de Saint Remi. Les archevêques de Reims, de Tréves, de Lyon, de Besançon, plusieurs autres prélats, et Hugues-le-Vénérable, abbé de Cluny, l'accompagnaient. On tira alors la châsse du lieu où elle était déposée, le pape la chargea sur ses épaules, et, pleurant de joie, il s'avança vers l'endroit préparé pour l'exposer à la vue du peuple. S'étant ensuite retiré dans la chapelle de la Trinité, il ordonna, avec l'agrément de l'archevêque de Reims, à l'archevêque de Trêves de commencer la consécration. Au même instant, les portes de l'église s'ouvrirent; le peuple, impatient d'unir ses prières à celles des prêtres, s'y précipita avec tant d'impétuosité, que plusieurs personnes furent étouffées et écrasées dans la foule.

Mais l'embarras fut extrême, lorsqu'il s'agit de transférer la châsse à la cathédrale : comment se frayer un passage à travers cette foule innombrable qui couvrait l'espace entre la ville et l'abbaye ? Cependant le trajet s'effectua, non sans peine; et les historiens assurent que les porteurs de la châsse étaient soulevés par les flots de la multitude, qui grossissait davantage à mesure que l'on approchait de la ville.

Le chapitre de l'église métropolitaine s'étant avancé au-delà des portes de la ville, reçut le corps de Saint Remi et le porta à l'église. La messe du saint fut célébrée, de la manière la plus solennelle, par l'archevêque de Besançon ; et la châsse, déposée sur l'autel de la sainte Croix, y resta jusqu'au lendemain, constamment entourée des religieux de l'abbaye. Tous ceux qui avaient pu entrer dans la cathédrale, imitant la ferveur des religieux, demeurèrent dans l'église, qui se trouvait presque aussi éclairée qu'en plein jour. Les moines récitèrent leurs matines, les chanoines chantèrent les leurs immédiatement après, et la nuit se passa à célébrer les louanges de Dieu. Au lever du soleil, on reprit la châsse, et la procession, ayant parcouru plusieurs quartiers de la ville, et stationné aux endroits que le saint avait rendus remarquables par quelque miracle, se dirigea vers l'église.

Pendant ce temps, le souverain pontife consacrait la nouvelle église. Ayant distribué les diverses chapelles aux évêques assistants, il se réserva le maître-autel, qu'il dédia à Dieu, sous l'invocation des bienheureux apôtres Saint Pierre et Saint Paul, des martyrs Saint Clément et Saint Christophe, et de Saint Remi. En même temps, l'archevêque de Reims, accompagné de l'évêque de Lizieux, faisait trois fois au dehors le tour de l'église, avec la croix et les reliques des saints , suivant l'usage observé, dès ce temps-là , pour la consécration des églises.

Cette pieuse, mais longue cérémonie, n'était pas encore entièrement terminée, quand la procession arrivait aux portes de l'église. Pour y entrer, l'embarras fut encore plus grand que la veille: la multitude assiégeait toutes les avenues du temple. La nécessité força de recourir à un expédient extraordinaire : ce fut d'introduire la châsse par la fenêtre d'une des chapelles; de-là, on la porta dans le choeur. Le pape la reçut avec joie; et, en attendant qu'on la plaçât dans l'endroit qui lui était destiné, il la fit déposer sur le maître-autel, et commença immédiatement la messe de la dédicace.

Après l'évangile, Léon IX monta en chaire, et déclara que désormais la fête de Saint Remi serait célébrée dans tout le royaume, or "Le peuple de la France, dit la bulle qu'il prononça, ne peut moins faire que de rendre cet honneur à ce saint apôtre, puisque le ciel s'est servi de son ministère, pour l'appeler à la connaissance du vrai Dieu". Il fulmina ensuite l'anathème contre ceux qui seraient assez téméraires pour empêcher ou troubler la dévotion des étrangers qui voudraient se rendre au tombeau du saint le jour de cetle fête, ou qui les maltraiteraient à leur retour. A l'issue de la messe, une bénédiction solennelle fut donnée par le Saint Père à tous ceux qui avaient assisté à la cérémonie. Chacun retourna dans ses foyers, rempli d'une vénération nouvelle pour Saint Remi, et d'amour pour le chef de l'Eglise.

