Allée couverte dite des Pierres Pouquelées

« LES POUQUELÉES » Galerie couverte de Vauville arrondissement de Cherbourg par Georges ROUXEL Correspondant du Ministère de l'Instruction publique

Le chemin de Beaumont-Hague à Vauville suit, à flanc de coteau, la droite d'un pittoresque vallon descendant à la mer. Tandis que presque partout, sur les pentes, comme sur les sommets, un sol aride ne laisse guère pousser que des ajoncs, des bruyères et quelques maigres arbustes, le fond est verdoyant, là, un ruisseau court à travers de gras pâturages.

A deux kilomètres environ, c'est-à-dire un peu avant la fin de la descente, un sentier raboteux gravit l'escarpement et débouche dans des landages de ce lieu élevé (134 m.), la vue plane sur une vaste étendue de pays ; elle englobe les falaises de Jobourg et celles de Flamanville ; les mielles et les dunes de l'anse de Vauville, la mer, d'où s'estompent à l'horizon les îles anglo-normandes, des champs cultivés, des villages que domine, par ci, par là, la flèche ou la bâtière d'un clocher. Le vieux prieuré de Saint-Hermel couronne une hauteur voisine.

Sur le sommet de la lande, face à la mer, il existe une galerie couverte bien ruinée il est vrai, mais présentant néanmoins, telle quelle, un certain intérêt. On l'appelle « les Pierres pouquelées » ou simplement « les Pouquelées », « Les Pouquelâs », selon le patois local.

De Beaumont, on peut aussi se rendre aux « Pierres pouquellées » en prenant le chemin dit du Petit Beaumont.

Description

Le monument mégalithique dont il s'agit eut beaucoup à souffrir de la main des hommes, surtout au commencement du siècle dernier. Quelques habitants de Vauville s'avisèrent alors de le démolir pour obtenir les matériaux nécessaires à la construction d'un pont sur un petit cours d'eau, et ils avaient déjà enlevé quelques lourdes dalles du toit lorsque M. Le Maignen, Sous-Préfet de Valognes, Cherbourg n'était pas encore chef-lieu d'arrondissement, informé de ce qui se passait, fil arrêter les dégâts et ordonna de rapporter et de remettre en place toutes les pierres qui avaient été soustraites.

Malheureusement, l'ordre de M. Le Maignen ne fut qu'en partie exécuté ; les pierres sont bien revenues, mais elles n'ont pas repris leur ancienne position, elles gisent toujours en dehors du monument, aux différents endroits où les destructeurs les ont abandonnées.

La galerie couverte orientée nord-sud mesure à l'heure actuelle, quatorze mètres et demi. Il est probable qu'elle se prolongeait vers le sud à en juger par des trous et des pierres cassées au ras du sol. Du reste, d'après une note manuscrite extraite des papiers de M. de Gerville, la partie disparue serait d'environ cinq mètres, ce qui donnerait au mégalithe une longueur totale de vingt mètres. Sa largeur moyenne est de 1 m. 35 ; sa hauteur intérieure est de 1 m. 15. La nature des roches entrant dans sa composition est le granit pour les tables de couverture et le grès quartzeux pour les jambages. Quelques parties de ces dernières pierres ressemblent à de la corne. La plupart des gros blocs ont été certainement l'objet d'un travail intentionnel, ils ont été dégrossis, leur épaisseur a été diminuée, leurs bords ont été quelque peu arrondis.

Un gros bloc assez régulier, d'aspect quasi cubique, ferme la galerie du côté nord :

  • longueur : 1 m. 70
  • largeur : 0 m. 95
  • hauteur : 1 m. 15

Les deux rangées de jambages sont très endommagées.

La rangée de l'est est la mieux conservée, elle a encore dix pierres dont quelques-unes assez volumineuses. Cinq de ces pierres sont restées en place, mais deux sont étêtées, cinq autres sont renversées ou inclinées, quatre en dedans et une en dehors. Deux intervalles existent entre les pierres : l'un de 0 m. 80, l'autre de 1 m.

La rangée de l'ouest montre onze pierres, sept à peu près en place et quatre tombées ou penchées à l'intérieur, trois ont subi d'importants dégâts. De ce côté, il y a aussi deux espaces dégarnis : l'un de 2 m. 80, l'autre de 1 m. 30.

