Menhir dit de la Haute-Borne sur la montagne du Châtelet

L'ouvrage "La France pittoresque" dans sa section dédiée a la Haute-Marne nous apprend que bien que la forêt de Der ait été certainement le séjour des Druides, on ne connaît dans le département aucun monument druidique important ; le plus remarquable est une pierre appelée Haute-Borne, espèce de menhir haut d'environ 20 pieds au-dessus du sol. Cette pierre, plate et brute, plantée sur le bord d'une ancienne chaussée, dont la tradition attribue la construction aux Romains, porte, à environ moitié de sa hauteur, une inscription latine, dont il ne reste de lisible que ces mots : Viromarus Statili filius. La Haute-Borne est voisine de ruines considérables, situées sur la montagne du Châtelet, près de Vassy, et où, dans le siècle dernier, on a cru reconnaître les vestiges de l'ancien Noviomagus Vadicasstum.

Des fouilles, faites en 1772, y firent découvrir les restes de bâtiments considérables, de temples, de bains publics, des statues, des vases, des colonnes, des autels, des tombeaux, des mosaïques, des instruments aratoires, des ustensiles de toutes sortes, des médailles gauloises et romaines, enfin tout ce qui peut indiquer une ville considérable. Des traces d'incendie, les charbons et les autres matières ayant éprouvé l'action du feu, découvertes pendant ces fouilles, ont fait supposer que cette ville, si longtemps inconnue, a été détruite par les Barbares, vers le IIIe ou le IVe siècle de l'ère chrétienne.

Source : La France pittoresque, par Abel Hugo, Delloye 1835.

A propos

Lettre à M. l'éditeur de la revue archéologique sur la haute borne.

Toulouse, le 10 Janvier 1847.

Monsieur ,

J'ai lu avec un véritable plaisir, dans la livraison du 15 décembre dernier de la Revue archéologique, p. 585, l'intéressante notice de M. Pinard, sur un monument, connu sous le nom de Haute-Borne du département de la Haute-Marne.

Tout en reconnaissant avec l'auteur que l'inscription de la Haute-Borne appartient à l'époque romaine ou gallo-romaine, comme l'attestent du reste la langue et les caractères alphabétiques dont on y a fait usage, et en ne contestant pas davantage que l'épigraphie sur leurs monuments autres que les médailles n'étaient pas dans les habitudes des Celtes ou Gaulois, et, si on l'aime mieux, des Druides, je ne tirerai pas de l'observation de ce fait la conséquence que l'origine et la première destination de notre pierre debout ne remonte pas jusqu'à l'ère celtique. Je crois y remarquer, au contraire, tous les caractères d'un monument druidique (peulvan, menhir); seulement, cette destination changea avec la religion qui l'avait consacrée, et suivit celle du vainqueur; et durant la domination romaine le peulvan devint une pierre sépulcrale sur laquelle fut gravée à cette occasion l'inscription dont je vous demande la permission d'entretenir les lecteurs de la Revue : circonstance qui, à la même époque, se reproduisit à la même occasion sur d'autres monuments du même genre, ainsi que j'en donnerai la preuve plus bas.

L'inscription gravée sur le monolithe de Fontaine sur Marne a été lue et interprétée de plusieurs manières par les différents archéologues qui s'en sont occupés ; mais de ces leçons variées, celle qui me paraît la plus vraisemblable et que j'adopterai de préférence comme la plus simple et la plus naturelle, et qui offre le moins de lacunes et de sigles à remplir, est l'interprétation proposée par un respectable et docte ecclésiastique de la localité dont on a à déplorer la perte récente, feu M. l'abbé Phulpin : Viromarvs julio Statilio Filio, c'est-à-dire Viromarus à Julius Statilius son fils; et j'avouerai même que, sans les considérations que je vais exprimer, je serais encore plus disposé à accueillir la leçon proposée par Grignon, correspondant de l'Académie des sciences : Viromarvs juli StatilIFilius, c'est-à-dire Viromarus Juli (pour Julie), Statile (pour Statilii) filius.

