Cathédrale Saint-Front

Lorsque César envahit les Gaules, le Périgord était habité par un peuple auquel il donne le nom de Petrocorii. Le territoire de ce peuple fut d'abord compris dans la Celtique aquitanique, et dans la suite, sous le règne de Valentinien, dans la seconde Aquitaine. La ville principale était Vésone (Vesunna); elle fut florissante sous la domination romaine. C'est vraisemblablement vers le VIIe siècle que Vésone, après avoir été ruinée plusieurs fois, prit le nom de Petrocorium ou Petrigordium, d'où lui est venu celui de Périgueux qu'elle porte aujourd nui. Mais la ville actuelle ne doit pas seulement son origine à Vésone, dont elle n'occupe qu'en partie l'emplacement; elle la doit encore à une autre ville qui s'était formée peu à peu autour d'un monastère fort ancien, situé sur une hauteur, et qui renfermait le tombeau révéré de saint Front. Cette nouvelle ville, nommée à cause de ces deux circonstances Puy-Saint-Front, était tout à fait distincte de l'autre, qu'on appelait la Cité. Suger ayant voulu constituer le Puy-Saint-Front en commune, la Cité, dont cette dernière ville relevait, s'y opposa, et il en résulta une guerre fort désastreuse, qui fut définitivement terminée en 1220, par un traité d'union. La ville unie jouissait de grands priviléges; elle se gouvernait elle même et ne relevait que du roi. Successivement prise par Philippe-Auguste aux Anglais, maîtres de l'Aquitaine, rendue par saint Louis, reprise par Philippe le Bel, rendue de nouveau en 1360 par le traité de Brétigny, elle a fini par être incorporée au domaine royal sous Charles V, qui s'en était emparé, et n'a pas cessé d'en faire partie depuis ce roi.

L'histoire de l'église Saint-Front est fort peu connue, un grand nombre de documents qui s'y rapportaient ayant été détruits au XVIe siècle pendant les guerres de religion. D'anciennes chroniques disent que saint Front, apôtre de la province et premier évêque de Vésone, qui vivait dans le 1er siècle, bâtit un oratoire sur l'emplacement actuel de la cathédrale, ou immédiatement à côté, vers le sud-ouest. Au commencement du VIe siècle, l'évêque Chronope, deuxième du nom, remplaça cet oratoire, si tant est qu'il ait jamais existé, par une église qu'il consacra sous l'invocation de saint Front. On ignore quand cette dernière fut détruite : on a supposé que cela eut lieu lors de l'invasion des Normands.

On croit généralement, d'après le témoignage du père Dupuy, qui cite le passage suivant d'un ancien manuscrit jadis gardé par le vicaire de Saint-Antoine (Ouvrage précité, t. II, p. 12. Ce renseignement se trouvait dans le calendrier du grand livre de saint Sillain): « Hic episcopus (Frolerius) magnum monasterium cedificare cœpit; » on croit généralement, disons-nous, que l'église actuelle a été reconstruite vers l'an 990, sous l'épiscopat de Frotaire de Gourdon, et consacrée le 21 mars 1047 par Aymon, archevêque de Bourges, sous l'épiscopat de Gérard de Salignac (Estât de l'église du Périgord, t. I, p. 208). Un archéologue distingué, M. de Verneilh, qui a fait une étude particulière du monument, dit qu'il croit pouvoir en fixer la date de construction de 1010 à 1047, au moyeu de chroniques contemporaines qui établissent, à quarante ans de distance, le départ de l'évêque de Périgueux pour la Palestine et la dédicace de la basilique, et aussi au moyen de la connaissance qu'on a de la date de fondation de Saint-Marc de Venise, qu'il suppose être le prototype de Saint-Front, hypothèse erronée à laquelle nous répondrons plus loin. Ces deux opinions diffèrent peu, comme on voit; elles s'accordent à reconnaître que SaintFront est antérieur à la deuxième moitié du XIe siècle. Pour nous, il nous paraît extrêmement peu probable qu'il en soit réellement ainsi. Qu'une église ait été construite par Frotaire et consacrée en 1047, c'est une chose dont il n'est guère possible de douter, puisque des témoignages historiques l'établissent; mais que cette église soit celle que nous voyons, avec ses chapiteaux corinthiens et ses coupoles, nous n'en croyons rien. D'abord l'ornementation est, autant que nous pouvons en juger, de beaucoup supérieure, comme style, sinon comme exécution, à celle qu'on est habitué à rencontrer au commencement du XIe siècle, et elle accuse cette influence des monuments antiques, qui, nous avons eu occasion de le faire observer ailleurs, se fit beaucoup plus sentir au XIIe siècle qu'au XIe (voy. les chapiteaux, fig. 7, pl. III). Puis, Saint-Front a ses grands arcs en ogive, circonstance toujours fort caractéristique, surtout dans le Midi, où l'ogive se montre généralement plus tard que dans le Nord, et dont on a fait beaucoup trop bon marché dans l'appréciation de l'âge du monument. Enfin, il est deux passages d'anciennes chroniques, rapportés par le père Labbe, qui établissent positivement que le monastère de Saint-Front a été complétement ruiné en 1120. Ces deux documents sont ainsi conçus :

