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Chaque siècle, du Ier au XXe, a voulu donner sa part de génie à la cathédrale de Tours. Elle a parcouru toutes les phases du roman et toutes celles du gothique, pour recevoir à la fin les gracieuses inspirations de la Renaissance. Elle est même tombée à la merci des entrepreneurs de « style noble » qui, au XVIIIe siècle et au commencement du XIXe, ne comprirent rien aux oeuvres de foi et les massacrèrent. Malgré toutes ces évolutions, toutes ces divergences de manière, son plan, fixé dès l'origine par Grégoire de Tours, puis par Hildebert, ne présente aucune disparate. Elle conserve un caractère d'unité qu'on ne retrouve nulle part ailleurs dans les édifices où plusieurs styles ont laissé leur empreinte.
C'est donc un poème de vingt siècles que chante la Gatienne au Dieu Rédempteur. D'autres essayent de l'humilier en étalant leur longueur, leur ampleur ou l'élévation de leurs clochers, Nulle ne peut se montrer ainsi entourée des attentions continues des siècles écoulés, et toutes doivent s'incliner devant sa grâce. « Puisque, redirons nous avec l'abbé Bourassé, la véritable beauté d'un édifice ne consiste ni dans la masse, ni dans l'immensité de l'étendue, mais dans un ensemble de qualités qui ravissent au premier aspect, nous rangeons la cathédrale de Tours à côté des oeuvres les plus irréprochables de la période ogivale entière. Dans les monuments gothiques les plus somptueux, et nous avons visité les plus célèbres, nous n'avons rien rencontré de plus achevé. »
D'ailleurs nous ne comparons point : c'est absurde de comparer entre elles les églises. Leur variété est infinie en France, comme le génie des diverses provinces. Reims est absolument différent de Dijon ; Chartres, de Tours ; Rouen, de Paris. Cela tient sans doute un peu à la matière employée, mais surtout au sol, à la race. De la belle et un peu molle Touraine les architectes tourangeaux donnèrent à la Gatienne la grâce alanguie, la lumière caressante et la capricieuse fierté. On y chercherait en vain le cachet d'esprit hardi, téméraire, que les populations de l'Ile-de-France ou de la Picardie imprimèrent à leurs cathédrales. Plus sages, plus mesurés, les habitants des bords fleuris de la Loire n'exécutèrent leurs monuments que dans les limites de leurs ressources. On n'y voit rien de fou, mais rien aussi de ce négligé si fréquent dans les églises du nord, d'Amiens et de Chartres, par exemple, qui semblent encore tourmentées de la lièvre avec laquelle on se hâta de les élever. On sent ici un esprit souple, novateur, actif, mobile, raisonneur, l'esprit tourangeau enfin. Dirigés plutôt par le bon sens que par l'imagination, nos artistes se montrent surtout désireux de trouver mieux, sans s'arrêter jamais.
Aux charmes de sa personne, la Gatienne a vu s'ajouter mille gloires adventices que beaucoup lui peuvent envier. D'abord, celle unique d'avoir eu pour évêque saint Martin, la plus grande figure historique de l'ancienne Gaule. Une longue série de pontifes éminents en sainteté et en science lui succèdent : douze bienheureux, honorés d'un culte public, parmi lesquels l'immortel Grégoire de Tours ; quatre Vénérables, salués de ce titre de leur vivant, Hildebert de Lavardin (1135-1134), artiste, poète, théologien, philosophé, digne en tout point d'être l'ami de saint Bernard ; Jean de Bernard (1441-1466), Un Tourangeau, un artiste et un saint ; Hélie de Bourdeilles (1468-1483), le premier défenseur de Jeanne d'Arc, et dont le procès de canonisation est toujours pendant ; Simon de Maillé (1554-1597), une des gloires du concile de Trente, dont Maan écrivait un demi-siècle après : jacet ipse clarus miraculis.
Parmi les autres successeurs de saint Martin, citons : Geoffroy de Martel (1345-1251), compagnon de saint Louis en Palestine, où il meurt ; Etienne de BoUrgueil (1323-1335), qui fonde à Paris le collège le plus florissant de l'époque ; Jacques Gélu, qui eut la part prépondérante au concile de Constance et obtint plusieurs voix pour la tiare(1414-1437) ; Philippe de Koëtkis, le premier cardinal-archevêque de Tours (1427-1441) ; le cardinal Georges d'Armagnac (1547-1551), l'ami et le conseiller de François Ier ; le cardinal Alexandre Farnèse (1553-1554), petit fils de Paul III ; le cardinal Bertrand d'Escheaux(1618-1641), le protégé de Louis XIII et le vrai fondateur des hospices de Tours, d'Amboise et de Loches ; les cardinaux de boisgelin, de Cicé, Morlot, Guibert, Meignan, auquel on doit la réparation des tours, plus rapprochés de nous, dignes héritiers d'une illustration séculaire.
Cinq papes, Urbain II, Pascal II, Calixte II, Alexandre III, et le Tourangeau Martin IV, ce dernier à titre de légat, président dans la Gatienne des conciles importants et y reçoivent de tels honneurs qu'ils s'attardent chez nous et que Tours prend le nom de seconde Rome.
Avec nos rois, elle prend le nom de second Paris. Clovis ouvre la théorie. S'il n'a pas été baptisé à Tours, ce qui demeure douteux, on l'y trouve quelques jours après, ceint du diadème, portant la bannière bleue qui devait être la première de nos couleurs nationales, se rendant de Saint-Martin à la cathédrale en semant l'or et l'argent sur son chemin. L'y suivent Charles Martel, après la défaite des Sarrasins, les fils de Charlemagne, venus à la rencontre de leur père, et la plupart de leurs successeurs. Saint Louis comble la Gatienne de ses faveurs et s'y arrête avec complaisance, royalement reçu à l'archevéché par Pierre de Lamballe (1255). Charles VII y épouse Marie d'Anjou. Jeanne d'Arc y demande la bénédiction du ciel, avant ses immortelles chevauchées. Et après le traité d'Arras, c'est le mariage du dauphin, depuis Louis XI ; l'entrée de René d'Anjou et celle du duc d'Orléans, les deux fiançailles de Madeleine de France. En 1517, François Ier, nommé par le Chapitre chanoine honoraire de la métropole, s'y installe personnellement. Le 29 janvier 1594, Henri IV vient prendre à Saint-Gatien l'Ampoule dite de Saint-Martin, pour être sacré à Chartres roi de France ; etc., etc.
Mais il est temps de suivre dans la Gatienne ces glorieux cortèges. Toutefois, approchant des parvis, jetons d'abord un coup d'oeil sur les côtés de la tour du sud, après avoir eu soin de remarquer, enclavés à notre droite, dans les murs de l'archevêché, des restes importants de la muraille gallo-romaine.
