photo : michel
Le château d'Outrelaise et le parc magnifique qui l'entoure sont une des curiosités du Calvados; il n'y a rien dans ce département en fait de parcs dans le genre anglais, qui puisse être comparé à celui-ci ; la Laize le traverse dans toute son étendue ; de belles prairies, des canaux, des mouvements de terrain naturels et des coteaux élevés plantés de beaux arbres, puis, derrière le parc, un bois de 200 hectares : tout se réunit pour faire de ce domaine une résidence délicieuse et grandiose. M. le Cte Héracle de Polignac, qui en est propriétaire y a fait depuis 30 années des travaux considérables dirigés avec beaucoup de goût (Ces travaux ont été dirigés par M le comte de Polignac et par M. le général Cte de Chambors, membre de la Société française pour la conservation des monuments, mort il y a quelques années dans un âge très avancé) ; mais le château est ancien, la plus grande partie date du XVIe siècle, et depuis cette époque, Outrelaize a pris rang parmi les grands châteaux de la Normandie.
Nous avons vu, à l'article Saint-Manvieux, des inscriptions qui parlent de Le Marchand d'Outrelaise, Ultralesius, lequel avait fait, avec son frère Le Marchand de Rozel, Rosellius, construire à Saint-Manvieux, en 1605, une chapelle funéraire dans laquelle il fut inhumé. (Voyez le 1er. vol. de la Statistique , p. 221 et 223.) Ce fut lui qui construisit, au moins en partie, le château d'Outrelaize. M. le Cte de Polignac possède un manuscrit qui en fait foi.
Je présente une vue du pavillon par lequel on entre, en venant de Gouvix, par la grande allée bordée de platanes : c'était là que se tenaient les audiences de la haute-justice attachée à la terre d'Outrelaize. Aussi voit-on sur la petite porte destinée aux piétons, une statue de la justice avec ses attributs, et lit-on au-dessous:
REMOTA JVSTICIA
NIHIL ALIVD SVNT
REGNA QVAM MAGNA
LATROCINIA.
Des deux côtés de la fenêtre qui surmonte la grande porte se voient les statues de Pomone et de Vertumne (Pour qu'il n'y ait pas d'équivoque, on lit sur de petites tables de marbre noir incrustées sous chacune des statues , les mots Pomona et Vertumnus) : entre ces deux statues, au-dessous de la fenêtre qui les sépare et au-dessus d'une guirlande de fleurs et de fruits, est une inscription ainsi conçue :
INTEGERRIMAM CORPORVM VALETV
DINEM ET STABILE ROBVR CASTAS QZ
MENSARVM DELICIAS ET BEATAM ANIMI SECVRITATEM
CVLTORIBVS NOSTRIS OFFERIMVS
A l'intérieur du pavillon , au-dessus de la porte des piétons, se trouve cette inscription française très-connue de tous ceux qui ont visité Outrelaize :
QUI VEUT SE TENIR A SON AISE
NE DOIT POINT SORTIR D'OUTRELAISE
Quand on compare toutes ces inscriptions à celles que nous avons citées à Saint-Manvieux, on voit que les Le Marchand aimaient à écrire sur le marbre, et nous devons à ce goût des renseignements précieux; il y a plusieurs autres inscriptions à Outrelaize. Ainsi sur le colombier qui est assez beau, on lit, près du toit :
AEDIBUS ORNAMENTO, SPECTANTIBUS OBLECTAMENTO.
M. le Cte de Polignac a eu la bonté de m'envoyer la copie d'une autre inscription, aujourd'hui placée dans la salle à manger et dont on ignore la position primitive ; elle est au-dessous d'une console en marbre noir, et ainsi conçue :
ILLUSTRIS ET NOBILIS GASPARDIS
MARCHANTIUS ULTRALESIUS, NOBILIS
VIRI JOANNIS MARCHANTII ROSELII
SAN MANVEI (de Saint-Manvieux) FILIUS, AD FELICEM
SUI NOMINIS MEMORIAM ULTRALESIUM
SUUM HIS AEDIBUS ORNAVIT AN. D.
