photo : Normandie Héritage
Le château de Flamanville, l'un des monuments d'architecture les plus remarquables de notre contrée, a la grande tournure propre aux constructions du temps de Louis XIV, époque à laquelle il a été bâti.
Ce beau château fut érigé sur l'emplacement d'un antique manoir qui tombait en ruines ou qui ne convenait plus à son opulent possesseur. On ne connaît d'ailleurs ni l'origine ni la forme de la maison primitive des anciens seigneurs de Flamanville, qu'a remplacée la demeure princière d'aujourd'hui. En quel siècle et par qui fut-elle élevée ? on l'ignore absolument. Était-ce un château-fort ? c'est très probable, puisque tous les manoirs seigneuriaux étaient des forteresses sous la féodalité.
Mais avant de parler du château, du parc et de ses dépendances, exposons l'historique du domaine de Flamanville, sa fondation ayant nécessairement précédé l'érection du manoir.
Le domaine de Flamanville, dont l'origine est inconnue, appartenait aux anciens souverains de Normandie. Il fut l'une des nombreuses propriétés territoriales que le duc Richard II donna, en l'an 1008, à sa femme Judith de Bretagne, pour lui servir de douaire. Il porte le nom de Flamenovilla dans la charte de cette donation matrimoniale.
Flamanville, Flamenovilla, est vraisemblablement un nom d'origine normande. Comme celle de tant d'autres localités de notre province, cette dénomination remonterait au partage de la Neustrie entre les chefs de ses conquérants, sous Rollon. Le mot villa fut joint au nom de l'homme d'armes qui en devint alors le possesseur: Flamenolt, dont on a fait Flamenovilla (villa de Flamenolt). Cette étymologie est, du reste, conforme à l'opinion communément adoptée pour un grand nombre d'autres dénominations locales analogues, c'est-à-dire se terminant en ville, qu'on rencontre partout dans la Normandie.
On ne sait en quel temps le domaine de Flamanville sortit des mains des souverains de la Normandie, ni comment il en sortit, ni à qui il passa d'abord. Un écuyer obscur, du nom de Robin Benois ou Benoît, en était possesseur lorsque l'abbaye de Blanchelande en fit l'acquisition; et celle-ci le vendit, au prix de 1,200 écus d'or, à Colin Bazan, par contrat du 7 mars 1406, passé devant Jehan Breton, garde du scel de la vicomte de Coutances, par Guillaume Tolissac, tabellion juré du siège de La Haye-du-Puits.
Voici la liste généalogique des seigneurs et châtelains de Flamanville depuis cette époque jusqu'à nos jours.
Ainsi, depuis l'an 1406 jusqu'à 1862, pendant une période de plus de 450 ans, le domaine de Flamanville a eu seize possesseurs et est passé dans trois familles. Il fut érigé en baronnie par Louis XIII en 1610, en faveur de Guillaume Bazan, et en marquisat par Louis XIV en 1654, en faveur d'Hervé Bazan, devenu l'un des seigneurs les plus opulents de la province par son mariage avec Agnès Molé, petite-fille du riche financier Samuel Bernard, le Rothschild de son temps.
C'est Hervé Bazan, avons-nous dit, qui a fait bâtir le château actuel de Flamanville. Commencé en 1654, l'édifice principal fut achevé en 1657, et les bâtiments accessoires entourant la cour d'honneur, les deux pavillons saillants, la chapelle, les beffrois, tout était terminé en 1660. On avait fait en même temps les fossés d'enveloppe avec escarpe et contre-escarpe; car, par une fantaisie assez dans les goût. des châtelains du XVIIe siècle, Hervé Bazan voulut donner à sa somptueuse demeure l'air d'un manoir féodal, en l'entourant d'une apparence de fortifications. Quant aux pièces d'eau, la plus grande et la plus voisine du château, celle qui longe les écuries et les remises, existait déjà; les deux autres sont de date plus récente.
Ce château est sans contredit le plus beau monument architectonique de toute la contrée; aucun des édifices de ce genre qui existent dans nos environs n'a ce ton de grandeur et cette magnificence princière.
Situé sur un plateau dans un riant vallon à surface presque plane, et dont le parc occupe toute l'étendue, vallon délicieux, parsemé de pelouses et d'herbages plantureux, de verdoyantes prairies, de féeriques étangs, flanqués d'un côté par un taillis et de l'autre par une futaie centenaire, le château de Flamanville a un aspect grandiose, que font ressortir encore ces bois qui l'avoisinent et ce paysage qui l'entoure. A sa majestueuse régularité s'harmonise avec un art gracieux le charme du pittoresque des bâtiments accessoires. Il s'étend dans la direction du sud au nord, et a sa facade au levant. C'est un spacieux édifice à un étage, tout construit en granit ouvré, contenant plusieurs appartements et un grand nombre de pièces, auxquels on accède par deux vastes escaliers. Il fait corps avec deux magnifiques pavillons qui encadrent la cour d'honneur à droite et à gauche. Dans l'un de ces pavillons est la salle de l'orangerie, galerie à arcades d'une grandeur royale, et à l'extrémité se trouve la chapelle, sous le vocable de la sainte vierge.