« Anno MCXX XI Kalend. Augusti monasterium Mariœ Magdalena de Vizeliaco combustum est cum 1127 hominibuset feminis. Similiter incensum est monasterium sancti Frontonis civitatis Pelragoricœ, cum multis hominibus et feminis. » — « Guillelmus de Alba-Rocha, episcopus petragor. cujus tempore hujus sancti Frontonis et monasterium cum suis ornamentis repentino incendio, peccatis id promerentibus, conflagravit, alque signa in clocario igne soluta sunt. Erat tunc temporis monaslerium ligneis tabulis cooperlum. »

Nous ne savons point ce qu'on peut répondre aux passages si explicites que nous venons de citer, à moins qu'on ne dise qu'ils ne mentionnent point l'église d'une manière particulière; cette objection même n'en serait pas une, car puisque les cloches ont été fondues dans le clocher, il est parfaitement clair que l'incendie a atteint l'église. D'ailleurs, le mot monasterium est justement celui qui est employé dans les deux textes sur lesquels on s'appuie pour soutenir que l'église a été commencée par Frotaire et consacrée en 1047. Nous croyons donc que l'église Saint-Front est, sauf quelques parties qui peuvent être plus anciennes, postérieure à l'année 1120. Nous le croyons d'autant plus, qu'il nous paraît fort naturel de penser que les réminiscences orientales qu'on y remarque ont pris leur source dans une expédition de croisés.

L'église Saint-Front offre, en plan (fig. 1, pl. I), une forme commune en Orient, mais dont il n'existe presque pas d'autre exemple en France, celle de la croix grecque. Elle se compose de deux nefs, chacune divisée en trois travées, de manière à ce qu'elles aient une travée de commune; il y a donc cinq parties parfaitement distinctes dans l'édifice, la nef, la croisée, les deux croisillons et le chœur; il faut y ajouter le porche et la chapelle terminale ; mais celle-ci est postérieure au reste : elle a été bâtie de 1340 à 1350 par le cardinal Antoine de Talleyrand. Elle est voûtée d'arête , et butée par huit contre-forts saillants, placés, comme d'usage, aux points de retombée des nervures ; elle se compose de deux travées percées de fenêtres à trois jours, et d'un chevet semi-circulaire où sont pratiquées cinq fenêtres à deux jours. Cette chapelle qu'on a pochée d'une teinte plus claire sur la planche, afin d'exprimer sa postériorité aux autres parties de l'église, et dont on n'a point tenu compte dans l'élévation et la coupe, a remplacé une abside semi-circulaire, probablement semblable, sauf les dimensions, à celle qui existe encore, accolée au mur oriental du croisillon sud, et qui était répétée à la place correspondante de l'autre croisillon. Cette dernière a vraisemblablement été détruite aussi au XVIe siècle. L'édifice est presque régulièrement orienté, car son axe principal ne présente qu'une déviation d'environ 12 degrés vers le sud.

