guerande

Lorsqu'on pénètre dans l'enceinte murée de la ville de Guerande, qui, du haut de son coteau de granit, domine l'Océan et l'embouchure de la Loire, on se croit transporté dans une des petites capitales du vieux duché de Bretagne; on se retrouve en plein moyen-âge. Les mœurs patriarcales et les costumes étranges de la population, les remparts à mâchicoulis flanqués de tours, la langue bretonne religieusement conservée dans quelques villages, la nomenclature géographique du pays, tout concourt à produire une complète illusion.

Guérande n'est plus une ville de guerre comme au temps de Montfort; elle a perdu, avec sa juridiction royale, ses anciens pouvoirs administratifs. Quoique pour l'importance elle ne le cède à aucune des localités de la Loire-Inférieure et vienne immédiatement après Nantes, elle n'est pas même le siège d'une sous-préfecture: à son exclusion, le bourg de Saguenay est devenu le centre politique de l'arrondissement où elle est située. Il est vrai de dire qu'elle se console aisément de la privation de cet avantage par la supériorité réelle qu'elle conserve encore sur les villes et les communes situées dans son voisinage ; Guérande est, en effet, la capitale de tout un monde de marais salants, la métropole de plusieurs cantons et le principal centre d'action de l'arrondissement. Elle puise d'ailleurs, dans le mouvement considérable de son commerce maritime, des ressources toujours nouvelles.

L'origine de cette ville se rattache à l'établissement des pirates saxons au Croisic. Pour surveiller les descentes de ces voisins incommodes, les Romains, vers l'an 470, construisirent une forteresse sur le coteau de Guérande : le château de Grannona occupa, non point l'emplacement actuel de la ville, mais le plateau élevé où sont les moulins désignés encore sous la dénomination de Moulins de la Place.

Un grand nombre d'habitants de la côte, pour s'assurer un refuge contre le brigandage des pirates, se placèrent, rapporte-t-on, sous la protection du fort, et bâtirent la ville de Guer-rann, ou de Ker-rann. Nous admettons volontiers cette origine et cette étymologie. Rien de plus simple que de supposer que les Bretons aient accolé leur mot ker, cité, au nom latin Grannona , en le réduisant à la forme monosyllabique, selon le génie des peuples du Nord, et que les Français, du substantif composé Ker-rann, aient fait Guérande. Dès le VIe siècle, la forteresse romaine devint la résidence de Guerech, et de plusieurs comtes de l'Armorique. C'est alors que la nouvelle cité reçut le nom d'Aula Quiriaca (Cour de Guerech), autre dénomination de laquelle quelques étymologistes font dériver le mot Guérande.

Une grande obscurité couvre les destinées de la ville de Ker-rann jusque vers l'an 851. A cette époque, Erispoë, roi des Bretons, ayant fait la paix avec Charles-le-Chauve, l'évêque de Nantes, Actard, le protégé du roi frank, reprit possession de son siège et en expulsa Gislard, qui lui-même l'avait supplanté; mais celui-ci, bien loin de reconnaître l'autorité de son rival, résolut d'élever crosse contre crosse. Sans s'inquiéter de la sentence par laquelle le roi Charles et ses évêques le condamnaient à être enfermé dans le cloître de Saint-Martin-de-Tours, il s'établit à Guérande, y conserva son titre d'évêque, et jusqu'à sa mort gouverna en cette qualité le troupeau dont il s'était constitué le chef.

Le territoire que Gislard retint ainsi sous son obédience composa plus tard ce qu'on nomma l'archidiaconé de la Mée (de Media, de la région moyenne); il avait pour limites l'Erdre, la Sevonne et la Vilaine jusqu'à la mer. L'évêque de Guérande, protégé par Salomon III, l'emporta en définitive sur Actard, qui de nouveau fut chassé de Nantes; ce fut pour lui un triomphe éclatant, et pour sa petite ville épiscopale un sujet d'orgueil. Le roi breton, voulant mettre Gislard sur le même pied que les autres évêques, fonda à Guérande l'église et le chapitre de Saint-Aubin. A la mort du prélat, qui arriva en 895, on ne lui donna point de successeur ; seulement son archidiacre continua son opposition spirituelle pendant cinq ans, et les Guérandais, plutôt que de se soumettre à leur ancien pasteur, se rangèrent sous l'autorité de l'évêque de Vannes. Ce ne fut que vers l'an 900 qu'ils rentrèrent dans le giron du prélat nantais et redevinrent ses vassaux.