Quelques archéologues veulent retrouver ici, à la base des murs, des vestiges de la basilique byzantine de saint Grégoire. Au-dessus, la tour du clocher du XIIe siècle apparaît dans sa majesté derrière le placage gothique. Avec un art infini, la Renaissance unit à la masse sévère du roman son plein cintre souriant, gracieusement assis sur d'élégants pilastres.
Et quelle magnifique leçon d'histoire de France que ces couronnements ! Résolument l'architecte dit adieu au roman et au gothique, à tout un passé de quinze siècles : plus de tours épaisses comme des donjons, mais aussi plus de flèches jaillissant comme des prières. Le monde rendit à d'autres goûts et à d'autres idées. Il prie en souriant, sans plus sculpter dans les tympans les scènes effroyables du jugement dernier, ni sans quitter de trop loin une terre qui devient plus aimable. Les seigneurs féodaux démolissent leurs forteresses et convertissent leurs châteaux sombres et fermés en ravissantes maisons de plaisance. Les villes, pour s'étendre, crèvent leurs vieilles enceintes. On jette des ponts sur les rivières ; on perce des routes. La vie prend une intensité qu'elle n'a jamais connue. Comme nulle autre province, la Touraine s'épanouit à la vie nouvelle. Les Jehan Fouquet, les Colombe, les Pierre de Valence, les Pinaigrier, puis les Pierre Neuveu, les Juste, les François, les Clouet, les Sarazin, multiplient, au pied de la Gatienne, les riantes merveilles. L'architecte des coupoles ramasse cette vie et ce talent, les condense et les fixe là-haut comme en résumé. Et ce sera le dernier effort de l'architecture religieuse. Bientôt la froide réforme arrêtera cet essor. Quand, après ses pillages, la paix se rétablira, le génie qui avait présidé à la construction de nos cathédrales aura péri sous les ruines, pour jamais.
On s'armera d'une lorgnette afin d'admirer de plus près, au-dessous de la première galerie, cette théorie de têtes qui, sur les quatre côtés, semblent sortir de la moulure, têtes de chevaliers et de gais manants, monde plein de vie et joyeux à voir, qui bavardent, se racontent leurs gestes et leurs grands coups d'épée et leurs autres aventures, et qui rient, niais d'un rire discret, comme il sied au lieu qu'ils occupent. Epitesmon, Carpalim et Panurge, sont sûrement parmi eux, peut-être même Pantagruel en personne.
Au-dessous, dans des niches, se voient les statues des saints Pierre et Paul, celui-ci avec sa petite stature énergique, celui-là auprès d'une colonne où était le coq avertisseur. Ils font pendant aux trois statues de la façade, représentant saint Maurice, au milieu, saint Louis, à droite, et un personnage indéterminé.
La loggia qui surmonte le grand escalier de la tour, à l'angle, mérite une attention spéciale.
Le côté nord de l'autre tour est peut-être plus intéressant encore. Passons de nouveau devant le portail et engageons-nous entre la cathédrale et le cloître, à gauche, en traversant la muraille gallo-romaine qui émerge au niveau du sol. Si l'on tient compte du chevet, du bras du transept, des contreforts et du préau, qui sont en face, il se déroule en quelque sorte dans ce coin un cours complet d'architecture religieuse.
C'est tout un livre. Aucun style ni aucune manière n'y manque, pas même le Plantagenet qui, avec sa longue fenêtre à lancette géminée de la fin du XIIe siècle, posée sur une curieuse tête du XIe relie la base romane qui chevauche sur l'antique muraille à l'aimable galerie de la Renaissance et à ses ravissantes coupoles. Et l'évolution est si continue que l'on no peut s'imaginer, sans être averti, qu'il s'élève ici quinze siècles de travail, de la terre au ciel.
Maintenant, nous approchant du grand portail, avant de le franchir, embrassons-le du regard. « C'est là, continue l'abbé Bourassé, que la cathédrale de Tours peut disputer la prééminence même aux plus grandes églises gothiques. Si l'on préfère s'attacher à la magnificence des ornements, à la profusion des sculptures, sous ce rapport elle ne craindra, pour ainsi dire, nulle comparaison. Si l'on aime mieux considérer la grâce, la délicatesse, la pureté, la noblesse, elle a des droits sinon à une supériorité absolue, du moins à un rang élevé parmi les plus vantées des façades gothiques. Les voussures des trois portails sont chargées de mille ciselures fines et variées : guirlandes, couronnes, feuilles épanouies, fleurons, grappes de raisin, églises en miniature, rosaces, dais, aiguilles, pinacles, toutes les richesses de l'art du XVe et du XVIe siècle y sont étalées avec un luxe inouï. » Joignons à cette orfèvrerie, à cette guipure de pierre, de beaux frontons pyramidaux, évidés à jour avec un art plein d'adresse, chargés de grosses feuilles grimpantes ; ajoutons ce double imposte en arcs surbaissés du grand portail, son trumeau et ses sculptures traitées avec amour ; les galeries légères, les quatre contreforts couverts de panneaux et de crosses végétales, enfin la grande rose du milieu, et nous nous trouverons en face d'un incomparable tableau.
En 1455, le grand portail était dans toute la splendeur de sa jeunesse ; les niches de droite abritaient les statues des saints évêques de Tours ; à gauche se trouvaient celles de saint Maurice et de ses compagnons de la légion Thébéenne. Les voussures et les baldaquins des niches jetaient sur ces héros une pénombre qui leur donnait des airs de penseurs, Une statue de saint Gatien bénissant couronnait la pointe du petit portail du nord ; le Christ docteur occupait la clef de la voussure, et les niches, à la suite, étaient remplies par des anges adorateurs et par des saints de Touraine. Saint Martin à cheval, et coupant son manteau, surmontait le pignon du portail du sud, qui lui était dédié. Le Tout-Puissant dominait l'ensemble.
Tous ces saints ont disparu ; nous ne sommes plus, au passage, salués de leur bon sourire ! En 1562, les Huguenots brisèrent les statues et démolirent les niches des voussures. On les refit en partie ; mais les sans-culottes, continuant l'oeuvre des Calvinistes, massacreront de nouveau ces merveilles, Ici la foi, qui ne doute de rien, avait placé, pour attendre le pèlerin, éternellement, ces bienheureux de granit ; la raison, qui doute de tout, ne les y remettra point. Tout est sacrifié, par cette raison reine du monde, à un bien-être grossier et stupide. L'on ne comprend plus ces sublimes élancements de l'âme vers l'infini, traduits en aiguilles, en flèches, en clochetons, en ogives, « tendant au ciel leurs bras de pierre, et se joignant, par-dessus la tête du peuple, comme de gigantesques mains qui supplient ». L'on ne ressent plus cette tendresse qui remplissait les coeurs de ces barbares du moyen âge, qui faisaient descendre du ciel, en magnifiques effigies, les saints et les saintes, pour les rapprocher, et Dieu avec eux, de la pauvre humanité, la consoler, la fortifier, lui rappeler que les héros d'autrefois étaient du même sang que nous.