En examinant le plan de Saint-Front, on remarque que l'ossature en est formée par douze piliers fort épais que relient entre eux des murs d'une épaisseur bien moindre. Ces piliers, qui supportent les cinq coupoles, sont placés de manière à former les quatre angles rentrants du centre de l'édifice et ses huit angles saillants; et leur disposition est telle, que chacune des cinq travées a elle-même la forme de croix ; de sorte que, suivant l'observation de M. de Taillefer, l'ensemble rappelle la croix recroisetée du blason. D'après le même auteur, les dimensions générales du monument sont celles-ci (hors œuvre) :

  • du mur extérieur du porche aux contreforts de là chapelle terminale, 91m,60; mais cette chapelle faisant une saillie d'environ 11m,6О sur l'abside primitive, il reste pour la longueur totale du monument dans son état ancien, 80m,00.
  • Largeur totale du transsept, y compris le ressaut du porche du Touin, 58m,64.
  • Largeur de la nef longitudinale, 24m,03.—Largeur de la nef transversale, 23m,97.

La facade occidentale formée par le porche, dont le mur de face n'a pas moins de 3 mètres et demi d'épaisseur, présente deux étages, dont l'inférieur, entièrement nu, est percé d'une porte élargie par un redent à l'intérieur. L'étage supérieur, séparé de l'autre par une corniche à modillons, est un peu en retraite sur ce dernier; il sert de soubassement au clocher, et est orné sur ses faces latérales de deux grandes arcatures en plein cintre, encadrant deux fenêtres dont les pieds-droits sont garnis de colonnettes, et par lesquelles le jour pénètre dans la double lanterne de l'intérieur du porche. Une corniche, entre les modillons de laquelle sont sculptés des monstres (pl. III, fig. 5), couronne ce second étage, qui n'offre qu'une simple baie sur sa face antérieure.

Le clocher présente trois étages (pl. III, fig. I). Le premier est décoré sur chacune de ses faces de quatre pilastres, entre lesquels il existe, dans la partie supérieure, des baies à archivolte et à imposte (Voir le plan, fig. 3, pl. I). Au-dessous de ces baies sont de petits frontons surmontés d'une croix, et, presque immédiatement au-dessus, est une comiche a modillons, dont le détail en grand est donné pl. Ill, fig. 3. Le second étage, un peu en retraite sur le premier, offre deux rangs de baies, non plus séparées par des pilastres, mais bien par des colonnes engagées; il est également couronné par une corniche à modillons (pl. Ill, tig. 2). Le troisième étage, beaucoup moins élevé que les deux autres, est cylindrique et non carré comme ces derniers,la différence de forme étant rachetée à l'intérieur par des pendentifs en trompe. C'est une sorte de lanterne à jour, consistant en un soubassement soutenant un grand nombre de colonnettes toutes différentes, placées fort près les unes des autres, et portant un dome dont le profil est un talon renversé très-aplati. Ce dôme est recouvert d'imbrications arrondies, dont la courbure est, contrairement à l'usage, tournée vers le ciel ; le coq qui le surmonte s'élève à 60m,40 au-dessus du sol de l'église. Le clocher de Saint-Front, tout percé de baies à jour, et que ne bute aucun contre-fort, ne manque certainement ni de hardiesse ni de beauté. A l'exception de son amortissement bizarre qui est sans doute le résultat d'une influence étrangère, il est tout entier exécuté dans le style roman, mais dans le style roman du Midi, qui rappelle si souvent l'antique.

L'intérieur du porche, profond d'environ 13 mètres, forme une sorte de narthex. Il est divisé, dans sa partie centrale, en deux travées, dont le plan est une portion de cercle. L'étage supérieur de ces travées forme des lanternes octogones, rachetées par des pendentifs du genre de ceux du clocher; ces lanternes rappellent celles de certaines églises de la même époque, celle de Tournus, par exemple, Voûtées, comme celle-ci, en demi-sphère, elles ont également les angles de leurs tambours garnis de colonnettes, des niches creusées dans quatre de leurs pans, et des baies pratiquées dans les autres.