Pour rendre encore plus vénérable l'autel qu'il venait de consacrer, Léon IX restreignit le nombre de ceux qui auraient le droit d'y offrir les saints mystères, à l'archevêque de Reims, à l'abbé et à sept religieux des plus recommandables du monastère, et aux chanoines de l'église métropolitaine, députés par le chapitre pour y officier deux fois l'année aux processions qui s'y faisaient de temps immémorial, la deuxième foie de Pâques et le troisième jour des Rogations.

L'église de Saint Remi, au temps de Léon IX, était loin d'être ce que nous la voyons actuellement. Une révolution majeure commençait à s'opérer dans l'architecture, et les fréquents pèlerinages à la terre sainte en ont été la principale cause.

Des chevaliers français, bien plus d'un siècle avant la première croisade, en traversant le royaume de Byzance pour se rendre en Palestine, virent avec admiration des édifices dont l'architecture à la fois élégante et majestueuse, frappa leur imagination. Ils se promirent à leur retour dans leur patrie de faire construire de semblables monuments : leur surprise était d'autant plus grande, que la belle architecture des grecs se trouvait presque perdue, ou à peu près remplacée par l'architecture lombarde et par la romano-byzantine, dont les formes sont en général lourdes et massives, les colonnes grosses et courtes, les piliers carrés ou ronds, les chapiteaux sans grâce, les bas-reliefs sans proportions et les voûtes écrasées. A ces différents styles allait bientôt se joindre le style ogival de transition. Et un siècle plus lard, ce style devait être éclipsé par l'ogival si pur, si léger, si hardi et si gracieux, qui, comme le dit M. de Châteaubriand , "élève l'âme de l'homme capable de réfléchir, et porte sa pensée vers le créateur."

Vers cette époque de renaissance pour les arts, un homme d'un savoir éminent fut appelé au gouvernement de l'abbaye de Saint Remi. Cet homme, c'était Pierre de Celles, dont les lumières et le puissant génie devaient changer entièrement la face de l'église de Saint Remi, et lui donner une célébrité justement méritée. En jetant les regards sur cet édifice, il reconnut facilement qu'il était susceptible de recevoir de grands et de nombreux embellissements en les liant avec l'architecture alors en faveur. L'abside était moins haute que les autres constructions, il la fit démolir, et éleva le magnifique rond-point, si remarquable par sa voûte majestueuse, ses admirables proportions, ses belles galeries, ses nombreux vitraux, et par les chapelles qui l'environnent. C'est celui que nous voyons aujourd'hui. Pour donner à la nef plus d'étendue, Pierre de Celles y ajouta à l'entrée de l'église deux nouvelles travées du style ogival, et fit construire un autre portail dans le même genre d'architecture. Ce portail est demeuré le même; seulement, dans la suite, comme il parut trop simple, on y fit quelques additions qui consistent, d'après la remarque de M. Hittorff, en un placage appliqué contre l'ancienne façade du portail primitif. Le fait du placage est si évident, qu'on le voit prolongé sur le soubassement des clochers qui avoisinent le portail. Plusieurs perfectionnements manquaient encore à l'entier achèvement du temple : la nef, avec son plancher, avec ses lourds piliers d'architecture romano-byzantine et avec ses pleins-cintres, n'était plus en harmonie avec les parties plus récentes de l'édifice. Cet abbé, pour rendre uniforme, autant que possible, l'architecture de Saint Remi, fit appliquer des ogives au-dessus des pleins-cintres, et embellir les colonnes courtes et massives de la première époque, par des faisceaux de colonnes qui s'élancent des piliers jusqu'aux combles. Au plancher posé par Hérimar, il substitua une belle voûte en pierre. C'est cette même voûte que l'on a refaite en partie, depuis 1825, avec des planches de sapin recouvertes en plâtre.

Par ces diverses constructions d'architecture ogivale de transition, en liant, en ajoutant, tranchons le mot, en plaquant le style ogival sur le style romano-byzantin, cet homme, vraiment intelligent, sut coordonner l'architecture de cette église avec l'ogive qui commençait à paraître dans les belles constructions.

On lisait, dans d'anciens manuscrits de la bibliothèque de Saint Remi, qu'Hérimar était l'auteur de ces changements ; qu'il les aurait exécutés à la suite d'un incendie qui, en 1095, faillit consumer cette église. Mais le temps qui s'écoula entre cet accident et l'époque de ces constructions, faites de 1164 à 1180, rend la chose incroyable.