Une seule des tables ayant servi de couverture est restée indemne dans la partie sud de la galerie, elle n'a, bien sûr, jamais été bougée de l'endroit où les constructeurs l'ont posée. Ses mesures sont :

  • longueur : 2 m. 20
  • largeur : 1 m. 30
  • épaisseur : de 0 m. 25 à 0 m. 65.

Dans la partie nord, on voit, tombée entre des supports plus ou moins dégradés, une autre table ayant les dimensions suivantes :

  • longueur : 2 m. 20
  • largeur : 1 m. 10
  • épaisseur : de 0 m. 35 à 0 m. 60

A deux mètres, en dehors des supports de la rangée est, vers le milieu, une table de 2 m. 30 de long, jetée à terre, est à demi enfouie.

Une quatrième dalle, celle-ci tombée à l'intérieur de l'allée et appuyée sur les pierres de soutien de 1a ligne ouest mesure :

  • 2 m. 10 de long.
  • 1 m. de large.
  • de 0 m. 30 à 0 m. 50 d'épaisseur.

En outre, quelques blocs ayant appartenu au monument, cela ne fait aucun doute, sont disséminés dans les alentours. Ainsi, l'on voit, à une vingtaine de mètres de l'extrémité sud de l'agglomération deux grosses pierres isolées. L'une d'elles provenant de la couverture porte des traces d'éclatement, elle a pour mesures :

  • longueur : 1 m. 50,
  • largeur : 1 m. 10,

L'enfoncement du bloc ne m'a pas permis de prendre son épaisseur.

Quant à l'autre pierre, je ne crois pas qu'elle ait jamais été employée comme dalle de couverture. Plus allongée, moins large, droite, elle a plutôt l'apparence d'avoir été une pierre levée, une sorte de petit menhir indicateur. Cette volumineuse pierre a, elle aussi, subi les attaques des démolisseurs, sur un côté, une certaine portion longitudinale lui a été enlevée. Ses dimensions sont :

  • longueur : 2 m. 85
  • largeur
    • 0 m. 90 à la base,
    • 0 m. 75 à la tête,
  • épaisseur : 0 m. 72

Au-delà, vers l'ouest, parmi les ajoncs, on reconnaît encore deux blocs très enfoncés.

Tous ces blocs épars, on les retrouve tels que les auteurs des déprédations que j'ai mentionnées les ont laissés sur le terrain lorsqu'ils furent mis en demeure de remettre en lieu et place les matériaux qu'ils avaient détournés.

La plupart des grosses tables sont de granit, or, ni Vauville, ni les communes limitrophes n'ont ce genre de roches. Il a donc fallu aller chercher plus loin ce granit, à une distance pas moindre d'une dizaine de kilomètres. Un pareil transport, à l'époque des dolmens n'était pas sans présenter de bien grosses difficultés.

L'emploi du granit pour plusieurs tables des « Pouquelées » n'est pas un fait unique. Une autre galerie couverte de l'arrondissement de Cherbourg, celle de Bretteville-en-Saire, offre la même particularité mais seulement pour une pierre apportée, elle aussi, de loin.

M. Pierre Le Fillastre dans sa « Description des monuments druidiques de la Manche » prétend que l'on voit une espèce de fossette circulaire au-dessus de la grande pierre arrondie encore bien de niveau restée en place au bout sud et qu'une autre pierre à moitié renversée placée vers le bout nord présente aussi à sa surface supérieure et arrondie une fossette allongée peut être faite de main d'homme. Le monument a été examiné à fond ; il ne présente aucune trace de cupules.

A Vauville, la tradition populaire veut que les fées aient construit « Les Pouquelées » dont elles ont porté les pierres sur leur tète.

De plus, M. Le Fillastre rapporte qu'un vieillard lui a dit : « avoir ouï raconter qu'on allait autrefois faire ses prières près de ces rochers ».

D'ailleurs, ce mot de « Pouquelées », sur la signification duquel je m'étendrai un peu tout à l'heure, rend bien le sens que les vieux ancêtres ont voulu lui donner.