 


La croisée de l'église se trouve comprise entre quatre énormes piliers, carrés en plan, et d'une disposition singulière; ils sont percés jusqu'aux deux tiers de leur hauteur par d'étroites galeries voûtées eu berceau, qui, à leur rencontre, produit naturellement une petite voûte d'arête au centre du pilier. La partie supérieure des piliers est creuse et forme une pièce éclairée par d'étroites fenêtres (Voir la coupe, pl. I, fig. 4, et la vue perspective). Ces pièces diminuent la solidité des piliers, qui ont besoin d'une grande force, puisqu'ils supportent la retombée des portions de voûtes-ogives, espèces d'arcs-doubleaux énormes qui soutiennent les coupoles. Ces arcs-doubleaux tombent en retraite du nu des piliers, qui sont couronnés à leur partie supérieure par un cordon chanfreiné, placé à 11m,25 du sol.

 

La coupole de la croisée a sous clef 27m,25, ce qui lui donne un peu plus de hauteur que les autres ; c'est, au reste, la seule différence qu'on puisse établir entre elles, car elles sont toutes semblables, comme forme et comme construction. Elles sont établies sur panaches, c'est-à-dire que la différence qui existe entre leur forme circulaire et la forme carrée de la base sur laquelle elles portent, est rachetée par des portions de voûte sphéroïdale. C'est le système de celles de Sainte-Sophie. Les coupoles de Saint-Front, ornées à leur naissance d'un cordon chanfreiné, sont, comme toutes celles de l'époque romane et latine, construites en blocage, tandis que les arcs sont en pierres de taille appareillés eu coupe. Cette différence résulte évidemment de la nécessité où l'on était, à une époque où la stéréotomie était peu avancée, d'éviter les difficultés peut-être insurmontables alors, que présente l'épure des claveaux d'une voûte sphérique. La coupole de la croisée a, dans œuvre, 12m,35 de diamètre : on y remarque une fenêtre en lunette; mais nous ignorons si cette fenêtre et celles qui existent également dans les autres, sont contemporaines de leur érection.

La nef, qui communique avec le porche par trois portes, a ses murailles décorées de chaque côté de quatre arcatures en plein cintre, dont la seconde est plus large et un peu plus haute que les autres. Au-dessus de ces arcatures règne un cordon, et dans l'espace qui existe entre ce cordon et l'intrados de la voûte, sont percées trois fenêtres en plein cintre, dont celle du milieu est plus élevée que les autres (Voir la pl. I, fig. 6). Dans le pilier sud-ouest de la nef, on a établi un escalier au moyen duquel on communique de l'église à l'évêché. Au-dessous de cet escalier est un caveau. Nous avons dit que les coupoles de toutes les parties de l'édifice sont semblables à celles de la croisée. Nous n'avons donc pas à y revenir.

Le croisillon sud a sa muraille occidentale ornée de cinq arcatures, entre lesquelles sont pratiquées des fenêtres. Il y a également des arcatures sur le mur méridional; celles-ci sont au nombre de trois, et leurs arcs retombent sur les pilastres d'une assez forte saillie, et garnis d'une imposte. Dans chacune des arcatures latérales est une petite fenêtre, et dans celle du milieu se trouve une porte qui a nom la porte du Touin, c'est-à-dire, la porte du toit (de teclo). Elle forme un léger ressaut sur le nu du mur, et offre un aspect bizarre que la fig. 5 de la pl. III nous dispense de décrire. On croit qu'entre les corbeaux qu'on y remarque, étaient placées des colonnettes, au-dessous desquelles il devait s'en trouver d'autres d'une plus grande hauteur. On suppose aussi que cette porte était jadis abritée par un appentis, ce qui lui a valu le nom qu'elle porte. La fig. 6 représente en grand le cordon à palmettes de sa partie supérieure, et l'animal sculpté sur un des corbeaux.

Les piliers des angles du croisillon sont, ainsi qu'on voit sur le plan, disposés comme ceux de la croisée, de manière à offrir dans leur partie inférieure un vide en forme de croix. Ce vide est éclairé par deux fenêtres pratiquées dans les murs latéraux. L'abside du mur de l'est est, comme nous l'avons dit, semi-circulaire; elle est décorée de huit colonnettes corinthiennes, à bases attiques, exhaussées sur un socle continu. Sur le chapiteau de ces colonnettes s'en élèvent d'autres de moindre hauteur, qui reçoivent la retombée d'arcs alternativement en plein cintre et angulaires; le tailloir des colonnes inférieures, en se continuant sur le nu du mur, forme deux cordons qui font le tour de l'abside, dans laquelle le jour pénètre par trois baies. Cette sorte de chapelle a (dans œuvre) 6m,32 de largeur et 5m,60 de profondeur ; elle est construite sur des caveaux formant deux étages de substructions.