Au commencement du 15e siècle, Jean Canari, abbé de Saint Remi, fit couvrir l'édifice en plomb. Une construction en bois, d'assez mauvais goût, où se trouvait la sonnerie, du côté méridional, avait été renversée, la veille de Noël 1387, par un furieux ouragan : il la fit remplacer par la belle flèche que l'on voyait au-dessus du transept de l'église.

Ce clocher, d'une forme très gracieuse, accompagnait très bien les deux flèches du portail, et couronnait d'une manière élégante le comble de l'édifice. M. Hittorff, chargé par le gouvernement de la direction des travaux, pensant que ce clocher manquait de solidité, le fil démolir en 1825, peu de temps avant le sacre de S. M. Charles X; mais avec l'intention de le faire reconstruire. Cet architecte avait trop de goût, pour ne pas sentir qu'il manquait à la beauté extérieure de l'édifice, et nous savons que M. Brunette désire ardemment de le faire rétablir.

Sur la fin du 15e siècle, Robert de Lenoncourt, second abbé commendataire de l'abbaye de Saint Remi, mit la dernière main à cette belle basilique. L'extrémité méridionale de la croisée était en très mauvais état; il la fit entièrement reconstruire, sans s'assujettir servilement dans la nouvelle construction à l'architecture qui régnait dans le corps de l'église.

Philippe Dubec, archevêque de Reims, aussi abbé commendataire de Saint Remi, fit construire, en 1602, la rose du côté septentrional. L'ancienne était tombée le 11 juin de la même année, et avait entraîné dans sa chute une espèce de petit clocher placé au-dessus. Cette rose ne fut entièrement terminée que sous Louis de Lorraine, son successeur, quelques années après.

Le 8 avril 1662 donna beaucoup d'inquiétude et fit craindre pour l'église. Le premier arc—boulant qui touchait à la tour méridionale s'écroula , et par sa chute ébranla tellement le deuxième, qu'on fut obligé de les reconstruire entièrement.

En 1725, deux parties des hautes voûtes collatérales du côté du cloître des religieux, minées par des pluies continuelles, tombèrent pendant le temps qu'on réparait la couverture, et entraînèrent dans leur chute les voûtes inférieures.

Ces divers accidents donnèrent des inquiétudes, et firent entreprendre un travail plus considérable que les réparations partielles qui avaient eu lieu précédemment. En conséquence, les sieurs Rousseau et Lefèvre, architectes de Reims, firent démolir et reconstruire, en 1756, plusieurs parties des voûtes du choeur, de la nef et du transept, et un arc-boutant du côté méridional. On ouvrit l'année suivante les neuf croisées du côté du cloître, on renouvela la charpente et la couverture, et l'on restaura une des flèches du portail. Les trois perrons à cintre de l'entrée principale que l'on voyait encore au commencement de cette année 1843, datent de cette époque.

Toutes ces réparations offraient à l'oeil quelque chose de désagréable; dom Amê, prieur en 1757, le sentit, et pour donner à ces diverses parties un ton uniforme, il fit badigeonner toute l'église depuis le haut jusqu'en bas. On a trouvé avec raison que ce religieux avait manqué de goût dans le briquetage de la voûte; un blanc un peu jaunâtre, nuance de pierre, convenait mieux que ce rouge brique, couleur fausse et dure qui déplaît à la vue.

Les moines de Saint Remi, voyant le peu de solidité du grand portail, faisaient toutes les dispositions nécessaires pour le reconstruire quand la révolution éclata.

Nous n'avons rien à dire de la nouvelle restauration de cette église. Confiée aux soins de MM. Mazois, Robelin, Caristie, Hittorff, Durand et Brunette, elle ne devait sortir de leurs mains que dans l'état le plus satisfaisant. Ces habiles artistes prirent à tâche, dans les diverses reconstructions de ce monument historique, de suppléer, autant qu'il leur a été possible, à ce que le temps avait altéré. Commencé en 1825, les travaux étaient presque terminés en 1813.

Conclusion récapitulation

On a vu dans ce chapitre, que cinq églises ont été bâties à la mémoire de Saint Remi, sur les lieux même où ses précieux restes furent déposés en 533.