Mais outre que la formule votive est plus habituellement employée dans le style lapidaire, en étudiant la marche de la civilisation romaine dans les Gaules après la conquête, et par suite de l'adoption progressive par nos ancêtres des mœurs, des usages du vainqueur, il est rationnel de voir dans le pur gaulois Viromarus, comme son nom l'indique suffisamment, le père, plutôt que le fils du demi-Romain Julius Statilius, ou Gallo-Romain, ce qui est tout un. C'est que dans plusieurs inscriptions recueillies dans les Gaules on voit le père encore sans prénoms romains, tandis qu'on en remarque un et souvent deux de ces prénoms qui précèdent le nom propre des enfants ou petits-enfants ; mais alors ces inscriptions, et la notre me paraît du nombre de celles qui remontent aux plus hauts temps de la soumission des Gaules, sont de l'époque contemporaine ou de ses premiers successeurs, et surtout d'Auguste. Les marbres épigraphiques que je mentionne ici, et qui proviennent de Saintes (Mediolanum Santonum), et d'Eauze (Elusa), viennent au milieu de beaucoup d'autres, qu'il serait trop long d'énumérer à l'appui de cette assertion.

  • Saintes (arc de triomphe):

    caius ivlivs caii ivli otvanevni filius rvfvs caii ivli gededmonis nepos eporsorovidi pro nepos, etc., etc.

    Voilà un Caius Julius Rufus, fils d'un Julius Otuaneunus, petit fils d'un autre Caius Julius Gededmon, et arrière-petit-fils d'un Epotsorovidus, sans prénom et souche pure gauloise : tous ces faux Romains qui n'en ont que le vêtement et qui ont échangé le sagum cucullatum et les braies (braccœ) contre la toge.
  • Eauze (fragment d'une inscription tumulaire):

    Caius Iulius Talsconis filius Tarros
    ivlia condai filia accateni vxor
    caius ivlivs pavllvs filius
    Titus ivlivs sabinvs filius ...

    C'est-à-dire: « Caius Julius Tarros, fils de Talsco ou de Talscon;
    Julia, fille de Condaius, épouse d'Accatenius,
    Caius Julius Paullus fils
    Titus Julius Sabinus fils. »

Cette seconde inscription me fournit la même observation que la première : les pères Talsco et Condaius ne portent que leurs noms propres tout gaulois, et Accatenius également; tandis que les enfants prennent des prénoms et même des noms romains, tels que ceux de Sabinus et de Paullus (1). Voilà évidemment le progrès dont je parlais plus haut et que signale l'inscription de Viromarus, à laquelle je reviens, et sur les diverses interprétations plus ou moins satisfaisantes par le savant déjà cité et par MM. Moreau de Montour, l'abbé Lebœuf, Phulpin, Jacob Kolb, Pothier, et enfin mes doctes confrères Batissier, Bourassé et l'auteur érudit de la notice.

De toutes ces manières de lire et d'entendre l'inscription de la Haute-Borne, celle qui me semble la plus improbable et la moins, admissible, bien qu'elle ait été proposée ou adoptée par des archéologues dont j'honore et respecte à la fois la science et le caractère, c'est la leçon suivante : Vibomarvs Imperator Statuit ibi Leucorum Imperii Fines; car, sans parler de ce grand nombre de sigles et d'abréviations à remplir qui laissent trop de latitude à l'arbitraire et à l'esprit de système, et qui d'ailleurs, à l'examen du texte, ne paraissent point suffisamment indiquées et notoires, et ne sont pas, à très-peu d'exceptions près, dans le génie de l'épigraphie latine et dans les habitudes des Romains qui, d'ordinaire, dans leurs inscriptions tumulaires, commémoratives, etc., ne proposaient pas des énigmes à deviner aux passants. J'ai la conviction que, dans toute l'histoire romaine, sur les monuments paléographiques et les médailles antiques, on ne pourrait pas appuyer d'un exemple irrécusable, cette attribution faite à un Gaulois du titre d'Imperator dans l'acception primitive de général victorieux, titre honorifique dont les soldats romains, après une bataille gagnée, saluaient par acclamations leur général sous la république, et même encore du temps de l'empire. A cette dernière époque, les empereurs qui, parmi toutes leurs qualités, s'attribuaient celle d'Imperator après chaque campagne militaire faite par eux ou même leurs lieutenants, en ayant soin d'indiquer sur les monuments le nombre de fois qu'ils avaient obtenu cet honneur, n'auraient pas toléré qu'un barbare eût usurpé le titre donné ici si bénévolement au Gaulois Viromarus.

J'estime, monsieur, qu'il serait également impossible de donner une preuve de l'expression d'imperü fines pour indiquer les limites du territoire d'un pays, d'une cité, et désigner le monument terminal qui leur servait de borne. Sur notre monolithe, les mots de Levcorum Fixes eussent suffi pour déterminer son emploi.