L'abside du croisillon nord est détruite (Si cette chapelle est figurée dans la vue perspective, c'est que les planches qui accompagnent cette notice sont une restitution du monument, restitution dans laquelle on a cherché naturellement à lui rendre sa physionomie primitive); il n'en reste plus que les pieds-droits de l'arcade placée à l'entrée. On y remarque une colonnette et surtout une colonne à chapiteau corinthien de la plus grande beauté (pl. Ill, fig. 7). Le reste du croisillon diffère peu de celui que nous avons décrit. La dissemblance consiste dans les arcatures du mur occidental, qui sont seulement au nombre de quatre, et dans les piliers des angles dont le plan est presque circulaire à l'intérieur. La porte est connue sous le nom de porte du Gros ou des Gras, c'est-à-dire, des degrés . Jadis surmontée d'un bas-relief, elle est aujourd'hui sans ornement; elle porte la date de 1581, époque à laquelle elle a été refaite, ainsi que la porte du Touin.

Les murs latéraux du chœur sont percés chacun de quatre grandes fenêtres (Elles ont été récemment bouchées pendant des travaux d'une déplorable exécution qui ont été faits à Saint-Front), encadrées d'arcatures; audessus, la disposition est la même que dans la nef et les croisillons, c'est-à-dire qu'on y retrouve un cordon séparant la partie inférieure du mur de sa partie supérieure, où existent également trois fenêtres. Les piliers des angles sont octogones à l'intérieur et voûtes en coupole. Ils contiennent des escaliers conduisant aux parties supérieures de l'église. Un grand arc en ogive obtuse, au-dessus duquel est inscrite la date de 1583, et que surmontent trois fenêtres, formait l'entrée du sanctuaire en hémicycle qu'a remplacé la chapelle ogivale dont nous avons parlé. Sous cette dernière, on a constaté l'existence d'une crypte qu'on n'a pu explorer.

L'extérieur de Saint-Front est d une grande simplicité. Les murs, entièrement nus jusqu'à la corniche à modillons qui les couronne, ne sont accidentés que par les fenêtres, dont toute l'ornementation consiste en un retrait (pl. II, fig. 1). Mais au-dessus de cette corniche, chaque branche de la croix est ornée de trois frontons (A l'exception de la nef, qui ne peut en avoir que deux, par suite de la présence du porche) couronnant les triples baies placées au-dessous des grands arcs reliant les piliers sur lesquels s'appuient les murs de l'édifice. La fig. 2 de la pl. II fait connaître les moindres détails de ces frontons curieux et tous semblables. On voit qu'entre le rampant de la corniche et les baies des fenêtres, on a eu soin de disposer des arcs en décharge en forme de segment de cercle, qui soulage ces baies, précaution qui semble assez peu nécessaire, du reste. La fig. 3 représente en grand les modillons des rampants du fronton, et la fig. 4 ceux de la corniche.

Les dômes constituant l'extérieur des coupoles sont d'une forme trapue et conséquemment peu gracieuse. Ils consistent en un tambour présentant deux retraites, et couronné par une corniche que soutiennent des modillons simplement chanfreinés, le tout ayant une hauteur de près de 4 mètres. Huit petits contre-forts suivant les ressauts que présente le profil du tambour, butent la construction, laquelle est établie par assises reliées avec le blocage de la coupole, et alternativement d'une hauteur de 0m,38 et de Om,20 sorte d'appareil désigné par les anciens sous le nom d'opus pseudisodomum. La calotte du dôme, fort déprimée, se profile suivant une double doucine renversée et très-aplatie. Elle était surmontée par un amortissement en forme de lanterne, dit M. de Taillefer, qui assure avoir vu d'anciens tableaux constatant ce fait.