Cette chapelle fut bâtie en 1659. Deux actes de permission donnés par l'évêque de Coutances, Eustache Leclerc de Lesseville, le 17 et le 30 mars 1660, autorisèrent de la consacrer, d'y célébrer l'office divin, et d'y chanter les vêpres tous les dimanches et les jours fériés. Un chapelain y fut attaché. Hervé Bazan légua à ce desservant 150 livres de rente, par acte du 2 mai 1663; d'autres dons lui furent faits, et la principale de ces libéralités fut la perception des revenus de la chapelle de Notre-Dame-des-Prés à Tréauville.
La façade du château était en partie masquée par des constructions qui lui donnaient un semblant de forteresse des siècles passés. M. le comte Donatien de Sesmaisons s'empressa de faire disparaître cet anachronisme féodal d'assez mauvais goût. Il fit en même temps combler les fossés derrière le château et du côté des jardins, et créa, en unissant les agréments de la symétrie à l'utilité, le magnifique potager qui est l'un des ornements de cette charmante habitation.
C'est aussi à M. le comte Donatien de Sesmaisons qu'est due la plantation du vaste espace d'arbres verts qui prolonge les bois du parc jusqu'au Gros-Nez ou cap de Flamanville, promontoire s'élevant comme un rempart de granit au-dessus des flots, et que couronne un dolmen gigantesque, le plus beau monument druidique de toute la contrée. De ce cap la vue plane au loin sur l'immensité de la mer: à la limite de l'horizon apparaissent les îles d'Aurigny, de Guernesey et de Jersey; et la nuit, par une atmosphère pure, on voit briller en Manche les phares des Casquets.
Le château est entouré d'un parc d'une étendue considérable, dont l'une des extrémités touche au village de Flamanville. C'est à cette extrémité que se trouve le pavillon en forme de tour dit de J.-J. Rousseau, et qui fut en effet élevé pour ce grand homme, au commencement de l'année 1778, par le marquis de Flamanville (Marie-Bonaventure-Jean-Joseph-Augustin Le Conte de Nonant-Raray).
Nous avons peu de notions sur les rapports qui pouvaient exister entre l'austère philosophe et le jeune marquis, et moins encore sur les circonstances qui portèrent celui-ci à lui faire construire cette cellule inhabitée, qu'un illustre souvenir fait seul respecter. Corancez est le seul auteur contemporain qui donne à cet égard quelques renseignements. « Je rencontrai un jour, dit-il, un jeune chevalier de Malte, nommé Flamanville. Il m'avait donné de lui une excellente opinion, par le prix qu'il mettait à se conserver chez Rousseau. Il y venait assez fréquemment, et souvent nous nous rencontrions. En m'abordant, il me serre la main, me dit qu'il arrive d'Ermenonville, et me témoigne un grand désir de m'entretenir particulièrement. Il m'apprend que la tête de Rousseau travaille, il ne m'étonné pas; il m'ajoute qu'il lui avait remis un papier écrit de sa main pour le prier de lui trouver un asile dans un hôpital. Ce jeune homme sensible et sincèrement attaché à Rousseau avait les yeux en larmes. Il m'ajoute qu'il lui avait offert d'habiter une des deux terres qu'il possédait en Picardie et en Normandie, toutes deux, ou bien certainement l'une d'elles, situées sur le bord de la mer; que là il y serait seul, puisqu'il ne les habitait point. Je n'ai pas, me dit-il, perdu l'espérance de l'y déterminer. Il se proposait un second voyage, dont il me rendrait compte. Hélas! ce second voyage n'eut pas lieu, Rousseau mourut trop lot. »
Le pavillon de J.-J. Rousseau forme l'angle nord-est du mur de cloture du parc de Flamanville. Sa porte donne sur la campagne, mais il a une accession dans le parc par un escalier hélicoïdal qui conduit à la plate-forme peu élevée de la tour, d'où la vue plane sur la mer et embrasse un panorama aussi varié qu'étendu.
Tout près et en face de ce pavillon qui fait en quelque sorte partie du village, de l'autre côté de la route, s'élève l'église paroissiale, due aux libéralités d'un marquis de Flamanville. Elle est intéressante sous plus d'un rapport. On y remarque particulièrement la châsse contenant les reliques de sainte Réparate, découvertes dans les catacombes de Rome en 1838, et données par le pape Grégoire XVI à Mme de Sesmaisons, qui les rapporta d'Italie. Leur exaltation eut lieu à Flamanville le dimanche 15 juin 1845, et fut l'occasion d'une solennité magnifique. Mgr l'évêque d'Orléans présidait à cette cérémonie, à laquelle assistaient plus de cent prêtres, beaucoup d'étrangers et la population des communes environnantes. Les reliques de la sainte, qui subit le martyre sous le règne de Dioclétien, vers l'an 284, furent processionnellement transportées de la chapelle du château, où elles se trouvaient depuis 18 mois, dans l'église de la paroisse, à laquelle elles avaient été destinées par le Souverain-Pontife.
Source : M. Vérusmor 1860.
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