Du reste, au lieu de renier comme des pécheurs repentants les actes de la période épiscopale, ils se montrèrent singulièrement jaloux d'en conserver les souvenirs. Une de leurs voies publiques garda et porte encore le nom de rue de l'Evéchê : c'est là que subsista le palais de Gislard, jusqu'à l'époque où il fut démoli à la requête de l'évêque de Nantes (1680). La collégiale de Guérande s'enorgueillit d'être la plus ancienne du diocèse et la seule qui députât aux états; à tous les synodes et à toutes les assemblées du clergé, elle prit place immédiatement après le chapitre de l'église métropolitaine. Enfin, elle conserva toujours certains privilèges importants, comme le droit d'avoir des grands vicaires, un official et un promoteur, tirés du corps de son chapitre, et de prendre le titre de second siège épiscopal de Nantes. Il existait aussi sur la façade et dans l'intérieur de l'église de Saint-Aubin un monument et des vestiges curieux de l'autorité de Gislard, que la révolution n'a pas entièrement effacés : c'étaient des mitres et des crosses, sculptées sur les parois de l'édifice, et une chaire d'évêque en pierre, taillée dans l'épaisseur du mur d'une des tours du portail.

S'il faut en croire les légendaires, le patron de cette église rendit aux habitants de Guérande un signalé service pendant les invasions des Normands. Les pirates, sans se laisser abattre par le souvenir de deux grandes défaites qu'ils avaient déjà essuyées en d'autres temps sous les murs de la ville, étaient venus l'investir de nouveau, après avoir dévasté Nantes, Angers et Tours. « Mais, » dit d'Argentré, « les habitants ne perdirent pas cœur et se mirent en défense si bien qu'ils en tuèrent bon nombre; dans une saillie, saint Aubin se montra en homme d'armes, au-devant de leurs troupes, les guida et leur donna courage de bien combattre. Bref, ceux de la ville leur opposèrent une si grande résistance, que les Normands furent contraints de se retirer et s'en allèrent au royaume de France, où ils firent d'incroyables cruautés (919).»

Le saint avait, sans doute, retiré sa protection aux Guérandais, quand, dans le XVIe siècle, leur ville fut prise par des ennemis encore plus barbares que les pirates du nord. Cette industrieuse cité, enrichie par le commerce du sel, avait alors une grande importance comme place de guerre et comme port maritime. Son enceinte murée renfermait 12,000 habitants et s'étendait jusqu'au plateau de la vieille forteresse romaine qui lui servait encore de défense. La mer couvrait une partie des marais salants de la côte; le Grand-Trait, ce Morbihan du territoire de Guérande, battait de ses flots le pied de la colline où la ville est assise, et formait à une demi-lieue de la mer un port où l'on armait des bâtiments de guerre.

En 1342, Louis d'Espagne, avec un corps d'Espagnols et de Génois, attaqua la place par terre et par mer; il voulait la soumettre à l'autorité de Charles de Blois. Mais la garnison se maintint bravement dans l'antique forteresse de Grannona, tandis que les bourgeois déployaient un admirable courage pour la défense de la cité. Les femmes même jetaient sur les assiégeants des pierres et des solives traînées avec effort; les prêtres, se mêlant aux combattants et aux travailleurs, les excitaient aussi par leurs discours et leurs exemples. Se reposant sur son énergie, cette population intrépide croyait n'avoir rien à craindre, lorsqu'une brèche, qui n'avait pas été réparée, servit de passage à l'ennemi. Avec les assiégeants, le pillage et l'incendie se répandirent dans la ville. Tous les habitants furent massacrés sans pitié. Une foule d'hommes, d'enfants, de femmes, de vieillards, s'étaient réfugiés dans l'église de Saint-Aubin; les soldats mirent le feu à l'édifice, et la voûte en pierres s'écroula sur ces malheureux. Quand il ne resta plus rien à détruire, Louis d'Espagne prétendit qu'on avait outre-passé ses ordres en brûlant cinq églises; il fit pendre et étrangler vingt-cinq des pillards les plus déterminés. Huit mille Guérandais portèrent, dans cette journée, la peine de leur dévouement. On rasa le château romain, on détruisit les fortifications; le butin, qui était immense, fut embarqué sur plusieurs bâtiments du port. Les historiens bretons racontent que la comtesse de Montfort répandit des larmes à la nouvelle de cette catastrophe.