La toiture primitive de Saint-Front consistait en un revêtement de dalles d'environ Om, 25 d'épaisseur, de sorte qu'il n'y avait ni fer ni bois, comme dans un grand nombre de monuments orientaux. Plus tard, cette toiture a été remplacée par des tuiles fixées avec du mortier à même de l'extrados des voûtes, comme on en rencontre des exemples dans les monuments très-anciens du moyen âge. Une troisième toiture, construite en charpente, mais laissant les dômes intacts, fut substituée à la seconde, et remplacée elle-même, dans le courant du siècle passé, par un grand comble qui couvre tout l'édifice et rend ainsi les coupoles invisibles. Au reste, ce n'est pas le seul mal qu'ait produit l'établissement de ce comble; il a causé également la mutilation des frontons, tous tronqués aujourd'hui. Nous devons signaler une mutilation plus grave encore, mais vraisemblablement beaucoup plus ancienne : nous voulons parler de la destruction des couronnements pyramidaux qui paraissent avoir surmonté chacun des piliers d'angle de l'édifice, en flanquant les frontons et donnant à l'ensemble de l'édifice un aspect très-pittoresque.

Il existe un très-grand nombre de caveaux sous la basilique de Saint-Front ; ces caveaux sont loin d'être connus tous. Parmi ceux qu'on a pu explorer, les uns servaient de chapelles, les autres de lieux de sépulture. Dans quelques-uns, on a retrouvé, engagés dans les murailles, des fragments antiques. C'est dans la crypte qui s'étend au-dessous de la croisée, et où l'on pénètre par un escalier s'ouvrant dans le gros pilier du nord-est, que reposent les restes du Saint patron de la cathédrale. Ils sont placés dans une sorte de renfoncement, d'enfeu, disposé à cet effet.

La cathédrale de Périgueux n'est pas seulement curieuse par sa disposition exotique, si bien faîte pour surprendre en France; elle l'est encore par la quantité vraiment singulière de constructions de toutes espèces, églises, chapelles, sacristies, bâtiments claustraux, palais episcopal, etc., qui y étaient annexés. Il n'entre point dans le plan de cette notice d'en faire une description ; elle serait d'ailleurs inintelligible dans un plan dressé exprès et que nous ne possédons pas. Nous nous bornerons à donner quelques renseignements sur la façade de l'ancienne église qui a précédé Saint-Front; cette façade a subsisté jusqu'à ces dernières années, où, par un acte de vandalisme stupide, on l'a jetée bas, sans même en faire prendre un dessin soigné. Tout ce qu'il en reste, en effet, c'est une petite gravure, publiée dans l'ouvrage de M. de Taillefer ; elle est fort inexacte, de l'aveu même de l'auteur, et bien plutôt faite pour exciter la curiosité que pour la satisfaire.

En avant, c'est-à-dire, à l'ouest du porche, se trouvait une cour fermée de hautes murailles, d'une longueur de 17m,85 sur une largeur de I5m,90, qui aurait eu la forme d'un parallélogramme, si de gros piliers placés à ses quatre angles ne lui avaient donné celle d'une croix. En avant de cette cour, il en existait une autre beaucoup plus étroite, puisqu'elle n'avait que 9m,10 de largeur; c'était le porche de l'église ancienne, dont le mur qui séparait les deux cours était la façade.

Elle était flanquée de deux ailes moins hautes que la partie centrale dont le fronton s'élevait à 10m,45 audessus du sol du porche actuel. Cette partie centrale, la seule intéressante, était construite en moyen appareil, d'un aspect antique ; elle avait 8m,25 de largeur et était épaisse de 1m,15. La porte placée au milieu était en ogive; mais on distinguait facilement la porte ancienne, en plein cintre, qui encadrait l'autre. Au-dessus de la porte étaient trois fenêtres, et plus haut régnait une première corniche à modillons. Elle soutenait une suite d'arcatures, dont les archivoltes étaient formées de trois fasces et d'un bandeau, et qui étaient séparées par des pilastres cannelés à vive arête, d'une hauteur de 1m,19 Sur le chapiteau de ces derniers, portait une seconde corniche aussi à modillons. Au-dessus et à 1m,30 de cette dernière, se trouvait un cordon dont le profil était un listel, un quart de rond tors et deux filets. Un quatrième cordon, orné de moulures en échiquier, venait ensuite, et entre ce dernier et le second, étaient disposées deux grandes losanges dont les moulures formaient des espèces de rudentures. Ils avaient leur angle inférieur appuyé sur la seconde corniche, leur angle supérieur en partie caché par la quatrième, et leurs angles latéraux engagés sous la troisième. De leur angle inférieur s'élevait de plus une colonne engagée servant de piédestal à une statue; trois autres statues existaient également dans les triangles qui formaient les losanges avec le troisième cordon. Des losanges plus petites, au nombre de deux de chaque côté, et laissant un espace vide au milieu, avaient été sculptées entre le quatrième cordon et un cinquième, et entre celui-ci et un sixième et dernier. La moulure de ces petits frontons était une sorte de corniche bizarrement travaillée, et dans quelques-uns ornée de glyphes. On remarquait encore entre le quatrième cordon et la corniche une baie en forme de croix et une pierre rectangulaire sur laquelle était gravé un entrelacs. Un fronton écrasé formait le couronnement de la façade.