Entrons maintenant, et, après avoir adoré Celui pour qui la foi a élevé cette merveille, plaçons-nous à l'entrée de la grande nef, face à l'autel.
Le plan, en forme de croix latine, s'étend, comme Notre-Dame de Paris, sur une longueur dans oeuvre de 100 mètres ; sa largeur, de 38 mètres, atteint 46 mètres au transept. La hauteur des grandes voûtes est de 89 mètres. Le chevet est légèrement incliné, pour exprimer l'inclinaison de la tête du Christ sur la croix.
D'où nous sommes, l'intérieur de la Gatienne, par ses dimensions bien proportionnées, par la hardiesse de ses voûtes, le nombre et l'élégance de ses colonnes, l'ordonnance pittoresque des travées, les ouvertures des innombrables fenêtres, produit un effet saisissant. « Toute la construction est d'une légèreté merveilleuse : là grande façade, découpée à jour depuis le pavé jusqu'à la voûte, se dessine comme un immense réseau de dentelle en pierre ornée des mille couleurs changeantes des vitraux ; les murailles percées de larges baies ; les grandes verrières historiées qui étincellent autour du choeur, qui rayonnent dans les roses, qui brillent dans les chapelles absidiales et jusque dans les galeries, au-dessus du premier ordre de colonnes, tant de beautés réunies forment une enceinte vraiment fantastique. »
Cependant, dès en entrant, on a tout d'abord l'impression qu'une certaine proportion manque entre l'élévation des voûtes et la largeur de l'édifice. Cela tient à ce que ces voûtes gothiques s'élèvent, comme nous l'avons dit, sur des murs qui portaient des voûtes romanes, toujours plus basses, Avec ses trois nefs, les deux latérales très étroites, la cathédrale du XIIe siècle était fort élégante. Afin de parer à la disproportion que l'espace leur imposait, les architectes des XIIIe et XIVe siècles tracèrent une cathédrale à cinq nefs, et obtinrent ainsi un ensemble très harmonieux.
Malheureusement on ferma plus tard par des murs les travées des derniers collatéraux, pour en faire des chapelles, et l'on exhaussa le sol. Les dispositions primitives furent dénaturées et l'élégance du monument amoindrie par ce travail ; la faute n'en est pas aux hommes de génie qui le conçurent. Encore moins ont-ils soupçonné qu'un jour on le remplirait de chaises, sans doute indispensables, mais affreuses quand même.
Demeurant où nous sommes, nous remarquerons les clefs finement sculptées des voûtes des cinq dernières travées de la grande nef : elles sont destinées à conserver « la mémoire bénie des bienfaiteurs de Saint-Gatien », et surtout du prélat tourangeau, Joan de Bernard, qui, successivement comme trésorier du Chapitre et archevêque de Tours, fit tant pour la cathédrale et les autres églises du diocèse. Personnages et armoiries sont réunis par un élégant ruban de fleurs. Le XVe siècle, qui a en le bon goût de conserver la symétrie des colonnades du siècle précédent, se livre ici à ses fantaisies.
L'oeil suit avec surprise l'élancement des colonnettes qui montent en gerbes délicates et serrées, non point à partir des chapiteaux, comme au XIIIe siècle, mais du socle, en traversant la guirlande qui a remplacé la riche corbeille de feuillages dont le premier gothique avait ceint ses piliers. Plus de lignes horizontales. L'oeil, forcé de suivre ces longues et minces lignes verticales, ne sait plus où s'arrêter et ne comprend pas pourquoi l'édifice ne s'élève pas toujours, pour se perdre dans les nuages.
Les murs n'existent plus. A leur place, les galeries et le clerestory se dilatent pour recevoir les innombrables compartiments du style flamboyant : flammes allongées, coeurs arrondis, vesiça piscis, fleurs de lis, couronnes, toutes les fantaisies brillantes que les artistes du temps savent si bien exprimer en pierre.
En se promenant du chevet jusqu'à la rose du portail, l'oeil voit donc se dérouler merveilleusement toutes les évolutions du gothique. Par horreur du plein, du nu, les architectes s'attachent progressivement à supprimer les murs, à faire des tours de force de pierre sans cesse plus hardis, à réduire la matière, à la métamorphoser en dentelle. Alors seulement ils disent ; C'est là qu'il faut s'arrêter.
Au XVe siècle, les fenêtres du clerestory et du triforium étaient ornées de vitraux qui devaient, avec les verrières du choeur, former comme une ceinture étincelante : ils ont été en grande partie brisés, aux XVIIe et XVIIIe siècles, par la grêle et les orages. On en voit de lamentables restes à gauche dans la galerie et, à droite, dans les roses des fenêtres. Les chanoines, « messieurs de Saint-Gatien », ont encore utilisé, avec une piété touchante, quelques débris que nous retrouverons tout à l'heure ; ce qui n'empêche pas qu'on les accusa du désastre : ils auraient « brisé les vitraux pour y voir plus clair » ! Et comment ont-ils conservé ceux du choeur, qui les gênaient bien davantage ? Mais que n'a-t-on pas dit des chanoines !
Par bonheur la tempête épargna la façade, Avançons un peu dans la nef pour en admirer la fine structure intérieure, Les arcades sont entourées de festons, de fleurs, de guirlandes, de sculptures d'un travail varié. L'artiste consciencieux a soigné avec amour chaque pierre ; il a même voulu que la couronne royale qui, au tympan, surmonte à l'extérieur l'écu de France, faisant le cercle et traversant les murs, le couronnât encore au dedans. La galerie, aussi admirable sous le rapport architectural que sous celui des vitraux, représente des personnages en pied, revêtus de manteaux armoriés, que nous verrons bientôt de plus près.
Au dessus la rose, éblouissante des feux de ses vitraux, offre une splendide représentation de l'Adoration éternelle de l'Agneau : elle servirait d'enluminure au livre immense de l'Apocalypse, Autour de l'Agneau rayonnent des anges et des âmes ailées, auxquels se mêlent, formant les pétales de la fleur, les armes des donateurs et de leur famille. Debout sous des baldaquins du style le plus riche de la Renaissance, sa garde d'honneur se tient au-dessous : saint Laurent avec son gril, à gauche ; puis saint Denis, sa tête en main et le cou auréolé ; saint Jean l’Évangéliste, la Vierge-Mère, Jean-Baptiste, un agneau dans ses bras ; saint Martin, saint Martial et saint Nicolas.
