Eglise saint Pierre

Peu de personnes connaissent la petite commune de Rucqueville, qui, il est vrai, ne compte pas cent habitants, et se trouve sur la route de Tilly à Creully, à environ deux kilomètres de la route nationale de Paris à Cherbourg. Il est évident que son importance administrative, la beauté de son site sont peu de nature à lui donner une grande notoriété ; cependant son église ancienne est digne d'attirer l'attention des archéologues. Cette église ne sert plus guère aujourd'hui que pour quelques inhumations, depuis que Rucqueville a été réuni, pour le culte, à Martragny.

Bien qu'ayant été l'objet de réparations devenues urgentes, son état actuel laisse encore beaucoup à désirer ; mais à titre de documents, telle qu'elle est, elle présente un curieux ensemble de constructions successives et de styles bien variés.

Bâtie en forme de croix, elle est surmontée d'une tour carrée à toiture à deux égouts, vulgairement appelée bâtière, assez lourde, percée de chaque côté d'une fenêtre ogivale avec meneaux en croix. L'appareil jusqu'au premier étage annonce une construction bien antérieure à celle du deuxième ; du reste celui-ci a dû être reconstruit vers le XVIe siècle.

D'après M. de Caumont, la partie la plus ancienne est le transept, qui comporte quatre arcades à plein cintre portées sur des colonnes engagées à gros chapiteaux historiés. Les deux arcades qui donnent accès au choeur et à la nef ont dû, d'après le même archéologue, être ogivées pour permettre la vue du choeur ; je croirais plutôt pour l'harmoniser avec celui-ci, qui est du XIIIe siècle. Ce transept avait dû être voûté, puisqu on trouve dans la travée, sur un des côtés, des amorces de voûte.

Une partie des murailles intérieures est ornée de restes de peintures figurant en rouge un appareil régulier de maçonnerie, portant, au milieu de chaque pierre, une espèce de marguerite à six pétales.

La nef, qui présente les mêmes ornements, possédait jadis des bas-côtés, dont on reconnaît la trace du côté du nord dans quelques arcades ogivales qui les reliaient ensemble. Le côté méridional a été reconstruit à une époque assez récente.

Mais ce sont surtout les chapiteaux des colonnes qui font la curiosité de cette église. Ils présentent des scènes du Nouveau Testament ou des figures symboliques assez bien conservées.

Le premier, qui décore à droite l'arcade de face, offre les figures de saint Pierre (patron de cette église) et de saint Paul. Il est facile de reconnaître la Fuite en Egypte, saint Joseph, ayant sur l'épaule une hache comme attribut, conduit l'âne portant la Sainte-Vierge et l'enfant Jésus, et derrière on aperçoit un ange montrant du doigt une énorme étoile à six rayons, circonscrite dans un cercle.

Dans le transept de gauche, et en arrière, se trouve un autre chapiteau dont il est plus difficile d'expliquer le sujet. Deux hommes armés l'un d'une massue, l'autre d'une épée, combattent en se couvrant de boucliers elliptiques, au centre desquels est un ombilic très saillant.

Le chapiteau qui surmonte la colonne engagée supportant une des arcades du choeur, du côté de l'Évangile, représente un être humain complètement nu, dans un cartouche en forme d'ellipse, que soutiennent deux personnages vêtus de longues robes recouvertes d'une espèce de dalmatique, et derrière chacun desquels s'acharnent de petits êtres grotesques, nus et armés de crochets.

M. de Caumont y voit l'âme conduite au ciel par deux anges gardiens qui la protègent contre l'attaque des démons. Le fût de la colonne a été coupé et le tronçon est taillé en forme de console ovoïde.

Le chapiteau de la colonne parallèle porte deux monstres assis, n'ayant qu'une même tête et enchaînés par une ceinture.

Un autre chapiteau nous montre deux personnages dans des niches séparées par des colonnettes à fût en torsade, l'un est vêtu d'une espèce de chappe et a la tête ornée de bandelettes, l'autre a des ailes collées le long du corps et ramenées en avant.

Du côté de l'épître, le pilier du transept a deux colonnes, l'une dont le chapiteau a presque entièrement disparu ; l'autre, celle qui supporte l'arcade et qui a été coupée, figure une Adoration des Mages.

L'un de ceux-ci, qui a un genou en terre, est remarquable par un éperon d'une longueur exagérée et en forme de lance.

Tous ces chapiteaux indiquent, par les sujets qu'ils représentent et leur exécution, le XIIe siècle.

Il ne reste plus qu'à parler du portail qui, à l'extérieur, présente une ogive pleine surmontée d'une moulure en cordon, qui s'arrête à la hauteur du premier étage pour se continuer horizontalement de chaque côté jusqu'aux deux contreforts, qui appuient la façade. Dans cette ogive a été ouverte une porte à cintre surbaissé.

L'église de Rucqueville dépendait du doyenné de Maltot ; elle reconnaissait pour patron présentateur le seigneur du lieu, et l'évêque pour collateur. Les grosses dîmes se séparaient par tiers entre le curé, le prieur de Saint-Gabriel et celui de Beaupte.

Source : La Normandie monumentale et pittoresque Avec Abel Decauville Lachènée.