C'était un devoir pour Jean de Montfort de relever la ville de ses ruines, et de l'entourer de nouvelles fortifications. Dans l'année qui suivit le désastre, il confia à un de ses lieutenants cette œuvre de réparation : celui-ci bâtit une ceinture de fortes murailles, et, pour en défendre les approches, fit creuser des fossés profonds autour de la ligne circulaire qu'elles décrivaient. Les matériaux fournis par les débris de la forteresse de Grannona servirent à construire ces ouvrages. L'enceinte fut réduite aux proportions du reste de la population guérandaise: au lieu de 12,000 habitants, elle n'en contint plus que 6 à 7,000. Le duc avait aussi donné l'ordre à son lieutenant d'aider les bourgeois à relever leurs maisons. Quand la ville fut réédifiée, il y établit un atelier monétaire.

Sous son fils Jean IV, Guérande, si cruellement victime de cette guerre de vingt-trois ans, vit conclure le fameux traité de pacification qui mit un terme aux souffrances de la Bretagne. Un grave historien donne la raison la plus singulière du choix qu'on avait fait de la petite ville pour la réunion des envoyés du roi de France, du duc, et de la comtesse de Blois : « On s'y assembla de part et d'autre, » dit-il, «à cause du carême, afin d'y avoir le poisson plus abondamment. » Le maréchal de Boucicaut, Jean de Craon, archevêque de Reims, assistèrent, comme représentants de Charles V, à la négociation du traité, qui fut longuement débattu. On était si las de la guerre, qu'on faisait partout des prières publiques pour que le ciel disposât favorablement les esprits des chefs des deux partis contraires. La paix fut enfin proclamée le 12 avril 1365, devant le grand autel de l'église collégiale de Saint-Aubin, sur lequel on avait exposé le Saint-Sacrement. Le comte jura, sur son âme, sur les saints Évangiles, et entre les mains de l'archevêque, de remplir toutes les conditions du traité; et les procureurs de la comtesse de Blois, Hüe de Montrelais, évêque de Saint-Brieuc, Jean de Beaumanoir et Gui de Rochefort, firent le même serment sur l'âme de leur dame et maîtresse. Plusieurs barons, parmi lesquels figuraient Olivier de Clisson, Jean, vicomte de Rohan, et Jean, sire de Rieux, promirent aussi solennellement de faire observer cet engagement. Puis, pour dernière sanction, il fut confirmé et ratifié par l'archevêque de Reims, au nom du roi de France.

Le duc de Bretagne oublia si vite le serment prêté devant l'autel de Saint-Aubin, qu'en 1373 Du Guesclin, par voie de représailles, lui enlevait Guérande. Six ans après, Olivier de Clisson venait aussi de Nantes pour entreprendre le siège de la ville; mais les habitants, qui ne lui pardonnaient pas de s'être donné au roi de France, se défendirent avec tant de vigueur, qu'il dut renoncer à l'espoir de les réduire par la force des armes. Non contents de l'avoir repoussé, ils allèrent encore jusqu'à Blain dévaster ses terres. La volonté et le courage de ce peuple se trouvaient à la hauteur de toutes les circonstances, si critiques qu'elles fussent. Une flotte espagnole, du Croisic où elle avait abordé, menaçait leur ville d'un siège : un parti de seize hommes, sous les ordres de Guillaume du Châtel, frère du célèbre Tanneguy du Châtel, attaqua un corps de trois cents ennemis, et les mit en fuite. Alarmé de cet échec, l'amiral castillan s'éloigna avec sa flotte, et se dirigea sur un autre point de la côte (1379).