Nous nous engagerons maintenant dans le bas-côté de droite, en remarquant d'abord, dans l'angle de la tour des restes de peintures du XVe siècle représentant, sur un fond de tentures, un saint évêque et une abbesse, et, en retour d'angle, un personnage agenouillé sans doute devant la Vierge. L'autel se trouvait au dessous, car la piscine, à droite, indique que c'était ici une chapelle.
A la clef de voûte, on a sculpté une belle tète de Christ, Si la lumière est suffisante, il faut remarquer de curieux chapiteaux dans les angles, ainsi qu'à gauche, à la colonne prismatique, où l'on a représenté un combat d'animaux.
Les chapelles latérales qui suivent étaient primitivement ornées de superbes autels en marbre et en or, placés au-dessous des fenêtres. La Révolution les ayant mutilées, on les exhaussa de deux marches et on les restaura, au commencement du XIXe siècle, dans le mauvais goût très sûr de l'époque, en les garnissant de boiseries. Elles sont plutôt laides.
La première, celle des fonts baptismaux, a été récemment ornée d'une assez bonne copie de la Crucifixion de Prud'hon, expulsée du petit séminaire, à qui Napoléon III l'avait donnée. La vasque des fonts est en marbre blanc finement sculpté ; c'est la conque d'une ancienne fontaine de la ville, attribuée à Jean II Juste (1561), le Baptême, placé au-dessus de l'autel, est du peintre Lagrenée (1763).
Rien d'intéressant dans la chapelle suivante, dite de Sainte-Marguerite ou de la Présentation, Celle du Crucifix à conservé un Vitrail de la fin du XVe siècle, superbe par le travail et la beauté de là couleur. Quatre écussons, placés sous des dais gothiques et surmontés d'une croix d'or, ont pour tenants deux personnages, le donateur et sa femme, auxquels on semble avoir donné des ailes. Ceux des côtés portent : Ecartelé au 1er et 4e d'argent à deux fasces de gueules ; au 2e et 3e de gueules à deux bars adossés d'or, l'un semé de trèfles de même, qui est de Clermont de Nesle, peut-être Guy III, grand-maître de l'hôtel de la reine sous Charles VI, et que son office appelait souvent à Tours. Les deux du milieu sont écartelés au 1er et 4e d'azur à la croix d'argent cantonnée de quatre fleurs de lis d'or, qui est de Saint-Julien de Tours. L'abbé de cette collégiale, un parent peut-être, se serait associé à la donation.
La chapelle de Saint-Joseph a un beau vitrail de M. Lobin père, représentant en deux parties l'Adoration des Mages ; la partie inférieure, la mieux traitée, reproduit un carton d'Albert, Durer. Elle mérite au moins un regard.
Suit la chapelle de la Sainte-Face, ou de l'Ordination, ainsi nommée à cause d'un tableau représentant l'ordination de saint Martin, attribué au Tourangeau Claude Vignon. Aux fenêtres, dans la brisure des deux arcs formant écusson, se remarquent, à la première, trois croissants entrelacés, armes fantaisistes de quelque chanoine ou gentilhomme ; à la seconde, un aigle à deux têtes de gueules les ailes éployées, menbré et becqué d'azur sur fond d'argent, qui est de Boucicaut. A la clef de la voûte du bas-côté, six rats sont réunis en une seule tête.
Nous arrivons au transept. A droite, les grandes orgues, du style de la Renaissance avancée, méritent attention. Le buffet, surmonté de jolies tourelles élégamment sculptées et d'un saint Maurice dominant le tout, appuyé sur un écu aux armes du Chapitre, donne une haute idée de l'habileté de nos menuisiers du XVIe siècle. Il dut sa conservation à l'usage qu'on en faisait, pendant la Révolution, pour les fêtes décadaires. C'est un grand seize-pieds, avec un positif de huit pieds. Il est composé de 43 jeux ou registres, de 5 claviers, dont 1 de pédales, descendant au sol, et de 2744 tuyaux ; encore un grand nombre ont-ils été supprimés. Il est de Clicquot père.
Malheureusement, pour le placer, il a fallu aveugler une galerie de vitraux à personnages et dissimuler une rose du XIIIe siècle qui fut certainement une des plus belles de l'époque. L'extrémité des pétales porte les armes de saint Louis et de Blanche de Castille, ce qui donne sa date à cette partie du transept, La claire-voie qui supporte la rosace était, aux premiers jours, peuplée de personnages ; mais ils ont été cassés dans une catastrophe, et remplacés par des débris de vitraux provenant des grandes Verrières voisines, situées au-dessus de la chapelle des Enfants de France. La plupart de ces médaillons racontent l'histoire du patriarche Joseph. Malgré ce rapiéçage, l'ensemble est fort harmonieux, et la couleur des verreries est digne de la finesse des sculptures.
De l'endroit où nous sommes, on remarquera que, du côté du nord, les deux bras du transept, celui de gauche surtout, semblent se tordre, tels ceux du divin Crucifié, dont la tète s'incline avec le chevet. Tout en obéissant à cette idée mystique, l'architecte s'est surtout laissé commander par les substructions antérieures et le désir de conserver le plus possible du passé. On remarquera à droite, enchâssée dans l'angle, au-dessus du déambulatoire, cette figure qui porte une colonne avec son chapiteau roman et son socle à denticules : ce sont des restes de la cathédrale du XIIe siècle ; ils indiquent que le transept était au même point qu'aujourd'hui et que le XIIIe siècle s'est plu à jeter sur les gros piliers romans les plis de sa robe gothique.
Que l'on observe aussi la première travée de gauche du choeur, à l'intérieur : moins large que les autres, elle accuse un léger creux ; là encore il a fallu raccorder les lignes des colonnes du choeur avec le noyau du pilier de l'église romane. On sent toute la gène qu'a subie l'architecte, et l'on constate avec quel goût il s'en est tiré.