La construction dont nous venons d'essayer de donner une idée d'après les notions fort imparfaites que nous en possédons, passait pour être antérieure à l'an mil. Tout fait penser qu'elle l'était effectivement, et nos lecteurs pourront remarquer qu'elle présentait quelques points de ressemblance avec la façade du Baptistère de Poitiers. Nons sommes loin, au reste, d'affirmer qu'elle remontait à une époque aussi reculée, et l'on conçoit que nous ne puissions formuler aucune opinion relativement à sa date (Le fronton du mur de face du croisillon sud de l'église de Chauriat (Puy-de-Dôme) présente une décoration formée de losanges, qui ressemble à celle de la vieille église de Saint-Front. Celle de Chauriat ne date que du XIe ou du XIIe siècle). Quoi qu'il en soit, la destruction de cette façade est un malheur irréparable; la perte des statues, s'il est vrai qu'elles fussent contemporaines du reste, est surtout regrettable, car c'étaient alors, suivant toutes les probabilités , les plus anciennes qui existaient en France.

L'appréciation du style que caractérisent les dispositions si étranges en France de l'église Saint-Front, soulève une question de la plus grande importance : celle de l'influence vraie ou fausse qu'a exercée l'art byzantin sur l'art occidental. Nous pouvons à peine effleurer ici cette question si intéressante, les limites dans lesquelles nous sommes contraint de nous renfermer ne nous permettant pas de la traiter, comme nous voudrions le faire, in extenso.

Il est vraiment singulier que, dans toutes les sciences où les faits ne peuvent pas se prouver mathématiquement, la principale difficulté consiste moins à démontrer la vérité qu'à déraciner les erreurs qui s'opposent à ce qu'elle se manifeste pour tous; au reste, ce qui doit encourager ceux qui s'efforcent d'en faire briller le flambeau, c'est que tôt ou tard ils doivent y réussir, l'esprit humain étant ainsi organisé qu'il tend incessamment, et souvent à son insu, vers la perfection, en d'autres termes, vers le bien, qui n'est autre chose que le vrai. Nous en trouverions au besoin la preuve dans les progrès qu'a faits depuis peu l'archéologie monumentale du moyen âge ; naguère encore c'était un fatras d'absurdités ; aujourd'hui c'est une science souvent incertaine encore, comme toute science jeune, mais qui donne déjà de nombreux résultats positifs, exacts, acceptés de tous. Ainsi, par exemple, il y a une quinzaine d'années, si quelques esprits éclairés protestaient contre cette supposition que l'architecture ogivale venait des Goths, on pouvait néanmoins la soutenir sans être ridicule; aujourd'hui elle fait sourire.

Nous ne doutons pas que prochainement il en soit de même de l'expression de byzantine, appliquée à l'architecture romane de la France. Déjà cette expression, récemment encore adoptée par tout le monde sans conteste, a été changée pour celle de romano-byzantine; or celle-ci, lorsqu'elle n'est pas appliquée aux seuls monuments de l'espèce de Saint-Front, fait tout simplement honneur au caractère conciliant des personnes qui l'emploient, car elle n'est pas plus fondée que l'autre. Non, l'art roman n'a rien emprunté à l'art byzantin, et si l'un des deux a réagi sur l'autre, c'est plutôt le premier, ce qu'expliquerait l'invasion de l'Orient par les peuples de l'Occident, l'inverse n'ayant pas eu lieu.