Je ne m'arrêterai point ici à discuter l'opinion de l'académicien des inscriptions et belles-lettres, Moreau de Mautour, sur l'identité de noms et de personnes existant entre le Viromarus de la pierre debout de la Haute-Borne, et Viridomarus, chef des Aeduens, mentionné par César au VIIe livre de ses Commentaires de la guerre des Gaules.

Je n'insisterai pas davantage pour établir que notre peulvan a pu être converti par les Gallo-Romains en pierre tumulaire et sépulcrale, à une époque bien antérieure à l'établissement du christianisme dans son pays, malgré l'absence des sigles votifs aux mânes, diis manibus. Nous allons encore remarquer une pareille omission sur un monument absolument semblable, même origine, même destination postérieure ; il s'agit de la pierre debout du Vieux-Poitiers à laquelle il a déjà été fait allusion au commencement de cette lettre.

Ce monolithe, rangé aussi dans la classe des peulvans ou des menhirs, diffère très-peu, pour sa forme et ses dimensions, de celui de la haute borne. Sa hauteur est de 2m,01 ; sa plus grande largeur, de 1m,46 ; et sa plus forte épaisseur, de 0m,67. Il est en grès jaune rosé étranger à la localité, très-accidenté, et couvert d'anfractuosités naturelles. Sur une des faces de la pierre debout, et vers le milieu de son élévation, on lit l'inscription suivante, très-fruste :

Ratn Brivatiom Fronv Tarbel No Ievrv

Comme la pierre druidique de Fontaine sur Marne, celle de Vieux-Poitiers est également placée à côté d'une voie romaine indiquée sur la carte de Peutinger, et qui circule de Limonum (Poitiers) à Caesarodunum (Tours). Vieux-Poitiers, quoique la position itinéraire qu'il occupe ne soit pas marquée dans la table théodosienne, et ait une mansio et le fines des Pictones et des Turones à seize milles romains de Limonum, de même que la haute borne, semble se rattacher et faire comme partie de la ville antique sise sur la montagne du Châtelet explorée vers le milieu du dernier siècle par Grignon et par feu mon vénérable maître et ami, M. l'abbé de Tressan, qui a laissé une mémoire si vénérée par tous les amis de l'antiquité. Ainsi, le monument tumulaire de Ratinut Brivatius est entouré de substructions antiques qui occupent plus de vingt hectares qui offrent d'innombrables débris de somptueux édifices, colonnes, marbres de toutes couleurs, sculptures, etc., etc.

Et pour que la similitude de destinée et de fortune fût complète entre nos deux monolithes, l'un et l'autre ont été maladroitement et inutilement fouillés, et après avoir été renversés par suite de ces malencontreuses investigations, ils ont été redressés plus tard sur leurs bases.

Différents écrivains ont disserté sur la pierre du Vieux-Poitiers, et son inscription, dont je joins ici un fac-similé, résultat d'un estampage réduit, a été lue et expliquée différemment par MM. Bourignon de Saintes, Siauve, de La Massardière, et par moi.

La grande difficulté porte sur l'intelligence et la restitution du premier mot de la seconde ligne, que chacun a traduit à sa manière, mais jamais avec une certitude complète d'être dans le vrai, ce que j'appliquerai également aux deux inscriptions dont je viens de parler à propos de l'excellent travail de M. Pinard sur la première.

Agréez, etc.

Le Bon Chaudruc De Crazannes,

Membre correspondant de l'Institut de France (Academie royale des Inscriptions et Belle Lettres), membre du Comité historique, etc., etc.

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 82559
  • item : Menhir dit de la Haute-Borne sur la montagne du Châtelet
  • Localisation :
    • Champagne-Ardenne
    • Haute-Marne
    • Fontaines-sur-Marne
  • Code INSEE commune : 52203
  • Code postal de la commune : 52170
  • Ordre dans la liste : 2
  • Nom commun de la construction :
    • La dénomination principale pour cette construction est : menhir
  • Etat :
    • L'état actuel de cette construction ne nous est pas connue.

Dates et époques

  • Périodes de construction :
    • Nous n'avons aucune informlation sur les périodes de constructions de cet édifice.
  • Date de protection : 1883/12/26 : classé MH
  • Date de versement : 1993/03/29

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • non communiqué
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Interêt de l'oeuvre : Néolithique indéterminé ; Site archéologique : 52 203 1 AP
  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :
    • Notre base de données ne comprend aucun élément particulier qui fasse l'objet d'une protection.
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • non communiqué

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : propriété d'une personne privée 1992
  • Détails : Menhir : classement par arrêté du 26 décembre 1883
  • Référence Mérimée : PA00079060

photo : Philippethev

photo : Philippethev