En 1381, le duc Jean IV ayant envoyé demander la paix au roi de France, ce fut encore à Guérande que s'en fit la ratification définitive. Comme la petite ville offrit alors un spectacle animé! Le prince y passa plusieurs jours « en bel estat, » dit un chroniqueur. Il y avait « un grand concours de prélats » et plus de cent chevaliers. La foule « de gens de bien » était si grande que « aler venir, on ne pouvoit. » Or tout ce monde « faisoit moult bonne chère. » Les ambassadeurs du roi de France étaient l'évêque de Chartres, le président Arnaud de Corbie, le conseiller Jean le Mercier et le chevalier Pierre de Chevreuse. Les Beaumanoir, les Laval, les Rohan, les Lohéac, les Rieux, les La Roche-Bernard entouraient le duc, qui était d'ailleurs assisté de tout son conseil. On ratifia le traité, le 4 avril, avec toutes les solennités d'usage, dans l'église de Notre-Dame-la-Blanche, édifice qui est aujourd'hui converti en magasin.

C'était alors le beau temps de Guérande; une fête en appelait une autre. Jean IV devenu veuf en 1385, avait obtenu, l'année suivante, la main de Jeanne, fille du roi de Navarre. La princesse débarqua à Guérande ; le duc vint l'y recevoir. Le mariage fut célébré dans la chapelle de Saint-Clair à Saillé. Parmi les domaines que Jeanne reçut pour douaire figuraient la ville et le château de Guérande.

Le duc de Bretagne Jean V, dont les Guérandais avaient marqué l’avènement par un nouvel acte de patriotisme et de courage, en s'opposant au débarquement des troupes d'une flotte anglaise, témoigna aussi à cette généreuse population une grande bienveillance (1404). D'abord il posa, en 1409, au faubourg de Bizienne, la première pierre du couvent des Jacobins. Mais si la nouvelle fondation religieuse fut agréable au peuple, elle excita un profond mécontentement chez les chanoines de Saint-Aubin. Ceux-ci montrèrent même une si grande animosité contre les Dominicains, qu'en 1446 et en 1518 ces moines furent obligés de demander des lettres de sauvegarde au duc et au roi de France. Il faut aussi convenir que leur fondateur les avait dotés de manière à exciter l'envie. Il leur avait concédé la propriété des marais salants de la côte; en outre, il avait établi une foire franche qui, le jour de Saint-Yves, se tenait à la porte du couvent et où les moines levaient un impôt sur tous les débitants de vin. La révolution de 1789 a renversé ce monastère, dont on remarque encore les ruines sur la route du Croisic.

Un autre monument de la sollicitude de Jean V pour la ville de Guérande a heureusement échappé aux ravages du temps; ce sont ces belles murailles de granit, qui présentent un développement de mille quatre cent trente-quatre mètres de circonférence et qui enserrent irrégulièrement la cité de toutes parts. Un château, élevé aussi par les soins du duc, compléta les nouvelles fortifications. Ces beaux ouvrages, furent exécutés avec le produit des fouages et octrois levés sur les habitants; on les regarde avec raison comme un des chefs-d'œuvre de l'architecture militaire du moyen-âge. Près d'un siècle s'écoula avant que la guerre vînt mettre à l'épreuve cette nouvelle ligne de défense. Ce furent, au contraire, les bourgeois de Guérande qui, en 1487, allèrent chercher les périls de la guerre. Touchés de la position critique où le duc François II se trouvait à Vannes, ils lui expédièrent plusieurs vaisseaux remplis d'hommes et de munitions. Le prince ne tarda pas à se trouver menacé d'un plus grand danger dans sa capitale, où il s'était enfermé avec ses deux filles et où il fut assiégé par les Français.

