photo : Lomyre
Construit qu XVIIe siècle cet hôtel particulier dit de Cablanc à l'origine, puis prenant le nom d'hôtel de Fayolle vraisemblablement quand il est passé aux mains de cette famille n'est pas abondamment documenté dans la littérature du XIXe. J'ai donc pris le parti de rechercher ce qui pouvait donner une impression globale de la ville a une époque reculée pour attacher à cette fiche une description intéressante.
la correspondance qui suit, est intéressante pour son parti pris sur les travaux qui avait lieux dans la ville de périgueux avant 1860, date a laquelle elle fut publié.
Vous vous êtes souvent moqué, mon cher ami, de ma passion malheureuse pour tout ce qui me rappelle le passé, surtout quand il m'arrivait d'être la dupe d'un brocanteur qui me vendait à chers deniers quelque mauvaise toile provenant d'une église de village, qu'il me faisait passer pour un Pérugin, ou un bahut de la Renaissance tout frais sorti du faubourg Saint-Antoine, et qui provenait, assurait-il, de l'antique mobilier des châteaux de Chenonceaux ou de Chambord. Je me rappelle alors vos fous rires quand vous me voyiez convaincu que j'avais été floué. Eh bien! apprêtez encore vos sarcasmes, car de nouveau je viens d'éprouver un désappointement complet.
En revenant des bains d'Arcachon, il m'a pris l'envie, en passant à Coutras, de profiter du chemin de fer, qui de cette ville se dirige sur Périgueux, pour visiter cette ancienne station romaine, cette Vésoune à laquelle se rattachent tant de souvenirs de la puissance du peuple-roi et qui, pendant tout le cours du moyen âge, a tour à tour vu ses murailles attaquées par les invasions des Normands, des Sarrasins et des Anglais. Au moins, me disais-je, en roulant sur cette voie ferrée qui parcourt un pays ravissant, je ne vais pas voir là de contrefaçon, et muni de mon guide du voyageur, je pointais tous les monuments qui devaient attirer les regards du touriste dans la capitale des Pétrocoriens.
Emporté par la vapeur, ce fut à peine si je pus apercevoir en passant les nombreux châteaux féodaux qui bordent la vallée de l'isle, et dont un complaisant cicerone du cru me disait les noms, qu'étouffait souvent le bruit des wagons, et parmi lesquels je me rappelle ceux de Puyférat, de Montanceix, de Beauséjour, de Siorac, dont quelques-uns appartiennent encore a leurs nobles et anciens propriétaires. D'après ces avant-goûts, je savourais d'avance toutes les délices archéologiques qui m'étaient promises, et à peine le train en gare, mon guide à la main, je m'élançais vers le but de mon voyage. Mais, mon ami, oserais-je te dire ma déception; la manie des bâtisses, des restaurations, des percements de rues, a envahi Périgueux, comme beaucoup d'autres villes. On est en train de rajeunir la vieille basilique de Saint-Front: un canal, à peine achevé, recouvre sous deux mètres d'eau les ruines encore imposantes des Thermes de Vésoune. La voie ferrée, en courant vers Brives, contourne un des monuments antiques les plus célèbres de France, le temple de ..... , dit Tour Vésoune. Les anciennes rues avec leurs pignons aigus, leur fraîcheur pendant l'été, cèdent le pas à deux rues bêtes comme les rues modernes, et qui seront aux jours caniculaires une véritable Thébaïde; un pont d'ingénieur, en ce moment en construction sur la rivière de l'isle, étouffe sous ses arceaux aplatis un vieux pont à arches plein cintre qui se reliait à une ancienne porte fortifiée ; un quai, le fléau de l'art ancien, va bientôt cacher de son remblai maussade deux manoirs féodaux de la Renaissance, vrais bijoux dont l'architecture svelte et gracieuse se reflétait pittoresquement dans les eaux de la rivière. Mais, le croyez-vous, mon ami, les barbares ne respectent même pas cette pauvre rivière; ils s'emparent de son lit et lui en creusent un nouveau; mais j'aime à penser qu'un jour ou l'autre l'isle se vengera de cet attentat et que dans sa fureur elle brisera de ses flots gonflés par l'orage la frêle barrière qui lui est opposée.
Mais ce qui m'a étonné par-dessus tout, c'est de voir la béatitude de tous ces braves habitants de la vieille cité devant cette dévastation. Ils se proclament avec orgueil les nobles bourgeois de Périgueux, et ils voient détruire sans sourciller leurs titres de noblesse. Cependant Périgueux compte quelques hommes de goût qui s'affligent de ce vandalisme; mais leurs voix se perdent dans le désert de la civilisation.
Après un tel mécompte, il me tardait de quitter Périgueux; mais le train ne repartait que le soir pour Paris, et il me restait à visiter quelques habitations de la vieille ville que j'avais remarquées en passant, et les nouveaux quartiers.
Je serai juste, mon cher ami, quoi que vous en disiez, et j'avoue franchement que la nouvelle ville est charmante d'aspect. Ses promenades, ses boulevards plantés d'arbres, bordés d'édifices, tels que le palais de justice, la salle de spectacle, le grand séminaire et d'élégantes maisons particulières bâties avec la magnifique pierre du pays; ses places publiques ornées des statues de Fénelon, de Montaigne, du maréchal Bugeaud; l'animation d'un mouvement continuel qui semble appartenir à une ville de premier ordre, font du Périgueux neuf une charmante résidence.
La présence dans les conseils du gouvernement d'un des enfants de la ville a fait donner une nouvelle impulsion aux travaux qui s'y exécutent de toutes parts. Un hôtel de préfecture est en ce moment en construction sur les allées de Tourny. Son état d'avancement, l'examen des plans qu'il nous a été permis de faire sur le chantier nous a donné la certitude que l'architecte du département qui en est chargé, M. Bouillon, dont le nom se rattache aux arts d'une manière si distinguée (M. Bouillon est fils de P. Bouillon, peintre distingué, auteur du Musée des Antiques, qui a été dessiné et gravé par lui-même à l'eau-forte.), fera là une œuvre remarquable et devant contribuer à l'embellissement de la ville. Le mémo architecte élève en ce moment une nouvelle prison dont la disposition et l'aspect vraiment caractéristique prouvent la flexibilité de son talent. Une élégante église, du style du XIIIe siècle, élevée sur les dessins de M. Abadie, architecte diocésain, s'aperçoit sur les coteaux de la rive gauche, et le dôme de la chapelle de l'hospice, dont la construction est également due à l'architecte du département, et que je n'ai pu voir qu'en retournant à la gare, couronne d'une manière pittoresque l'ensemble des nouveaux quartiers.
Tel est le Périgueux neuf, propre, élégant, coquet; mais dussiez-vous m'accabler de vos sarcasmes, je déclare qu'il ne vaudra jamais la vieille ville des Pétrocoriens, dont les rues sombres et tortueuses résonnent encore des noms historiques des Taillefer, des Saint-Aulaire, des Talleyrand, des Saint-Ailier et de tant d'autres dont les hauts faits sont parvenus jusqu'à nous.
photo : Lomyre