Eglise Notre-Dame

L'Abbé DELAUNEY nous offre une des descriptions les plus complète et détaillée que j'ai pu trouver sur cet édifice avant la triste période de la seconde guerre mondiale. Il est évident que la longueur du récit nuit parfois à la clarté de la description mais j'ai évité de l'amputer car de par sa nature presque romanesque il emmène le lecteur dans une vaste machine a remonter le temps ou il sentira tous les moindres détails de la vie de cette église. Un passage concernant la bibliothèque (disparue rapidement dans l'histoire) a cependant été supprimé pour rester concentré sur les détails significatifs de l'architecture qui peuvent encore se lire sur l'église actuelle qui n'a plus rien a voir avec cette description.

Description par l'abbé Delaunay

Dans la première moitié du XIe siècle, la chapelle du château, Sancta Maria de Castello, fut érigée en église paroissiale et mise sous l'invocation de Notre-Dame par Robert Ier du nom, 35e évêque de Coutances.

Les religieux de l'abbaye de Sainte-Croix se réservêrent la faculté de nommer un des leurs pour la desservir. Ils conservêrent par là le droit des dîmes et autres privilèges ; et, pour monument perpétuel, cette rue qu'on appelle de la Peufre (rue Note-dame), bordée de maisons des deux côtés et qui se termine à la porte Torteron, en laquelle étaient les sièges du bailliage, vicomté et élection, appartenait encore à Sainte-Croix à l'époque de la révolution de 93 (Une ordonnance épiscopale datée du 28 octobre 1805 a définitivement attribué cette rue de la Peufre a la paroisse Notre-Dame). Ce n'est donc pas, comme on l'a dit sans preuves, à l'occasion d'une peste, pendant laquelle les prêtres de Notre-Dame auraient refusé d'aller porter les secours de la religion aux malades, que cette rue aurait été attribuée à Sainte-Croix. Cette assertion est tellement absurde qu'elle ne mérite pas qu'on s'y arrête (ndw : ça c'est fait ! humour).

« L'insuffisance de la chapelle du château se fit bientôt sentir, et c'est à ce même évêque (Robert Ier du nom, 35e évêque de Coutances) qu'on est redevable des premiers fondements de l'église Notre-Dame, laquelle n'est parvenue en l'état où elle est aujourd'hui que par divers changements, augmentations et réparations, qui y ont été faits de siècle en siècle. » (Toustain de Billy)

Malgré tout le désir que j'aurais de ne pas contrarier l'historien de Saint-Lo, je ne puis ici partager son avis. C'était assez que le bon évêque eût donné sa chapelle pour en faire une église paroissiale, sans ajouter à ses bienfaits les fondements de la nouvelle église, qui n'ont été réellement creusés que trois siècles après lui, c'est-à-dire dans la première moitié du 14e siècle, à moins cependant que, par cette expression fondements, on n'ait entendu la fondation, l'établissement d'une église paroissiale. Je vais essayer de le prouver. On voudra bien être indulgent si je rapporte, peut-être trop au long, les termes des actes qui viennent à l'appui.

Extrait des Archives de Notre-Dame

On lit dans le registre de 1437 :

« C'est la déclaration des héritages acquis par les trésoriers de l'église Notre-Dame-de-Saint-Lo pour l'augmentation et accroissement de ladite église, et aussi des rentes que soulait devoir ladite église à plusieurs personnes et dont elle à été franchie tant par dons faits à ladite église, que parce que lesdits trésoriers les ont achatéez et baillées par échange à ceux à qui elles étaient deues. »

« De Jehan Jouenne et Guillemette sa femme, achatey par les trésoriers de ladite église, trois maisons et ménages comme ils se proportent, assis en la paroisse Sainte-Croix, en la rue Notre-Dame, l'un joignant l'autre joustant à la rue Notre-Dame, à mes sire Bernard Blancpain, prêtre, et à ladite église, pour icelles maisons être mises, adjoutées et employées à l'accroissement de ladite église. Ladite vente faite par le prix et somme de 200 livres tournois et cent sols pour vin. Le 10 juillet 1409. »

« De Messire Bernard Blancpain, prestre, curé d'Auvers, achatey par lesdits trésoriers une masure et gardin à ce appartenant assis en la rue Notre-Dame joignant ladite église et bute à ladite rue et au manoir de M. l'Evêque de Coutances fait par le prix et somme de 100 liv. tournois. Le 28 may 1411. »

« De la vente Géhenne, etc., faicte auxdits trésoriers de 40 sols, un pain, un capon de rente par an, qu'elle avait à prendre par raison d'une place anciennement enclavée en ladite église Notre-Dame. Ladite vente faite par 26 livres 10 sols, comme il est apparu et appert par lettre passée en 1297, le dimanche devant la Thyphaigne (Epiphanie, Theophania). »

« De la vente Baoul Jehan et de Michielle sa femme faite auxdits trésoriers de xx sols tournois de rente que iceux mariés disaient avoir droit de prendre sur une place ou masure de la première capelle où l'église Notre-Dame est assise. Ladite vente faite par 15 livres, laquelle rente est morte et estainte, comme il appert par lettre passée devant Guillaume Lefoulon, notaire, l'an 1310, le dymanche avant la Saint-Martin. »

Première Construction

Les dates de 1297 et de 1310 sont celles de la constitution des rentes. Ainsi, en 1297, une rente était constituée sur une place qui fut depuis enclavée en l'église Notre-Dame, et en 1310, sur une place ou masure de la première capelle où ladite église fut depuis assise. Ces places achetées par les trésoriers étaient destinées à la construction de l'église actuelle. C'est ce qui nous fait croire que les premiers travaux de construction durent avoir lieu dans la première moitié du 14e siècle.

Nous voilà donc à peu près fixés sur l'époque à laquelle l'église actuelle fut commencée; mais quelles sont les premières constructions autour desquelles se sont groupées les augmentations successives qui ont contribué à faire de l'église Notre-Dame une belle basilique, sinon régulière, du moins la plus vaste du diocèse après la cathédrale.

Nous ne balançons pas à affirmer que la nef et les bas-côtés, nord et sud jusques et y compris les arcades ogivales qui les terminent à l'est perpendiculairement au bas du choeur jusqu'aux deux autres grandes arcades, à l'entrée des deux tours à l'ouest, sont les premières constructions.