Avançant un peu, nous jouirons de la perspective des nefs déambulatoires et de la beauté du sanctuaire. Notre choeur est un des très rares que les lourdes constructions du XVIIIe siècle n'aient pas déshonoré. C'est le style ogival primitif dans tout son épanouissement. On n'y aperçoit aucun de ces tâtonnements qui caractérisent toujours la transition entre le plein cintre et l'ogive ; l'architecte était complètement maître de son style et de sa manière, et il a réalisé une des oeuvres les plus accomplies du XIIIe siècle. Quatorze colonnes cylindriques cantonnées de quatre colonnettes toriques, ornées de gracieux chapiteaux à feuillages et à Volutes recourbées, en forment la ceinture et supportent la voûte, de façon à ménager à l'extrémité, au-dessus de l'autel, un baldaquin d'un goût exquis. Les arcades de l'abside, semi-romanes, communiquent au chevet un heureux élancement, accentué par les fenêtres à lancette des chapelles rayonnantes ; les galeries à jour, composées de trèfles superposés, et les grandes fenêtres, fragile barrière de verres éclatants qui se profile jusque sous les voûtes, achèvent de donner à cette partie de l'édifice l'aspect d'une couronne aérienne. Les voûtes semblent posées sur des murs de verres colorés. Est-ce beau de donner rien qu'avec du rouge et du bleu, encadrés dans de fines lignes perpendiculaires, une telle expression d'élan, de départ pour ailleurs !
Et tout cet ensemble est bien un départ ; tout cela vit, remue en quelque sorte : le secret en est dans cette loi du porte-à-faux, qui est la loi du mouvement pour le corps de l'homme, toujours en recherche d'équilibre, En retombant sur les chapiteaux, les archivoltes et les arcs-doubleaux ne répondent pas à la ligne des colonnes inférieures, mais reposent un peu en avant, à faux ; ainsi elles semblent faire un effort, comme le corps, avant de se mouvoir.
Si, pour revenir au choeur lui-même, nous nous imaginons un plancher au-dessous du triforium, et les colonnes couvertes de peintures, nous aurons exactement la Sainte-Chapelle de Paris, avec ses quinze grandes verrières et dans ses admirables proportions. Ce serait à croire que l'architecte des deux chefs d'oeuvre est le même.
En avant du choeur s'élevait autrefois un splendide jubé ; refait en 1473, il. fut détruit à fin du XVIIIe siècle. De magnifiques grilles en cuivre, et les stalles à boiseries des chanoines achevaient, dit Maan, d'enfermer dans le mystère le maître-autel. Ce dernier se trouvait vers le milieu du choeur, à la place même où la cathédrale romane, et auparavant celle de saint Grégoire, l'avaient posé, c'est-à-dire à l'endroit où saint Lidoire célébra la première messe solennelle, et où saint Martin fut sacré évêque de Tours. Il était entouré de tombeaux d'archevêques et de grands personnages, parmi lesquels celui d'Archambaud Douglas et de son fils Jean, tués en Normandie, en combattant contre Bedfort (1424) ; ceux d'Hildebert le vénérable et du bienheureux Hélie de Bourdeilles, de Martin de Beaune et de son frère Jacques, à droite de l'autel ; de Christophe de Brilhac, en avant, etc. Les pierres tombales servaient de pavement au choeur.
La Révolution, qui rasa tout ce qui s'élevait, cassa ce qu'elle put, renversa les autels, ruina les chapelles, dépava le choeur, et l'obstrua par une montagne de terre, en avant de laquelle on dressa un obélisque à là mémoire des grands hommes : Marat, Socrate, Brutus, Caton, Jésus, Rabelais, etc. Au culte succédèrent les exhibitions grotesques de la créature qui servit, à Tours, de déesse Raison.
Ces terres furent, en 1804, non pas enlevées, mais étendues à travers le choeur et le sanctuaire, que l'on éleva ainsi par des murs construits entre les piliers. Sans pitié ni respect, on couvrit les dalles funèbres des évêques et des héros qui avaient voulu dormir en paix leur dernier sommeil tout près de l'autel de la Rédemption ; puis, en dépit des protestations des chanoines lesquels demandaient « un autel à la romaine, haut placé à l'entrée du choeur, au milieu de la foule et tourné vers le peuple, comme à Saint-Pierre de Rome », on recula le maître-autel au fond du sanctuaire (1806). Des stalles quelconques remplacèrent alors les riches boiseries de la Renaissance, et l'on entoura le sanctuaire de grilles irréprochables.
La plus grande richesse de ce choeur, devenu misérable quant à l'ameublement, est le candélabre à trois branches suspendu à la voûte, en avant du sanctuaire : c'est le rastrum lucis, le râteau de lumière des anciennes liturgies. Celui-ci est du milieu du XVIIIe siècle, mais il succède à un autre du moyen âge, dont parle Maan. Le style en est maniéré peut-être et surchargé ; toutefois le dessin est gracieux et l'ensemble d'un assez grand effet.
Heureusement, la Gatienne a gardé intactes ses splendides verrières. C'est le moment de les décrire.
Les verrières de la cathédrale de Tours ont plus de 800 mètres carrés de superficie. Elles doivent compter parmi les plus remarquables du XIIIe siècle. Composées d'une suite de médaillons à petits personnages, elles diffèrent des vitraux de Bourges, de Chartres et de Sens. Dans ces derniers, l'ornementation a peut-être plus de richesse et de variété, mais chez nous les compositions historiques sont plus soignées et le motif, moins encombré de personnages, plus évident ; la décoration reste un accessoire ; dans les autres cathédrales, l'accessoire écrase le principal. L'artiste n'avait qu'une connaissance imparfaite de l'anatomie du corps humain, mais il savait exprimer noblement sa pensée ; les mouvements peu nombreux sont expressifs et énergiques, et les vêtements drapés d'une façon très naturelle, Le mérite qu'il faut surtout rechercher dans les oeuvres de cette nature, c'est la richesse des couleurs et l'harmonie des tons ; il se rencontre ici à un haut degré. Le peintre-verrier avait assurément sous les yeux quelques-uns de ces livres à délicieuses miniatures que des moines de génie enluminaient dans le silence et l'humilité des cloîtres et qui, ne travaillant qu'en vue du ciel, ne signaient point leurs oeuvres.
L'artiste auquel nous sommes redevables de ces merveilleuses et fragiles mosaïques n'a pas non plus signé la sienne. Le Liber statutorum Ecclesiae Turonensis, conserve à la bibliothèque de Tours, donne bien le nom de Richard le Vitrier, qui vivait au XIIIe siècle et occupait une maison voisine de celle d'Etienne de Mortagne, qualifié de maître maçon de l'oeuvre de l'église de Tours : mais quelle part l'un comme l'autre prirent-ils à une oeuvre qui suffirait aujourd'hui à illustrer le nom d'un architecte ou d'un peintre ?