Le comte de Dunois rassembla alors à Guérande cinq cents hommes choisis et déterminés. Tous, ayant des croix noires sur leurs hoquetons, pour signe de ralliement, s'acheminent vers Nantes ; arrivés sous les murs de la ville, ils s'ouvrent un passage à travers les lignes des assiégeants, pénètrent par la porte Sauvetout dans la place, et contribuent puissamment à sa défense. Pour consacrer la mémoire de ce brillant fait d'armes, François II ordonna que la porte Sauvetout prendrait le nom de porte Guérandaise, et serait décorée des armes de Guérande, qui sont « des hermines pleines en losange, soutenues par des lions casqués. »

Lorsque François II mourut, en 1488, ses deux filles, dont l'ainée, âgée de douze ans, était la duchesse Anne, se retirèrent à Guérande. C'est là qu'une ambassade de Charles VIII vint trouver les princesses et en réclamer la tutelle. L'année suivante, le maréchal de Rieux, qui voulait imposer à Anne le mari dont il avait fait choix pour elle, fit assiéger dans cette ville le chancelier de Bretagne et plusieurs autres officiers de la duchesse. Dunois força les gens du maréchal à lever le siège après avoir perdu un grand nombre des leurs. Trois des principaux chefs de l'armée rebelle qui avaient été faits prisonniers eurent la tête tranchée sur les remparts.

A peine les Guérandais commençaient-ils à se remettre des alarmes et des fatigues de la guerre, qu'ils se voyaient exposés à d'autres épreuves. Le 4 mai 1457, ils apprennent qu'une escadrille espagnole, composée de douze petits bâtiments de guerre, a jeté l'ancre à trois lieues de là, sur le territoire de Saint-Nazaire, et qu'un corps de soldats étrangers, débarqué sur la côte, s'avance dans la campagne en portant partout le fer et le feu. A la vue des paysans qui s'enfuient et des flammes qui rougissent l'horizon, les Guérandais ne peuvent contenir leur ardeur martiale; ils s'arment par un mouvement spontané, et de Chavaignes, leur sénéchal, rassemblant trois cents hommes de la ville et des faubourgs, marche résolument à leur tête contre les Espagnols. Bientôt les ennemis sont repoussés vers la plage, où ils regagnent précipitamment leurs vaisseaux en laissant derrière eux la plus grande partie de leur butin. Vers le milieu du XVIe siècle, les troubles religieux exposèrent Guérande à une invasion d'une tout autre nature. Le 5 mai 1562, les huguenots des environs, exaltés par le massacre de Vassy, pénétrèrent en armes dans la ville. Ils envahirent l'église des Jacobins, renversèrent les images de saint Fiacre et de saint Martin ; puis, poussant des pourceaux dans le sanctuaire, ils leur firent manger du blé sur l'autel. Lorsque la Bretagne fut pacifiée, on donna un pasteur aux calvinistes; ils le conservèrent jusqu'en 1665, époque où Louis XIV défendit l'exercice de la religion réformée à Guérande, au Croisic et à Batz.

Pendant les premiers troubles de la Ligue, le roi de Navarre se ménagea facilement des intelligences au milieu des Guérandais qui avaient refusé d'ouvrir leurs portes aux soldats de Mercœur. Seuls avec les habitants du Croisic, de Clisson et de Machecoul, ils représentèrent dans le diocèse le parti royal. Aussi Henri III ordonna-t-il que le présidial de Nantes fût transporté à Guérande ou au Croisic. Mercœur ne prévint le déplacement des pouvoirs dont il était menacé qu'en retenant forcément la magistrature auprès de lui. Toutefois, un présidial royaliste fut établi dans la première de ces villes, en 1590; présidé par Julien Charette, il donna des décrets de prise de corps contre le maire et les échevins nantais, connus par leur dévouement à la Ligue. La fidèle cité renferma dans ses murs les seules juridictions régulières qui existassent dans le comté; car elle avait déjà un siège royal de police, une sénéchaussée royale, et une officialité que l'évêque y avait établie à titre de seigneur de Guérande.