Elles durent, à l'origine, faire suite à la chapelle du château. qu'on appelait l'église Notre-Dame et qui devait être construite où est le choeur actuel. Plus tard, cette chapelle fut démolie pour faire place au choeur et au premier bas-côté parallèle au choeur vers le nord. Nous manquons de documents qui nous mettent à même de préciser d'une manière certaine l'époque de cette première construction. Cependant il résulte de la vente Raoul Jehan, précédemment citée, qu'il y avait une place ou masure près de la chapelle appelée église Notre-Dame, sur laquelle on a commencé à bâtir. Cette bâtisse ne peut être autre que la nef et les bas-côtés dont nous venons de parler.

L'architecture vient encore confirmer notre assertion.

La structure des fenètres, surmontées d'une sorte de pignon en maçonnerie, semblable aux arcades de la nef, la forme si simple encore des meneaux, n'osant pas s'élever jusqu'au style fleuri ou flamboyant des époques suivantes, les ornements des chapiteaux partout uniformes, les moulures arrondies, tout nous atteste que cette première construction date du commencement du 14e siècle, de 1330 à 1345. Le choeur, avec le bascôté qui lui est parallèle au nord, diffère essentiellement de style architectural. Les piliers n'ont point de chapiteaux ; de petites nervures de forme prismatique terminant les arceaux en tiennent lieu. Ce style plus simple, moins ornementé, parait aux hommes de l'art d'une date plus récente, c'est-à-dire de 1400 à 1410.

Deuxième Construction

Il faut aussi rattacher à peu près à l'époque de la construction de la nef celle de la porte d'entrée du milieu, le portail qui la couronne ainsi que la tour de l'horloge depuis sa base (de 1360 à 1370). Nous ne trouvons encore sur cette partie de l'église aucun document nous donnant une date certaine, mais on ne peut supposer que celle de 1464 assignée au portail et à la tour du sud puisse convenir au portail à la tour du nord ou de l'horloge. L'oeil le moins exercé ne s'y trompera pas. En effet, quand on examine, à l'intérieur de l'église, la tour du nord jusqu'à la voûte, la maçonnerie détraquée, les pierres usées, les arcades fléchissant sous le poids de leur charge, tout semble indiquer qu'elle est plus âgée que sa soeur.

Ces deux ouvrages, dont l'architecture diffère essentiellement, n'ont été ni conçus ni exécutés sous la même inspiration. Une date incontestable vient encore fortifier mon opinion. Nous voyons qu'en 1430 on coula la cloche appelée l'horloge du poids de 6 à 7 mille livres. Si l'on n'avait pas eu de tour pour la placer, est il croyable que l'on eût fait cette dépense ? En l'absence de preuves, on choisit ce qui paraît le plus probable. Du reste, le style architectural d'une époque n'est pas toujours un moyen infaillible d'appréciation ; car il n'est pas rare de rencontrer pour un édifice offrant une date certaine, de l'architecture portant le cachet des siècles précédents. Le plus probable est que la porte du milieu appelée porte Notre-Dame, s'ouvrant en face de la nef, et la tour du nord remontent à la dernière moitié du 14e siècle.

Troisième Construction

La troisième construction, pour accroître l'église du côté du sud, date de 1428. Les trésoriers avaient acheté de divers particuliers des maisons formant un des côtés de la rue de la Peufre, lesquelles étaient adossées à l'église. Ils les avaient démolies et commençaient à mettre la main à l'oeuvre, sans avoir pris et obtenu la permission de l'Evêque, qui avait son droit de seigneur à exercer sur ces acquisitions.

Une petite tourelle renfermant un escalier en vis était déjà commencée. Pour en établir les fondements, on avait usurpé sur le fonds de l'Evêque environ un pied de terre. De là réclamation de la part de l'Evêque et procès intenté. Il prétendait que, comme seigneur et baron, il avait des droits à exercer sur ces immeubles désormais passés en main-morte ; et, en son nom et pour ses successeurs, il exigeait une compensation. Après bien des démêlés, il y eut une transaction par laquelle l'Evêque consentit à renoncer à ses droits et à laisser achever l'oeuvre déjà commencée, ainsi que la petite tourelle « pourvu que les veues d'icelle seront par petites lucarnes et arballestières, par devers et au long du côté de ladite église, et pour ce, led. Mons. l'Evêque avait droit de prendre 12 l. 10 s., ung pain, une geline et demie-livre de poyvre, le tout de rente, sur certaines parties d'icelle eglise, c'est à savoir 10 1. sur la chapelle S. Jacques, etc. » (6 octobre 1428, archives de la fabrique).

Cette chapelle Saint-Jacques ne peut être la même que celle qui existe aujourd'hui, puisque celle-ci a été construite long-temps après la chapelle Saint-Thomas. Mais ce qui ne laisse pas de doute, c'est qu'il y avait une chapelle Saint-Jacques un peu plus en avant, donnant sur le premier bas-côté, et, quand on construisit le deuxième, on la recula d'un degré.

Il n'y a donc aucun doute sur l'époque où fut construite la chapelle Saint-Thomas. La petite tourelle, avec ses lucarnes et ses arballestières, est encore là pour rendre témoignage. Mais jusqu'où s'étendit cette construction en descendant cette basse-nef ? C'est encore ici qu'on se trouve arrêté, puisqu'il faut qu'on le soit presque à chaque pas, en examinant de près ce bizarre assemblage d'architecture sans plan primitif, sans accord, sans ensemble. Cependant il me semble que ce petit pilier, d'une forme si svelte et sur lequel d'élégantes nervures, supportant la voûte, viennent gracieusement se former en faisceau, doit terminer cette oeuvre; car nous verrons plus tard qu'à partir de la grande arcade perpendiculaire au bas du choeur, « du côté de la rue de la Peufre, Geoffroy Herbert, évêque de Coutances, fit achever l'église Notre-Dame en égalant toutes les chapelles tant du côté de la rue de la Peufre que de celui de sa cour » (Toustain de Billy).