1584
Ainsi voilà la date des principales constructions d'Outrelaize (1584) : cette inscription s'accorde avec celles que nous avons lues à Saint-Manvieux. Jean Le Marchand, père de Gaspard, était mort en 1558, ainsi que je l'ai dit à l'article Saint-Manvieux, d'après l'épitaphe qui s'y trouve. (Voyez le tome 1 de la Statistique, p. 222).
Il est néanmoins possible que quelques parties du château soient antérieures à 1584, mais on doit accepter cette date pour la plus grande partie des constructions, sauf les changements assez considérables qui ont été faits soit dans les fenêtres, soit ailleurs. On comprend que depuis deux siècles on a dû beaucoup modifier tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Gaspard Le Marchand avait amené au château d'Outrelaize des sources dont il avait fait plusieurs jets d'eau; il avait pratiqué au rez-de-chaussée, au milieu de la galerie où se trouve une fausse porte, une grotte en rocaille dans laquelle plusieurs tuyaux apportaient l'eau. Il existe une plaque de marbre noir sur laquelle on lit:
ILLUSTRIS ET NOBILIS CASPARD MARCRANTIUS
ULTRALESIUS HANC FONTEM COMPACTIS
EJUS RIVULIS PER ABDITOS AQUSDUCTUS
SUBTUSQUE LESIUM FLUVIUM AD INSTAR
SICULAE ARETHUSAE ALPHEUM FUGIENTIS
............ IN ULTRALESIOS AEDES
DEMUM QUE PER VARIA ET JUCUNDA ULTRA
LESII FUNDI LATIBULA SURSUM
AUTEM INGENTI ALTITUDINE FIERI CURAVIT.
AN. D. 1600.
L'inscription continue et parle d'autres travaux exécutés en 1604; elle finit par donner le nom de l'architecte qui était de Lisieux et s'appelait Le Bourgeois :
ID QUE OPERA M. LE BOURGEOIS LEXOVIENSIS INTER
TOTIUS GALLIAE ARTIFICES ACUTISSIMI ET SOLERTIS INGENII
Au-dessus de la porte de l'ancienne grotte, des deux côtés de la fenêtre de la galerie, sont deux bustes, l'un d'homme, l'autre de femme; sous le premier, on lit ces mots gravés sur une petite plaque de marbre : Oedificate Semper Victuri. L'inscription placée sous l'autre buste a disparu.
M. le Cte de Polignac n'a pas de renseignements sur les personnages que représentent ces bustes, mais il est assez naturel de penser que ce sont Gaspard Le Marchand et sa femme. Les mots œdificate semper victuri ne peuvent guère se rapporter qu'au créateur du château d'Outrelaize.
La seigneurie d'Outrelaize était en 1392 possédée par Philippe Bateste, seigneur de Quilly ; elle dut passer, comme la terre de Quilly, aux Girard et aux Sainte-Marie de Bernières; enfin, au XVIe siècle, nous la voyons aux Le Marchand : c'est de la famille Le Marchand qu'elle est venue à celle de Chambors, et de là à M. le Cte de Polignac qui l'habite. M. le Cte de Chambors avait fait sur les Le Marchand des recherches dont il m'avait entretenu, mais que je n'ai pu me procurer depuis sa mort (Mme, la comtesse Héracle de Polignac est fille de M. le Cte de Chambors, membre de la Société française pour la conservation des monuments, mort, il y a quelques années, à Montfort-Lamaury).
Source : Statistique monumentale du Calvados par Arcisse M. de Caumont
Le ministère de la culture nous dit que l'édifice d'origine subit des modifications considérables entre 1584 et 1620. Le vieux manoir est restauré, une galerie de circulation est ajoutée perpendiculairement pour relier le logis à un pavillon d'angle, un pavillon d'entrée est crée. Au XVIIIe siècle, un parc à la française agrémente le site et les distributions intérieures sont revues au goût du jour. Entre 1822 et 1827, Héracle de Poligny conçoit et exécute, avec les paysagistes Chatelain frères, le parc à l'anglaise qui modifie celui du XVIIIe siècle. En 1894, une reprise de l'ancien logis achève les rénovations successives de l'édifice.