Château de Bannes

Le château doit à sa position la physionomie la plus pittoresque; mais il n'en faut pas juger par la vue publiée dans le Guide du voyageur en France; ce n'est ni le site, ni le château, ni le sentiment de cette élégante et noble architecture du 16e siècle. On n'a pas été plus heureux que pour Biron; mais c'est tout ce qu'il fallait à une publication parisienne, où Banne pourrait s'appeler Biron et Biron s'appeler Banne, sans faire aucune injure à la fidélité du peintre et à la satisfaction du lecteur.

Banne, pour être compris, doit être vu du haut vallon et à distance; ailleurs, il est ordinaire; mais de là, assis gracieusement à l'extrémité de son promontoire, à 150 pieds au-dessus des vertes prairies de la Couze, il semble une île détachée des coteaux et qui domine le vallon.

Ce tertre a cela de singulier qu'il n'a point de ligne parallèle; il n'est point formé par l'extrémité d'un vallon; il n'y a à son pied que l'évasement d'une gorge, et les pentes remontent de tous côtés pour reprendre le niveau horizontal du sommet des crêtes. La cause de cette structure est, je crois, dans sa position en face du vallon de Romaguet; sans doute les courans marins, qui se précipitèrent jadis par cette ouverture, firent brèche sur la rive opposée; mais la puissance de la masse de rochers ne leur permit que de creuser en tournoyant une anse peu profonde.

La nature avait fait de cette presqu'île une position forte; les hommes durent l'occuper dès les temps primitifs; ce fut un oppidum gaulois, un fort au moyen-âge, et alors on creusa dans le roc vif au nord, du seul côté accessible, un fossé profond qui le mettait à l'abri d'un coup de main.

Cependant, dans les actes que j'ai vus , il n'est point fait mention de ce lieu avant le 15e siècle. Ainsi, il n'est point nommé dans la charte qui fixe les limites de l'honneur de Beaumont. Volumus et concedimus quod castrum S.ti-Aviti-Senioris, Montisferrandi, Coneharum, Bardo, Faux, Saint-Sibranet, Lincays, Cayssart, Puybetou, Monsac, Monsanha, Naussana, et tota parochia de Rampieux, usque ad viam publicam per qua itur de Torlhaco versus Monteferrandum et versus ecclesia S.tae-Crucis et tota ecclesia de Bruniquello, scilicet ab eadem ecclesia prout rectius itur ad fontem vocatum Romeget et de praedicto fonte prout rivus vocatus lo Causert dirigit usque ad ecclesiam Leprosorum S.ti-Aviti-S., sint de honore et districtu dictae bastidae Bellimontis.

Il paraît seulement que cette fin des guerres anglaises, de 1340 environ jusqu'à la bataille de Castillon, ne fut qu'une suite de courses et d'expéditions, châteaux contre châteaux, pris, repris, surpris, par force, par ruse, par argent, temps de vie active pour Domme, Bigaroque, Temniac, Vitrac et tout le pays de Sarladais, qui en fut le théâtre principal.

Ramonet de Sort, capitaine de Castelnau pour les Anglais, s'empara de Banne en 1409; il en chassa la marquise d'Esclamat et s'y établit.

En 1417, Jean de Lot y était détenu; Pierre de Bosredon lui rendit la liberté.

Les habitans de Sarlat avaient beaucoup à souffrir de ces garnisons ennemies; aussi, en 1418, moyennant quelques présens faits aux capitaines de Belvés, Cugnac, Banne et Domme, ils achetèrent une trêve appelée alors soufferte ou pâti.

Rien de plus commun à cette époque que ces suspensions d'armes, soit entre les deux rois, soit entre les villes, les garnisons et les seigneurs entre eux. On demandait un pâti, quand on avait quelque chose de plus pressé que de se battre. Ainsi, nous lisons dans le livre de l'Hôtel-de-Ville de Bergerac, 26 juillet 1378:

"Fo ordena que la vila aya pati, am tant que nos tenha segurs desà laygve et delà, fo monstra de ave pati de Montréal, attendu l'estiu del blads que son à levar."

Voici un des ces pâtis : "Sapian tots que yo Aymerie; senhor de Montferrand, ay donat e doni bon et léal pati e sufferta de guerra e léal segurtat al noble e poyschant senhor Jean de Beaufort, tenhor de Limoil, a saber per Limol, Miramon, Clarens, Sendreux, Longua, Balayrac, Lalinda e Cosa e à totas lors forteressas et à tots les habitans de qualle condition que sian e à tant que poschen ayschi los bestials anar, venir, tornar, repassar, hobrar, laborar, mercadehar, etc ...... 21 février 1380."