Je ne sais ce que l'on doit entendre par égaler les chapelles ; toujours est-il qu'il ne peut s'agir de la construction du bas-côté sur la rue de la Peufre, puisque à cette époque il y avait près de cent ans qu'il était bâti. Peut-être y avait-il quelque partie restée inachevée. Quant aux chapelles Saint-Crespin et des Reliques, elles doivent être d'une époque antérieure à celle de Saint-Thomas, si on se reporte à la transaction faite entre l'Evêque et les trésoriers et dont nous avons déjà parlé.

« II y avait 40 sols de rente à prendre sur une partie de l'accroissance de l'église joignant le fenil, du nombre desquels on pouvait faire échange ou assiette de 39 sols tournois et enfin 10 sols en lieu où soulait être le revestioire, etc. »

La chapelle Saint-Crespin a été bâtie près dudit fenil, et la chapelle des Reliques en la place du revestioire ou sacristie. Quand je dis que les chapelles Saint-Crespin et des Reliques sont d'une époque antérieure à celle de Saint-Thomas, je ne prétends pas avancer qu'elles fussent édifiées et en l'état où nous les voyons aujourd'hui ; car le style flamboyant des fenètres nous donnerait un démenti ; mais il suffirait que le terrain sur lequel elles ont été depuis assises appartint alors à l'église, pour que l'on ait pu le grever de 40 sols de rente.

Quatrième Construction

La quatrième construction faite en augmentation de l'église Notre-Dame (1464) est le portail et la tour au midi appelée tour des cloches ou de la fabrique, par opposition à l'autre qu'on appelle tour de la ville ou de l'horloge. Les marguilliers la firent édifier ainsi que le portail et la tour avec leurs deniers. Une inscription gravée sur une pierre et incrustée dans le mur ne laisse pas de doute à cet égard. Voici cette inscription :

« En l'honneur de Dieu et de la Vierge et de St Jean, vierge, ceste tour et ce portail ont esté faits des deniers du trésor par Jean de Baubigny, Jean Le Rossignol et Jean de Caumont, trésoriers, l'an 1464. »

La porte sous cette tour s'appelle porte Saint-Jean (évangéliste).

On nous permettra ici d'émettre notre opinion touchant l'inégalité qui se trouve entre les trois portes d'entrée de l'église, à l'ouest. Nous avons dit que la porte du milieu ainsi que celle de la tour de l'horloge avaient été construites vers la fin du 14e siècle.

Nous avons vu que l'on avait acheté des terrains joignant le manoir de Mgr l'Evêque, c'est-à-dire au nord, pour l'accroissement de l'église. Eh bien, n'est-il pas certain que, de ce côté, on aura établi des constructions que l'on n'avait pas pu élever au sud, où l'on avait été obligé de s'arrêter à la grande arcade terminant le bascôté, à l'ouest. Il y avait là, à l'endroit où est maintenant la tour de la paroisse, quelque maison que l'on n'avait pas eu le moyen d'acheter d'abord, dont on aura fait l'acquisition plus tard et qu'on aura démolie ; et, pour utiliser tout l'espace, on s'est avancé autant que possible sur la rue de la Peufre pour construire la tour, en mettant à profit tout le terrain, sans tenir compte de l'espacement des portes du portail entre elles. La flèche ou pyramide qui s'élève sur cette tour ne fut construite qu'en 1630 par les soins et la générosité de Jean Dubois (*), qui fit aussi construire la voûte du chœur restée inachevée.

« Il désirait aussi, » ajoute Toustain de Billy, « rendre l'église parfaite en faisant élever la pyramide du nord ; mais la mort vint le surprendre, et ce ne fut qu'en 1684 (et non en 1635 comme on l'a écrit) que les bourgeois s'avisèrent de la rendre conforme à la première. Ils choisirent pour cet effet un architecte de Caen nommé Michel Brodon. On lui alloua cet ouvrage par le prix et somme de 5,000 liv., au payement d'une partie de laquelle les dits bourgeois se cotisèrent, et l'autre partie fut prise sur les corps de métiers, qui fournirent chacun une torche de cire du poids de deux que chaque corps fait porter à la procession du Saint-Sacrement. On abattit un ouvrage de plomb ancien qui était sur celte tour, et cette pyramide se trouva parfaite l'an 1685, l'année en laquelle fut donnée la sentence de la démolition du prêche de Saint-Lo, et dont copie fut enfermée dans le coq qui fut planté sur cette pyramide par Denis Le houistel, maréchal. Le prêche avait été bâti en 1599, après l'édit de Nantes. »

En examinant attentivement les deux piliers contreforts qui se trouvent au bas de l'église, l'un dans lequel se trouve la Vierge dite du Pilier ; l'autre en face, à côté de la chapelle Saint-Joseph, on ne peut se rendre compte de leur raison d'être, sinon par l'une des raisons que nous allons exposer et peut-être par toutes les deux à la fois.

D'abord, on avait bâti les tours, sans y ajouter les pyramides, elles formaient un édifice tronqué. Quand on a élevé les flèches, on a pu s'apercevoir que la base était trop faible pour supporter cet excès de charge ; on y aura remédié en construisant ces contreforts assez disgracieux à l'oeil, surtout celui qui se trouve à droite en sortant de l'église. Ce travail confortatif, pratiqué dans ces conditions, mais avec une grande différence dans l'exécution, existe au Panthéon, à Paris, où, quand on est venu à élever le dôme, on a remarqué que les constructions inférieures étaient trop faibles pour supporter le sommet. Peut-être aussi aura-t-on ajouté cette maçonnerie (car ce n'est pas autre chose), pour remédier aux dégâts causés par la foudre ou les ouragans qui, à différentes époques, ont dévasté les tours, la charpente et les voûtes. Des délibérations déposées aux archives de la fabrique, portant les dates de 1670, 1720, 1733, 1745,1758 et 1773, prouvent ce que j'avance. En cette dernière année, le 22 février, un ouragan épouvantable renversa une des fillettes accompagnant la grande flèche de la tour des cloches et causa un dommage considérable à la couverture, charpente et voûte de la nef. Trois enfants furent écrasés ans l'église. En 1758, les réparations ordonnées être faites par arrêt du Conseil du 23 novembre 1756, à l'église Notre-Dame et à la tour de l'horloge, s'élevaient à la somme de 40,000 livres.