Les événements les plus remarquables du XVIIIe siècle furent la démolition du château de la ville (1614); la réunion des états de la Bretagne dans ses murs (1625) et la fondation du couvent des Ursulines (1646). Deux nobles dames portugaises, jetées à Guérande par une tempête, prirent le voile chez ces religieuses et les dotèrent magnifiquement. Ce furent elles qui élevèrent à leurs frais, pour recevoir les bonnes sœurs, le vaste et commode bâtiment où le collège communal et le petit séminaire sont installés aujourd'hui. Vers le temps où les Ursulines étaient arrivées à Guérande on y avait fondé aussi un hôtel-dieu avec le produit des charités publiques. Mais la mauvaise administration des religieuses hospitalières ruina l'établissement; il fut relevé par les bienfaits de M. de La Bouexière, sénéchal de la cité, qui, dans l'espace de trente-deux ans (de 1720 à 1752), consacra cent vingt mille livres à l'accomplissement d'une si bonne œuvre.

On cherche inutilement dans Ogée quel était le chiffre exact de la population renfermée dans l'enceinte fortifiée de la ville et dans ses faubourgs, avant la révolution de 1789. Ce géographe nous apprend seulement que la paroisse de Guérande contenait 12,000 habitants, y compris ceux de la Madeleine, de Carheil, de Clis, de Trescalant et de Saillé, ses trêves, qui, ajoute-t-il, étaient considérables. La plupart des gentilshommes du pays compris entre la Loire et la Vilaine, et les seigneurs des petits fiefs, si multipliés sur le territoire guérandais, faisaient leur résidence ordinaire dans la cité. La noblesse avait donc naturellement une prépondérance locale qui lui permettait de maintenir le corps de la bourgeoisie dans une sujétion complète; celui-ci était d'ailleurs presque entièrement formé de la clientèle de cette petite aristocratie, de ses agents, de ses procureurs-fiscaux, de ses médecins, etc. Les gens d'église, qui formaient une bonne partie de la population, contribuaient encore à augmenter le nombre des privilégiés. Du reste, nous savons très-peu de chose sur l'ancienne municipalité de Guérande. Admise, dès le commencement du XVIe siècle, à envoyer des députés aux états de Bretagne, elle eut jusqu'en 1789 un corps de communauté composé d'un maire, d'un procureur-syndic, d'un priseur et d'un greffier. A ces magistrats municipaux le chapitre adjoignait deux députés qui assistaient à toutes leurs réunions publiques. Trois anciens gentilshommes y prenaient aussi part « en qualité de propriétaires de maisons.»

La révolution fit d'abord de Guérande le siége de l'administration d'un district et d'un tribunal de première instance. Elle perdit ce double avantage en l'an IV, et ne fut plus qu'un chef-lieu de canton.

Dès le commencement de la guerre civile, les royalistes de la rive gauche de la Loire assiégèrent cette place, dont la prise pouvait les rendre maîtres de l'embouchure du fleuve. Au nombre de sept à huit mille, ils réussirent sans peine, le 18 mars 1793, à forcer une des portes de la ville, défendue par une très faible garnison; mais, ayant appris que le général Beysser s'approchait avec quatre cents hommes, ils l'évacuèrent après huit jours d'occupation. Le 7 juillet 1815, l'armée royaliste assiégea encore Guérande. Cette fois, les insurgés appartenaient à la rive droite de la Loire; leurs principaux chefs et beaucoup de leurs soldats étaient guérandais. Pendant tout un jour, la garnison, composée de troupes de ligne et renforcée par les brigades de la douane, résista aux efforts des royalistes; ils se retirèrent, au milieu de la nuit, soit qu'ils craignissent d'exposer aux horreurs d'un siége régulier une population qui passait pour leur être dévouée, soit qu'ils eussent appris qu'un régiment de la jeune garde, parti à la hâte de Nantes, devait arriver le lendemain sous les murs de la cité. C'est la dernière lutte armée qui ait ensanglanté cette partie du littoral de la Bretagne.