Cependant, en 1442, les Sarladais se fatiguèrent; aidés du comte, du sénéchal et de plusieurs seigneurs, ils firent une levée considérable; ils menaient de l'artillerie : 40 pierres du lop, 40 pierres de l'asne. M. Tarde enseigne que l'on connaissait alors quatre machines de guerre : la bride, qui était la plus grande; le coliard, le lop, qui lançait des pierres pesant un quintal et demi; enfin, l'asne, le plus petit de tous ces engins de bois.

Le premier feu tomba sur Belvès; cette place se défendit du 15 août au 6 septembre; Banne, assiégé le 27, se rendit à composition; la garnison sortit moyennant une somme d'argent, de laquelle, pour sa part, le comte de Périgord eut cinquante écus. Castelnau-de-Berbiguières fut pris à la fin d'octobre, moyennant quelqu'argent que reçut le capitaine d'Estissac pour en sortir.

Mais Sarlat avait une vieille rancune contre Banne, et, le 15 novembre, les consuls, par prudence, envoyèrent quinze manoeuvres pour raser le château.

La trace de cette colère de Sarlat se voit encore; car le château ne fut pas rasé, mais démantelé, et les murs qui restèrent debout se reconnaissent à leur épaisseur, qui dépasse douze pieds.

La partie qui domine le vallon a été élevée depuis. On retrouve dans cette construction le goût et la somptueuse recherche de travail du commencement du 16e siècle; les tours sont élancées, et leur encorbellement est entaillé sur six rangs au lieu de trois, ce qui ajoute à leur légèreté et leur ôte le caractère sévère du 12e siècle.

La porte était jadis défendue par un pont-levis; la cour, resserrée entre la partie moderne et la partie qui a survécu au marteau, se termine devant la porte d'un escalier intérieur. Cette porte, gracieusement sculptée, était surmontée par un écusson dont on voit encore les supports; autour, le mur est parsemé de fleurs de lys; tout auprès est une salle dont les croisées s'ouvrent sur le vallon; le fond est occupé par une vaste cheminée. La description en serait imparfaite; il faut voir ses deux tiges de palmiers qui s'élèvent des deux cotés, et ces ornemens qui s'entrelacent si délicatement. L'année dernière, je vis au château de Pau des sculpteurs attirés à grands frais de Paris pour restituer les cheminées de Gaston-Phébus. On peut faire haute estime du noble escalier de cette demeure royale; mais les cheminées doivent céder devant celles de Banne. La sculpture n'est autre qu'une série de cartouches juxta-posées souvent répétées; le travail a peu de relief et ne s'étend pas au-delà du foyer. Ici, au contraire, une seule et même idée se développe sur toute la pierre avec une originalité d'imagination, une pureté de formes, une facilité qui se joue dans l'espace qu'il faut couvrir. Le Périgord, riche en ouvrages de la renaissance, offre surtout ce caractère d'un jet franc, neuf, hardiment conçu, exécuté avec vigueur: je tiens cette remarque d'un architecte. Mais quelles mains ont donc exécuté ces ouvrages, chefs-d'oeuvre de l'art, enfouis , inconnus autour de nous, et qui, prés de la capitale, attireraient, par un renom mérité, de longues processions de curieux ? Non, ce ne furent point des étrangers appelés de loin. Sculpture, architecture, l'art fut jeté dans cette province avec trop de profusion, car il n'était point de château où portes, fenêtres, escalier n'eût son ornement, les cheminées surtout. L'hospitalité étant la vertu la plus éclatante du siècle, la pierre du foyer, autour duquel elle s'exerce, devait surtout attirer l'attention, et, pour elle, l'artiste devait réserver les plus belles créations de son génie. Que de monumens élevés par cette luxuriante renaissance ! Le cloître de Cadouin, la chapelle de Biron, les cheminées de Lanquais, de Lausun et tant d'autres que je ne puis nommer. Toute cette richesse, jetée partout à pleines mains, atteste suffisamment que ce fut aux en fans du pays, aux simples ouvriers, que toutes ces merveilles sont dues. Ils étaient pendant leur vie tailleurs de pierre, et ne pensaient même pas qu'une certaine célébrité pût rejaillir sur leurs noms.