Cinquième Construction

A la fin du 15e siècle, il n'y avait qu'un bas-côté au nord de l'église NotreDame. Geoffroy Herbert, 63ème évêque de Coutances, fit construire sur son terrain le deuxième que nous voyons maintenant et que longe la rue de la Préfecture, ouverte seulement depuis quarante ans. Voici ce que dit Toustain de Billy :

« Cet Evêque fit réédifier le palais épiscopal qui était jusqu'alors demeuré imparfait, tant par la négligence des évêques que par les injures du temps. Il fit réparer la chapelle et les gros corps de logis qui donnent sur le jardin, il fit creuser le puits qui est au milieu de la cour (note : Ce puits se voit encore dans la rue de la Pompe) et fit fermer cette cour des maisons qui l'environnent du côté de Saint-Georges et de la ville. Il fit construire cet édifice qui reste encore tant pour y tenir la juridiction ecclésiastique que pour être le siège de son sénéchal. Il fit enfin achever l'église de Notre-Dame, en égalant toutes les chapelles tant du côté de la rue de la Peufre que de celui de sa cour, en l'une desquelles il fit faire cette chaire qui se voit encore par dans la cour, afin qu'aux grandes assemblées le peuple qui était très nombreux en cette ville pût plus commodément entendre le sermon. »

Cette augmentation comprend tout le bas-côté qui s'étend depuis la chapelle où se trouvent actuellement les fonts baptismaux jusqu'au Rosaire. Les autels des Morts et de la chapelle Saint-Jacques, formant barrage à l'entrecoloement, produisent l'effet le plus disgracieux et empêchent de saisir d'un coup-d'oeil ce qu'il y a peut-être de plus régulier, en fait de constructions, dans l'église. Du reste, cet inconvénient n'est pas imputable à notre époque ; nous voyons par de nombreux documents déposés aux archives que, dans les siècles précédents, le pourtour intérieur était flanqué d'un cercle de chapelles fermées chacune par une haute balustrade et concédées, soit à des particuliers à perpétuité avec droit de sépulture, soit à des corporations moyennant redevance annuelle. On conçoit difficilement que, dans un temps où le génie architectural produisait de si belles choses, on autorisât à les masquer avec une ignoble clôture en bois haute d'une dizaine de pieds. Il n'y a pas vingt ans que les dernières ont disparu des quatre chapelles au rond-point du choeur. J'ai vu l'effet qu'elles produisaient, et je me figure facilement celui que devaient produire les vingt autres dans le reste de l'église.

On se demande pourquoi ce bas-côté, qui s'arrête à la chapelle des fonts, n'a pas été prolongé jusqu'à la ligne du portail. Nous n'avons sur cela aucun renseignement qui nous mette à même de fixer notre opinion ; nous sommes donc réduits à faire des hypothèses. Nous avons vu que la tour de l'horloge était faite ainsi que le bas-côté longeant la nef et le choeur ; cette partie de l'église était donc aussi régulière que possible. Maintenant que serait-il arrivé si l'on avait prolongé le deuxième bas-côté jusqu'à la ligne du portail ? Cette nouvelle construction, terminée par un pignon, aurait singulièrement déparé la façade à l'ouest. La tour de l'horloge n'aurait plus formé angle au nord, comme l'autre tour le formait au sud, et je doute que l'édifice eût gagné en élégance. D'ailleurs, comme c'était l'Evêque qui faisait bâtir sur un terrain qu'il avait donné à même sa cour, n'y avait-il point là quelque bâtiment à son usage qu'il voulût conserver ; cela est très-probable. Le sacrifice qu'il faisait était déjà assez grand pour que l'on pût se dispenser d'en demander davantage. Je ne parlerai pas de l'architecture, sinon pour dire que l'on a raccordé le style des nouveaux piliers avec celui des piliers qui leur font face. Pour les fenètres, c'est le flamboyant avec plus ou moins d'ornements ; c'était le style de l'époque.

Chaire ou tribune extérieure donnant sur la rue de la Préfecture

Il existe, à l'extérieur de l'église Notre-Dame, une chaire en pierre sculptée d'après le style de l'époque où elle fut érigée, c'est-à-dire à la fin du 15e siècle. Tous les étrangers passant par Saint-Lo se demandent pourquoi cette chaire ? Et personne que je sache n'a donné de réponse satisfaisante ; je vais essayer à mon tour de répondre. Ce que je dirai me parait tellement vraisemblable que je ne renoncerais à mon opinion qu'en présence d'un document authentique qui me prouverait clairement le contraire.

Ce fut Geoffroy Herbert, alors évêque de Coutances, et auparavant premier président du parlement de Rouen et lieutenant général pour le Roi en cette province, qui la fit construire en même temps que tout le bas-côté de l'église avec lequel elle fait corps. Pour se rendre un compte exact des choses, il faut que l'on sache que, depuis le 6e siècle, les évêques de Coutances étaient seigneurs et barons de Saint-Lo et y faisaient leur résidence habituelle, sauf quelques exceptions; que tout le terrain au nord de l'église jusqu'à l'escarpement du rocher leur appartenait, que c'était sur le plateau qu'ils avaient fait bâtir leur château et ses dépendances ainsi que les sièges de la juridiction ecclésiastique et de la juridiction du sénéchal.

A l'est se trouvait le jardin. La cour devant le château venait toucher à l'église. C'est donc en faisant le sacrifice d'une partie de sa cour que l'Evêque avait fait bâtir le bas-côté nord de l'église et la chaire qui en fait partie. Maintenant pourquoi une chaire saillante sur le domaine de l'Evêque ? Est-ce bien, comme on l'a dit, pour annoncer la parole de Dieu aux fidèles dans les grandes assemblées ? Non. L'église alors était aussi grande qu'elle l'est aujourd'hui, et, avec ses 1,500 mètres carrés de superficie, elle pouvait alors, comme à présent, renfermer 3,000 personnes, et comme la paroisse Notre-Dame était loin d'être aussi populeuse qu'elle l'est maintenant, les étrangers pouvaient y trouver place avec les habitants. Il faudrait supposer, dans ce cas, que l'église Notre-Dame ne pouvant, par exception, contenir toute l'affluence qui serait venue se presser aux portes, en certains jours de solennité, on eût fait entrer pêle-mêle toute cette exubérance affamée de la parole de Dieu dans la cour du château, et qu'aussitôt un prédicateur pris à l'improviste montât dans cette chaire extérieure pour évangéliser cette multitude, sans tenir compte du froid, de la chaleur, de la pluie, etc. ; je n'en crois rien.