D'ailleurs, quels sont les faits positifs sur lesquels repose le système que nous combattons ? Il n'en existe pas un. On ne connaît encore que fort peu l'architecture vraiment byzantine, celle de la Grèce; mais ce qu'on en connaît tend exclusivement à prouver que cette architecture ne ressemble nullement à celle du XIe et du XIIe siècle dans les pays occidentaux. Plan, détails, système de construction, tout est différent; et c'est à peine si on peut y trouver quelques analogies, lesquelles s'expliquent tout naturellement par une origine commune. Au reste, les archéologues qui ont foi dans l'influence byzantine deviennent chaque jour moins nombreux; et, poussés par l'évidence jusqu'à leurs derniers retranchements, ils paraissent assez disposés à faire le sacrifice de leurs anciennes opinions, si l'on veut leur concéder au moins que les statues hiératiques des portails romans méritent réellement le nom qu'ils leur donnent. Pour notre part, nous ferions volontiers cette concession, si nous n'y voyions un obstacle : c'est qu'il n'est pas de sculpture byzantine , et que nous ne comprenons pas que les artistes romans aient pu rapporter d'Orient des types qui n'y ont jamais existé.

On ne trouve en France qu'une seule classe de monuments méritant réellement le nom de romano-byzantins; ce sont ceux qui, presque tout entiers en style roman , du reste, accusent cependant, par leurs coupoles surmontées de dômes, des souvenirs des églises grecques. Ces monuments, en fort petit nombre, ne sont pas disséminés par toute la France, mais au contraire circonscrits dans un cercle assez peu vaste. Il paraît évident qu'ils sont dus à une même école, dont les chefs avaient infailliblement pris part aux croisades, et avaient ainsi eu l'occasion de visiter des édifices sacrés de l'Orient. L'église Saint-Front est regardée avec raison comme le prototype des constructions dont nous parlons. Son plan et ses dômes élevés sans l'emploi du fer et du bois, absolument comme en Grèce , où le bois de charpente est souvent rare , ne permettent guère de douter qu'elle soit la reproduction de quelque type byzantin. M. de Verneilh a soutenu que ce type devait être Saint-Marc de Venise; nous croyons qu'il s'est trompé , car nous n'avons pu découvrir d'analogie véritable entre ces deux édifices; et d'ailleurs, raisonnant dans son hypothèse que Saint-Front a été achevé en 1047, il serait impossible d'expliquer comment cette basilique a pu être imitée de celle de Saint-Marc, qui n'a été achevée qu'en 1071.

L'église Saint-Front, loin d'être une arme pour les partisans de la prétendue influence byzantine, en est une contre eux: en effet, c'est seulement, disent-ils, dans les détails, que cette influence s'est montrée; or, nous voyons à Saint-Front, où cette influence est incontestable, et où les détails architectoniques devraient l'indiquer bien davantage qu'ailleurs, qu'il n'en est rien au contraire, l'ornementation et les moulures étant tout à fait et exclusivement celles des autres monuments de la même époque.

Source : Monuments anciens et modernes par Jules Gailhabaud en 1850.

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 34962
  • item : Cathédrale Saint-Front
  • Localisation :
    • Aquitaine
    • Dordogne
    • Périgueux
  • Code INSEE commune : 24322
  • Code postal de la commune : 24000
  • Ordre dans la liste : 2
  • Nom commun de la construction :
    • La dénomination principale pour cette construction est : cathédrale
  • Etat :
    • L'état actuel de cette construction ne nous est pas connue.

Dates et époques

  • Périodes de construction : 2 différentes époques marquent l'histoire du lieu.
    • 12e siècle
    • 19e siècle
  • Dates de protection :
    • 1840 : classé MH
    • 1889 : classé MH
  • Date de versement : 1993/06/11

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice :
    • non communiqué
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Interêt de l'oeuvre : 18 04 1914 (J.O.)
  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :2 éléments font l'objet d'une protection dans cette construction :
    • élévation
    • cloître
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • non communiqué

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : propriété de l'état 1992
  • Détail :
    • Cathédrale : classement par liste de 1840
    • Façade de l' église latine et cloître : classement par liste de 1889
  • Référence Mérimée : PA00082725

photo : Lomyre