Telle Guérande apparut en 1431, lorsque le duc Jean V l'eut entourée d'une enceinte en pierres encore plus rétrécie que ses dernières limites, telle on la voit à peu près de notre temps. Des onze tours qui flanquaient ses murailles, une seule a été démolie (1810). Ses quatre portes, placées aux quatre points cardinaux, subsistent toujours : deux, celles de Bizienne et de Saille, ont la forme d'un arc de triomphe romain. Quant à la porte Saint-Michel, dont les deux tours élevées se détachent d'une manière si imposante, c'est toute une forteresse. On y a ménagé les archives, un hôtel-de-ville et une prison. Il ne faut pas voir Guérande du côté du nord, où les remparts masquent ses habitations et lui donnent quelque chose de triste et de sévère , mais au midi c'est un tableau qui enchante par mille détails agréables, pittoresquement encadrés dans une bordure de granit noircie par le temps. Au-dessus des anciens murs, des maisons bourgeoises, des manoirs, s'élève le clocher de la collégiale de Saint-Aubin. Les fossés sont comblés et on y a planté des arbres dont la ceinture verdoyante contraste avec la teinte sombre des remparts et s'allie gracieusement avec leurs bouquets d'œillets, de giroflées, de chèvrefeuilles et de lauriers-roses. A l'est et à l'ouest de la ville s'étendent les faubourgs Saint-Michel et de Bizienne. L'église de Saint-Aubin est un monument curieux par le style des premiers piliers de sa nef: surmontés d'arceaux en plein cintre et chargés d'informes sculptures, ils ont tous les caractères de l'architecture romane.

Au temps où le flux de la mer venait battre le pied de la colline sur laquelle elle est située, Guérande avait un port qui, placé à deux kilomètres seulement de ses murs, lui donnait de grandes facilités pour le commerce et pour l'exportation des sels. Elle réclame aujourd'hui le rétablissement de ce port, que l'éloignement graduel des eaux marines a laissé à sec; mais, en attendant le jour où il lui sera rendu par les soins de l'administration, elle travaille activement elle-même à s'en donner un autre en faisant creuser et élargir le grand étier du Poulinguen. A peu de frais, ces travaux lui procureront, à une distance de trois kilomètres, un petit bassin qui pourra recevoir ses nombreux caboteurs. En 1840, 46 navires français ou étrangers, 439 bâtiments employés à la petite pêche et 1,230 caboteurs sont entrés dans ce port; il en est sorti 68 vaisseaux français ou étrangers, 1,147 embarcations pour la pêche et 1,409 caboteurs. Outre 1,127,825 kilogrammes de matériaux divers et 766,668 kilogrammes de marchandises de toute nature, on expédia dans le cours de l'année, par la voie de la mer, 47,544,000 kilogrammes de sel. Les arrivages, consistant en matériaux, marchandises diverses, bois, grains, boissons, présentèrent un total d'environ huit millions de kilogrammes.

Source : Histoire des villes de France, par Aristide M. Guilbert 1844.

Eglise Saint-Aubin (ancienne collégiale)

On nomme collégiale une église desservie par des chanoines séculiers formant un chapitre, et dans laquelle il n'y a pas de siège épiscopal (Tontes les collégiales de France furent supprimées en 1792. La province de Bretagne en comptait alors 31, dont trois pour le diocèse de Nantes : Saint-Aubin de Guérande, Notre-Dame de Nantes, et Notre-Dame de Clisson, fondée par le Connétable en 1407).

Remparts

Les guerres continuelles, dont la Bretagne fut si longtemps le théâtre, avant sa réunion à la France, ont souvent attiré l'ennemi sous les remparts de Guérande. L'occupation de cette place importante était l'objet des désirs de tous les combattants. Trois fois ses murailles renversées, ses édifices réduits en cendre, sa population exterminée, ont témoigné en faveur de la bravoure de ses habitants.

Moulin de Crémeur

La tour de Crémeur est un petit-pied, de modèle breton. D'un travail soigné, sa maçonnerie en granite de taille, présente un rez-de-chaussée à assise débordante. L'encorbellement portant l'étage est décoré de trois larges moulures en ressaut.

Ancien couvent des Ursulines, petit séminaire

L'an 1646, la mère Marie Charette, du couvent des Ursulines de Nantes, vint à Guérande avec quelques autres religieuses, où elles étaient demandées par le chapitre, pour y instruire la jeunesse. La dot de ces religieuses fut employée à acheter, sous la caution du prévôt de la collégiale, une petite maison, avec son enclos, appelée la porte Talon.