Mais, dit-on, au lieu de prêcher dans l'église, on réunissait tous les fidèles dans la cour du château. Autre invraisemblance ; car que l'on mesure de l'oeil l'espace contenu entre le château et l'église, et on verra qu'il n'y a pas bien plus de superficie que dans l'église même, et, pour ne gagner que quelques pieds de terrain, ce n'eut pas été bien la peine de déserter l'enceinte ordinaire.

Je conçois que si cette chaire eùt dominé une vaste place publique pouvant contenir dix, douze mille auditeurs, comme on voit quelquefois dans les missions, alors on préférât une chaire en plein vent ; cela s'est pratiqué bien souvent ; mais ici rien de semblable. On a dit encore qu'elle avait été construite lors du protestantisme. Il n'y a qu'une petite erreur de date. Le protestantisme n'est venu à Saint-Lô que plus de 50 ans après l'érection de cette chaire. On a encore dit bien d'autres choses ; car que n'invente-t-on pas quand on est à bout d'expédients ! Mais à quoi donc a-t-elle pu servir ? Je vais essayer de le dire et, je l'espère, avec plus de vraisemblance que ceux qui en ont fait une chaire à prêcher.

Je lis dans un ouvrage d'architecture et d'archéologie de M. Schmit, inspecteur des monuments religieux, édité en 1845, ce qui suit et qui est bien de nature à nous mettre sur la voie pour découvrir la destination de la chaire extérieure de l'église maintenant saillante sur la rue de la Préfecture :

« Le perron, dans les églises du moyen âge, ne servait pas toujours uniquement d'accès à l'édifice. Ordinairement construit sur une plate-forme plus élevée que le sol environnant, il servait encore à la publication de certains actes authentiques du ressort ecclésiastique, tels que les monitoires, les interdits, etc., et même de certains actes de la juridiction laïque à l'égard des vassaux de l'église, sur lesquels le clergé exerçait, comme seigneur, le droit de haute, moyenne et basse justice. La noblesse féodale rendait de même ses arrêts ou faisait faire ses proclamations du haut du perron du château seigneurial. »

Ne voit-on pas clairement, d'après cette citation, que notre chaire a remplacé le perron, que l'Evêque de Coutances, en faisant construire le bas-côté nord a bien eu quelque droit, comme bienfaiteur de l'église et baron de Saint-Lo, de faire ériger, sur son terrain, une chaire attenante à l'église et donnant sur son domaine pour faire publier tous les actes de la juridiction épiscopale au double point de vue spirituel et temporel, d'autant mieux que le siège de sa juridiction ecclésiastique et celui de son sénéchal était dans la cour du château. N'est-il pas vrai que Geoffroy Herbert, évêque de Coutances, baron de Saint-Lô, était assez grand seigneur pour se permettre de substituer au perron de l'église une chaire où les gens de son officialité étaient plus convenablement placés pour faire leurs publications. L'usage du perron, approprié à la manifestation des actes de l'autorité seigneuriale, devait être maintenu partout où le domaine du seigneur ne touchait pas à l'église. Mais ici le domaine de l'Evêque touche à l'église, et au lieu d'envoyer les préposés de son administration publier ses actes sur le perron du portail, comme c'était l'habitude ailleurs, il fait ériger une tribune saillante sur sa cour, pour son utilité personnelle et pour cette unique destination. Je dis une tribune, car à cette époque, c'est-à-dire à la fin du 15e siècle, les chaires à prêcher étaient fort rares. On n'en connaissait qu'une alors, celle de Strasbourg, et encore elle n'avait pas d'abat-voix. Avant ce temps, les prédications se faisaient des ambons, sortes de tribunes placées à la barrière du transept ; mais on ne trouve pas de traces de chaires à prêcher distinctes des ambons antérieures à cette époque. Comment supposer qu'il y ait eu une chaire à prêcher en dehors de l'église Notre-Dame, lorsque l'intérieur en était dépourvu ?

C'est bien le cas de dire que la forme emporte le fond, et que parce que cette tribune a la forme d'une chaire à prêcher, il a fallu nécessairement lui attribuer cette destination. Ce qui vient encore fortifier cette assertion, c'est que nous verrons que l'Evêque avait droit d'entrer dans l'église par la chapelle Saint-Jacques, où se trouve la porte de l'escalier de la chaire.

Je conclus de là que la tribune extérieure formant encorbellement sur la rue de la Préfecture, et autrefois sur la cour de l'Evêque, n'a pas été construite en vue de la prédication, mais bien pour la publication des actes de la juridiction épiscopale et seigneuriale, publication qui se faisait auparavant du haut du perron de l'église ou du château.

Comme je n'ai pas la prétention d'imposer ma manière de voir, je recevrai avec reconnaissance toutes les observations qui auraient pour but de me prouver le contraire de ce que j'avance ; mais si on ne m'oppose que les historiens de Saint-Lô, qui ont dit que cette tribune était destinée à la prédication, je déclare faire mes réserves.

(...)

Sixième Construction

« En 1497, plusieurs des paroissiens de Notre-Dame, pour le bien et utilité de ladite église, se transportèrent au derrière de ladite église, auquel lieu il y a édifice de présent commencié, pour, au plaisir de Dieu, y être faite et édifftée une chapelle de Notre-Dame et autre ménage pour croistre et améliorer et amplicier ladite église, près et joignant la maison et chapelle de révérend père en Dieu Monseigneur Geoffroy, évêque de Coutances, donneur d'icelle place et décorateur de ladite église, pour iceux paroissiens et trésoriers veoir et regarder le meilleur moyen de la perfection et accroissement d'icelle église. En faisant laquelle Visitation, ils avaient regardé que bonnement icellui édifice ne se pouvait parfaire sur l'héritage et droicteure d'icelle église et spécialement pour faire un pilier de nécessité être mis en partie sur certain héritage qui fut à feu Jehan de Caumont, en son vivant escuyer, joignant ladite chapelle de mondit seigneur l'Evêque, de présent appartenant à Richard Bazire, escuyer, maistre de la monnaye audit lieu de Saint-Lô.