A défaut des artistes, les donateurs ont signé, et cela permet de fixer la date de l'exécution des vitraux : ils furent faits et posés entre 1260 et 1267. C'est là une constatation importante pour l'histoire de la peinture sur verre, et qui permettra un jour de trouver le nom des artistes. D'un autre côté, il y a écrite dans ces signatures une belle page d'histoire nationale : les seigneurs, les évêques, les abbés, le clergé des paroisses contribuent à l'oeuvre de leurs largesses. De nombreuses fleurs de lis accompagnées de tours indiquent que saint Louis et sa mère n'y demeurèrent point étrangers. Les bourgeois et les corporations de métiers sont au nombre des donataires, car la verrière de la Tige de Jessé (la neuvième en allant de gauche à droite) fut donnée par les fourreurs et les drapiers, et celle de la Genèse ou des Travaux champêtres (la quatrième) par les laboureurs. Nous saisissons là cet accord de toutes les forces de là société du moyen âge pour exécuter les merveilleux travaux de nos cathédrales.
Au point de vue métier, l'étude de nos verrières est extrêmement intéressante. On sait que la composition des verres bleus et leur juxtaposition avec les verres rouges étaient la grande préoccupation des verriers des XIIe et XIIIe siècles : il fallait savoir régler le bleu, toute la science de l'artiste était là. Avec une adresse supérieure, le nôtre a serti ses fonds bleus dans nn blanc verdâtre qui produit l'effet le plus heureux. Il a ainsi jeté la lumière dans ses vitraux et donné à tous les tons de sa composition une valeur, Que l'on regarde, par exemple, la quatrième verrière, celle des laboureurs, quel bleu délicieux ! Comme le regard sa repose mollement sur cette draperie de verre ! Quelle harmonie, et comme tout se tient, se lie ! On dirait un tapis d'Orient. Et l'ensemble de l'oeuvre est traité avec le même goût. C'est ainsi que l'artiste tourangeau est parvenu à donner au choeur de la Gatienne cette profondeur et cette atmosphère nacrée qui le fait paraître plus élevé et plus vaste qu'il n'est réellement. Il l'a fondu en quelque sorte dans le bleu des cieux.
La Gatienne, nous aimons aie redire, est une des rares cathédrales dont le triforium soit ouvert où ajouré ; presque partout il est aveugle, au détriment de l'élégance et de la légèreté. Notre galerie achève de donner à la perspective du choeur sa sveltesse et sa grâce.
Les cinq travées du milieu ont leur ouverture trilobée garnie de vitraux qui représentent, ceux du centre, la Vierge-Mère accompagnée de deux anges thuriféraires, et les quatre autres chacune trois apôtres avec leurs attributs distinctifs. Le reste des fenêtres sont garnies de grisailles en partie anciennes, d'un style et d'un dessin vraiment remarquables.
Revenons maintenant à l'entrée du déambulatoire et reprenons notre promenade. Mais nous voici tout d'abord arrêtés par la première chapelle, à droite, que gardé un saint Maurice peint au XVIe siècle sur le pilier d'angle, et récemment dégagé d'une épaisse couche de badigeon. C'est ici qu'on à transporté, en 1815, le splendide mausolée des enfants de Charles VIII et d'Anne de Bretagne, posé primitivement (en 1506) dans le choeur de la collégiale de Saint-Martin, et niaisement violé en 1793. Il se compose d'un embasement nu, d'un soubassement concave, d'une frise en forme de scotie, le tout en marbre blanc, et d'une table de couronnement en marbre noir sur laquelle sont couchés les deux enfants vêtus de robes semées de fleurs de lis et de dauphins, et accompagnés de petits anges, dont deux tiennent les armoiries des princes, La frise, qui est le mieux oeuvrée, est ornée de rinceaux à l'italienne et de petites figures en très faible relief, représentant divers sujets tirés de l'histoire d'Hercule et de celle de Samson, mélange du sacré et du profane qui est bien de la Renaissance. On ne saurait rien imaginer de plus délicatement traité. Les arabesques, les enroulements de feuillages, les gousses entr'ouvertes, les mascarons, les dauphins, les allégories, tout est exprimé avec une grâce, une élégance incomparables et une habileté de ciseau peu commune. Cet homme au corps de coq, sonnant de la trompe, et ce coq chantant, symboles de la jactance, à une extrémité ; et à l'autre bout, ce centaure armé de son arc et cette sirène aux cheveux flottants, sont délicieux.
La même chapelle nous offre l'enfeu, peint et sculpté, de Hugues de Pes... ; et de sa femme, décèdes dans le cours du XIVe siècle, comme nous l'apprenons par quelques mots d'une inscription presque illisible ;
Cy gist feu Hugues de Peselieu (ou Pesch...) de Tours qui trépassa l'an mil trois cent vint et trois. L'asme de lui soit en reyos.
Les deux défunts sont figurés par deux statues en demi-relief appliquées à la muraille, et encadrées dans deux niches à ogive trilobée que sépare une peinture à fresque représentant la légende populaire de saint Martinet du pauvre d'Amiens, La figure du saint est douce, jeune, remarquablement traitée, et rappelle tes plus délicates miniatures des manuscrits, Un petit personnage, qui est probablement feu Hugues, se tient à gauche de la scène, à genoux et tourné vers le saint.
Le tableau qui se trouve placé au-dessus représente une Nativité de réelle valeur, Le Saint Augustin, à gauche, fut donné par le Gouvernement en 1828.
Dans la chapelle suivante s'ouvre la grande sacristie, bâtie en 1458 par l'archevêque Jean de Bernard. Là porte se trouvait primitivement dans la chapelle suivante ; M. Guérin, architecte de la cathédrale la transporta ici en 1843, en la refaisant presque totalement. Les vantaux sont anciens, mais restaurés. La sacristie elle-même forme une belle salle, dont les voûtes sont soutenues par des nervures prismatiques reposant sur des culots intéressants, dont quelques uns appartiennent au XIIe ou au XIIIe siècle, Une clef de voûte porte une tête de Christ, et une autre les armoiries du Chapitre ; de gueules à la croix pattée d'argent ; c'est le blason que les héraldistes légendaires attribuent à saint Maurice, premier patron de la cathédrale. On y remarque aussi des vestiges de vitraux Renaissance et une fort belle peinture de l'école napolitaine espagnole, représentant Jérémie, son regard de prophète noyé dans l'extase et les larmes, assurément le meilleur tableau possédé par la Gatienne, assez pauvre en ce genre de décoration.
On observera que la chapelle suivante se trouve libre du mur de remplissage qui déshonore les bas-côtés. Primitivement le chevet était entouré d'un double déambulatoire et ne comptait que cinq chapelles rayonnantes, formant la couronne du Christ en croix. Les autels se trouvaient au-dessous des fenêtres et dégagés du mur. L'ogive des arcs-doubleaux est fermée par un claveau sculpté en un personnage généralement assis ; c'est l'image du saint qui donnait son nom à l'autel dressé en bas, ou à la chapelle. Nous ne sachons pas qu'aucune autre cathédrale présente cette particularité.