Il est à noter que dans les îles anglo-normandes de nombreux mégalithes portent le même nom de Pouquelées.

En 1854, la galerie couverte de Vauville fut classée parmi les monuments historiques.

M. Léon Coutil déclare que « le 3 Décembre 1905, le Conseil municipal de Vauville donna un avis favorable à sa demande de classement comme monument historique de l'allée couverte des Pouquelées et le don à l'Etat avec un chemin d'accès mais à la condition que trois dalles seraient replacées ».

Ces propositions n'ont reçu jusqu'ici aucune suite, car tout est resté dans le même état de ruine : pas de replacement des dalles chavirées, pas de chemin d'accès. Quant au classement, il n'y avait pas lieu à M. Coutil de s'en inquiéter puisque cette mesure avait été prise, ainsi que je viens de l'indiquer, dès 1854, c'est-à-dire cinquante ans auparavant.

La galerie de Vauville aurait, paraît-il, été fouillée vers 1755, par des délégués de la Société académique de Cherbourg mais, malgré toutes les recherches opérées, on n'a pu découvrir le procès-verbal de ces fouilles.

étymologie

Le nom de Pouquelées porté par le monument mégalithique de Vauville et par plusieurs du même genre existant encore dans les îles du Canal de la Manche a fait l'objet des différentes interprétations, parfois assez drôles que je vais énumérer :

  • M. P. Le Fillastre dit que « suivant l'étymologie celtique donnée par M. de Gerville, les roches pouquelées ou les pierres pouquelées seraient des pierres qu'on adore, devant lesquelles on se prosterne ».
  • Dans le Cotentin et ses îles, M. Gustave Dupont cite Duncan, Histoire de Guernesey, ce dernier adopte, comme étymologie, les deux mots celtiques pwca, fées et lies, lieu ou place. Et Dupont ajoute : on nomme « souvent, en effet, en Normandie, les pierres druidiques, creux, trou, chambre aux fées. Peut-être Pouquelayes dérive-t-il simplement de Poug trou et de lek pierre, c'est-à-dire littéralement pierre percée, expression très souvent employée pour désigner ces mêmes monuments ».
    J'estime que l'interprétation de Duncan serait plausible si le sens donné à 'lies' était exact. Le commentaire de Dupont est sans valeur.
  • M. L. Coutil faisant sienne l'idée bizarre de M. de Gerville écrit : « sur la lande qui domine l'anse de Vauville d'où la vue est très étendue, on a signalé une allée couverte portant le nom de Pierres pouquelées (c'est-à-dire pierres qu'on adore) ».
  • « D'où vient ce nom de Pouquelées ou Pouquelayes ? Est-ce une corruption d'accouplées ? » demande M. Jules Lucas. Et il continue : « Les étymologistes le font venir de Pouk qui veut dire trou et de leck qui veut dire pierre en celtique ou bas-breton. C'est assez vraisemblable. » Une telle signification ne saurait être admise.
    M. Lucas prend tout bonnement à son compte l'opinion émise par M. G. Dupont, le seul qui ait, à ma connaissance, traduit de cette manière le mot Pouquelées.
  • Avec M. Salomon Reinach, nous ne sommes pas mieux éclairés. M. Salomon Reinach a lu l'ouvrage de M. Lucas et dans la revue l'Anthropologie il a analysé le passage ayant trait aux Pouquelées. Voici un extrait de sa note : « D'après certains étymologistes dont M. Lucas trouve l'opinion "assez vraisemblable", le nom viendrait de pouk signifiant trou et de lech signifiant pierre en cellique. Cela est de toute impossibilité. Mais le nom, pour n'être pas celtique, n'en est que plus intéressant. Pierres pouquelées, c'est en bas-latin petrae poculatae, c'est-à-dire pierres écuelles. Nous connaîtrions donc ainsi le nom ancien des pierres à écuelles ou à cupules, comme un lieu-dit du département de la Somme nous a permis d'établir autrefois que les menhirs étaient appelés obelisci par les Gallo-Romains ».
  • Au Congrès de l'Association française pour l'Avancement des Sciences tenu à Cherbourg, en 1905. M. le Docteur Collignon appela l'attention sur l'interprétation du mot pouquelées que venait de donner M. Salomon Reinach.
    « M. Salomon Reinach, dit-il, pense que le nom actuel de Pierres Pouquelées est de nature à nous apprendre celui sous lequel les Romains désignaient les dolmens et allées couvertes et que Pouquelées n'est que la transformation de Poculatae signifiant pierres à cupules.
    Je connaissais, de longue date, les pierres pouquelées et n'y avais jamais remarqué de cupules. J'ai donc fait une visite de contrôle et dois dire que le monument, en aucun point n'en présente aucune trace. Je conclus que les pierres pouquelées ne sont point poculatae. »