  • La première, la petite chapelle de Saint Christophe;
  • la seconde, cette même chapelle agrandie par les habitants un siècle après;
  • la troisième, celle que les prédécesseurs d'Hincmar avaient fait commencer et que cet archevêque termina;
  • la quatrième, entreprise sur les plans magnifiques de l'abbé Airard, ne fut pas continuée;
  • enfin, la dernière est celle que nous sommes si glorieux de posséder; commencée par Thierry, vers 1040, continuée par Hérimar, elle fut consacrée par Léon IX: Pierre de Celles en changea l'aspect entièrement; Jean Canart et Robert de Lenoncourt travaillèrent, par de nouvelles constructions, à l'embellir encore. Enfin, elle a été restaurée dans toutes ses parties depuis 1825.

Pour corroborer ce que nous avons dit des diverses constructions de cet intéressant édifice, nous citerons le rapport de M. Hittorff, chargé par la commission d'examiner le projet de restauration.

"Les clochers, la nef, et le transept remontent au commencement du 11e siècle. L'absence de tous soins dans la construction, et de toutes recherches dans les détails y est sensible, des piliers et des colonnes y sont surmontés d'arcs-boutants à plein-cintre. Le portail principal, la première travée de la nef et le rond-point, durent être exécutés vers le milieu du 12e siècle; ces parties offrent, à peu de chose près, le même genre de construction et la même simplicité dans les détails, mais avec l'application des arcs aigus. Enfin, le portail latéral du midi, ouvrage du xve siècle, et bien exécuté, présente, avec le système ogival, une grande richesse et beaucoup de recherches dans les ornements; c'est-à-dire, qu'il se distingue par les qualités propres aux proportions, où déjà l'art avait atteint un degré notable de perfection. Il est rare, en effet, de voir des monuments recommandables par la conception de l'ensemble et l'exécution des détails, qui ne le soient pas également par les soins et la science apportés à leur construction."

Mais quels sont les architectes ou maîtres (car c'est ainsi qu'on les nommaient dans les 11e, 12e, 13e et 14e siècles ) qui ont donné les plans, et conduit les travaux des diverses constructions de cette église ? Seraient-ce des abbés, des moines du monastère ? Tout porte à le croire, puisque, dans les siècles que nous venons de nommer, les sciences et les arts étaient réfugiés dans les cloîtres, et ceux qui les habitaient, restaient presque inconnus aux hommes : ils travaillaient à l'oeuvre de Dieu, et de lui seul ils attendaient leur récompense.

L'histoire, qui nous a fait connaître ces constructions et ceux qui les ont commandées, est restée muette sur ceux qui ont eu le talent de les diriger. Hues-Libergier, maître de Saint Nicaise; Robert de Coucy, Bernard de Soissons, Gaucher de Reims, tous les trois maîtres de la cathédrale, florissaient bien après les grands changements que fit faire Pierre de Celles, dans la deuxième moitié du 12e siècle; il n'y aurait donc que Jean d'Orbais, Colart de Givry et Jean Loup, qui vivaient dans le 15e, qui auraient pu faire exécuter les travaux du portail méridional. Ce n'est qu'une conjecture : il est fâcheux que leurs noms n'aient pas été transmis à la postérité.

Source : Essais historiques sur l'église de Saint Remi de Reims Par Auguste Lacatte-Joltrois en 1899

photo pour Eglise Saint-Rémi

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 82012
  • item : Eglise Saint-Rémi
  • Localisation :
    • Champagne-Ardenne
    • Reims
  • Code INSEE commune : 51454
  • Code postal de la commune : 51100
  • Ordre dans la liste : 18
  • Nom commun de la construction :
    • La dénomination principale pour cette construction est : église
  • Etat :
    • L'état actuel de cette construction ne nous est pas connue.

Dates et époques

  • Périodes de construction :
    • Nous n'avons aucune informlation sur les périodes de constructions de cet édifice.
  • Date de protection : 1840 : classé MH
  • Date de versement : 1993/03/29

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • non communiqué
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Interêt de l'oeuvre : 18 ; 04 ; 1914 (J.O.)
  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :
    • Notre base de données ne comprend aucun élément particulier qui fasse l'objet d'une protection.
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • non communiqué

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : propriété de la commune 1992
  • Photo : 99e2589fec1c1f413bc47339d63ef8b8.jpg
  • Détails : Eglise Saint-Rémi : classement par liste de 1840
  • Référence Mérimée : PA00078785

photo : Lomyre

photo : webmaster

photo : webmaster

photo : webmaster

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