La troisième fenêtre domine le mausolée en marbre blanc et noir, avec médaillon, de Mgr Michel Amelot, archevêque de Tours (1673-1687). A côté, assez bonne copie de la Mise au tombeau du Titien.
La chapelle suivante a son autel surmonté d'une Vierge en bois du XVIIIe siècle, que certains connaisseurs estiment assez. A gauche, plaque funéraire de Mgr du Chillau (décédé le 26 novembre 1894).
Il faut s'arrêter à la cinquième chapelle, dite aujourd'hui de Saint-François, et à ses belles verrières latérales, qui racontent la vie de saint Martin. Elles appartenaient à une haute fenêtre du transept méridional. Elles sont, par conséquent, du XIIIe siècle finissant et d'un autre auteur que celles du sanctuaire. En réalité, comme exécution et comme idée, un abîme sépare ces vitraux de ceux de là grande verrière (la dixième), qui retracent les mêmes scènes. Dans celle ci, l'artiste a idéalisé et, en quelque Sorte, fondu son sujet dans le bleu du ciel ; celui de l'an 1300 étale un réalisme extrême ; tel ce diable à tète jaune et à ailes vertes qui se tord de voir tomber le saint du haut d'un escalier. Tels aussi le dernier médaillon inférieur de la fenêtre de droite, et surtout celui situé au-dessus, dépeignant la délivrance de possédés ; dans l'un, le diable sort d'une bouche comiquement grimaçante ; dans l'autre, il sort autrement et sali, à la stupéfaction du thaumaturge lui-même, qui allonge la lèvre du malheureux et ne comprend pas que rien ne sorte. Le peintre a littéralement traduit le récit intraduisible de Fortunat : Sordidus egreditur qua sordibus est via fluxu.
Le dernier médaillon supérieur représente l'ensevelissement de saint Martin. Cette peinture est d'un grand intérêt archéologique, car il est évident que les verriers de Tours ont dû peindre le tombeau du thaumaturge tel qu'ils l'avaient sous les yeux.
La fenêtre centrale raconte la vie de saint julien et de saint Ferréol. Ce vitrail du XIIIe siècle provient de l'église Saint-Julien. Les chanoines, toujours en éveil du côté des choses saintes et artistiques, l'achetèrent en 1812 au propriétaire de l'ancienne église abbatiale, alors convertie en magasins.
La chapelle de la Vierge ou du chevet a une bonne statue moderne en marbre blanc et un autel en marbre et bronze de M. Damien, sculpteur tourangeau. Les peintures à fresques de Lamerre, Chartier et Mazzioli, sont estimées, Les piscines ont Une forme gracieuse et les portes sont ornées de pentures du meilleur goût.
Mais nous voici arrêtés par la belle verrière symbolique du milieu, représentant la Nouvelle Alliance, c'est-à-dire les rapports principaux entre le Nouveau Testament et l'Ancien. Bourges, Chartres, le Mans ont aussi peint ce sujet ; mais notre vitrail présente dans l'ensemble plus d'harmonie et de majesté. La disposition matérielle des médaillons est plus gracieuse et les dessins de mosaïque, d'un meilleur effet.
Les fenêtres latérales représentent divers traits de la vie de la Sainte Vierge (à gauche) et de Notre-Seigneur (à droite) ; cette dernière, avec ses médaillons encadrés de perles, est vraiment délicieuse de teinte, supérieure peut-être à la verrière du milieu.
Les vitraux de la chapelle suivante sont d'un grand effet et rappellent les plus belles fenêtres de Chartres ; mais ils sont disparates et rapiécés. On les dirait posés à la hâte et sauvés d'un désastre. C'est un héritage de l'ancienne basilique de Saint-Martin, les restes précieux des légendes des apôtres Jean, Jacques et André, recueillis pieusement par messieurs de Saint-Gatien et placés ici dans leurs magnifiques armatures, A gauche de l'autel, on voit la table-portrait, par Damien, de Mgr Fruchaud (1871-1875).
Dans la chapelle qui suit, à droite, pierre funéraire de Mgr de Montblanc (1824-1841). Au fond de l'autre chapelle se voit le tombeau, avec une figure couchée, de Mgr Colet (1875-1883), par L. Noël.
Affreux les tableaux des chapelles suivantes mais la dernière est entourée de peintures sur bois qui ont du moins une valeur historique : ce sont les lambris mêmes qui sont mentionnés en ces termes dans une description de la chapelle du roi, au château de Richelieu : « Tout autour du lambris se voient les douze Apôtres avec les instruments de leur martyre »
Nous voici revenus au transept.Devant nous le plan subit une modification qui peut ne pas paraître heureuse. Dans le but de raccorder la nef avec les parties encore subsistantes des murs du XIIe siècle, on rétrécit notablement le bas-côté qui se prolonge au couchant. Il en résulte que les deux gros piliers de l'inter-transept, placés du côté de la nef, sont plus rapprochés entre eux que ceux du choeur, et qu'ils forment ainsi tous les quatre non pas un carré, mais un trapèze dont la base est du côté de l'abside. D'où nous sommes en ce moment, la perspective générale a perdu quelque chose de son ampleur ; par contre, vu du grand portail, ce défaut donne à tout l'intérieur un air de mystère et de grâce que trop de régularité lui eût enlevé, La Gatienne est marquée d'un signe, d'un grain de beauté, mais qui la rend plus charmante.
Maintenant, admirons la rose épanouie à l'extrémité du transept, qu'elle remplit de son rayonnement. Les artistes du Moyen-Age tiraient de tels partis d'une surface carrée, qu'il s'agissait d'éclairer ; l'architecte tourangeau surpasse de beaucoup ceux qui ont eu à résoudre ce problème dans les autres cathédrales, à Rouen, par exemple, où les roses du transept sont absolument manquées.
Ici, le chef-d'oeuvre s'épanouit en liberté. Jusqu'au pignon, il a transformé chaque pierre en une merveilleuse dentelle sertie d'émaux éclatants, aussi frais aujourd'hui qu'au commencement du XIVe siècle. Les réseaux qui représentent les pétales sont conduits avec tant de délicatesse, dessinés avec tant de goût, entrelacés avec tant d'art, vitrés avec tant de luxe ; les lignes sont si savamment et si harmonieusement combinées, que l'on dirait une fleur immense épanouie dans un jardin de féerie. Il n'était pas possible de pousser plus loin la légèreté. La science du tracé, la précision de l'exécution, le calcul des pressions et des résistances avaient atteint leurs dernières limites. Ce n'est plus de l'admiration, c'est de l'extase. Au centre est le symbole de la Divinité. Tout autour étincellent les séraphins en adoration ; les anges jouent des instruments de musique ou chantent sur des parchemins déroulés ; des vieillards, des rois, des pontifes élèvent vers Dieu des vases de parfums ; les patriarches, les prophètes, les apôtres, les martyrs, les Vierges, la cour céleste tout entière est rangée là, qui s'incline et adore. Comme la rose du grand portail, cette verrière est une page illustrée, une enluminure sublime de l'Apocalypse, mais plus gracieuse et plus divine.