Cette visite fut faite le 1er juin 1497, en présence de MM. (suivent 10 noms) lesquels firent accord avec Richard Bazire, lequel s'obligea faire édifier et planter icelui pilier, tant sur lui que sur la terre de ladite église au coing et joignant la chapelle de mondit seigneur l'Evêque. »

II demeure évident pour quiconque aura lu attentivement les actes ci-dessus relatés, que la chapelle du Rosaire et la bibliothêque ou librairie forment deux constructions distinctes. En effet, dans la concession qui a rapport à la librairie, il n'est nullement parlé d'une chapelle ; dans la concession d'une chapelle il n'est pas parlé de librairie ou bibliothêque ; cependant, comme ces deux concessions portent la date de la même année et qu'elles sont faites par le même évêque, il est évident pour moi, jusqu'à preuve contraire, que si les deux actes de donation avaient eu pour objet de donner satisfaction, dans un seul local, aux deux demandes distinctes qui étaient faites à l'Evêque, il en aurait été fait mention dans l'un ou l'autre deces deux actes.

Est-il possible que des livres donnés avant 1470 soient restés jusqu'en 1497, époque de la construction du Rosaire, sans un local pour les renfermer. Cela n'est pas probable ; car en 1470 on était tellement impatient d'avoir une bibliothêque qu'on ne put se résigner a attendre le retour de Richard Olivier de Longueil, évêque de Coutances, qui était alors à Rome, et qu'il fallut lui écrire pour obtenir la concession d'une place sur son terrain pour bâtir cette librairie. Est-il croyable qu'après cette concession datée de Rome le 28 mars 1470, on ne se soit pas mis immédiatement à l'œuvre pour la construire. Si le Rosaire n'a été construit que 27 ans après, c'est qu'en 1470 Olivier de Longueil n'avait pas donné assez de terrain. L'édifice avait bien été commencié, mais il fallut attendre qu'un autre évêque vint y ajouter encore, et que, de plus, Richard Bazire, maître de la monnaie, fît bâtir, partie sur son terrain, partie sur celui de l'église, un pilier à l'angle de cette chapelle.

Je conclus de là qu'il y a eu deux constructions : la première de la bibliothêque partant de la chapelle Saint-Jacques au bout de l'église et dont le pignon fait clôture, allant au degré de la chapelle de l'Evêque ; la deuxième, de la chapelle Notre-Dame-de-Grace (ou Rosaire) au bout de l'église, allant joindre l'hôtel de la monnaie, avec le pilier bâti par Richard Bazire joignant la chapelle de l'Evêque.

Il est donc évident que le Rosaire, bâti en 1497, n'a pu être construit sur l'emplacement de la bibliothêque, qui n'a été détruite qu'en 1562. Du reste, on ne profita pas long-temps du bienfait de Monseigneur Boucard.

« En 1562, les protestants s'étant rendus maîtres de Saint-Lô, brisèrent les images qui se trouvaient dans l'église et au dehors, renversèrent les croix, dérobèrent l'argenterie et brûlèrent cette belle bibliothêque donnée par feu M. Boucard » (Toustain de Billy).

Les malheureux ne se doutaient pas qu'en se livrant à tant de fureurs contre les emblèmes du catholicisme, ils écrivaient une page de leur histoire et que les générations futures, à la vue de tant de statues de saints mutilées ou décapitées, s'écrieraient saisies d'horreur : « le protestantisme a passé par là. » Du reste, tous les novateurs ont suivi la même voie : les monuments du passé les effrayent ; l'incendie et le marteau sont venus à leur secours. Le bâtiment qui renfermait les livres n'ayant plus d'utilité aura été détruit. En parlant de bibliothèque, qu'on ne se figure pas ici une nombreuse collection de livres comme il en existe depuis l'invention de l'imprimerie ; quelques volumes écrits à la main étaient alors une richesse. Chapelle de l'Evéque et bibliothêque, tout a disparu, depuis que Matignon, seigneur de Torigni, fut mis en possession de la baronnie de Saint-Lô, le mardi 22 mai 1576.

Voici comment la baronnie de Saint-Lô, possédée depuis près de mille ans par les Evêques de Coutances, passa aux mains de Matignon, seigneur de Torigni. Après la Saint-Barthélemy, 25 août 1572, Montgommery, zélé partisan des calvinistes, qui s'était enfui en Angleterre pour se soustraire aux poursuites dirigées contre lui par Catherine de Médicis, revint quelque temps après débarquer dans un petit port du Cotentin, à la tête d'une flotte montée par 6,000 hommes que la reine Elisabeth d'Angleterre avait mise à sa disposition. Il s'empara des places fortes et sa troupe pilla et ravagea tout le pays.

Les protestants de notre ville, encouragés par le succès de leur chef, s'emparèrent du château, saisirent l'évêque Artus de Cossé et lui firent subir les plus outrageantes humiliations. Ils le promenèrent par les rues monté sur un âne, la face tournée vers la queue qu'ils le forçaient de tenir en guise de bride, couvert d'une vieille jupe et une mitre de papier sur la tête, accompagné de chanoines en équipages tout aussi ridicules et suivis par la canaille qui vociférait mille injures.

Vers le soir, on trouva le moyen de déguiser le prélat en valet de meunier conduisant un âne chargé de farine, se dirigeant vers le pont de Vire, où des cavaliers, qui l'attendaient, le prirent et l'emmenèrent au MontSaint-Michel, dont il était abbé (ou à Granville).

Montgommery et son gendre Colombière-Bricqueville étaient restés à Carentan qu'ils travaillaient à fortifier ; bientôt ils s'emparèrent une seconde fois de Saint-Lô. Catherine de Médicis, apprenant ce qui s'était passé, mit une armée à la disposition de Matignon, qui vint assiéger Saint-Lô occupé par Colombière. Matignon posta ses troupes partie sur le coteau d'Agneaux, pour battre en brèche la tour Beauregard, partie dans la rue Pot-d'Airain, pour battre celle de la Rose. Enfin, après une attaque et une défense héroïques, l'assaut se donna avec la fureur du désespoir. Colombière, qui jusqu'alors avait résisté comme un lion courroucé, tomba frappé d'un coup d'arquebusade à la tête. Ce fut ainsi que Matignon s'empara de Saint-Lô, le 10 juin, jour du Saint-Sacrement de l'année 1574.