Banne a passé dans plusieurs familles. Gantonnet d'Abzac épousa, en 1440, Catherine de Sort, fille du capitaine Ramonet, qui s'était emparé du château en 1409. Brandelin, son fils, fut obligé de le rendre. Jean d'Esclamat, seigneur de Pujols, réclama devant le parlement de Bordeaux, disant que Banne était un démembrement de la baronie de Pujols, et que Ramonet n'avait eu d'autre droit que la force. Jean Faulcou fut subrogé à Jean d'Esclamat; Albert Faulcon vendit Banne, en 1510, à Brandelin de Biron. En 1544, François de Gontaut, seigneur de Banne, fut blessé à la bataille de Cérisoles : sa veuve, Françoise de Salignac, eut en douaire Banne pour 26,000 livres; elle se remaria avec Antoine de la Reynic.

On voit un écusson aux armes de Biron a l'une des cinq voûtes de la tour qui donne sur le vallon; cette tour étant une partie du nouveau château, il en résulte que le Banne actuel est postérieur à l'an 1510, et qu'il a été reconstruit par la famille de Biron. Je crois que les Salignac portent des fleurs de lys dans leurs armes (Ils portent d'or à trois bandes de sable); alors on pourrait attribuer une partie du travail à Françoise de Salignac, qui eût ainsi occupé les années de son veuvage à orner sa demeure.

Depuis, Banne est venu dans une famille dont le nom est lié aux principaux événemens du Périgord.

Lorsque le maréchal Boucicaut vint mettre le siège devant Montignac, qui est, dit-il dans ses Mémoires, une forte place et semblerait comme imprenable, il fit sommer à haute voix Archambaud et ceux qui avaient suivi la malheureuse fortune de leur comte; Limart de Losse fut un des noms que le trompette appela de la place de Roque-Taillade, sous une grêle de virelons et de dondaynes.

Dans les guerres religieuses, Jean de Losse fut un des chefs des troupes royales contre Langoyran et Vivans; il rendit les plus grands services, ainsi que le seigneur de Puymartin, son beau-frère. Charles IX le fit gentilhomme de sa chambre, lui donna l'abbaye de Terrasson; comme il la trouva occupée, il y entra, non avec une crosse, mais avec du canon. Intervinrent des arrêts du 9e conseil en faveur de P. Saige, plus abbé sans doute, et Jean de Losse se retira.

A. De Gourgues.

Source : Annales Agricoles et Littéraires de la Dordogne 1840.

note : image de la porte datant du 19e siècle trouvée grace au site jeanmichel.rouand.free.fr

Localisation et informations générales

  • identifiant unique de la notice : 33967
  • item : Château de Bannes
  • Localisation :
    • Aquitaine
    • Dordogne
    • Beaumont
  • Adresse : R.D. 660
  • Code INSEE commune : 24028
  • Code postal de la commune : 24440
  • Ordre dans la liste : 1
  • Nom commun de la construction :
    • La dénomination principale pour cette construction est : château
  • Etat :
    • L'état actuel de cette construction ne nous est pas connue.

Dates et époques

  • Périodes de construction : 3 différentes époques marquent l'histoire du lieu.
    • 15e siècle
    • limite 15e siècle 16e siècle
    • 16e siècle
  • Année : 1510
  • Enquête : 1992
  • Date de protection : 2002/02/13 : classé MH
  • Date de versement : 1993/06/11

Construction, architecture et style

  • Materiaux:
    • non communiqué
  • Couverture :
    • non communiqué
  • Materiaux (de couverture) :
    • non communiqué
  • Autre a propos de la couverture :
    • non communiqué
  • Etages :
    • non communiqué
  • Escaliers :
    • non communiqué
  • Décoration de l'édifice : 2 formes de décor sont présentes :
    • peinture
    • sculpture
  • Ornementation :
    • non communiqué
  • Typologie :
    • non communiqué
  • Plan :
    • non communiqué

Monument et histoire du lieu

  • Interêt de l'oeuvre : Inscriptions 31 03 1928 (château) et 26 11 1998 (barbacane précédant le château ; pigeonnier) (arrêtés) annulées.
  • Eléments protégés MH (Monument Historique) :11 éléments font l'objet d'une protection dans cette construction :
    • tour
    • courtine
    • barbacane
    • chapelle
    • décor intérieur
    • cour
    • chemin de ronde
    • pigeonnier
    • chemin
    • entrée
    • bar
  • Parties constituantes :
    • non communiqué
  • Parties constituantes étudiées :
    • non communiqué
  • Utilisation successives :
    • non communiqué

Autre

  • Divers :
    • Autre Information : propriété d'une société privée 1992
  • Détails : L' ensemble formé par le château avec sa barbacane et son pigeonnier (cad. A 317, 318) : classement par arrêté du 13 février 2002
  • Référence Mérimée : PA00082340

photo : Lomyre

photo : Lomyre