Malheureusement elle a souffert d'un tassement de murailles peu après son exécution ; il a fallu étayer par un pilier central le fragile réseau des nervures, et contre-balancer au dehors la poussée de la voûte par deux arcs-boutants d'un rayon considérable.
Dans la gracieuse galerie qui porte la rose sont agenouillés, aux pieds de la Vierge, huit princes et princesses de la famille Bourbon-Vendôme, reconnaissables à leurs écussons, depuis saint Louis jusqu'à Jean II de Bourbon, encore adolescent. Ils ont été transportés ici de la quatrième verrière à droite de la grande nef, après l'orage qui détruisit les vitraux en 1760.
L'autel au-dessous est du genre classique ou néo-grec, c'est-à-dire dans le mauvais goût du XVIIe siècle. Il masque l'ancienne porte du nord. Les chanoines de 1830 furent excités à le construire dans ce style par leur président de fabrique, qui trouvait alors de « bonnes occasions » parmi les débris du château de Richelieu. Après tout, s'ils avaient élevé un autel gothique, eût-il mieux été « dans le style » ? Les pilastres, les colonnes, la table de communion en marbre rouge viennent de Richelieu. Le tableau de l'autel représente saint Martin partageant son manteau ; il est signé : Victor Schnetz, Rome, 1824. Les statues des deux niches latérales sont en bois. Au-dessous de la chapelle les chanoines creusèrent, à la fin du XVIIIe siècle, leur caveau sépulcral. Mais la Révolution étant survenue, un seul y fut inhumé. On y a établi le calorifère.
La première chapelle des bas-côtés, dite du Sacré-Coeur, a des vitraux de Léopold Lobin, et un autel sorti des ateliers de Poussielgue, le tout peu en harmonie avec le style de la cathédrale.
Au-dessus du second autel, dédié à Notre-Dame Auxiliatrice, est une Visitation, ou plutôt une partie de tableau de l'école florentine, dont l'original est au Louvre. Dans la rose de la fenêtre on voit une Annonciation et l'écusson d'azur à trois colombes d'argent de Nicolas Colombel, chanoine de la métropole en 1593.
La fenêtre de la chapelle suivante, Sainte-Philomène, porte dans ses meneaux quatre écussons pareils, dont l'attribution n'est pas faite.
Après les chapelles de Saint-Antoine et de Sainte-Anne, nous arrivons à l'extrémité du bas-côté. La voûte de la tour, en fausse coupole, accuse, comme la fenêtre du dehors, que nous avons observée, le style angevin ou plantagenet du XIIe siècle. Elle présente ceci de particulier qu'elle est décorée de quatre arcs ogives très minces, sans Utilité, qui divisent la voûte en huit triangles, au lieu de quatre, et qui, au lieu de porter les remplissages, sont portés par eux au moyen de queues pénétrant dans les arêtes à peine saillantes.
Ce fut Ici le point de départ, le berceau du gothique. De là il descend à Angers et à Poitiers ; puis il monte en Normandie avec le duc Henri II, pénètre avec lui, en évoluant toujours, jusqu'en Angleterre, redescend, par les bords du Rhin, dans les provinces royales, revient à Tours et, en passant par ses trois âges, retourne, rayonnant de beauté, à son point Initial : tel accourt à sa mère, avec la grâce de la virilité, le jeune homme qui l'avait quittée enfant. Sous cette tour où nous sommes, tous les styles se réunissent s'enlacent et se donnent le baiser de paix.
Revenus au grand portail, jetons un dernier coup d'oeil d'ensemble sur cet harmonieux intérieur. Oui, la Gatienne est belle, mais une chose lui manque : elle n'a pas d'âme. Notre-Dame de Reims, Chartres, deux ou trois autres basiliques, ont une âme ; un esprit, un mystère semble les hanter. Notre cathédrale, nous l'avouons avec un vrai désespoir, en est privée : elle n'est pas de celles dont Th. Gautier a dit ingénument : « Sans me piquer d'une dévotion bien fervente, je ne suis jamais entré dans une cathédrale gothique sans éprouver un sentiment mystérieux et profond, une émotion extraordinaire, et sans la crainte vague de rencontrer au détour d'un faisceau de piliers le Père éternel lui-même, avec sa longue barbe d'argent, son manteau de pourpre et sa robe d'azur, cueillant dans le pan de sa tunique les prières des fidèles. »
La Gatienne eut une âme autrefois, quand les fenêtres de la nef, de la galerie et des bas-côtés étaient garnies, comme celles du sanctuaire, de splendides vitraux. Il n'y avait pas tant de clarté, et il y avait plus de mystère. L'âme qui errait dans les nefs ou voltigeait sous les voûtes s'est dispersée avec les verrières, en rayonnements extérieurs ; on là peut à peine saisir. Cependant, le soir, lorsque les feux du jour se sont éteints dans les roses de la façade, maintes fois nous l'avons entendue voltiger encore dans le déambulatoire de l'abside, vers l'autel du chevet. On parvient même à la voir, quand tout est devenu silence et prière : elle est faite des aspirations, des dévouements, de la foi, de l'Intelligence de vingt siècles écoulés.
La Gatienne reprend encore son âme aux grandes solennités populaires ; car c'est pour le peuple que nos cathédrales furent construites. Elles racontent le noble mouvement qui, pendant un siècle (de 1190 à 1280), emporta le peuple français vers l'unité sous le pouvoir monarchique, quand les évêques, s'unissant aux communes, se séparèrent nettement de la féodalité, attirèrent à eux les populations, élargirent, pour les recevoir, l'enceinte des vieilles basiliques, dressèrent une église immense et souriante en face du château féodal fermé et terrible. Incomprises aujourd'hui, les cathédrales paraissent à certains esprits, au milieu de nos villes industrielles, comme de « grands cercueils ». Mais que les cloches s'ébranlent ; aussitôt la vieille idée ressuscite et soulève les foules ? L'évêque s'assied sur sa cathedra ; au passé renaissant le présent accourt s'unir, et dans ces « cercueils » tout est vie, renouveau et bonheur.
Source : La cathédrale de Tours : histoire et description par le Chanoine Boissonnot
Voir aussi Cathédrale en architecture.
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