Maître de la place et victorieux des rebelles, dévoré, d'ailleurs, de l'ambition de réunir la baronnie de Saint-Lô à son comté de Torigni, il n'eut pas de peine à entrer en négociation avec Artus de Cossé, que la conduite récente de ses vassaux n'encourageait guère à revenir en cette ville. Il y eut un échange fait à Caen, devant notaire, le 22 mai 1576. L'Evêque reçut des terres et des rentes plus faciles à administrer pour lui qu'une place forte, et Matignon devint baron de Saint-Lô, qu'il fortifia et où il fit bâtir cette citadelle, dont on voit encore les deux tours extrêmes et qui fut démolie en 1813 ou 1814.

 

Coup-d'oeil rétrospectif sur l'église Notre-Dame

L'aspect sommaire du portai1 de Notre-Dame offre, dans son ensemble, quelque chose de gigantesque. Le développement de sa façade, ces trois portes dont les voussures, plus ou moins ogivales. représentaient en relief différents sujets tirés de la Bible ; ces niches veuves des saints personnages qui, jour et nuit, veillaient sur la cité ; ces belles pages historiées racontant encore, toutes mutilées qu'elles sont, des scènes de la Passion ; ces tours qui, à raison de la différence de leurs formes, protestent contre leur origine commune ; ces arabesques jetées à profusion ; ces figures grimaçantes ; ces magots aux attitudes diverses ; ces chimères à la gueule béante ; ces combats d'animaux contre des hommes; ces balustrades entourant la base des flèches et qui semblent se jeter le défi pour la netteté et le fini de leurs découpures à jour ; ces clochetons élancés, dont les supports si minces soutiennent de gracieux pinacles ; eufin, ces deux pyramides étoilées dont le sommet s'élève à plus de deux cents pieds, tout cela frappe d'étonnement. Mais quand on vient à se rendre compte de chaque partie, à analyser les détails, on se demande pourquoi donc les trois portes ne sont-elles pas également espacées, pourquoi les irrégularités que l'on rencontre à chaque pas ? Tout cela n'a pourtant pas été fait sans raison. Eh bien ! comme pour tout l'édifice, il y a une raison commune. Entrons dans l'église par la porte du milieu. D'abord, l'oeil est frappé de l'absence d'axe entre toutes les parties principales. Si notre église avait été conçue d'après un plan d'ensemble, on pourrait supposer que le défaut que je signale ne serait autre chose qu'un symbolisme, c'est-à-dire le fléchissement de la tête du Sauveur expirant sur la croix ; mais ici rien de semblable. Les constructions successives que l'on a faites, les augmentations partielles que l'on a ajoutées n'ont été, siècle par siècle, que le résultat d'acquisitions. A mesure qu'il se trouvait une maison ou une masure à vendre, les trésoriers l'achetaient et l'enclavaient dans l'église, comme nous l'avons rapporté. Ce n'était pas le cas de perdre du terrain ; on en utilisait jusqu'à la plus petite portion ; on visait plus à l'accroissement de l'église qu'à l'alignement ; on faisait de belle architecture sans prendre soin de la coordonner. C'est ainsi que le chœur ne s'aligne pas sur la nef et qu'il est en retrait de plus de deux mètres du côté nord. La nef n'a pas même d'axe avec elle-même. La chapelle Saint-Thomas forme une sorte de triangle en hors-d'oeuvre, qui prouve bien qu'on voulait mettre à profit un emplacement si chèrement acheté. L'église Notre-Dame, comme on le voit, ne s'est dégagée de ses langes que peu à peu ; son enfance a été longue, bien différente de ces magnifiques cathédrales, de ces superbes abbayes que l'or de l'Orient ou la générosité de grands seigneurs sont venues soulever de terre et élever comme par enchantement. Ici encore rien de semblable. Ce sont de pauvres marguilliers que l'on voit à la peine, acheter tantôt une maison, une masure, une petite place et fondant, pour les payer, des rentes sur la maison de Dieu. S'ils viennent à prendre un pied de terre sur le domaine de l'Evéque pour édifier une chapelle, vite un procès suivi, il est vrai, d'une transaction par laquelle ils s'engagent, au nom de leur pupille, à payer 10 livres de rente, etc. (transaction de 1428). Si le tonnerre ou l'ouragan endommagent l'église au point que M. l'Archidiacre menace de l'interdire, si ou n'y fait des réparations urgentes, le trésor étant vide, M. Le François, curé, les prend à sa charge (délibération du 13 septembre 1733). Si le choeur menace ruine et compromet la sûreté des fidèles, il faut intenter une longue procédure à l'Abbé de Saint-Lô pour le contraindre à le réparer, comme il y était obligé (archives de la fabrique). Enfin, partout des difficultés, des entraves. Jamais il n'a été fait de don gratuit de quelque importance au trésor de l'église Notre-Dame, et, avec ses faibles ressources, il a pu suffire, à quelques exceptions près, à toutes les dépenses de construction et d'entretien dont nous avons parlé précédemment. Qu'on ne vienne donc pas demander compte aux marguilliers de l'irrégularité de leur église, ni pourquoi le portail présente le bizarre assemblage de pièces d'architecture si mal coordonnées entre elles. N'y a-t-il pas dans la manière de faire la même étrangeté que l'on rencontre dans les caractères ? On a fait de belles choses qu'on a proposées en énigme à la postérité ; car on ne peut supposer que des hommes, qui avaient à ce point le sentiment du beau, fussent dépourvus du coup-d'oeil nécessaire pour disposer leurs oeuvres dans un ordre symétrique. Peut-on supposer que le génie qui a présidé à la confection de tant de chefs-d'oeuvre n'ait pas compris l'ordonnance des lignes et des accords entre eux. L'impuissance dans l'art pourrait seule faire concevoir l'impuissance dans la coordination de l'ensemble. Mais rien de pareil ne peut être admis quand on examine attentivement l'église Notre-Dame. Rendons grâce, au contraire, à l'activité, à la persévérance, à l'intelligence avec lesquelles ces hommes de foi et d'action ont mis à profit toutes les petites parcelles de terre qu'ils ont enclavées avec tant d'art dans un des plus beaux édifices religieux du diocèse.