De toutes les explications que je viens de relater au sujet du mot pouquelées, celles de Duncan offrent, de prime abord, quelque intérêt. L'auteur de l'histoire de Guernesey admet, comme origine, les deux mots celtiques Pwca, fées, et lies lieu ou place. Prenant au sérieux cette manière de voir, on peut même déduire que là est la provenance des expressions trou, chambre ou maison aux Fées souvent employées pour désigner les galeries couvertes.

Mais la traduction, telle qu'elle nous est présentée, ne me semble pas exacte, du moins en ce qui concerne la deuxième partie. Si pwca signifie bien : farfadet, lutin, fée ; lies n'a jamais, à ma connaissance, voulu dire lieu ou place, mais plutôt : plusieurs, beaucoup, quantité, souvent, ordinairement, instamment. C'est leach ou lech qu'il eût fallu dire. L'essai étymologique du mot Pouquelées par Duncan n'est donc qu'à moitié réussi.

La véritable solution du problème est certainement celle qui me fut indiquée à Saint-Hélier, il y a quelques années, par l'un des membres éminents de la « Société Jersiaise ».

M'entretenant avec M. Toulmin Nicolle des monuments mégalithiques que je venais d'étudier dans les îles de Jersey et de Guernesey, je fus amené à parler de ce singulier nom de Pouquelées donné à plusieurs galeries couvertes, tant dans le « Channel islands » que sur la côte nord-ouest de la presqu'île du Cotentin. Je rappelai aussi les absurdités qui avaient été écrites sur la signification de ce mot et finalement je demandai à mon aimable interlocuteur de vouloir bien me faire là-dessus, connaître son opinion.

Celui-ci me regarda en souriant. « Rien de plus facile, me dit-il, Pouquelées veut dire Pierres aux Fées, de puck fées et lech, pierres. »

Ainsi se trouvait résolue une question posée depuis longtemps déjà et sur laquelle, on l'a vu, des sentiments plus ou moins bizarres avaient été exprimés.

La galerie couverte de Vauville a conservé, à travers les siècles, sa vieille appellation celtique : Les Pouquelées.

Beaucoup d'autres mots ayant la même origine se rencontrent encore dans le patois de la Hague.

  • Titre : Bulletin de la Société normande d'études préhistoriques
  • Auteur : Société normande d'études préhistoriques et historiques
  • Éditeur : Société normande d'études préhistoriques (Louviers)
  • Date d'édition : 1893

Voir aussi sur le site Normandie Héritage la description des pierres pouquelées.

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 81503
  • item : Allée couverte dite des Pierres Pouquelées
  • Localisation :
    • Basse-Normandie
    • Vauville
  • Lieu dit : Pouquelées
  • Code INSEE commune : 50623
  • Code postal de la commune : 50440
  • Ordre dans la liste : 1
  • Nom commun de la construction :
    • La dénomination principale pour cette construction est : allée couverte
  • Etat :
    • L'état actuel de cette construction ne nous est pas connue.

Dates et époques

  • Périodes de construction :
    • La construction date principalement de la période : néolithique
  • Date de protection : 1907/01/28 : classé MH
  • Date de versement : 1993/11/22

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • non communiqué
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Interêt de l'oeuvre : Site archéologique : 50 623 1 AP.
  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :
    • Un élément répertorié fait l'objet d'une protection : dolmen
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • non communiqué

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : propriété de la commune 1992
  • Détails : Allée couverte dite des Pierres Pouquelées (cad. A 10) : classement par arrêté du 28 janvier 1907
  • Référence Mérimée : PA00110635

photo : Normandie Héritage

photo : Normandie Héritage