Ndw : le cadastre actuel illustre les formes générales peu communes pour une église de cette ampleur

Constructions successives de l'église Notre-Dame par ordre de dates

  • 1re Construction : La nef avec ses deux bas-côtés, de 1330 à 1340
  • 2e Construction : La porte du milieu et la tour de l'horloge, 1360 à 1370
  • 3e Construction : Le chœur et le bas-côté nord, 1400 à 1410
  • 4e Construction : La chapelle Saint-Thomas, 1428
  • 5e Construction : La tour et le portail du sud, 1464
  • 6e Construction : Le bas-côté longeant la rue de la Préfecture, etc., 1490
  • 7e Construction : La chapelle du Rosaire, 1497
  • 8e Construction : La flèche du sud, 1630
  • 9e Construction : La flèche du nord, 1684

Cloches

La cloche vulgairement appelée l'horloge, parce qu'elle sert de timbre au marteau qui frappe les heures, fut coulée en 1430. L'entente des proportions et la pureté du métal en ont fait une cloche exceptionnelle pour l'ampleur et la majesté du son, sans le secours des pièces d'argent qu'on aurait, dit-on, jetées dans la fonte. On la sonnait aux fêtes solennelles, aux agonies et à la visite des malades.

Voici ce qui était écrit dessus :

JEHAN VERIN, PAR BONNE ENTENTE, ME FIST L'AN MIL QUATRE CENS TRENTE CURÉ LORS ESTAIT GOUVERNEUR JEHAN JOLIVET ; JULIEN LETANEUR RECEVEUR ESTAIT ; LANDRY GLACE, GUY GODEFROY, JEHAN GOURNAY, JEHAN MAUDUIT, MADAME ALIS QUI M'ONT FAIT METTRE EN CESTE PLACE.

Source : Notices, mémoires et documents, par la Société d'Agriculture, d'Archéologie et d'Histoire Naturelle du Département de la Manche 1851, article de l'Abbé DELAUNEY

De nos jours

Ici fini la description externe et historique de l'église, je laisse au lecteur le soins de se documenter sur la description interne fournie par l'Abbé DELAUNEY qui relate par le menu toute l'histoire de cette église citations à l'appui. Si votre lecture vous a conduit jusqu'ici et que vous connaissez l'édifice vous ne serez pas étonné d'apprendre que l'église à continué par la suite (le récit ci dessus date de 1851) a subir d'autre tourments qui l'on conduite a un stade encore bien différents de ce qu'elle pouvait être a la fin du 19e siècle.

Le 18 juillet 1944, après les féroces combats de la Libération, l'édifice était détruit à près de 50 % : nef découverte de sa couverture et de ses voûtes, façade effondrée suite au bombardement de la tour Nord par l'artillerie allemande. Seuls la tour Sud sans sa flèche, le choeur et les bas côtés restaient debout à peu près intacts.

wiki précise que la restauration de l'église (1944-1974) fut longue et difficile en raison d'un changement dans le parti pris de restauration au cours du chantier. Après les premiers travaux d'urgence, l'architecte des Monuments historiques Louis Barbier prépare un projet de reconstruction à l'identique de la façade ouest en récupérant la plus grande partie des pierres taillées d'origine. Mais en 1947, il est remplacé par Yves-Marie Froidevaux, qui propose en 1953 le principe de garder la ruine de la façade ouest et d'en faire un mémorial contre la guerre. Le projet ouleux sera adopté.

(*) Nous avons, dans cette notice, plusieurs fois parlé de Jean Dubois; partout nous l'avons rencontré faisant le bien pendant les longues années de sa vie, mais surtout pendant prés de 60 ans de sa magistrature comme procureur du Roi à Saint-Lô. Cette figure vénérable est toujours restée impassible au milieu de tous les événements qui ont agité notre ville depuis 1574 jusqu'en 1639, le 2 juin, époque de sa mort. Sa fermeté et son esprit de conciliation, comme magistrat, sa tolérance, au milieu des discordes religieuses, sa piété éclairée, son zélé pour la maison de Dieu, ses immenses largesses pour l'instruction de la jeunesse à tous les degrés et pour le soulagement physique et l'amélioration morale de la classe indigente, tout cela commande encore, après plus de deux siècles, notre vénération et notre reconnaissance. Il voulut de son temps anéantir la mendicité, et il n'eût pas manqué d'y réussir, en nourrissant, comme il le faisait chaque semaine, une grande quantité de familles pauvres, si les malheurs de la guerre et la prise d'assaut, toute récente encore, de noire cité n'eussent réduit à l'aumône une foule de gens auparavant dans l'aisance. Une coïncidence me frappe, c'est que, 200 ans après la mort de Jean Dubois et presque jour pour jour, en 1839, un membre de sa famille et qui porte le même nom a réalisé dans notre ville le voeu d'un de ses ancêtres, en se mettant à la tête d'une association ayant pour but l'extinction de la mendicité et poursuivant, depuis et jusqu'à ce jour, comme Maire, cette oeuvre inséparable de son nom. Ici je ne fais que de l'histoire.

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photo pour Eglise Notre-Dame

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 81385
  • item : Eglise Notre-Dame
  • Localisation :
    • Basse-Normandie
    • Manche
    • Saint-Lô
  • Code INSEE commune : 50502
  • Code postal de la commune : 50000
  • Ordre dans la liste : 3
  • Nom commun de la construction :
    • La dénomination principale pour cette construction est : église
  • Etat :
    • L'état actuel de cette construction ne nous est pas connue.

Dates et époques

  • Périodes de construction :
    • Nous n'avons aucune informlation sur les périodes de constructions de cet édifice.
  • Date de protection : 1840 : classé MH
  • Date de versement : 1993/11/22

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • non communiqué
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Interêt de l'oeuvre : 18 04 1914 (J.O.).
  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :
    • Notre base de données ne comprend aucun élément particulier qui fasse l'objet d'une protection.
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • non communiqué

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : 1992
  • Photo : b8bb228a3bde56d1f437fdf6f2ccf3b1.jpg
  • Détails : Eglise Notre-Dame : classement par liste de 1840
  • Référence Mérimée : PA00110582

photo : Normandie Héritage